CHAPS-RALPH LAUREN, DIVISION OF 131384 CANADA INC.

Décisions


CHAPS-RALPH LAUREN, DIVISION OF 131384 CANADA INC.
ET MODES ALTO REGAL
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
v.
CAULFEILD APPAREL GROUP LTD.
Appels nos AP-94-190 et AP-94-191

TABLE DES MATIERES
Ottawa, le mercredi 1er novembre 1995

Appels nos AP-94-190 et AP-94-191

EU ÉGARD AUX appels entendus le 16 février 1995 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national concernant des demandes de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CHAPS-RALPH LAUREN, DIVISION OF 131384 CANADA INC.

ET MODES ALTO REGAL Appelants

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

ET

CAULFEILD APPAREL GROUP LTD. Intervenant

Les appels sont admis.


Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si les montants versés par les appelants à Mountain Rose (Singapore) Pte. Ltd., maintenant appelée Polo Ralph Lauren Sourcing Pte. Ltd., située à Hong Kong et à Singapour, sont des «honoraires versés ou à verser par [l'acheteur] à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente», aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi sur les douanes.

DÉCISION : Les appels sont admis. Les éléments de preuve présentés au Tribunal ont montré que Mountain Rose (Singapore) Pte. Ltd., nommée par la suite Polo Ralph Lauren Sourcing Pte. Ltd., n'a pas dépassé le cadre des fonctions qu'exerce un responsable des achats et a agi au mieux des intérêts de ses mandants.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 16 février 1995 Date de la décision : Le 1er novembre 1995
Membres du Tribunal : Desmond Hallissey, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : Robert Desjardins
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Richard G. Dearden et Randall J. Hofley, pour les appelants Anne M. Turley, pour l'intimé Dalton Albrecht, pour l'intervenant





Les présents appels sont interjetés aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard de décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national. La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si les montants versés par les appelants à Mountain Rose (Singapore) Pte. Ltd. (Mountain Rose), maintenant appelée Polo Ralph Lauren Sourcing Pte. Ltd. (Polo Sourcing), située à Hong Kong et à Singapour, sont des «honoraires versés ou à verser par [l'acheteur] à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente», aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi. Si le Tribunal détermine que les montants versés par les appelants sont des honoraires de cette nature, ces montants ne doivent pas être ajoutés au prix payé lors de la vente des marchandises aux fins de déterminer la valeur en douane de ces marchandises.

Les réexamens effectués par l'intimé ont confirmé les décisions relatives à l'évaluation prises par le ministère du Revenu national (Revenu Canada) le 26 février 1993 (complétées le 26 août 1993) en vertu desquelles les appelants sont tenus d'inclure les commissions payées à Mountain Rose/Polo Sourcing dans la valeur en douane des importations des appelants. Revenu Canada a déterminé que ces sociétés ne pouvaient pas être considérées comme des mandataires authentiques, principalement en raison du lien social existant avec le concédant de marques de commerce sur les marchandises des appelants. Selon Revenu Canada, Mountain Rose/Polo Sourcing avaient sur les opérations un intérêt dépassant celui qui est visé par les dispositions du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi.

Le premier témoin des appelants était M. Michael Belcourt, président et directeur général des sociétés Modes Alto Regal (Modes) et 131384 Canada Inc. Il a d'abord expliqué que Modes est autorisée par voie de licence à fabriquer et à distribuer partout au Canada les vêtements pour hommes de marques Polo-Ralph Lauren et Chaps-Ralph Lauren et les vêtements pour garçons de marque Polo-Ralph Lauren. Les marques de commerce pertinentes «Polo» et «Chaps» sont la propriété de Polo Ralph Lauren Corporation (Polo Corporation) de New York (New York). En 1982 et 1984 respectivement, Polo Corporation a autorisé Modes à les utiliser sous licence. De son côté, Modes accorde à Chaps-Ralph Lauren, Division of 131384 Canada Inc., une licence de sous-traitance relativement à la marque de commerce «Chaps». Parmi les clients de Modes, on retrouve des grands magasins canadiens comme Eaton's et La Baie, ainsi que des boutiques spécialisées. En outre, Modes exploite des magasins Polo-Ralph Lauren indépendants.

