DANIEL SPIESS

Décisions


DANIEL SPIESS
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-94-256

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le vendredi 27 octobre 1995

Appel no AP-94-256

EU ÉGARD À un appel entendu le 19 avril 1995 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 7 septembre 1994 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

DANIEL SPIESS Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.


Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 7 septembre 1994. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si le fusil de modèle SIG 57 de calibre 7,5 mm suisse importé par l'appelant répond à la définition d'«arme prohibée» aux termes de l'alinéa c) de cette définition au paragraphe 84(1) de la partie III du Code criminel et s'il est, par conséquent, interdit à l'appelant d'importer ce fusil au Canada conformément à l'article 114 du Tarif des douanes.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal est d'avis que l'intimé a correctement déterminé que le fusil en cause est une arme prohibée et que son importation par l'appelant est, par conséquent, prohibée. Le Tribunal est persuadé par le témoignage de M. MacWha, ainsi que par sa propre analyse de la documentation fournie et du fusil en cause, que le fusil a été conçu et fabriqué de façon à pouvoir tirer rapidement des balles pendant la durée d'une pression sur la détente, c'est-à-dire comme fusil automatique, et qu'il a été modifié pour ne tirer qu'une seule balle pendant la durée d'une pression sur la détente, c'est-à-dire comme fusil semi-automatique. En particulier, le Tribunal a été persuadé par le fait que le fusil en cause est muni d'un levier sélecteur à trois positions, bloqué, semi-automatique et entièrement automatique, du côté gauche du groupe détente, et que certains éléments du mécanisme de détente ont été enlevés ou meulés. En outre, le Tribunal est convaincu que le fusil en cause pourrait facilement être transformé en un fusil entièrement automatique par un armurier chevronné.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 19 avril 1995 Date de la décision : Le 27 octobre 1995
Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant Charles A. Gracey, membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : Shelley Rowe
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Daniel Spiess, pour l'appelant Jennifer Oulton, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 7 septembre 1994. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si le fusil de modèle SIG 57 de calibre 7,5 mm suisse importé par l'appelant répond à la définition d'«arme prohibée» aux termes de l'alinéa c) de cette définition au paragraphe 84(1) de la partie III du Code criminel [2] et s'il est, par conséquent, interdit à l'appelant d'importer ce fusil au Canada conformément à l'article 114 du Tarif des douanes.

L'article 114 du Tarif des douanes [3] interdit l'importation des marchandises dénommées ou visées à l'annexe VII du Tarif des douanes. Le code 9965 de l'annexe VII du Tarif des douanes vise les armes offensives, au sens du Code criminel, ou les éléments, les pièces, les accessoires, les munitions ou les chargeurs grande capacité au sens de la définition d'«arme prohibée» pour l'application de la partie III du Code criminel. Le code 9965 ne vise pas «les armes à feu qui ne sont ni des armes prohibées ni des armes à autorisation restreinte, au sens de la partie III du Code criminel, importées par une personne : [...] (ii) qui réside au Canada, a acquis l'arme à l'extérieur du Canada et est titulaire d'une autorisation d'acquisition d'armes à feu au sens de la partie III de cette loi».

Une arme prohibée est définie, à l'alinéa c) du paragraphe 84(1) de la partie III du Code criminel, comme suit :

toute arme à feu [...] assemblée ou conçue et fabriquée de façon à tirer, ou pouvant tirer, rapidement plusieurs projectiles pendant la durée d'une pression sur la détente, qu'elle ait été ou non modifiée pour ne tirer qu'un seul projectile pendant la durée d'une pression sur la détente.

