MATTEL CANADA INC.

Décisions


MATTEL CANADA INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appels nos AP-95-126 et AP-95-255

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 15 janvier 1997

Appels n os AP - 95 - 126 et AP - 95 - 255

EU ÉGARD À des appels entendus les 24 et 25 septembre 1996 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national les 6 juin et 19 décembre 1995 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

MATTEL CANADA INC. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

Les appels sont admis en partie.


Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Lyle M. Russell ______ Lyle M. Russell Membre

Susanne Grimes ______ Susanne Grimes Secrétaire intérimaire





L'appelant se procure des marchandises par l'entremise d'un système de commandes régi par Mattel, Inc. (Mattel), qui contrôle aussi le choix des marchandises disponibles et les prix. Lorsque les marchandises sont fabriquées et prêtes à l'expédition, elles sont facturées à Mattel T Company Limited (Mattel Trading). Mattel Trading les facture alors à Mattel qui, à son tour, les facture à l'appelant. Mattel Trading et Mattel prennent toutes deux les titres des marchandises avant leur transfert à l'appelant. Les marchandises sont expédiées directement des fabricants à l'appelant.

Pour avoir droit de fabriquer (ou de faire fabriquer), de distribuer et de vendre des produits basés sur du matériel visé par une licence, l'appelant doit payer des redevances au concédant de la licence. Les redevances égalent un pourcentage déterminé de la valeur nette facturée par l'appelant lors de la vente des marchandises à ses clients au Canada. De plus, Mattel a conclu plusieurs ententes avec diverses parties (les concédants de licences maîtresses) pour obtenir la concession de licences pour d'autres produits. L'appelant paie périodiquement Mattel pour lui rembourser les droits de licence qu'elle verse aux concédants de licences maîtresses.

Les questions en litige dans les présents appels consistent à déterminer : 1) quelle transaction devrait servir de base d'appréciation de la valeur transactionnelle des produits importés; 2) si les redevances versées par l'appelant au concédant de licence font partie de la valeur transactionnelle des produits importés; 3) si les paiements versés par l'appelant à Mattel à l'égard des droits de licence que verse Mattel aux concédants de licences maîtresses (les remboursements) font partie de la valeur transactionnelle des produits importés.

DÉCISION : Les appels sont admis en partie. En ce qui a trait à la première question en litige, le Tribunal conclut à l'existence d'une seule vente pour exportation, soit entre Mattel en tant que vendeur et l'appelant en tant qu'acheteur. Les fabricants et Mattel Trading ne semblent pas avoir le degré nécessaire d'indépendance à l'endroit de Mattel pour conclure qu'il y a eu de véritables ventes entre ces sociétés. Dans l'ensemble, les éléments de preuve appuient la conclusion que Mattel a été la société principalement concernée quant à la fourniture de marchandises à l'appelant. Le Tribunal rejette les appels à l'égard de la première question en litige.

Le Tribunal admet les appels à l'égard de la deuxième question en litige, puisqu'il conclut que les paiements n'ont pas été effectués en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada, comme le prévoit le sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes. Le Tribunal n'est pas convaincu qu'il y a eu un lien suffisant entre les paiements et la vente de marchandises pour exportation pour justifier l'affirmation que les paiements ont été versés en tant que condition de ces ventes.

Quant à la troisième question en litige, le Tribunal estime que les remboursements étaient des redevances indirectes versées aux concédants de licences maîtresses. Le Tribunal est d'avis que les montants versés ne l'ont pas été en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada, comme le prévoit le sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes. En ce qui a trait au sous-alinéa 48(5)a)(v) de la Loi sur les douanes, le Tribunal estime que l'avantage économique ou la valeur des redevances indirectes a été transmis par Mattel, le vendeur des marchandises, et est revenu aux concédants de licences maîtresses. Puisque les conditions des sous-alinéas 48(5)a)(iv) et (v) de la Loi sur les douanes n'ont pas été satisfaites, le Tribunal admet les appels à l'égard de cette question en litige.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Dates de l'audience : Les 24 et 25 septembre 1996 Date de la décision : Le 15 janvier 1997
Membres du Tribunal : Charles A. Gracey, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Lyle M. Russell, membre
Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Richard S. Gottlieb et Darrel H. Pearson, pour l'appelant Ian McCowan, pour l'intimé





