MODA IMPORTS, INC.

Décisions


MODA IMPORTS, INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-95-296

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 3 septembre 1997

Appel n o AP-95-296

EU ÉGARD À un appel entendu le 3 mars 1997 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 19 décembre 1995 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

MODA IMPORTS, INC. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Lyle M. Russell ______ Lyle M. Russell Membre présidant

Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi sur les douanes, confirmant la révision de l'appréciation de la valeur en douane de chaussures, sacs à main et petits articles en cuir importés au Canada par l'appelant. L'appelant, qui fait affaire à New York, est la propriété à 90 p. 100 de Salvatore Ferragamo Firenze spa (Ferragamo) d'Italie, les autres 10 p. 100 étant la propriété d'un membre de la famille Ferragamo. L'appelant agit à titre d'« importateur non résident » de marchandises similaires expédiées d'Italie principalement à des détaillants indépendants au Canada, conservant le titre de propriété des marchandises jusqu'après leur dédouanement. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si la valeur en douane des marchandises importées au Canada par l'appelant doit être calculée d'après le prix des marchandises vendues par Ferragamo à l'appelant, comme l'a soutenu l'appelant, ou si la valeur en douane des marchandises doit être déterminée d'après le prix de « revente » des marchandises aux détaillants au Canada, comme l'a déterminé l'intimé.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal est d'avis que les transactions entre Ferragamo et l'appelant constituent des ventes véritables, dans le cadre desquelles le titre de propriété des marchandises en cause passe de Ferragamo à l'appelant. Le Tribunal n'est pas convaincu par les faits présentés dans cette affaire que l'appelant a agi en tant que mandataire de Ferragamo au moment visé.

Lorsqu'ils ont examiné la question de savoir s'il existait une relation de mandataire, les tribunaux ont déterminé qu'« il faut donner de l'importance à la façon dont les parties exécutent leur contrat » [traduction] et que «la question doit être déterminée [...] par une large considération de l'intention des parties qui est attestée autant par ce que les parties ont fait que par ce qu'elles ont dit » [traduction].

Les facteurs sur lesquels le Tribunal s'est principalement appuyé pour rendre sa décision ont été les suivants : 1) l'appelant a un compte bancaire distinct de celui de Ferragamo, qui lui sert à financer ses propres activités commerciales, y compris le versement du salaire de ses employés; 2) Ferragamo facture les marchandises à l'appelant et l'appelant, à son tour, les facture à ses clients, le paiement étant effectué en conséquence; 3) l'appelant tient ses propres états financiers consolidés en tant que société limitée, d'une façon distincte et séparée de ceux de Ferragamo; 4) même si l'appelant a les mêmes directeurs d'entreprise que Ferragamo, ces derniers ne participent pas aux activités quotidiennes de l'appelant; 5) à l'exception des réclamations pour cause de qualité inférieure des marchandises elles-mêmes, l'appelant est responsable du coût de toutes les autres réclamations concernant les ventes; 6) tous les profits réalisés et toutes les pertes subies par l'appelant sont assumés par ce dernier; 7) l'appelant assume les risques qui se rapportent aux marchandises et en prend possession en Italie.


Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 3 mars 1997 Date de la décision : Le 3 septembre 1997
Membres du Tribunal : Lyle M. Russell, membre présidant Robert C. Coates, c.r., membre Charles A. Gracey, membre
Avocat pour le Tribunal : Heather A. Grant
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Michael Kaylor, pour l'appelant Janet Ozembloski, pour l'intimé




Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi, confirmant la révision de l'appréciation de la valeur en douane de chaussures, sacs à main et petits articles en cuir importés au Canada par l'appelant.