Selon M. Belcourt, Modes ne fabrique aucun vêtement. Il sous-traite plutôt la fabrication des vêtements à des usines indépendantes dispersées dans le monde entier. Le choix du fabricant relève entièrement des appelants. Ainsi, ces derniers importent effectivement des vêtements fabriqués en Asie du Sud-Est. La liste des fournisseurs asiatiques (pièce A-4) utilisée par les appelants comprend des fabricants à Hong Kong, au Japon, à Singapour, en Thaïlande, en Malaisie, à Macao, en Indonésie, à Taiwan et en Corée. M. Belcourt a déclaré de façon non équivoque qu'il n'existait aucun lien social entre les appelants et l'un quelconque de leurs fournisseurs-fabricants. Le Tribunal fait remarquer à ce moment-ci que M. Belcourt a mentionné au Tribunal, à un moment ultérieur de son témoignage, qu'il n'y avait aucun lien social entre le concédant de marques de commerce (Polo Corporation) et les fournisseurs-fabricants mentionnés dans la pièce A-4. M. Belcourt a également mentionné que les contrats de licence conclus avec Polo Corporation n'ont absolument aucun rapport avec la question des agents acheteurs à l'étranger. Il a également fait valoir que Modes et 131384 Canada Inc. n'avaient absolument aucun lien avec M. Ralph Lauren et son associé en affaires, M. Peter Strom, ni avec aucune des entreprises affiliées à M. Lauren, incluant Polo Sourcing. En outre, M. Belcourt a déclaré qu'il n'était ni actionnaire, ni administrateur, ni dirigeant d'aucune des entreprises Ralph Lauren.

M. Belcourt a utilisé la chemise de tricot rayée présentée comme pièce A-2 à titre d'exemple pour donner un aperçu des affaires des appelants, depuis l'étape de la planification à celle de la livraison des vêtements aux détaillants canadiens. Ainsi, pour chaque saison, le service de la conception de Polo-Ralph Lauren à New York envoie aux appelants ce qui est connu sous le nom de «cartons de modèles». Ces cartons présentent divers styles qui seront offerts dans la collection de vêtements pour hommes au cours de la prochaine saison. M. Belcourt et ses associés établissent alors une liste de choix de marchandises, c'est-à-dire une liste des différents produits qu'ils veulent offrir pour la prochaine saison. À ce moment-là, ils envoient également la liste à leur mandataire à Hong Kong et lui demandent de trouver des fabricants capables de fabriquer ces produits. La tâche du mandataire est de fournir à Modes les prix et capacités de production approximatifs de chacun de ces fabricants. Après avoir reçu ces renseignements, M. Belcourt et ses associés décident quels vêtements doivent être fabriqués en Orient ou ailleurs, par exemple au Canada ou aux États-Unis. Depuis 1980, M. Belcourt et un collègue se sont rendus trois fois par année en Orient. Ils y rencontrent chaque fois leur mandataire et les fabricants avec lesquels le mandataire a pris rendez-vous. L'objet des discussions qui ont lieu avec les fournisseurs est de passer en revue le programme pour les différents styles et de prendre des décisions concernant la quantité de vêtements à produire. Les traducteurs sont fournis par le mandataire. M. Belcourt a mentionné au Tribunal que lui-même et ses associés négocient tous les prix eux-mêmes directement avec les fabricants. Lorsque les négociations sur les prix ne sont pas terminées, des prix cibles sont donnés au mandataire qui sert d'intermédiaire entre le fournisseur et Modes. Dans tous les cas, selon M. Belcourt, Modes a le dernier mot sur les prix.