L'appelant, qui a comparu pour son compte à l'audience, a expliqué qu'il est un tireur sportif, membre de la Swiss Rifle Association—Ottawa Valley, de la Fédération de tir du Canada et de la National Capital Region Rifle Association située à Ottawa. Il a témoigné avoir acheté le fusil en cause pendant des vacances en Suisse en 1993. Avant son départ, il a pris une brochure intitulée Importation d'une arme à feu ou d'une arme au Canada [4] à l'Aéroport international Macdonald-Cartier d'Ottawa. On lit dans la brochure qu'«[e]n ce qui concerne l'importation d'armes à feu à autorisation restreinte, l'importateur doit avoir en sa possession une autorisation d'acquisition d'arme à feu valide ainsi qu'un permis de transport aux fins d'enregistrement émis par le registraire local des armes à feu». M. Spiess a fait valoir que, sur la foi des renseignements contenus dans la brochure, il se croyait autorisé à importer le fusil en cause au Canada. Il a expliqué qu'il a une autorisation d'acquisition d'arme à feu et que, à son arrivée à l'aéroport, il a réclamé le fusil, puis l'a confié aux agents du ministère du Revenu national en convenant qu'il obtiendrait un permis de transport aux fins d'enregistrement. Cependant, il a été incapable d'obtenir ce permis.

L'appelant a soutenu que, contrairement à la version de la brochure de juin 1991, celle de février 1993 [5] est beaucoup plus précise. En particulier, M. Spiess a signalé que, à la page 4 de la version de février 1993, il est précisé que les armes prohibées comprennent «les armes à feu entièrement automatiques, même si elles ont été modifiées ultérieurement pour empêcher le tir automatique». Il a aussi signalé la présence d'une liste d'armes à feu à autorisation restreinte à la page 8 et a précisé que le fusil en cause n'y figure pas.

L'appelant a fait valoir que le fusil en cause peut être fabriqué comme fusil soit entièrement automatique soit semi-automatique et qu'il a été fabriqué comme fusil semi-automatique et ne pouvait être transformé en un fusil entièrement automatique. Il a expliqué que le fabricant du fusil en Suisse l'a informé que la société fabrique à la fois une version entièrement automatique sélective pour utilisation dans l'armée et une version semi-automatique pour utilisation privée, qui serait désignée par la lettre «P» après «SIG 57». Le fusil en cause est marqué du numéro de série «A-536378» ainsi que de «P6378».

L'appelant était accompagné de M. Peter Lortinger qui a témoigné avoir servi six ans dans l'armée suisse et bien connaître le SIG 57. Il a déclaré que les SIG 57 sont fabriqués au départ à titre d'armes pour l'armée, mais a confirmé que la version pour l'armée peut être transformée en version semi-automatique pour utilisation privée appelée un SIG 57P. Le «P» indique qu'il s'agit d'un fusil pour utilisation privée. M. Lortinger a déclaré que le SIG 57 serait marqué d'un «P» s'il était transformé par le fabricant ou par un marchand d'armes à feu autorisé.

L'intimé a fait examiner et tester le fusil en cause par M. James MacWha, membre civil de la Section des armes à feu du Laboratoire judiciaire central de la Gendarmerie royale du Canada. M. MacWha a témoigné en faveur de l'intimé à titre d'expert dans le domaine de l'identification des armes à feu et a discuté des résultats de son examen et de ses essais du fusil en cause, lesquels sont détaillés dans son rapport. M. MacWha a déclaré ne pas bien connaître le fusil en cause, si bien qu'il a appuyé ses conclusions sur des renseignements écrits sur des fusils semblables au fusil en cause ainsi que sur son examen du fusil. Il a renvoyé à l'ouvrage Jane's Infantry Weapons [6] , qui, selon lui, est probablement l'un des meilleurs ouvrages de référence d'utilisation courante pour les systèmes d'armes militaires. Il en a fourni un extrait qui décrit un fusil militaire Stgw 57 de 7,5 mm [7] . M. MacWha a décrit les essais qu'il a effectués pour identifier le fusil en cause. Il a fait une évaluation mécanique du fusil pour en déterminer les caractéristiques, voir s'il fonctionnait, voir s'il avait été modifié et, le cas échéant, quelle était la nature des modifications. Il a examiné la configuration d'ensemble du fusil, qu'il a comparée à celle du fusil militaire Stgw 57 de 7,5 mm dans le texte, et a conclu que le fusil en cause est un dérivé et une nouvelle version de ce fusil, puisqu'il présente essentiellement les mêmes caractéristiques.