L'appelant, qui fait affaire à New York, est la propriété à 90 p. 100 de Salvatore Ferragamo Firenze spa (Ferragamo) d'Italie, les autres 10 p. 100 étant la propriété d'un membre de la famille Ferragamo. L'appelant importe d'Italie des marchandises portant la marque de commerce Salvatore Ferragamo, qu'il entrepose pour les vendre aux États-Unis. L'appelant agit aussi à titre d'« importateur non résident » de marchandises similaires expédiées d'Italie principalement à des détaillants indépendants au Canada, conservant le titre de propriété des marchandises jusqu'après leur dédouanement. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si la valeur en douane des marchandises importées au Canada par l'appelant doit être calculée d'après le prix des marchandises vendues par Ferragamo à l'appelant, comme l'a soutenu l'appelant, ou si la valeur en douane des marchandises doit être déterminée d'après le prix de « revente » des marchandises aux détaillants au Canada, comme l'a déterminé l'intimé.

M. Arcangelo Rosato, un comptable public licencié du New Jersey qui fournit des conseils financiers et administratifs à l'appelant, a témoigné en faveur de ce dernier. M. Rosato a déclaré que l'appelant a été constitué en société incorporée et est devenu une entité juridique distincte aux États-Unis dans les années 50. L'appelant poursuit trois différents types d'activités commerciales : possession et exploitation de biens immobiliers; distribution en gros de produits portant la marque de commerce Salvatore Ferragamo (souliers, sacs à main, vêtements et accessoires); possession et exploitation d'un certain nombre de magasins pour la vente au détail de telles marchandises. L'appelant est le distributeur exclusif des produits Ferragamo en Amérique du Nord.

M. Rosato a témoigné que les mêmes membres de la famille qui contrôlent Ferragamo en Italie sont les dirigeants de l'appelant, mais qu'ils ne participent pas activement aux activités quotidiennes de l'appelant. L'appelant tient des comptes bancaires distincts aux États-Unis, paie ses employés à même ses propres fonds et dépose des déclarations de revenus auprès du gouvernement des États-Unis. L'appelant a surtout réinvesti dans ses activités américaines plutôt que de verser des dividendes. M. Rosato a expliqué que l'appelant a connu une expansion importante depuis 1985, le nombre de ses employés étant passé de 35 à 60. L'appelant exploite présentement deux entrepôts aux États-Unis, plutôt qu'un seul, et six points de vente au détail (y compris un à Vancouver, en Colombie-Britannique), plutôt que trois. Au cours de cette même période, il a multiplié son chiffre d'affaires par neuf.

M. Rosato a expliqué que l'appelant commande des marchandises de Ferragamo après que ses clients américains et canadiens, qui ont normalement déjà visité la salle de montre de l'appelant à New York pour déterminer les produits disponibles pour la saison et leur prix, ont exprimé un intérêt ou, en fait, passé des commandes. L'appelant exige le paiement complet dans les 30 jours suivant la date de l'expédition à ses clients, mais ne le reçoit, en moyenne, qu'environ 50 jours après l'expédition. L'appelant paie Ferragamo seulement 120 jours après l'expédition, en effectuant un transfert du compte de l'appelant à celui de Ferragamo.

À l'exception de rajustements basés sur des réclamations des détaillants concernant des défauts dans les marchandises, que le fabricant accepte, M. Rosato a témoigné que l'appelant doit assumer le coût de toutes les autres réclamations concernant les marchandises. Dans le cadre du règlement de telles réclamations, des marchandises destinées au marché des États-Unis peuvent être retournées à l'entrepôt de New York, mais, puisque les clients du Canada sont dans une zone douanière différente, le retour des marchandises est découragé et un crédit est accordé à la place. L'appelant offre aussi, sans être indemnisé par Ferragamo, une remise pour publicité à ses clients qui participent à un programme de publicité collective conçu par l'appelant.

