LE GROUPE PERRIER DU CANADA LTÉE

Décisions


LE GROUPE PERRIER DU CANADA LTÉE
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-94-215

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le jeudi 25 janvier 1996

Appel no AP-94-215

EU ÉGARD À un appel entendu le 16 août 1995 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national les 11 et 12 juillet 1994 concernant un avis de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

LE GROUPE PERRIER DU CANADA LTÉE Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.


Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre présidant

Lyle M. Russell ______ Lyle M. Russell Membre

Anita Szlazak ______ Anita Szlazak Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les eaux minérales naturelles gazeuses Perrier, aromatisées à l'essence naturelle de citron ou de limette et vendues en bouteilles ou en canettes, importées au Canada par l'appelant entre le 10 août et le 14 septembre 1992, sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2202.10.00, comme l'a établi l'intimé, ou si elles doivent être classées dans le numéro de classement 2201.10.00.90, comme l'a soutenu l'appelant.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Selon le Tribunal, les éléments de preuve indiquent que les marchandises en cause sont aromatisées. Elles ont un arôme ou une odeur de citron ou de limette. Les éléments de preuve présentés par M. Stanley pour montrer que les trois genres d'eau minérale naturelle Perrier paraissaient identiques ne changent rien au fait que deux de ces eaux sont aromatisées, tandis qu'une ne l'est pas. À l'appui de cette conclusion, le Tribunal invoque les Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises sur la position no 22.02 selon lesquelles cette position comprend «[l]es eaux minérales (naturelles ou artificielles) additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées». À ce titre, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2202.10.00.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 16 août 1995 Date de la décision : Le 25 janvier 1996
Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant Lyle M. Russell, membre Anita Szlazak, membre
Avocat pour le Tribunal : Joël J. Robichaud
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Barry P. Korchmar, pour l'appelant Anne M. Turley, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les eaux minérales naturelles gazeuses Perrier, aromatisées à l'essence naturelle de citron ou de limette et vendues en bouteilles ou en canettes, importées au Canada par l'appelant entre le 10 août et le 14 septembre 1992, sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2202.10.00 de l'annexe I du Tarif des douanes [2] , comme l'a établi l'intimé, ou si elles doivent être classées dans le numéro de classement 2201.10.00.90, comme l'a soutenu l'appelant. Aux fins du présent appel, la nomenclature tarifaire pertinente est rédigée comme suit :

22.01 Eaux, y compris les eaux minérales naturelles ou artificielles et les eaux gazéifiées, non additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ni aromatisées; glace et neige.

2201.10.00-Eaux minérales et eaux gazéifiées

90-----Autres

22.02 Eaux, y compris les eaux minérales et les eaux gazéifiées, additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées, et autres boissons non alcooliques, à l'exclusion des jus de fruits ou de légumes du no 20.09.

2202.10.00-Eaux, y compris les eaux minérales et les eaux gazéifiées, additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées

Le représentant de l'appelant a cité deux témoins à comparaître : M. Frank de Vries, président, Le Groupe Perrier du Canada Ltée, et M. David W. Stanley (Ph. D.), professeur en science alimentaire à l'Université de Guelph.

M. de Vries a décrit les marchandises en cause. Il a expliqué que l'eau minérale naturelle Perrier provient d'une source qui jaillit à Vergèze, commune du sud de la France, et qu'une seule usine produit les marchandises en cause pour le monde entier. Les bouteilles sont fabriquées à l'usine même. Elles sont remplies d'eau minérale naturelle Perrier, capsulées, étiquetées, emballées et envoyées au Canada. M. de Vries a aussi précisé que l'usine de production est construite directement au-dessus de la source. Les gaz naturels sont pris sous la source et ramenés ensuite à la surface. Autrefois, cela se faisait naturellement. Aujourd'hui, des trous ont été forés pour permettre à l'eau et aux gaz naturels de remonter. La chaîne de fabrication est entièrement automatisée. Les essences, notamment le citron et la limette, sont mises dans les bouteilles une fois que l'eau y a été versée et avant l'étape du capsulage. M. de Vries a également déclaré qu'il a goûté à plusieurs marques d'eau minérale, dont des eaux minérales aromatisées telles que les marchandises en cause. Selon lui, chaque marque a un goût distinct, même celles qui ne sont pas aromatisées. À ce titre, elles se font toutes concurrence et doivent toutes être classées dans le même numéro tarifaire.