Les deux présents appels, entendus ensemble, sont interjetés aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard de 11 décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national en application du paragraphe 63(3) de la Loi. La valeur transactionnelle de certaines marchandises importées au Canada par l'appelant est la question en litige. Une grande partie des renseignements reçus par le Tribunal durant l'audience, qui ont fait l'objet de sa décision, étaient confidentiels.

M. Orest Matkowsky [2] , vice-président aux Finances chez Mattel Canada Inc., a expliqué que l'appelant est une société en propriété exclusive de Mattel Holdings, Ltd., qui est une société en propriété exclusive de Mattel, Inc. (Mattel), des États-Unis. Mattel est également propriétaire exclusif de Mattel T Company Limited (Mattel Trading), de Hong Kong, et de plusieurs usines de fabrication situées à des endroits comme la Malaisie, Hong Kong, l'Indonésie et le Mexique (les fabricants liés). M. Matkowsky a déclaré au Tribunal que Mattel Trading négocie l'achat des marchandises avec des fabricants liés et non liés. Elle est également un «point de rencontre» de toutes les filiales de Mattel [3] . Une autre filiale de Mattel, Mattel Toys Vendor Operations Ltd. (Vendor Operations), de Hong Kong, s'approvisionne en marchandises auprès de fabricants non liés. M. Matkowsky a reconnu que Vendor Operations peut être décrite comme un type d'agent acheteur qui habituellement prend les titres des marchandises acquises de fabricants non liés.

L'appelant se procure des marchandises par l'entremise d'un système de commandes régi par Mattel, qui contrôle aussi le choix des marchandises disponibles et les prix. Il a été déclaré au Tribunal que, lorsque les marchandises sont fabriquées et prêtes à l'expédition, alors, selon la source d'approvisionnement, Mattel Trading les achète à des fabricants liés ou à Vendor Operations. Les marchandises sont expédiées directement des fabricants à l'appelant [4] , qui les assure à partir du moment où elles quittent l'usine. Les marchandises sont facturées à Mattel Trading lorsqu'elles sont expédiées; Mattel Trading les facture alors à Mattel, qui, à son tour, les facture à l'appelant. Mattel Trading et Mattel prennent toutes deux les titres des marchandises avant leur transfert à l'appelant.

Il a été expliqué que le prix unitaire des produits facturés à différents niveaux est fondé sur une liste de prix établie à l'avance (pièce A-8 [protégée]), qui est mise à jour mensuellement. Les prix aux trois niveaux sont établis pour permettre de recouvrer complètement les coûts engagés à l'égard des marchandises, des services, des frais généraux, etc., à chaque niveau, et de réaliser un bénéfice.

Pour avoir le droit de fabriquer (ou de faire fabriquer), de distribuer et de vendre les produits basés sur du matériel visé par une licence, l'appelant doit verser des redevances au concédant de la licence. Les redevances égalent un pourcentage déterminé de la valeur nette facturée par l'appelant lors de la vente des marchandises à ses clients au Canada.

De plus, Mattel a conclu plusieurs ententes avec diverses parties (les concédants de licences maîtresses) pour obtenir la concession de licences pour d'autres produits. L'appelant paie périodiquement Mattel pour lui rembourser les droits de licence qu'elle verse aux concédants de licences maîtresses.