Selon M. Rosato, l'appelant décide quels produits Ferragamo seront offerts en vente en Amérique du Nord à chaque saison commerciale. Le prix que l'appelant paie à Ferragamo est établi après des discussions détaillées avec Ferragamo quant aux volumes probables de vente à des prix cibles distincts, mais, en bout de ligne, c'est Ferragamo qui le fixe en fonction du coût de fabrication des marchandises. M. Rosato a expliqué que la fabrication est confiée en sous-traitance par Ferragamo à des usines en Italie et que l'appelant ne traite pas directement avec celles-ci en ce qui a trait à la commande. Selon M. Rosato, l'appelant prend possession des marchandises dès leur mainlevée par l'usine au transitaire et assure toutes les marchandises destinées à l'Amérique du Nord, depuis leur départ de l'usine en Italie jusqu'à leur arrivée à la porte du client. Ferragamo organise et paie le transport des marchandises au Canada, mais ce coût est facturé à l'appelant. Les marchandises sont expédiées directement d'Italie aux clients de l'appelant au Canada. L'appelant, et non Ferragamo, décide de la majoration à la revente des marchandises aux clients au Canada, cette majoration étant fixée à un niveau suffisant pour couvrir tous les coûts (et probablement pour faire un profit).

M. Rosato a de plus déclaré qu'il n'existe aucun contrat écrit entre l'appelant et Ferragamo. Cette dernière conserve tous les droits afférents à la marque de commerce, l'appelant veillant simplement à ce que les marchandises soient commercialisées de façon à maintenir l'image voulue de la société. Aucun paiement distinct n'est versé à Ferragamo relativement à la marque de commerce, et c'est Ferragamo et non l'appelant qui est responsable d'intenter des poursuites lorsque des marchandises de contrefaçon apparaissent sur le marché du Canada ou celui des États-Unis.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Rosato a reconnu que l'appelant est appelé une « société de distribution » en Amérique du Nord pour Ferragamo dans la documentation diffusée sur le site Web de Ferragamo et que les clients utilisent souvent ensemble, ou de façon interchangeable, les noms « Moda » et « Ferragamo » dans leur correspondance, mais il a attribué ce dernier phénomène au fait que les clients de l'appelant associent l'appelant à la gamme de produits Ferragamo. M. Rosato a aussi reconnu qu'une facture de transport aérien, concernant une expédition de Ferragamo à l'appelant en 1992, porte « C & F Toronto Airport [2] » (« coût et fret aéroport de Toronto »), ce qui semblerait indiquer que le coût et le fret sont payés par l'expéditeur. M. Rosato a ajouté que la situation s'explique du fait que Ferragamo paie d'abord le coût de l'expédition, étant dans une meilleure position pour négocier avec les expéditeurs, et que l'appelant rembourse les frais à Ferragamo. En réponse à des questions du Tribunal, M. Rosato a précisé que les dispositions relatives à l'établissement des prix entre l'appelant et son magasin à Vancouver sont les mêmes que celles entre l'appelant et les sociétés indépendantes, comme la société Chaussure Browns Inc. et Holt Renfrew & Co. Ltd.

Citant la décision du Tribunal dans l'affaire Harbour Sales (Windsor) Limited c. Le sous-ministre du Revenu nationa l [3] , l'avocat de l'appelant a soutenu que, puisque rien dans la Loi n'exige qu'une vente de marchandises pour exportation au Canada soit faite à un acheteur qui réside au Canada, le prix payé par l'appelant à Ferragamo devrait servir à déterminer la valeur transactionnelle des marchandises et, par conséquent, leur valeur en douane. Il a fait valoir que les éléments de preuve montrent clairement que, lorsque l'appelant achète à Ferragamo des marchandises destinées au marché canadien, Ferragamo vend les marchandises pour exportation au Canada. Il est également manifeste, selon l'avocat, qu'il s'agit de ventes véritables, et non d'opérations fictives. Bien qu'il soit une filiale de Ferragamo, l'appelant n'en est pas simplement le mandataire. Les transactions entre les deux sociétés satisfont tous les critères de ventes véritables établis dans la jurisprudence [4] . L'avocat a avancé que cela se trouve confirmé, en partie, du fait que l'intimé n'a pas, aux termes du paragraphe 48(2) de la Loi, mis en cause le prix d'achat de l'appelant comme étant influencé par le lien entre les deux sociétés.

