KAPPLER CANADA LTD.

Décisions


KAPPLER CANADA LTD.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-94-232

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le jeudi 26 octobre 1995

Appel no AP-94-232

EU ÉGARD À un appel entendu le 28 mars 1995 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 29 août 1994 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

KAPPLER CANADA LTD. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre présidant

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national. Les marchandises en cause sont des combinaisons de travail importées au Canada par l'appelant et utilisées par les personnes dont le travail consiste à effectuer le retrait de matériaux de construction en amiante. L'appelant a cherché à obtenir une exonération des droits de douane sous forme de concessions pour les marchandises en cause au motif qu'elles sont code 1001 de l'annexe II du Tarif des douanes. L'intimé a établi que les marchandises en cause ne remplissent pas les conditions requises pour être classées dans le code 1001 puisqu'il ne s'agit pas de scaphandres de protection pour usage dans un air ambiant délétère.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal est d'avis que, pour être admissibles au code 1001, les marchandises en cause n'ont pas à protéger la personne qui les porte contre tous les risques auxquels pourrait l'exposer un air ambiant délétère. Selon le Tribunal, il suffit que les marchandises en cause protègent la personne qui les porte contre certains risques importants de l'air ambiant. Or, le Tribunal estime que les marchandises en cause protègent la personne qui les porte et les tiers du risque d'inhaler de l'amiante qui, en l'absence de scaphandres de protection, aurait pu autrement se déposer sur les vêtements ou la peau de cette personne.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 28 mars 1995 Date de la décision : Le 26 octobre 1995
Membres du Tribunal : Lise Bergeron, membre présidant Charles A. Gracey, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : John L. Syme
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : D. Kevin Davis, pour l'appelant Josephine A.L. Palumbo, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi. Les marchandises en cause sont des combinaisons de travail constituées d'un tissu appelé «Tyvek». Entre le 8 juillet et le 11 novembre 1993, l'appelant a importé les marchandises en cause au Canada à six reprises. Au moment de l'importation, les marchandises en cause ont été classées par l'appelant dans le numéro tarifaire 6210.10.00 de l'annexe I du Tarif des douanes [2] . L'appelant a également cherché à obtenir une exonération des droits de douane sous forme de concessions pour les marchandises en cause au motif qu'elles sont admissibles au code 1001 de l'annexe II du Tarif des douanes. L'intimé a établi que les marchandises en cause ne remplissent pas les conditions requises pour être classées dans le code 1001 prévoyant des concessions.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause sont admissibles à une exonération des droits de douane sous forme de concessions aux termes du code 1001 de l'annexe II du Tarif des douanes.

Les marchandises en cause, à savoir les combinaisons de travail de marque Tyvek, sont des combinaisons à capuchon d'une seule pièce, avec fermeture éclair à l'avant, qui couvrent les pieds et dont les manches et le capuchon sont munis d'une bande élastique. Dès l'ouverture de l'audience tenue dans le cadre du présent appel, l'avocat de l'appelant a informé le Tribunal que son client ne cherchait à obtenir une exonération des droits de douane que pour les combinaisons de travail de marque Tyvek portant le numéro de référence 1414. Les marchandises en cause sont portées, entre autres, par les personnes qui retirent des matériaux de construction en amiante de diverses structures.

Le code 1001 prévoit une exonération des droits de douane sous forme de concessions pour les scaphandres de protection et leurs pièces classés dans certaines positions, notamment la position no 62.10, du moment que les scaphandres et leurs pièces sont destinés à être utilisés dans un air ambiant délétère.

Le Tribunal souligne que les parties ont convenu que l'air ambiant d'un lieu de travail où l'on procède à l'installation ou au retrait de matériaux de construction en amiante peut être considéré comme étant délétère. La seule question qu'il reste au Tribunal à examiner dans le présent appel est, par conséquent, de savoir si les marchandises en cause sont des «[s]caphandres de protection» destinés à être utilisés dans un air ambiant délétère.

M. Mike L. Willis, directeur général de la société Kappler Canada Ltd., a comparu au nom de l'appelant. Après avoir donné au Tribunal une description générale des marchandises en cause, M. Willis a fourni des renseignements sur le tissu de marque Tyvek servant à leur confection. Il a soutenu que le Tyvek est essentiellement un type de polyéthylène produit par un procédé de «pulvérisation continue» qui en réduit partiellement ou totalement la perméabilité. M. Willis a affirmé que, dans un air ambiant renfermant des particules d'amiante, les vêtements faits avec du Tyvek créent un écran efficace entre les travailleurs et les particules d'amiante, car le Tyvek est ainsi conçu que les particules ne peuvent traverser les «pores» très petites du tissu.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Willis a reconnu que les marchandises en cause sont utilisées à diverses fins, dont l'une seulement est l'installation ou le retrait de produits à base d'amiante. Il a aussi reconnu que les marchandises en cause ne protègent ni les mains, ni la figure de la personne qui les porte et ne sont pas munies d'un dispositif auquel un respirateur pourrait être attaché.