Les questions en litige dans les présents appels consistent à déterminer : 1) quelle transaction devrait servir de base d'appréciation de la valeur transactionnelle des produits importés; 2) si les redevances versées par l'appelant au concédant de licence font partie de la valeur transactionnelle des produits importés; 3) si les paiements versés par l'appelant à Mattel à l'égard des droits de licence que verse Mattel aux concédants de licences maîtresses (les remboursements) font partie de la valeur transactionnelle des produits importés.

Aux fins des présents appels, les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes.

48. (1) Sous réserve du paragraphe (6), la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada.

(4) Dans le cas d'une vente de marchandises pour exportation au Canada, la valeur transactionnelle est le prix payé ou à payer, ajusté conformément au paragraphe (5).

(5) Dans le cas d'une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :

a) par addition, dans la mesure où ils n'y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :

(iv) les redevances et les droits de licence relatifs aux marchandises, y compris les paiements afférents aux brevets d'invention, marques de commerce et droits d'auteur, que l'acheteur est tenu d'acquitter directement ou indirectement en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada, à l'exclusion des frais afférents au droit de reproduction de ces marchandises au Canada,

(v) la valeur de toute partie du produit de toute revente, cession ou utilisation ultérieure par l'acheteur des marchandises, qui revient ou doit revenir, directement ou indirectement, au vendeur.

Les avocats de l'appelant ont fait observer qu'aux termes de la Loi, la valeur transactionnelle des marchandises est le prix payé ou à payer lorsqu'elles sont vendues pour exportation au Canada. Il a été soutenu que les ventes des fabricants à Mattel Trading, de Mattel Trading à Mattel et de Mattel à l'appelant représentent trois ventes pour exportation au Canada. Dans chacune de ces ventes, il y a transfert du titre des marchandises en échange de considérations financières, et rien n'indique l'existence d'une opération fictive ou d'une tentative de diviser une transaction unique en trois. De plus, la Loi et la politique [5] du ministère du Revenu national (Revenu Canada) envisagent la possibilité qu'il y ait plus d'une vente pour exportation au Canada. Cependant, la Loi ne précise pas quelle transaction doit s'appliquer pour la détermination de la valeur en douane.

Les avocats de l'appelant ont soutenu qu'il n'existe aucun fondement à la politique de Revenu Canada à l'effet que la vente pour exportation est considérée comme celle qui déclenche la suite des événements résultant dans un transfert international de marchandises (dans le présent cas, la vente de Mattel à l'appelant) [6] . À l'opposé, il peut être vu dans la Loi que, pour l'établissement de la valeur en douane des marchandises, l'intention du législateur est d'utiliser la moindre des valeurs transactionnelles qui peut s'appliquer [7] . Les avocats ont renvoyé à la décision du Tribunal dans l'affaire Harbour Sales (Windsor) Limited c. Le sous-ministre du Revenu nationa l [8] à l'appui des affirmations qu'il peut y avoir plus d'une vente pour exportation, qu'il n'est pas nécessaire que l'acheteur dans une vente pour exportation soit un résident du Canada [9] et qu'un acheteur non résident dans une vente pour exportation peut ultérieurement revendre les marchandises à un résident du Canada, créant ainsi deux ventes aux fins de l'appréciation de la valeur en douane. En s'appuyant sur l'esprit et l'objet de la Loi, les avocats ont avancé que les ventes des fabricants à Mattel Trading étaient, aux fins de l'établissement de la valeur en douane, les ventes pour exportation au Canada. De plus, tout doute sur le choix de la transaction qui doit être utilisée pour établir la valeur en douane doit être tranché en faveur de l'appelant [10] .

Il a été soutenu que, lorsque les lois des États-Unis et du Canada sont pratiquement les mêmes, elles sont basées sur le même traité international (dans le présent cas, le Code de la valeur en douane [11] ) et que, puisque les deux pays s'appuient sur le même système de common law pour déterminer l'interprétation des lois, il faut tenir compte des décisions des tribunaux des États-Unis aux fins de l'interprétation des lois canadiennes. À cet égard, les avocats ont fait observer que, lorsqu'il y a plusieurs ventes admissibles pour exportation, les tribunaux des États-Unis ont déterminé que la valeur en douane des marchandises à apprécier est établie à partir de la moindre valeur transactionnelle [12] .