L'avocat de l'appelant a soutenu que l'absence d'accord écrit entre Ferragamo et l'appelant concernant les ventes ne devrait pas jouer contre l'appelant, puisqu'un certain nombre de décisions récentes du Tribunal portant sur les versements de redevances indiquent que ce que font les parties lors d'une transaction est plus important que ce qui est écrit dans un contrat. Dans la présente affaire, les parties ont agi manifestement de façon indépendante, même si ce sont des sociétés liées. L'avocat a ajouté que l'existence d'un tel lien n'invalide pas les ventes entre ces sociétés.

Si le Tribunal était enclin à établir une distinction entre les faits de l'affaire Harbour Sales et ceux de la présente pour le motif que l'appelant dans la présente affaire, à l'encontre de celui dans l'affaire Harbour Sales, n'est pas présent d'une façon tangible au Canada, l'avocat de l'appelant a soutenu que le Tribunal devrait tenir compte de la jurisprudence aux États-Unis selon laquelle il est acceptable d'utiliser les transactions entre les sociétés non résidentes pour apprécier la valeur en douane. Les décisions des États-Unis, fondées sur des lois des États-Unis identiques à presque tous égards aux dispositions canadiennes concernant la valeur en douane, font aussi clairement ressortir qu'il ne convient pas d'appliquer le critère de « cause immédiate » pour décider quelle vente parmi des ventes multiples pour exportation doit servir à déterminer la valeur en douane. Dans de tels cas, selon l'avocat, l'importateur est libre de choisir la valeur transactionnelle la plus favorable.

L'avocate de l'intimé a soutenu qu'il n'existe qu'une seule vente de marchandises pour exportation, où Ferragamo est le vendeur et les détaillants indépendants au Canada sont les acheteurs. Elle a affirmé que l'appelant est simplement un mandataire de Ferragamo par l'entremise duquel les clients canadiens passent leurs commandes. Elle a soutenu que l'appelant ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombe de fournir une image claire et complète des transactions en question. De plus, l'appelant n'a pas soumis suffisamment de documents pour montrer que le titre de propriété des marchandises lui a été transféré en Italie. Selon elle, il n'est pas manifeste que l'entente d'assurance déposée à titre d'élément de preuve couvre les transactions d'importation en question. De plus, le fait que Ferragamo ait payé le coût du transport indique que Ferragamo peut assumer une partie des risques et du coût du transport jusqu'à ce que les marchandises arrivent chez les clients au Canada.

L'absence d'un accord écrit entre Ferragamo et l'appelant, plus précisément en ce qui touche la façon dont l'appelant se sert de la marque de commerce ou la représente en Amérique du Nord constitue, selon l'avocate de l'intimé, la preuve d'un lien tellement étroit entre les deux sociétés qu'il devient impossible de conclure à l'existence d'une véritable vente entre elles. Se référant à la proéminence accordée à la marque de commerce Salvatore Ferragamo sur les documents soumis à titre d'éléments de preuve, elle a avancé que l'appelant se présentait simplement comme la présence de Ferragamo en Amérique du Nord et que c'est bien ainsi que les clients de l'appelant le percevaient, ce qui indique aussi que l'appelant est simplement le mandataire de Ferragamo. Parmi la jurisprudence citée à l'appui de son opinion, elle a inclus la décision du Tribunal dans l'affaire Jewel W ay International Canada, Inc. et JewelWay International, Inc. c. Le sous-ministre du Revenu nationa l [5] , qu'avait aussi citée longuement l'avocat de l'appelant à l'appui du point de vue contraire. L'avocate de l'intimé a soutenu que les relations commerciales dont il est fait état dans ces appels étaient très semblables à celles dans la présente affaire, tandis que l'avocat de l'appelant a soutenu que la relation entre l'appelant et Ferragamo ne répondait à aucun des critères de détermination d'une relation de mandataire établis dans l'affaire JewelWay, à l'exception du critère selon lequel l'omission par une société intermédiaire de tenir des marchandises en inventaire pourrait impliquer qu'il existe une relation de mandataire. L'avocate de l'intimé a aussi cité la décision du Tribunal dans l'affaire Mattel Canada Inc. c. Le sous-ministre du Revenu nationa l [6] pour démontrer qu'il faut considérer la suite des événements qui ont mené à l'importation des marchandises en cause comme une simple transaction.

