MAURICE JACOB INC.

Décisions


MAURICE JACOB INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-94-198

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le mercredi 6 mars 1996

Appel no AP-94-198

EU ÉGARD À un appel entendu le 16 mai 1995 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 12 mars 1993 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 18.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

MAURICE JACOB INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre présidant

Raynald Guay ______ Raynald Guay Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'intimé a commis une erreur en rejetant une demande de remboursement de la taxe de vente fédérale à l'inventaire. Selon la décision de l'intimé, l'examen des états financiers pertinents de l'appelant a révélé l'absence d'inventaire dans la présentation de l'actif de l'appelant. Les éléments de preuve démontrent que les marchandises appartenaient à l'appelant, étaient libérées de taxe et étaient destinées à la vente. Le Tribunal considère que la bière achetée par l'appelant et dont le prix comprenait la taxe de vente fédérale faisait partie de l'inventaire de l'appelant au 1er janvier 1991.

D C9 CISION : L'appel est admis. Le Tribunal conclut que l'appelant a satisfait aux exigences de l'article 120 de la Loi sur la taxe d'accise et qu'il a droit à un remboursement de la taxe de vente fédérale à l'inventaire.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 16 mai 1995 Date de la décision : Le 6 mars 1996
Membres du Tribunal : Desmond Hallissey, membre présidant Raynald Guay, membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : Robert Desjardins
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Alain Gauthier, pour l'appelant Anick Pelletier, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une détermination du ministre du Revenu national en date du 8 juillet 1991 qui a eu pour effet de rejeter une demande de remboursement de la taxe de vente fédérale (TVF) à l'inventaire faite par Maurice Jacob Inc [2] .

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'intimé a commis une erreur en rejetant la demande de remboursement de la TVF à l'inventaire faite par l'appelant aux termes de l'article 120 [3] de la Loi. Selon la décision de l'intimé, l'examen des états financiers de l'appelant au 31 mars 1990 et au 31 mars 1991 a révélé l'absence d'inventaire dans la présentation de l'actif de l'appelant. Or, en vertu de la définition du terme «inventaire» inscrite au paragraphe 120(1) de la Loi, les marchandises libérées de taxe doivent figurer à l'inventaire pour donner droit à un remboursement.

M. Pierre Jacob a comparu pour le compte de l'appelant. Œuvrant dans le commerce de la bière depuis 1968 et président de la société Maurice Jacob Inc., M. Jacob est devenu, en 1973, agent indépendant pour La Brasserie O'Keefe Ltée (O'Keefe). Par suite de la fusion de La Brasserie Molson du Québec Limitée et d'O'Keefe au début de 1991, l'appelant n'agit plus qu'à titre de distributeur indépendant, c'est-à-dire qu'il ne s'occupe plus, comme au cours de la période précédant la fusion, de l'achat, de la vente et de la promotion de la bière dans son territoire.

Lors du contre-interrogatoire, M. Jacob a expliqué les modalités de paiement par l'appelant de la bière achetée à O'Keefe. Ces modalités trouvent leur source dans la convention signée en 1973 (la convention de 1973) entre M. Pierre Jacob et O'Keefe, aux termes de laquelle l'agent effectuera les paiements «le ou avant le dernier jour de chaque mois pour toute la bière qui pourra avoir été vendue par l'Agent jusqu'au dernier jour inclusivement du mois civil précédent». Donc, au moment où l'appelant agissait à titre d'agent indépendant, chaque paiement mensuel fait à O'Keefe reposait sur les ventes réelles du mois précédent. En réponse à une question du Tribunal, M. Jacob a reconnu que les stocks de bière étaient payés au moment de leur vente ultérieure à la clientèle de l'agent. Il a aussi indiqué que la TVF était incluse dans le prix d'achat de la bière achetée par l'appelant de O'Keefe : «[c]'était un prix complet que la brasserie nous faisait [4] ». Selon M. Jacob, le montant représentant les marchandises en consignation, soit 313 329 $, tel qu'il apparaît à la note explicative 6 des états financiers de l'appelant pour l'année se terminant le 31 mars 1990, comprend les diverses taxes. Incidemment, M. Jacob a souligné que l'inventaire était dressé régulièrement deux fois par semaine et comptabilisé une fois par mois aux états financiers. Enfin, M. Jacob a indiqué au Tribunal que, par suite de la fusion des deux brasseries, des notes de crédit pour les stocks détenus par l'appelant avaient été établies au bénéfice de ce dernier par la nouvelle société issue de cette restructuration des deux entreprises.