Lorsqu'ils quittent l'Orient, M. Belcourt et son associé donnent à leur mandataire l'instruction de communiquer avec des fabricants déterminés. Une fois de retour au Canada, les deux hommes d'affaires envoient des bons de commande directement aux fabricants. Le mandataire des appelants assure le suivi quant à toutes les exigences de production et à la qualité des vêtements. En outre, Polo Sourcing participe aux essais effectués sur les tissus et surveille la production. Le mandataire est avisé, au moment opportun, du transitaire à utiliser pour l'expédition des marchandises. Comme l'a mentionné M. Belcourt, le transitaire prend possession des marchandises seulement après que le mandataire a signé un certificat d'inspection de la qualité et a dédouané l'expédition. Selon M. Belcourt, l'exportateur attitré est le fournisseur étranger – ce n'est jamais le mandataire. Le paiement effectué par les appelants est fait au moyen d'une lettre de crédit établie directement avec le fournisseur étranger.

Après avoir donné cette vue d'ensemble, M. Belcourt a renvoyé aux documents contenus à l'onglet A de la pièce A-6 pour expliquer au Tribunal toutes les procédures que Modes doit suivre pour effectuer un achat réel et particulier de vêtements d'un fournisseur à Hong Kong, depuis le carton de modèles à la facture du courtier canadien. Il a également mis en évidence divers exemples d'instructions données par Modes à Polo Sourcing (onglets 2 à 7). Cette pièce illustre également l'achat de vêtements par Chaps-Ralph Lauren.

M. Belcourt a mentionné au Tribunal qu'il savait, lorsqu'il a retenu les services de Mountain Rose, que cette société avait des rapports avec M. Lauren et que cela ne le préoccupait nullement. En outre, il a déclaré que les appelants n'avaient pas à utiliser Polo Sourcing. Ainsi, il s'agissait strictement d'une décision de gestion, fondée sur des avantages perçus, comme l'utilisation du même mandataire par d'autres licenciés. En ce qui a trait aux vêtements portant la marque de commerce «Chaps», Chaps-Ralph Lauren a cessé d'utiliser Polo Sourcing et a remis ses affaires entre les mains d'un nouveau mandataire, c'est-à-dire Asco General Supplies (Far East) Limited (Asco). Ce changement, qui s'est produit en avril 1994, était une décision de gestion. Selon M. Belcourt, ce nouveau mandataire n'est lié ni aux appelants, ni à M. Lauren, ni à aucune de ses sociétés affiliées.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Belcourt a mentionné au Tribunal qu'au moins 80 p. 100 des prix sont négociés et confirmés pendant ses visites annuelles en Orient. Quant aux autres prix, il a répété que le mandataire reçoit des directives et qu'il a pour tâche de transmettre aux appelants l'information fournie par les divers fournisseurs. M. Belcourt a également expliqué les raisons commerciales pour lesquelles les appelants avaient, dans les années 80, laissé tombé l'organisme appelé Addison Ltd. et choisi Mountain Rose. M. Belcourt a admis ne pas savoir si Polo Corporation demande à Polo Sourcing d'inspecter les vêtements des appelants. Il a reconnu que certains frais, notamment les frais d'essai en laboratoire, auraient pu être payés par le mandataire au nom des appelants. Cependant, ceux-ci remboursent par la suite le mandataire. En ce qui a trait aux frais liés aux échantillons, M. Belcourt a fait remarquer que : 1) ils représentent de petits montants comparativement au montant des lettres de crédit; et que 2) l'achat d'échantillons revêtant une certaine urgence, il est plus simple de demander aux petits fournisseurs d'envoyer les échantillons aux appelants par avion et de facturer le mandataire local qui, à son tour, facture les appelants.

En réponse à une autre question de l'avocate de l'intimé, M. Belcourt a déclaré que le mandataire des appelants représente plusieurs autres entreprises en Orient qui ne sont pas liées à M. Lauren. Par exemple, des ententes de représentation existent entre Mountain Rose et The Timberland Company aux États-Unis (pièce A-8) et entre Mountain Rose et Fred Perry Sportswear (UK) Ltd. (pièce A-9).