Quant aux redevances, les avocats de l'appelant ont fait observer que les dispositions de la Loi qui portent sur la valeur en douane se fondent sur le prix des marchandises lorsqu'elles sont vendues pour exportation au Canada. À l'opposé du régime de valeur en douane en vigueur jusqu'à la fin de 1984, qui se fondait sur la valeur intrinsèque des marchandises, y compris les coûts afférents à la propriété intellectuelle, le régime actuel se fonde sur le prix reçu par le vendeur à l'occasion de la vente pour exportation, sous réserve de certains ajustements. Ces ajustements, énumérés au paragraphe 48(5) de la Loi, constituent un mécanisme anti-évitement pour veiller à ce que certains frais, lorsqu'ils ne sont pas compris dans le prix payé ou à payer au vendeur pour les marchandises, mais sont versés séparément, soient compris dans le prix aux fins de l'établissement de leur valeur en douane.

Les avocats de l'appelant ont avancé que les redevances et les droits de licence ne sont pas tous passibles de droits de douane. Plutôt, ces paiements sont passibles de droits de douane lorsque leur versement est une condition, directe ou indirecte, de la vente de marchandises pour exportation au Canada. Le versement d'un droit est une condition de la vente lorsqu'il est imposé par le vendeur en vue de son bénéfice. Si le vendeur ne peut exiger qu'un tel paiement soit versé avant la vente, alors il ne s'agit pas d'une condition de la vente ni, par conséquent, d'une partie du prix des marchandises. En outre, il n'existe aucun élément de preuve qui indique l'existence de conventions entre les concédants de licences et les fabricants qui donneraient aux concédants le pouvoir de décider à qui les marchandises sont vendues.

Les avocats de l'appelant ont soutenu que le terme «condition», en raison du contexte où il se trouve, doit être interprété en tenant compte des dispositions législatives visant la vente des marchandises. Aux termes de cette interprétation, si une condition de vente n'est pas satisfaite, le vendeur n'est pas tenu de vendre. Cependant, dans le cas présent, les ventes des fabricants n'étaient pas liées au versement des redevances en vertu des contrats de concession de licence en question. Les ventes ont eu lieu bien avant la date où les redevances devaient être payées, et les fabricants ne pouvaient pas révoquer le contrat en cas de non-paiement.

Puisque les redevances visaient l'autorisation de commercialiser et de distribuer au Canada des marchandises faisant l'objet de brevets d'invention, de marques de commerce ou de droits d'auteur, ces redevances ou droits de licence ne sont pas du type qui est passible de droits de douane aux termes de la Loi. À l'appui de cette affirmation, les avocats de l'appelant ont avancé que les dépenses de commercialisation sous forme de redevances ne sont pas comprises dans la valeur en douane fondée sur la valeur de référence ou sur la valeur reconstituée [13] . Puisque la valeur en douane déterminée par ces méthodes doit être semblable à celle déterminée au moyen de la méthode de la valeur transactionnelle, les redevances ne doivent pas être incluses dans la valeur en douane fondée sur la méthode de la valeur transactionnelle.

Les avocats de l'appelant ont de plus soutenu que les redevances n'ont pas été versées à l'égard des marchandises. Lorsque les paiements sont versés pour obtenir le droit exclusif de distribution, et non aux fins de l'usage d'un droit prévu dans les lois sur les marques de commerce, les droits d'auteur ou les brevets d'invention, ces paiements ne sont pas versés relativement aux marchandises.