Au cours du contre-interrogatoire, M. de Vries a confirmé que les étiquettes apposées sur les bouteilles des marchandises en cause précisent qu'elles sont aromatisées à l'essence naturelle de citron ou de limette. Il a également déclaré qu'en goûtant ces deux produits, il pouvait détecter un goût et un arôme de citron dans l'un et de limette dans l'autre.

Le deuxième témoin de l'appelant, M. Stanley, a été admis à titre d'expert en science alimentaire. Le représentant de l'appelant lui avait demandé d'analyser la composition chimique et les caractéristiques physiques de huit échantillons d'eau, y compris des échantillons des marchandises en cause. Il a effectué plusieurs essais qu'il a décrits au Tribunal. Il a notamment établi les valeurs du pH, la conductivité, les indices de réfraction et les points d'ébullition. Il a procédé à une analyse de la teneur en substances minérales. M. Stanley a expliqué les résultats de son analyse. À la page 3 de son rapport, il a indiqué qu'à la suite d'une série d'essais physiques et chimiques objectifs, reconnus et normalisés qu'il a effectués, les propriétés des trois échantillons d'eau Perrier n'étaient d'aucune façon différentes. Il a, par conséquent, conclu que l'addition d92'un arôme au citron ou à la limette ne modifiait pas sensiblement la nature physique ou chimique des produits. En outre, M. Stanley était d'avis que les trois échantillons d'eau Perrier étaient beaucoup plus semblables à d'autres eaux minérales commerciales qu'au groupe des «sparkling water beverages» ([traduction] eaux gazeuses aromatisées). Les édulcorants ajoutés à ce dernier groupe de produits doivent être accompagnés d'agents de conservation acidifiants qui modifient la nature fondamentale des produits.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Stanley a souligné qu'il n'avait pas goûté les échantillons d'eau du point de vue de l'arôme. Il a expliqué qu'il aurait pu effectuer une chromatographie en phase gazeuse si cela lui avait été demandé par le représentant de l'appelant. M. Stanley a rappelé que, s'il avait effectué cet essai, il se serait attendu à trouver une différence entre l'eau minérale naturelle non aromatisée Perrier et les marchandises en cause. En réponse à une question du Tribunal, M. Stanley a expliqué qu'une chromatographie en phase gazeuse permettrait uniquement d'identifier les substances aromatisantes présentes dans l'eau minérale. Toutefois, cette technique ne ferait pas de distinction entre l'arôme au citron ou à la limette. Seule une analyse sensorielle précise pourrait faire ressortir cette distinction.

M. James A. Drum a comparu pour le compte de l'intimé. Il a été admis à titre d'expert en chimie et de spécialiste de l'industrie des boissons. M. Drum a convenu avec M. Stanley que les trois eaux minérales naturelles Perrier sont à peu près identiques du point de vue de la composition chimique et des caractéristiques physiques. À son avis, une essence renvoie à un arôme ou à quelque chose qui s'ajoute à la teneur en sel d'un produit et qui peut en modifier le goût. Par conséquent, en analysant les marchandises en cause pour déterminer si elles sont aromatisées, il faut tenir compte du fait qu'elles ont un contenu citrique. Selon M. Drum, une chromatographie en phase gazeuse aurait justement dû être effectuée pour identifier les substances aromatisantes dans les marchandises en cause. Il a décrit cet essai pour le Tribunal. À son avis, le contenu en substances minérales mentionné par M. Stanley renvoie au goût et non à l'arôme. Il a ajouté que l'arôme est normalement quelque chose que l'on sent. Le jus d'orange, par exemple, sent les oranges. Selon M. Drum, les marchandises en cause sont des eaux minérales aromatisées.