Le deuxième témoin des appelants était M. Edward Kable, qui travaille à New York en qualité de codirecteur du contentieux chez Polo Corporation. M. Kable a témoigné que son travail consiste, entre autres, à donner des conseils, à l'occasion, à Polo Sourcing. Ainsi, M. Kable a, dans le passé, travaillé sur les ententes de représentation de Polo Sourcing. M. Kable a représenté Polo Sourcing dans les négociations concernant l'accord de mandataire acheteur entre Modes et Polo Sourcing (pièce A-7), qui a été signé le 29 novembre 1994. En réponse à une question des avocats des appelants qui voulaient savoir si cet accord reflétait de façon précise le lien existant entre Modes et son agent acheteur avant la signature de l'accord, M. Kable a répondu par l'affirmative. Il a également indiqué que certains licenciés, comme la licenciée Polo Australia, n'ont toujours pas d'entente écrite avec Polo Sourcing.

M. Kable a une nouvelle fois souligné l'absence de tout lien social entre M. Lauren, M. Strom et l'une quelconque de leurs sociétés et les appelants ou M. Belcourt, ainsi que l'absence de tout lien semblable entre les sociétés Ralph Lauren et les fournisseurs étrangers retenus par les appelants. Il a également mentionné au Tribunal que les contrats de licence entre Polo Corporation et Modes n'exigeaient pas de cette dernière qu'elle utilise Polo Sourcing comme son mandataire.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Kable a donné la raison pour laquelle le mandataire a, en 1992, changé son nom, c'est-à-dire pourquoi il a remplacé le nom Mountain Rose par l'appellation Polo Sourcing. Il a également informé le Tribunal de l'existence d'un accord de mandataire acheteur entre Polo Corporation et Polo Sourcing.

Dans leur plaidoirie, les avocats des appelants ont fait référence à la décision du Tribunal dans l'affaire Radio Shack, A Division of InterTAN Canada Ltd. [2] En particulier, ils ont cité un extrait concernant les Notes explicatives [3] afférentes à l'Accord sur le Code de la valeur en douane [4] (Accord du GATT), qui définit des commissionnaires à l'achat (désignés agents acheteurs dans ces motifs), généralement payés par l'importateur dans le cadre d'une opération distincte du paiement des marchandises, comme étant «des personnes qui agissent pour le compte des acheteurs auxquels ils rendent des services pour la recherche des fournisseurs, la communication au vendeur des souhaits de l'acheteur, la recherche des échantillons, l'inspection des marchandises et éventuellement aussi pour l'assurance, le transport, le stockage et la livraison des marchandises [5] ». Essentiellement, les avocats ont soutenu que les éléments de preuve présentés au Tribunal correspondent clairement à cette définition. Les avocats ont également renvoyé au commentaire 17.1 de l'Accord du GATT intitulé «Commissions d'achat» qui précise la nature des éléments de preuve requis pour établir la nature de la relation entre l'importateur et le mandataire, et qui donne des exemples du genre d'activités ou de pratiques qu'exerce un mandataire et susceptibles de mettre en question l'existence d'une relation authentique de mandataire entre l'importateur et l'acheteur. Il peut s'agir de cas où le mandataire : 1) se sert de ses propres fonds et assume le risque relatif au paiement des marchandises importées; 2) agit pour son propre compte ou détient un droit de propriété sur les marchandises, ou les deux à la fois; 3) a un lien avec le vendeur; et 4) conclut un contrat et adresse sa propre facture des marchandises à l'importateur, en établissant une distinction entre le prix des marchandises et ses frais [6] . Les avocats ont, en outre, souligné que cette liste de cas n'est pas exhaustive et n'implique pas que l'existence de l'une ou l'autre de ces pratiques invalide la relation de mandataire. Selon les avocats, les éléments de preuve présentés au Tribunal établissent clairement une relation de mandataire.

Par ailleurs, les avocats des appelants ont soutenu que la relation entre le mandataire et le concédant de marques de commerce, Polo Corporation, n'a aucun effet sur la relation entre les appelants, à titre de mandants, et leur mandataire.