Le Dr David C.F. Muir, professeur de médecine et directeur du département de santé au travail de McMaster University, a comparu au nom de l'appelant. Le Tribunal a accepté le Dr Muir à titre d'expert dans le domaine de la santé au travail et de l'hygiène du milieu.

Le Dr Muir a déclaré qu'il y a deux façons d'être contaminé par l'amiante lorsqu'on travaille dans un air ambiant qui en est imprégné. Premièrement, il peut y avoir contamination par inhalation directe des fibres en suspension dans l'air du lieu de travail. Le Dr Muir a expliqué que les personnes œuvrant dans un tel lieu de travail sont tenues par la loi de porter des respirateurs pour éviter d'inhaler ces particules. Deuxièmement, si les personnes qui travaillent dans un air ambiant chargé de particules d'amiante ne portent pas de vêtements de protection jetables ou ne subissent pas une décontamination complète au moment de quitter le lieu de travail, les particules qui se sont déposées ou incrustées sur leur peau ou leurs vêtements peuvent être dispersées par la suite et inhalées par elles-mêmes ou par des tiers. Le Dr Muir a indiqué que l'inhalation indirecte constitue un important risque pour la santé et que les travailleurs chargés du retrait de l'amiante sont, par conséquent, tenus par la loi de porter des vêtements de protection.

Le Dr Muir a précisé qu'il avait eu l'occasion d'examiner les marchandises en cause et qu'à son avis elles pouvaient servir de vêtements de protection pour le retrait de l'amiante. Il s'est appuyé sur le fait que les marchandises en cause sont des combinaisons d'une seule pièce constituées d'un matériel imperméable aux particules d'amiante. Il a aussi fait remarquer que les marchandises en cause ont des manches munies d'une bande élastique et qu'elles sont dotées d'un capuchon ajusté, muni d'une bande de même type, permettant à un travailleur de porter un respirateur et des lunettes de sécurité. Le Dr Muir a déclaré que, selon son expérience, il serait normal qu'un appareil respiratoire soit directement intégré à un vêtement de protection conçu pour être utilisé à des fins telles que le retrait de l'amiante.

Au cours du contre-interrogatoire, le Dr Muir a reconnu que les marchandises en cause doivent être utilisées conjointement avec un respirateur pour protéger les personnes qui les portent contre le risque d'inhaler des fibres d'amiante au lieu de travail. Il a également déclaré que le seul risque grave pour la santé provenant de l'exposition à l'amiante vient de la possibilité d'inhaler ce produit et que, même si les marchandises en cause n'empêchent pas directement l'inhalation, elles préviennent efficacement la deuxième forme de contamination décrite ci-dessus, du fait qu'elles empêchent les particules de se déposer sur la peau et les vêtements.

L'avocat de l'appelant a soutenu que, puisque aucune définition des expressions «de protection», «scaphandre» ou d'une autre expression utilisée dans le code 1001 ne figure à l'annexe II du Tarif des douanes, il faut leur donner leur sens clair et courant. L'avocat a soutenu que, selon le témoignage du Dr Muir, les marchandises en cause ont été conçues à des fins de protection.

L'avocate de l'intimé a fait valoir qu'en décidant du sens à donner au libellé de cette disposition, le Tribunal devait tenir compte de l'intention du législateur à l'origine du code 1001. En particulier, l'avocate a renvoyé le Tribunal à une note de service d'un fonctionnaire du ministère des Finances dans laquelle il est dit que le code 1001 vise à englober les vêtements de protection, du moment que ces vêtements sont munis d'un appareil respiratoire. Or, selon l'avocate, puisque les marchandises en cause ne sont pas vendues avec un appareil respiratoire intégré ni conçues pour fonctionner avec un appareil respiratoire autonome, elles ne protègent pas la personne qui les porte contre le risque d'inhaler de l'amiante.

L'avocate de l'intimé a également soutenu que les marchandises en cause n'étaient pas visées par la définition de l'expression «costumes ou complets et costumes tailleurs» figurant à la Note 3 du Chapitre 62 de l'annexe I du Tarif des douanes. L'avocate a fait remarquer que, alors que ladite définition figurant à la Note 3 désigne un assortiment de vêtements comprenant deux ou trois pièces, les marchandises en cause sont des vêtements d'une seule pièce. Cela étant, l'avocate a soutenu que les marchandises en cause ne sont pas des costumes ou complets et costumes tailleurs et que, par conséquent, elles ne sont pas visées par le code 1001.