Le représentant de l'appelant a reconnu que les marchandises en cause sont des eaux minérales aromatisées. Il a fait valoir, cependant, que les eaux minérales font partie de l'industrie de l'eau embouteillée et non de l'industrie des boissons gazeuses. À ce titre, le Tribunal doit se fier à la définition de «[b]ottled [w]ater» ([traduction] eau embouteillée) énoncée à la règle 1 du document intitulé «Model Bottled Water Regulation» ([traduction] Règlement type relatif à l'eau embouteillée) de l'International Bottled Water Association pour déterminer si les marchandises en cause sont aromatisées ou non au sens de la nomenclature tarifaire. Il a avancé que, selon cette définition, l'eau embouteillée n'est pas réputée être aromatisée si elle comprend moins de 1,0 p. 100 d'aromatisant au poids. Les éléments de preuve ayant montré que la quantité d'aromatisant dans les marchandises en cause est de 1 mL/L, soit 0,1 p. 100, le représentant a soutenu que celles-ci respectent la norme de l'industrie de l'eau embouteillée et ne doivent pas être classées à titre d'eaux minérales aromatisées. En outre, les éléments de preuve montrent que les eaux minérales sont exclues de l'industrie des boissons gazeuses. Le représentant a cité les définitions du terme «flavour» ([traduction] arôme) tirées de plusieurs dictionnaires et a maintenu que le Tribunal ne doit pas fonder sa décision sur le goût, puisque chaque eau minérale a un goût différent. En ce cas, toutes les eaux minérales doivent être classées dans la position no 22.02, et la position no 22.01 serait donc inutile.

Le représentant de l'appelant a également avancé que les Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [3] (les Notes explicatives) relatives au Chapitre 22 ne sont d'aucune aide, puisqu'elles ne définissent pas le terme «arôme». Il a affirmé que les marchandises en cause ne sont pas visées par les Notes explicatives sur la position no 22.01 qui exclut «[l]es eaux minérales (naturelles ou artificielles) additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées (à l'orange, au citron, etc.)». La présence d'une trace d'arôme au citron ou à la limette dans les marchandises en cause ne signifie pas que celles-ci doivent être classées à titre d'eaux minérales aromatisées. Il a soutenu que les marchandises en cause doivent être classées en fonction de leur caractère essentiel, c.-à-d. à titre d'eaux minérales. Il a appuyé cet argument sur le rapport d'expertise de M. Stanley. Le représentant a soutenu que le fait de classer les marchandises en cause dans la position no 22.02 aurait pour effet de les classer comme faisant partie de l'industrie des boissons gazeuses, ce qui, à son avis, serait inexact.

L'avocate de l'intimé a soutenu que les marchandises en cause sont clairement des eaux minérales aromatisées et qu'à ce titre, elles sont correctement classées dans la position no 22.02. Elle a fait valoir que l'argument du représentant de l'appelant selon lequel il doit exister un certain pourcentage d'aromatisant dans une eau minérale pour qu'elle soit classée dans la position no 22.02 n'a aucun fondement. Invoquant la décision rendue par le Tribunal dans l'affaire Poli-Twine Canada, A Division of TecSyn International Inc. c. Le ministre du Revenu National [4] , l'avocate a soutenu que le Tribunal ne doit pas attacher un sens qui ne s'y trouve pas à certains mots de la position. Selon l'avocate, le Tribunal n'a qu'à s'en tenir à la Règle 1 des Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé [5] (les Règles générales), puisque les marchandises en cause sont expressément décrites dans la position no 22.02. À l'appui de son raisonnement, l'avocate a cité les Notes explicatives sur la position no 22.01, qui précisent que «[l]es eaux minérales (naturelles ou artificielles) additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées (à l'orange, au citron, etc.)» sont exclues de cette position, ainsi que les Notes explicatives sur la position no 22.02, qui prévoient que cette position comprend «[l]es eaux minérales (naturelles ou artificielles) additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées». Selon l'avocate, la nomenclature tarifaire ne fait pas de distinction entre l'industrie de l'eau embouteillée et l'industrie des boissons gazeuses. Elle a soutenu que le règlement relatif à l'eau embouteillée est totalement hors de propos. Enfin, en s'appuyant sur les définitions de dictionnaires et sur le sens ordinaire courant du terme «arôme», l'avocate a maintenu qu'un produit qui renferme du citron ou de la limette est sans aucun doute aromatisé.