Quant au paiement de certains frais par Mountain Rose/Polo Sourcing, les avocats des appelants ont fait valoir que ces frais avaient été payés pour des motifs d'opportunisme et de commodité et qu'ils avaient été remboursés au mandataire. En particulier, en ce qui concerne les frais afférents aux échantillons, les avocats ont déclaré que le mandataire n'avait jamais payé les articles de stock et qu'il n'avait pris aucun risque relatif au paiement des vêtements importés. En outre, il est courant que des frais modestes soient payés dans le cadre normal d'une relation de mandataire entre l'importateur et l'acheteur.

Les avocats des appelants ont soutenu que les éléments de preuve présentés au Tribunal ont clairement établi que Polo Sourcing et les autres mandataires mentionnés dans les présents appels se sont acquittés de leur obligation premiE8Šre consistant à exercer les pouvoirs reçus des appelants. Ils n'ont jamais manqué à leur obligation fiduciaire à l'égard des appelants.

L'avocat de l'intervenant a insisté sur ce qui était exigé pour établir l'existence d'une relation de mandataire. À cet égard, il a souligné trois critères essentiels : 1) le consentement, explicite ou implicite, concernant le mandataire et le mandant, que ce consentement soit oral ou écrit; 2) le pouvoir donné au mandataire par le mandant, lorsque le mandataire agit au nom du mandant et que le mandant ne contredit pas que le pouvoir a été accordé; et 3) le contrôle exercé par le mandant sur le mandataire. Selon l'avocat, aucun principe de droit ne permet d'affirmer qu'une relation de mandataire est annulée du simple fait que le mandataire est lié au titulaire ou au concédant d'une marque de commerce. Ce dernier, selon l'avocat, est étranger au contrat conclu entre le fabricant des marchandises et les appelants. Pour ce qui est du mémorandum ministériel [7] invoqué par l'intimé, l'avocat a soutenu que les appelants sont clairement visés par ce document. En particulier, il a souligné que la relation entre Polo Sourcing et les appelants n'a rien à voir avec la relation entre l'acheteur et le vendeur des vêtements fabriqués. Le deuxième point avancé par l'avocat renvoie à des points particuliers énoncés dans les éléments de preuve. Ainsi, il a rejeté comme non pertinent en droit le fait que le mandataire a payé certaines dépenses, comme les frais de laboratoire, au nom des appelants. À son avis, un principe élémentaire du droit du mandat est qu'un mandataire peut payer certains produits ou services au nom du mandant, dépenses que le mandataire a le droit de se faire rembourser par le mandant. L'avocat a pressé le Tribunal de juger, en tenant compte de l'ensemble des éléments de preuve et aussi des exigences légales, que le droit du mandat doit être appliqué aux circonstances particulières des deux présents appels.

L'avocate de l'intimé a invoqué le paragraphe 48(5) de la Loi pour faire remarquer que, généralement, les commissions doivent être ajoutées au prix payable ou à payer à moins qu'il ne s'agisse d'honoraires «versés ou à verser par [l'acheteur] à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente». Elle a soutenu que cette exception devait être interprétée de façon étroite. Renvoyant au mémorandum ministériel, elle a notamment mentionné deux critères, à savoir que le mandataire agisse, à tout moment, dans l'intérêt de l'acheteur et qu'aucun obstacle n'empêche le mandataire d'agir dans l'intérêt du mandant. Elle a également cité l'Accord du GATT, la Note explicative 2.1 et le commentaire 17.1 mentionnés au préalable. À son avis, ces sources indiquent qu'il faut examiner les circonstances particulières des présentes affaires. À cet égard, elle a soulevé l'existence possible d'un conflit d'intérêts entre l'agent acheteur et les appelants. La source de ce conflit potentiel serait, selon l'avocate, la relation qui existe entre les appelants et Polo Corporation. Comme exemple de conflit d'intérêts potentiel, elle a indiqué qu'il serait dans l'intérêt du mandataire que les prix des marchandises achetées par les appelants soient plus élevés, car il obtiendrait ainsi une meilleure commission. En conséquence, la société mère du mandataire, Polo Corporation, recevrait également des redevances plus élevées.