Quant aux remboursements payés par l'appelant, les avocats de l'appelant ont fait valoir qu'ils ne constituent pas des paiements du produit d'une revente, comme il est mentionné au sous-alinéa 48(5)a)(v) de la Loi. Les avocats ont exprimé l'avis que cette disposition de la Loi garantit que le prix du vendeur dans une vente pour exportation au Canada n'est pas réparti en éléments passibles et en éléments non passibles de droits de douane. Il a été soutenu qu'il n'existe aucun élément de preuve que les prix ont été divisés ni que les paiements ont été versés relativement au prix payé ou à payer pour les marchandises. Plutôt, les paiements de l'appelant ont simplement été transmis par l'intermédiaire de Mattel aux concédants de licences maîtresses. Il ne s'agissait pas de paiements afférents à une obligation de Mattel à l'endroit des concédants de licences maîtresses.

Les paiements de l'appelant à Mattel ont été qualifiés de redevances par les avocats de l'appelant. Les avocats ont soutenu que, en tant que redevances, si ces paiements ne sont pas passibles de droits de douane aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(iv), qui porte explicitement sur les redevances, alors ils ne peuvent être passibles aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(v) de la Loi [14] . De plus, si le Tribunal conclut que Mattel n'était pas le vendeur des marchandises, alors les paiements ne pourraient être revenus au vendeur, comme le prévoit le sous-alinéa 48(5)a)(v) de la Loi.

L'avocat de l'intimé a avancé qu'il n'existait qu'une vente pour exportation, entre Mattel et l'appelant. À l'appui de son affirmation, l'avocat a renvoyé à une bonne partie des éléments de preuve confidentiels soumis au cours de l'audience [15] . Plus précisément, l'avocat a fait observer que les produits étaient offerts à l'appelant selon un mécanisme établi, à un prix établi par Mattel. Si l'appelant choisissait d'acheter un produit précis, il le faisait à ce prix, et le produit lui était facturé à ce prix. L'avocat a fait valoir que ce prix devait être utilisé pour établir la valeur en douane.

Quant aux décisions des tribunaux des États-Unis, l'avocat de l'intimé a soutenu qu'elles sont fondées sur des lois dont le libellé est légèrement différent, qu'elles ne visent pas les transactions entre les sociétés liées et qu'elles ne contraignent pas le Tribunal.

En ce qui a trait aux redevances, l'avocat de l'intimé a fait valoir que l'inclusion des mots «directement ou indirectement» dans le sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi en élargit la portée. Il a été soutenu que le Tribunal a reconnu cette conclusion dans l'affaire Reebok Canada Inc., A Division of Avrecan International Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [16] . Dans l'affaire Reebok, après avoir fait observer que les termes «en tant que condition de la vente» sont précédés des mots «directement ou indirectement», le Tribunal a conclu que «même si un droit peut ne pas être exigé conformément aux modalités de l'achat lui-même, il peut être considéré comme une condition de la vente tant qu'il existe un lien entre lui et les marchandises achetées [17] ».

L'avocat de l'intimé a soutenu que les éléments de preuve montrent l'existence d'un lien manifeste entre les redevances versées par l'appelant et les marchandises importées. De plus, les contrats de concession de licence donnent une protection et une mainmise importantes au concédant de la licence, qui pouvaient être appliquées contre l'appelant. Sur la foi des éléments de preuve [18] , le principe énoncé dans l'affaire Reebok est déterminant quant à cet aspect de l'appel.

Quant aux remboursements versés par l'appelant, l'avocat de l'intimé a fait observer qu'ils sont faits pour «couvrir» les droits de licence que Mattel est obligée de payer aux concédants de licences maîtresses. L'avocat a soutenu qu'ils représentent des redevances indirectes. Ils sont donc passibles de droits de douane aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi. Si ce n'est pas le cas, selon l'avocat, ils représentent des paiements relatifs au produit d'une revente et sont passibles de droits de douane aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(v) de la Loi. À cet égard, il a été soutenu qu'une obligation de payer Mattel, qui est le vendeur des marchandises, survient plus tard, au moment de la vente des marchandises par l'appelant.