M. Raymond Renaud, conseiller financier de M. Jacob, a également comparu pour le compte de l'appelant. M. Renaud a admis que les états financiers contenant la note 6 avaient été joints aux déclarations fiscales préparées à l'intention des gouvernements fédéral et provincial. Interrogé par le Tribunal sur la signification de la note 6, M. Renaud a dit percevoir les marchandises en consignation «comme un actif en dépôt [5] ». Il a indiqué que ces marchandises auraient pu être présentées à l'actif de l'appelant, auquel cas il y aurait alors eu un passif d'un montant supérieur. Par ailleurs, M. Renaud a mentionné que le montant de 313 329 $ était traité comme somme à recouvrer par O'Keefe et comme somme à payer par l'appelant.

Enfin, M. Ghislain Bourbeau a comparu pour le compte de l'intimé. M. Bourbeau, agent des appels au ministère du Revenu national, a eu à traiter l'avis d'opposition signifié par l'appelant. Il a indiqué avoir fait des vérifications afin d'établir si des agents indépendants avaient eu droit à un remboursement de la TVF à l'inventaire. À cet égard, il a dit se souvenir que certains avaient reçu des remboursements; M. Bourbeau a supposé qu'il en avait été ainsi en raison de la comptabilisation de l'inventaire à l'actif de ces agents.

Après avoir brièvement rappelé certaines des dispositions de l'article 120 de la Loi, le représentant de l'appelant a fait état de la position de La Brasserie Molson O'Keefe (Molson O'Keefe) selon laquelle la bière livrée à l'appelant était bel et bien considérée comme de la bière vendue par le brasseur. Donc, selon le représentant, «pour eux [Molson O'Keefe] c'était une vente, avec un compte à recevoir. Et pour eux à ce moment-là l'inventaire n'était plus dans leurs états financiers [6] ». Le représentant a ajouté qu'il aurait été possible de présenter les chiffres des états financiers d'une manière différente, mais que le choix avait été fait par les vérificateurs de l'appelant, soit la firme Blanchette Vachon et Associés, et qu'au demeurant, ce choix a peut-être été malheureux. Le représentant a prétendu que les ventes d'O'Keefe à l'appelant constituaient des ventes conditionnelles. Selon lui, pour saisir le sens du terme «inventaire» du paragraphe 120(1) de la Loi, il faut s'en référer au concept comptable et non au concept juridique. Il en va de même pour saisir le sens du terme «vente». Enfin, il a rappelé le refus de l'intimé d'accorder un remboursement à O'Keefe par suite du paiement par erreur de la TVF.