Le Tribunal est d'avis que les marchandises en cause sont effectivement visées par le code 1001. Pour en arriver à cette conclusion, le Tribunal devait être convaincu que les marchandises en cause sont des vêtements de protection ou des pièces de ces vêtements destinés à être utilisés dans un air ambiant délétère. En ce qui a trait à la première question, le Tribunal est convaincu que de nombreux éléments de preuve appuient l'opinion selon laquelle l'air ambiant dans un lieu de travail où l'on procède au retrait de l'amiante est délétère. Le Tribunal fait remarquer que les parties s'entendaient sur ce point.

L'avocate de l'intimé a soutenu que les marchandises en cause ne sont pas des costumes parce qu'elles ne sont pas visées par la définition de «costumes ou complets et costumes tailleurs» figurant à la Note 3 du Chapitre 62. Pour appuyer l'affirmation selon laquelle cette définition doit s'appliquer au code 1001, l'avocate a renvoyé le Tribunal au paragraphe 68(3) du Tarif des douanes, qui prévoit que «[l]es termes de l'annexe II s'entendent au sens de l'annexe I.»

Le Tribunal souligne que le préambule à la Note 3 du Chapitre 62 précise que les définitions figurant à cette Note ne s'appliquent qu'aux positions nos 62.03 et 62.04. Les parties ont convenu que les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 62.10. Le Tribunal est, par conséquent, d'avis que, nonobstant le paragraphe 68(3) du Tarif des douanes, la définition de l'expression «costumes ou complets et costumes tailleurs» figurant à la Note 3 ne s'applique pas au code 1001. Si l'on poussait le raisonnement de l'avocate de l'intimé à sa conclusion logique, une combinaison d'une seule pièce munie d'un respirateur serait exclue du code 1001 du fait qu'elle ne remplit pas les conditions requises pour être classée à titre de «costume[ ] ou complet[ ] et costume[ ] tailleur[ ]».

Le Tribunal n'a pas trouvé convaincant le raisonnement de l'avocate de l'intimé concernant l'intention du législateur présumément à l'origine du code 1001. La note de service du ministère des Finances déposée à titre d'élément de preuve à l'appui de ce raisonnement n'a pas été déposée par l'entremise d'un témoin. Les attributions de l'auteur de cette note de service n'ont pas été communiquées au Tribunal, qui ignore à quel titre son auteur était apte à exprimer un point de vue sur les intentions du législateur à l'égard du code 1001. Mais ce qui importe peut-être davantage, c'est que, selon le Tribunal, il n'y a rien dans le libellé du code 1001 qui donne à penser que, pour être admissible à une exonération des droits de douane aux termes de cette disposition, un vêtement de protection doit être muni d'un appareil respiratoire intégré ou autonome.

Le Tribunal est convaincu que les marchandises en cause sont des scaphandres de protection pour usage dans un air ambiant délétère. Selon le Webster's New Twentieth Century Dictionary of the English Language, le terme «protective» ([traduction] de protection) signifie, entre autres, «affording protection [3] » ([traduction] qui remplit un rôle de protection à l'égard de quelque chose). Le même dictionnaire donne du terme «protection» ([traduction] protection) les définitions suivantes : «the act of protecting; defense; shelter from evil; preservation from loss, injury, or annoyance » ([traduction] l'action, le fait de protéger, de défendre quelqu'un ou quelque chose contre une perte, une agression, un danger) et «one who or that which protects [4] » ([traduction] personne ou chose qui protège) [Soulignement ajouté].

Il est vrai que les marchandises en cause ne protègent pas, par elles-mêmes, une personne travaillant dans un air ambiant délétère contre le risque d'inhaler des particules d'amiante. Cependant, le Tribunal est d'avis que, pour être classées dans le code 1001, les marchandises en cause n'ont pas à protéger la personne qui les porte contre tous les risques possibles auxquels un air ambiant délétère pourrait l'exposer. Le Tribunal est d'avis qu'il suffit que les marchandises en cause protègent la personne qui les porte contre un risque important que fait courir cet air ambiant. Le Tribunal estime que, du fait qu'elles créent un écran efficace entre l'air ambiant chargé de particules d'amiante dans un lieu de travail et toute personne portant les marchandises en cause, ces marchandises protègent cette personne et les tiers du danger d'inhaler l'amiante qui se serait autrement déposé sur les vêtements ou la peau de ladite personne. Le Tribunal accepte le témoignage du Dr Muir selon lequel le danger d'exposition sous cette forme secondaire constitue un important risque pour la santé. Le Tribunal accepte également les éléments de preuve du Dr Muir établissant que l'utilisation des marchandises en cause permet adéquatement au porteur de se protéger contre le risque pour la santé provenant de l'exposition à un air ambiant chargé de particules d'amiante.

Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

3. Deuxième éd., New York, Simon & Schuster, 1979 à la p. 1446.

4. Ibid.


Publication initiale : le 28 août 1996