En ce qui a trait à la première question en litige, le Tribunal estime qu'il n'y a eu qu'une seule vente pour exportation, soit entre Mattel en tant que vendeur et l'appelant en tant qu'acheteur. Les fabricants et Mattel Trading ne semblent pas avoir le degré nécessaire d'indépendance à l'endroit de Mattel pour conclure qu'il y a eu de véritables ventes entre ces sociétés. Dans l'ensemble, les éléments de preuve appuient la conclusion que Mattel a été la société principalement concernée quant à la fourniture de marchandises à l'appelant.

C'est Mattel qui conçoit et élabore les nouveaux produits. Pour faire connaître ses produits, Mattel participe aux expositions commerciales de jouets et publie des catalogues. Bien que Mattel puisse consulter, c'est elle qui prend la décision finale quant aux prix de ses produits aux divers niveaux de transaction. Il n'existe qu'une seule liste de prix pour tous les produits sans égard à l'identité précise du fabricant qui les produit. Si l'appelant commande un produit précis, il le fait au prix payable à Mattel et à aucun autre. Par conséquent, c'est Mattel qui décide de la gamme de produits offerts chaque année et qui établit les prix pour l'appelant. L'appelant déclenche la vente pour exportation en commandant des marchandises.

Pour se procurer le produit, l'appelant doit recourir à un système de commandes établi et régi par Mattel; il ne peut commander de marchandises par d'autres moyens, directement des fabricants ou de toute autre partie. Pour cette raison et d'autres, Mattel a la décision finale quant à quels produits sont offerts à l'appelant. La demande globale de toutes les filiales de Mattel pour les divers produits est répartie aux divers fabricants par le système. L'appelant est informé de l'identité des fabricants à qui il doit envoyer sa commande. En outre, la source de fabrication d'un produit donné peut être changée sans que l'appelant soit consulté.

Dans l'ensemble, les éléments de preuve font ressortir l'image d'une transaction unique, à plusieurs niveaux, comportant une vente pour exportation. Le Tribunal estime que les fabricants, Vendor Operations et Mattel Trading, offrent des services et davantage [19] à Mattel. Dans les faits, cette organisation se traduit par une répartition du prix de vente entre les diverses parties qui dépend de la «valeur ajoutée» qu'elles apportent aux marchandises vendues à l'appelant.

Quant à l'allégation des avocats de l'appelant que les paragraphes 49(5) et 50(2) de la Loi indiquent que le législateur avait l'intention d'appliquer la moindre de plusieurs valeurs transactionnelles, le Tribunal fait observer qu'il s'agit là de dispositions qui s'appliquent à deux ou plusieurs ventes de marchandises identiques ou semblables et non à deux niveaux ou plus d'une transaction unique, à plusieurs niveaux, comportant une vente pour exportation. Ces dispositions ne sont donc pas pertinentes aux faits précisés en l'espèce. Par conséquent, le Tribunal rejette les appels à l'égard de cette question.

Quant aux redevances versées par l'appelant au concédant de licence, le Tribunal s'appuie sur la proposition, articulée dans l'affaire Polygram Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [20] , que trois critères principaux permettent de déterminer si les paiements versés sont passibles de droits de douane : 1) le paiement est une redevance ou un droit de licence, 2) le paiement est effectué à l'égard des marchandises et 3) le paiement, direct ou indirect, est une condition de la vente des marchandises pour leur exportation au Canada [21] . Puisque le Tribunal conclut que les paiements n'ont pas été effectués en tant que condition de la vente des marchandises pour leur exportation au Canada, il admet les appels à l'égard de cette question.

Le Tribunal arrive à cette opinion parce qu'il n'est pas convaincu de l'existence d'un lien suffisant entre les paiements et les ventes pour exportation qui permettrait de dire qu'ils ont été faits en tant que condition de la vente. Plutôt, les paiements ont été davantage liés aux droits, afférents aux marchandises, exercés au Canada et évalués quantitativement par rapport aux reventes au Canada et à d'autres facteurs [22] ayant peu ou pas de rapport avec les ventes pour exportation. De plus, les éléments de preuve ont indiqué que certaines marchandises ont été achetées et importées au Canada sans que l'appelant verse de droits à l'égard de ces marchandises [23] .