En classant des marchandises à l'annexe 1 du Tarif des douanes, il est absolument essentiel d'appliquer la Règle 1 des Règles générales. Cette règle prescrit que le classement est d'abord déterminé d'après les termes de la position et de toute Note de Chapitre qui s'y rapporte. Par conséquent, le Tribunal doit d92'abord établir si les marchandises en cause sont nommées ou décrites de façon générique dans une position précise de l'annexe I du Tarif des douanes. Si les marchandises en cause sont nommées dans une position, elles doivent y être classées sous réserve de toute Note de Chapitre qui s'y rapporte. L'article 11 du Tarif des douanes dispose que, pour l'interprétation des positions et sous-positions, le Tribunal doit tenir compte des Notes explicatives et du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [6] .

La position no 22.02 prévoit le classement des «[e]aux, y compris les eaux minérales et les eaux gazéifiées, additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées, et autres boissons non alcooliques, à l'exception des jus de fruits ou de légumes du no 20.09». Les éléments de preuve montrent clairement que les marchandises en cause sont des eaux minérales. La seule question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause sont des eaux minérales aromatisées. Le terme «aromatisées» n'est pas défini dans la nomenclature tarifaire. Selon The Oxford English Dictionary, le terme «flavour» ([traduction] arôme) signifie «[a] smell, odour [...] an olfactory suggestion of the presence of some particular ingredient; an aroma [7] » ([traduction] [une] senteur, une odeur [...] une perception olfactive de la présence d'un ingrédient particulier; un arôme). Selon le Tribunal, les éléments de preuve indiquent que les marchandises en cause sont aromatisées. Elles ont un arôme ou une odeur de citron ou de limette. Les éléments de preuve présentés par M. Stanley pour montrer que les trois genres d'eau minérale naturelle Perrier paraissaient identiques ne changent rien au fait que deux de ces eaux sont aromatisées, tandis qu'une ne l'est pas. À l'appui de cette conclusion, le Tribunal invoque les Notes explicatives sur la position no 22.02 selon lesquelles cette position comprend «[l]es eaux minérales (naturelles ou artificielles) additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées». Le Tribunal n'a rien trouvé dans des textes de loi ou la nomenclature tarifaire à l'appui de l'argument voulant qu'il doive se fonder sur la définition de l'«eau embouteillée» énoncée à la règle 1 du Règlement type relatif à l'eau embouteillée de l'International Bottled Water Association pour déterminer si les marchandises en cause sont aromatisées ou non au sens de la nomenclature tarifaire, c.-à-d. que l'eau embouteillée ne sera pas réputée être aromatisée si elle contient moins de 1 p. 100 d'aromatisant au poids.

Comme le Tribunal a constaté que les marchandises en cause sont des eaux minérales aromatisées et qu'elles sont, par conséquent, expressément décrites dans la position no 22.02, elles ne peuvent être classées dans la position no 22.01. Les Notes explicatives sur la position no 22.01 sont également utiles, car elles prévoient que «[l]es eaux minérales (naturelles ou artificielles) additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées (à l'orange, au citron, etc.)» sont exclues de cette position. À ce titre, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2202.10.00.

Par conséquent, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

3. Conseil de coopération douanière, 1re éd., Bruxelles, 1986.

4. Appel no AP-94-153, le 3 août 1995.

5. Supra, note 2, annexe 1.

6. Conseil de coopération douanière, 1re éd., Bruxelles, 1987.

7. Deuxième éd., Oxford, Clarendon Press, 1989 à la p. 1029.


Publication initiale : le 28 août 1996