Sur la foi de son évaluation mécanique et de ses tirs d'essai, M. MacWha a conclu que le fusil en cause ne tire qu'en mode semi-automatique, mais il était d'avis que le fusil en cause avait été conçu et fabriqué comme arme à feu sélective et avait été modifié pour tirer en mode semi-automatique seulement. Il a expliqué qu'un fusil semi-automatique exige une pression distincte sur la détente pour chaque coup, alors qu'un fusil entièrement automatique tire les balles rapidement pendant la durée d'une seule pression sur la détente.

M. MacWha a renvoyé le Tribunal à une description du fusil militaire Stgw 57 de 7,5 mm dans l'ouvrage Jane's Infantry Weapons. La description précise que le Stgw 57 de 7,5 mm est la [traduction] «version de l'armée suisse du SIG SG510-4, dont elle diffère par le calibre et par plusieurs aspects mineurs». Il a ensuite renvoyé le Tribunal à la description du fusil SIG SG510-4 de 7,62 mm qui précise qu'il [traduction] «produit un tir sélectif, c'est-à-dire qu'il peut être tiré coup par coup ou en mode entièrement automatique», et que son fonctionnement est [traduction] «par culasse non calée à ouverture retardée, à tir sélectif [8] ». Il a signalé que le fusil en cause est muni d'un levier sélecteur à trois positions, bloqué, semi-automatique et entièrement automatique, du côté gauche du groupe détente. Il a exprimé l'avis, appuyé par son expérience, qu'une arme fabriquée et conçue pour tirer en mode semi-automatique seulement ne saurait être munie que d'un sélecteur à deux positions, tir et bloqué.

M. MacWha a aussi fait remarquer que le levier connecteur, qui permettrait le tir automatique du fusil, avait été enlevé du mécanisme de détente et qu'une partie de la culasse à l'arrière du mécanisme de détente avait été meulée. La partie meulée a trait au fonctionnement de la gâchette de sûreté nécessaire pour bloquer la culasse qui permet de tirer en mode entièrement automatique. M. MacWha n'a pu dire si cette partie avait été meulée lors de la fabrication ou à une date ultérieure et a reconnu que le fusil présenterait des marques d'usure s'il avait été utilisé.

Au cours du contre-interrogatoire, M. MacWha est convenu avec M. Spiess que n'importe quel fusil semi-automatique peut être transformé en fusil entièrement automatique. Cependant, M. MacWha a déclaré que certains fusils sont beaucoup plus difficiles à transformer que d'autres. À son avis, une personne qui s'y connaît peut transformer le fusil en cause en fusil entièrement automatique en 30 minutes environ en ajoutant des pièces ou réparant la culasse.

Aux fins de comparaison, M. MacWha a produit, à titre de pièce, un fusil semi-automatique fabriqué en Suisse par SIG qui est de la même conception de base que le fusil automatique SIG-AMT représenté dans l'ouvrage Jane's Infantry Weapons [9] . Il a signalé que le levier sélecteur n'a que deux positions, bloqué et tir, que la partie qui a été meulée sur le fusil en cause n'était pas présente et qu'il n'y avait pas de fente pour le levier connecteur dans le mécanisme de détente.

Dans sa plaidoirie, l'appelant n'a pas contesté les dispositions du Tarif des douanes ni du Code criminel. Cependant, il a soutenu qu'il a été induit en erreur par les renseignements obtenus à l'aéroport et qu'il veut tout simplement exporter le fusil en cause vers la Suisse, où il a le droit de l'utiliser pour fins de tir sportif. En ce qui a trait à la question de déterminer si le fusil en cause est visé par la définition d'arme prohibée, l'appelant a fait valoir qu'on ne saurait être certain, sur la foi des éléments de preuve, que le fusil en cause a été fabriqué comme fusil semi-automatique ou fusil entièrement automatique.