À l'encontre des circonstances qui prévalaient dans l'affaire Polygram, l'appelant versait des paiements à une tierce partie qui concédait une licence, et qui n'était pas liée au vendeur des marchandises. Les éléments de preuve n'ont pas justifié une conclusion que le concédant de licence a effectivement exercé un contrôle ou une influence sur les ventes pour exportation, par l'intermédiaire d'un lien de propriété, d'un contrat ou autrement, à un point tel que les ventes auraient été conditionnelles aux versements des redevances.

Quant aux remboursements, le Tribunal est d'accord avec l'avocat de l'intimé qu'ils peuvent être décrits comme des redevances indirectes. L'examen des principaux contrats indique que Mattel pouvait céder les contrats ou les droits y afférents à des filiales ou sociétés affiliées. Bien qu'il n'existe aucun élément de preuve direct que de telles cessions ont été faites, les éléments de preuve montrent clairement que, au moins, le fardeau des paiements de redevance découlant des contrats à l'égard des ventes au Canada a été transmis à l'appelant. L'appelant versait les paiements relativement aux droits accordés en vertu des contrats. Le sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi fait mention de redevances et de droits de licence acquittés directement ou indirectement. Comme le fardeau des paiements de redevance à l'égard des ventes au Canada était transmis à l'appelant, le Tribunal estime que ces paiements versés par l'appelant étaient des redevances indirectes. Ces paiements étaient transmis par l'intermédiaire de Mattel aux concédants de licences maîtresses. Si les contrats ou les droits et les obligations y afférents avaient été cédés à l'appelant, comme l'ont soutenu les avocats de l'appelant, le Tribunal estimerait qu'il s'agit de redevances directes transmises par Mattel et revenant aux concédants de licences maîtresses.

Le Tribunal est d'avis que les redevances indirectes n'ont pas été versées en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada. Puisque ces paiements étaient davantage liés aux droits exercés au Canada, qu'ils étaient déterminés quantitativement par rapport aux reventes au Canada et qu'ils sont finalement revenus à des tierces parties non liées au vendeur des marchandises, et pour d'autres motifs similaires à ceux qui ont déterminé la conclusion à l'égard de la deuxième question en litige, le Tribunal conclut que les conditions prévues au sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi n'ont pas été satisfaites relativement aux redevances indirectes versées aux concédants des licences maîtresses.

Quant au sous-alinéa 48(5)a)(v) de la Loi, le Tribunal estime que le bénéfice financier ou la valeur des redevances indirectes ont été transmises par Mattel aux concédants de licences maîtresses. Bien que les redevances indirectes ont été versées à partir du produit de ventes au Canada, la valeur de ces paiements n'est pas revenue à Mattel, le vendeur des marchandises. Comme les conditions des deux sous-alinéas 48(5)a)(iv) et (v) de la Loi n'ont pas été satisfaites, le Tribunal admet les appels à l'égard de cette question.

Par conséquent, les appels sont admis en partie.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. M. Matkowsky faisait partie d'un comité de témoins qui comprenait Mme Heather McAneney, directrice, Trafic des douanes, Mattel Canada Inc., et Mme Marsela Pérez McGrane, responsable des activités d'importation et d'exportation chez Mattel, Inc.

3. Mme McGrane a déclaré que Mattel Trading a été constituée aux fins de conformité douanière et qu'elle [traduction] «doit composer avec toutes les dépenses concernant l'outillage, la conception et la mise au point, les dépenses générales et d'administration, l'assurance de la qualité, etc.». Transcription de l'audience publique, le 24 septembre 1996 à la p. 82.