L'avocate de l'intimé a également souligné les exigences posées par l'article 120 de la Loi : pour bénéficier d'un remboursement de la TVF à l'inventaire, l'appelant doit démontrer l'existence d'un inventaire dans lequel se trouvent des marchandises libérées de taxe. Le terme «inventaire», a-t-elle rappelé, y est défini comme un «[é]tat descriptif des marchandises libérées de taxe». Or, selon l'avocate, aucun inventaire ne figure aux états financiers de l'appelant pour l'année 1990. Elle a ajouté que, vu pareille absence, l'appelant ne peut avoir validement droit à un remboursement de la TVF à l'inventaire aux termes de l'article 120. Cette absence d'inventaire, selon l'avocate, reflète très bien la situation juridique qui existait à ce moment-là et qui était régie par la convention de 1973. À cet égard, l'avocate a mentionné expressément l'article 3 de la convention de 1973 en vertu duquel O'Keefe se réservait la propriété de la bière livrée à l'appelant jusqu'à ce qu92'elle ait été vendue à des tiers. O'Keefe conservait également sur la bière un droit de gestion et de contrôle. Selon l'avocate, les états financiers illustrent clairement le fait que l'appelant n'était pas propriétaire de la bière en inventaire. À son avis, la «propriété» des marchandises est une question d'ordre juridique, et ce même si l'article 120 fait référence à des notions d'ordre comptable. D'autre part, l'avocate a allégué que la façon comptable choisie par Molson O'Keefe pour traiter les marchandises livrées à l'appelant n'a aucune pertinence en l'espèce et que seule compte la question qui consiste à déterminer si l'appelant a satisfait aux dispositions de l'article 120.

À l'examen de l'ensemble des éléments de preuve et après avoir considéré les arguments des deux parties, le Tribunal est d'avis que l'appel doit être admis. Tout d'abord, le Tribunal note que les transactions commerciales entre O'Keefe et l'appelant, à l'époque où ce dernier agissait à titre d'agent indépendant, constituaient bel et bien des ventes de bière. Par ailleurs, il ressort du témoignage de M. Jacob que le prix des ventes de bière à l'appelant comprenait la TVF et que l'appelant avait bel et bien payé cette taxe. Aucun élément de preuve n'a été fourni pour contredire ce point précis. Dans ce contexte, le Tribunal se reporte à la lettre du 13 septembre 1993 de Les Brasseries Molson au ministère du Revenu national, que l'on retrouve à l'annexe H du mémoire de l'intimé. Cette lettre indique clairement que Molson O'Keefe «has accounted for FST on shipments of goods delivered to independent agents or wholesalers including Maurice Jacob Inc. [...] Coincident with the generation of the sales invoice, an FST liability is recorded in M.O'K.'s books for that month.» ([traduction] a tenu compte du paiement de la TVF relativement aux marchandises expédiées aux agents indépendants ou grossistes, dont Maurice Jacob Inc. [...] Concurremment à la production de factures de vente, le passif afférent à la TVF a donc été comptabilisé dans les registres de Molson O'Keefe pour ce mois). En outre, le Tribunal a lu avec intérêt la lettre du 2 mars 1994 de Molson O'Keefe, signée par M. Serge Fortier et adressée à M. Renaud, où il est fait mention que les stocks de bière en possession de l'appelant ne constituaient «pas la propriété de LA BRASSERIE O'KEEFE LTÉE et que, par conséquent, [ils] n'étai[en]t pas inclus à notre inventaire aux livres».

Les éléments de preuve présentés au Tribunal démontrent que les marchandises appartenaient à l'appelant, étaient libérées de taxe et étaient destinées à la vente, même si, de l'avis du Tribunal, les états financiers auraient pu être présentés différemment. En effet, les éléments de preuve indiquent que la bière faisait l'objet d'un inventaire deux fois par semaine et que le résultat de ces contrôles était comptabilisé une fois par mois aux états financiers. Le Tribunal estime que, bien qu'elle soit considérée par M. Renaud comme «un actif en dépôt [7] », la bière achetée par l'appelant et dont le prix comprenait la TVF faisait partie de l'inventaire de l'appelant au 1er janvier 1991. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que l'appelant a satisfait aux exigences de l'article 120 de la Loi et qu'il a droit à un remboursement de la TVF à l'inventaire.

Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Maintenant appelé Les Distributions Molson-O’Keefe Beauce Inc.

3. L.C. 1990, ch. 45, art. 12, modifiée par L.C. 1993, ch. 27, art. 6.

4. Transcription de la session publique, le 16 mai 1995 à la p. 35.

5. Ibid. à la p. 59.

6. Transcription de l’argumentation, le 16 mai 1995 à la p. 4.

7. Supra, note 4 à la p. 60.


Publication initiale : le 28 août 1996