L'avocate de l'intimé a soutenu que le fusil en cause est correctement classé à titre d'arme prohibée aux termes du code 9965 de l'annexe VII du Tarif des douanes. Elle a fait valoir que la définition d'une arme prohibée à l'alinéa c) de cette définition au paragraphe 84(1) de la partie III du Code criminel est une définition vaste, dont le concept-clé est la capacité de l'arme. Se fondant sur le témoignage de M. MacWha, elle a soutenu que le fusil en cause a été conçu ou fabriqué de façon à pouvoir tirer rapidement plusieurs projectiles pendant la durée d'une pression sur la détente, autrement dit, comme arme entièrement automatique. En particulier, elle a invoqué le témoignage de M. MacWha selon lequel certaines caractéristiques du fusil indiquent qu'il a été conçu et fabriqué de façon à pouvoir tirer en mode semi-automatique ou en mode entièrement automatique et qu'un armurier compétent ne mettrait que peu de temps pour transformer le fusil en un fusil entièrement automatique.

L'avocate de l'intimé a aussi invoqué la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. Bernhard Hasselwander [10] . La question en litige dans l'arrêt Bernhard Hasselwander était de déterminer si une mitraillette Mini-Uzi était une «arme prohibée» au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel. La Cour suprême du Canada a interprété le mot «pouvant» au paragraphe 84(1) à la lumière de l'objet et des buts de l'intérêt public, de la sécurité et des inquiétudes reliées aux fusils et a jugé qu'il signifiait «pouvant facilement». La Cour a jugé qu'une arme pouvant être transformée en une arme entièrement automatique par un armurier compétent est une arme prohibée.

En ce qui a trait à la demande de l'appelant voulant qu'on lui permette d'exporter le fusil en cause en Suisse, l'avocate de l'intimé a signalé que le paragraphe 7(2) de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation [11] stipule que le «ministre ne peut délivrer une licence d'exportation d'armes prohibées». Toutefois, elle a déclaré que si M. Spiess présentait sa demande à l'autorité compétente, elle serait étudiée.

Après avoir examiné les éléments de preuve et les dispositions législatives pertinentes, le Tribunal est d'avis que l'intimé a correctement déterminé que le fusil en cause est une arme prohibée et que son importation par l'appelant est, par conséquent, prohibée. Le Tribunal est persuadé par le témoignage de M. MacWha, ainsi que par sa propre analyse de la documentation fournie et du fusil en cause, que le fusil a été conçu et fabriqué de façon à pouvoir tirer rapidement des balles pendant la durée d'une pression sur la détente, c'est-à-dire comme fusil automatique, et qu'il a été modifié pour ne tirer qu'une balle pendant la durée d'une pression sur la détente, c'est-à-dire comme fusil semi-automatique. En particulier, le Tribunal a été persuadé par le fait que le fusil en cause est muni d'un levier sélecteur à trois positions, bloqué, semi-automatique et entièrement automatique, du côté gauche du groupe détente, et que certains éléments du mécanisme de détente ont été enlevés ou meulés. En outre, le Tribunal est convaincu que le fusil en cause pourrait facilement être transformé en un fusil entièrement automatique par un armurier chevronné.

Le Tribunal fait remarquer que l'appelant a pris des mesures pour se renseigner sur la loi régissant l'importation d'armes au Canada, qu'il a toujours collaboré avec les agents du ministère du Revenu national et qu'il a proposé à ces derniers d'exporter le fusil en cause vers la Suisse. À la lumière de ces facteurs, le Tribunal prévoit que la question peut se régler si l'appelant demande une licence d'exportation du fusil en cause vers la Suisse.

Par conséquent, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. L.R.C. (1985), ch. C - 46.

3. L.R.C. (1985), c. 41 (3e suppl.).

4. Ministère du Revenu national, Douanes et Accise, juin 1991.

5. Ministère du Revenu national, Accise, Douanes et Impôt, février 1993.

6. Cinquième éd., New York, Franklin Watts, 1979.

7. Ibid.

8. Ibid.

9. Ibid. à la p. 383.

10. [1993] 2 R.C.S. 398.

11. L.R.C. (1985), ch. E - 19.


Publication initiale : le 28 août 1996