4. De nombreux éléments de preuve ont été soumis pour appuyer l'affirmation que, lorsque les marchandises étaient en voie de fabrication, leur destination au Canada était connue. Transcription de l'audience à huis clos, le 24 septembre 1996 aux pp. 5-7.

5. À l'appui de leur affirmation, les avocats de l'appelant ont renvoyé aux paragraphes 9 et 10 du Mémorandum D13-4-2, intitulé «Valeur en douane : "vendues pour exportation au Canada" (Loi sur les douanes, article 48)», ministère du Revenu national, Douanes et Accise, le 21 août 1989.

6. Ibid. para. 7 à la p. 3.

7. À l'appui de leur affirmation, les avocats de l'appelant ont renvoyé aux paragraphes 49(5) et 50(2) de la Loi, qui prescrivent le choix de la moindre valeur transactionnelle de marchandises identiques ou de marchandises semblables lorsqu'il existe plusieurs valeurs transactionnelles de telles marchandises qui remplissent certaines conditions énoncées dans la Loi.

8. Appel no AP-93-322, le 4 novembre 1994; autorisation d'interjeter appel refusée par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, action no 95-T-5, le 2 février 1995.

9. Ultérieurement à la décision du Tribunal dans l'affaire Harbour Sales, le paragraphe 48(1) de la Loi devait être modifié, par l'introduction d'une disposition exigeant la résidence canadienne, par la Loi modifiant la Loi sur les douanes, le Tarif des douanes et d'autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 41, art. 18. Au moment de la tenue de l'audience des présents appels, la modification n'avait pas été proclamée en vigueur.

10. À l'appui de leur affirmation, et à titre de revue générale des règles régissant l'interprétation des lois fiscales, les avocats de l'appelant ont renvoyé à l'affaire Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3.

11. Accord relatif à la mise en œuvre de l'article VII de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé à Genève le 12 avril 1979.

12. Voir, par exemple, E.C. McAfee Co. and St. Paul Fire and Marine Insurance Co. c. United States, U.S. Customs Service and Commissioner of Customs, 842 F.2d, 314, 6 Fed. Cir. (T) 92 (Fed. Cir. 1988 ); Nissho Iwai American Corp. c. United States, appel no 92-1239, Slip Op. à la p. 16 (Fed. Cir. le 28 décembre 1992); et Synergy Sport International, Ltd. c. United States, 17 CIT 18 (1993) (USITC).

13. Articles 51 et 52 de la Loi respectivement.

14. À l'appui de leur affirmation, les avocats de l'appelant ont renvoyé à la publication de S. Sherman et H. Glashoff, Customs Valuation: Commentary on the GATT Customs Valuation Code, Norwell, Ma, Kluwer Law and Taxation, 1988 à la p. 155.

15. Transcription de l'argumentation à huis clos, le 25 septembre 1996 aux pp. 25-30.

16. Appel no AP-92-224, le 1er septembre 1993.

17. Ibid. à la p. 6.

18. Transcription de l'argumentation à huis clos, le 25 septembre 1996 aux pp. 30-42.

19. Voir, par exemple, Transcription de l'audience à huis clos, le 24 septembre 1996 à la p. 112.

20. Non publiée, Tribunal canadien du commerce extérieur, appels nos AP-89-151 et AP-89-165, le 7 mai 1992.

21. Ibid. à la p. 4.

22. Par exemple, aux termes de l'alinéa 1.j) de la pièce A-1 (protégée), l'appelant doit garantir un certain paiement, peu importe si les marchandises sont importées ou fabriquées au Canada, et qui n'a aucun rapport avec la vente des marchandises, à titre de considération partielle des droits qu'on lui a cédés.

23. Par exemple, les marchandises exportées ultérieurement (Transcription de l'audience à huis clos, le 24 septembre 1996 aux pp. 26 et 56) ou retours-défectuosités (Transcription de l'audience à huis clos, le 24 septembre 1996 à la p. 22).


Publication initiale : le 21 mars 1997