L'avocate de l'intimé a également fait valoir que, dans la situation en question, il n'y a aucun mandataire en droit, puisque Polo Corporation et Mountain Rose/Polo Sourcing sont, en réalité, une seule et même entité. Elle a donc soutenu que Polo Sourcing n'est que le rayon d'achat de Polo Corporation en Orient. Enfin, elle a soutenu que les honoraires versés par les appelants sont imposables puisqu'ils ne sont pas visés par l'exception.

En réplique, les avocats des appelants ont déclaré que les éléments de preuve présentés au Tribunal établissent uniquement que le mandataire a agi au mieux des intérêts des mandants. Les avocats ont également estimé que le conflit d'intérêts potentiel mentionné par l'avocate de l'intimé était de la spéculation. Ils ont ajouté qu'une relation de mandataire ne disparaît pas à cause d'un conflit d'intérêts potentiel. Dans les présentes affaires, comme les éléments de preuve l'ont montré, les appelants ont décidé de se servir de leur mandataire en Orient en pleine connaissance des rapports existants entre Polo Sourcing et Polo Corporation. Selon les avocats des appelants, la divulgation de cette information a supprimé tout conflit potentiel.

La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si les montants versés par les appelants à Mountain Rose/Polo Sourcing sont des «honoraires versés ou à verser par [l'acheteur] à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente», aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi. Comme le Tribunal l'a déclaré dans l'affaire Radio Shack, une décision qui concerne l'existence d'une relation de mandataire et le traitement des honoraires du responsable des achats doit tenir compte des faits pertinents en l'espèce. À cet égard, le Tribunal est du même avis que les avocats des appelants et l'avocate de l'intimé qui soutiennent que le Tribunal doit examiner l'ensemble des éléments de preuve.

Les éléments de preuve présentés au Tribunal ont montré que le rôle de Mountain Rose/Polo Sourcing, et aussi celui d'Asco, se limite à celui d'un agent acheteur représentant les appelants à l'étranger. Le témoignage de M. Belcourt n'a laissé aucun doute dans l'esprit du Tribunal concernant les diverses fonctions exercées par les mandataires au nom des appelants. Comme l'a déclaré M. Belcourt, «[t]he agent's responsibility is really to be our eyes and ears and messengers for our needs [8] » ([traduction] la responsabilité du mandataire est vraiment d'être nos yeux et nos oreilles, et nos messagers répondant à nos besoins). Cela est bien appuyé par les éléments de preuve. Qu'il suffise de souligner, à ce moment-ci, que le mandataire visite des fabricants potentiels au nom des appelants, examine des échantillons, aide les employés des appelants pendant leurs visites d'affaires en Orient, sert d'intermédiaire pour la transmission d'information entre les appelants et les confectionneurs de vêtements, inspecte les marchandises finies et fait le nécessaire pour que les marchandises soient expédiées. De fait, toutes ces activités sont typiques de celles que l'on s'attendrait de voir un agent acheteur exercer et, d'ailleurs, correspondent à ce qui est présenté dans le mémorandum ministériel [9] . Ces activités ou services sont explicitement mentionnés dans l'accord de mandataire acheteur conclu en novembre 1994 entre Modes et Polo Sourcing (pièce A-7). Comme l'a souligné M. Kable au cours de son témoignage, cet accord reflète fidèlement la relation qui existait entre les deux parties avant la signature de cet accord écrit (c'est-à-dire de 1985 à 1994).

Le Tribunal partage l'avis des avocats des appelants selon lequel Mountain Rose/Polo Sourcing n'a pas dépassé le cadre des fonctions qu'exerce normalement un responsable des achats. Le Tribunal est satisfait que le mandataire a agi au mieux des intérêts de ses mandants. Aucun élément de preuve n'a été produit pour établir le contraire ou que le mandataire ne respectait pas son obligation fiduciaire à l'égard des appelants.

Il a également été montré au cours de l'audience que le mandataire, qui n'a aucun lien avec les vendeurs ou fabricants utilisés par les appelants à l'étranger, n'acquiert aucun droit de propriété et n'assume aucun risque de propriété sur les vêtements, pas plus qu'il n'assume de risques relativement aux marchandises endommagées ou perdues. Les éléments de preuve ont également révélé que les appelants achètent les marchandises de fabricants sans liens à l'étranger et qu'ils les payent en ouvrant des lettres de crédit en leur nom. Le Tribunal est d'avis que les appelants contrôlent les activités de leur mandataire. Comme M. Belcourt l'a clairement expliqué, les appelants ont le dernier mot sur le choix des fabricants, ainsi que sur le type et la qualité des marchandises, sur le prix à payer pour les vêtements et sur les éléments touchant l'expédition de ces marchandises. Pour ce qui est du paiement de certaines dépenses, comme les frais de laboratoire, effectué par Mountain Rose/Polo Sourcing, le Tribunal fait remarquer que ces modestes dépenses ont été remboursées au mandataire. De plus, le Tribunal estime que ces paiements ont été faits pour des motifs de commodité et d'opportunisme et ne constituent pas, dans les circonstances des présents appels, une pratique susceptible de mettre en question l'existence d'une authentique relation de mandataire entre l'importateur et l'acheteur.

Sur la question de la relation entre Mountain Rose/Polo Sourcing et le concédant de marques de commerce par les appelants, le Tribunal partage l'avis des avocats des appelants et estime que cela n'a aucun effet sur la relation entre les appelants, en qualité de mandants, et leur mandataire. Comme l'a, à juste titre, souligné l'avocat de l'intervenant, le concédant, Polo Corporation, est étranger aux contrats conclus entre les acheteurs canadiens et les confectionneurs de vêtements. L'existence possible d'un conflit d'intérêts entre Mountain Rose/Polo Sourcing et Modes est, compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve, assez faible. En outre, il a été établi à la satisfaction du Tribunal que Modes a choisi Mountain Rose comme son mandataire en pleine connaissance du lien social existant entre cette dernière et Polo Corporation. Comme l'a expliqué M. Belcourt, le choix de Mountain Rose en 1985 de préférence à son ancien agent acheteur, Addison Ltd., a été dicté essentiellement par des raisons d'efficience commerciale. À cet égard, le Tribunal fait remarquer que le choix d'un agent acheteur relève entièrement des appelants. Comme M. Kable l'a déclaré dans son témoignage, rien dans la licence autorisant l'emploi de la marque de commerce n'exige que Modes utilise Polo Sourcing comme son mandataire.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que Mountain Rose/Polo Sourcing est un agent acheteur authentique et que les commissions payées ou à payer par les appelants sont, aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi, des «honoraires versés ou à verser par [l'acheteur] à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente».

Par conséquent, les appels sont admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. Appels nos AP-92-193 et AP-92-215, le 16 septembre 1993.

3. Accord du GATT et Textes du Comité technique de l'évaluation en douane, Conseil de coopération douanière, Bruxelles.

4. Accord relatif à la mise en œuvre de l'article VII de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé à Genève le 12 avril 1979.

5. Supra, note 3, art. 9 de la Note explicative 2.1, «Commissions et courtages dans le cadre de l'article 8 de l'Accord».

6. Supra, note 3, commentaire 17.1, «Commissions d'achat».

7. Mémorandum D13-4-12, Commissions et frais de courtage, ministère du Revenu national, Douanes et Accise, le 30 septembre 1991.

8. Transcription de la session publique, le 16 février 1995 à la p. 34.

9. Le Tribunal fait remarquer que, dans le mémorandum ministériel, les fonctions d'un «commissionnaire d'achat» consistent notamment «à trouver des fournisseurs, informer le vendeur des désirs de l'acheteur, passer des commandes, recueillir des échantillons, inspecter les marchandises et, à l'occasion, à prendre les dispositions relatives à l'assurance, au transport, à l'entreposage ou à la livraison des marchandises».


Publication initiale : le 28 août 1996