L'avocate de l'intimé a établi une distinction entre les faits de l'affaire Harbour Sales et ceux de la présente, du fait que, dans l'affaire Harbour Sales, il n'existait aucun lien d'entreprise entre les divers niveaux de distribution et, plus précisément, aucun lien entre le fabricant et l'intermédiaire. De plus, la question de la relation de mandataire n'a pas été abordée par le Tribunal dans l'affaire Harbour Sales et n'a pas été déterminante de son issue. L'avocate a de plus soutenu que, pour des raisons similaires, les deux causes des États-Unis citées par l'avocat de l'appelant ne s'appliquaient pas en l'espèce puisqu'elles traitaient de transactions entre parties non liées. Elle a avancé que, dans la présente affaire, il était probable que le lien entre Ferragamo et l'appelant avait influé sur le prix payé par ce dernier au premier.

Le paragraphe 48(1) de la Loi prévoit que la valeur en douane des marchandises est la valeur transactionnelle des marchandises si les marchandises sont « vendues pour exportation au Canada ». Le Tribunal est d'avis que la valeur transactionnelle utilisée pour déterminer la valeur en douane doit donc se rapporter à une vente de marchandises et que ces marchandises doivent avoir été vendues pour exportation au Canada. Dans la présente affaire, le Tribunal doit déterminer si les marchandises en cause ont été expédiées au Canada, l'appelant en étant l'acheteur et Ferragamo le vendeur, ou si les marchandises ont été expédiées au Canada, l'appelant étant le mandataire de Ferragamo, pour réaliser des ventes effectuées aux détaillants indépendants au Canada au nom de Ferragamo.

En examinant les faits de l'affaire, compte tenu des lois applicables et de la jurisprudence pertinente, le Tribunal est d'avis que les transactions entre Ferragamo et l'appelant constituent des ventes véritables, dans le cadre desquelles le titre de propriété des marchandises en cause passe de Ferragamo à l'appelant. Le Tribunal n'est pas convaincu par les faits présentés dans la présente affaire que l'appelant a agi en tant que mandataire de Ferragamo au moment visé et fait observer qu'il considère les déclarations du témoin de l'appelant à la fois fiables et utiles à cet égard.

Lorsqu'ils ont examiné la question de savoir s'il existait une relation de mandataire, les tribunaux ont déterminé que l'existence d'une telle relation était une question de fait. Bien que les tribunaux aient tenu compte de divers facteurs pour statuer sur la question, y compris l'étendue du contrôle exercé par une partie sur l'autre et les risques courus par le prétendu mandataire, aucun facteur en particulier n'a été jugé déterminant par les tribunaux pour déterminer l'existence d'une relation de mandataire. Les tribunaux ont tenu compte de l'ensemble des éléments de preuve et « pondéré l'importance relative des facteurs dans la mesure où ils s'appliquent [7] ». Ils ont aussi déclaré que, B® where the evidence does not make entirely clear the intention of the parties and the nature of their contract, importance is to be attached to the conduct of the parties when they come to carry out their contract [8] » (« lorsque les éléments de preuve ne manifestent pas avec pleine évidence l'intention des parties et la nature du contrat existant entre eux, il faut donner de l'importance à la façon dont les parties exécutent leur contrat ») et que «[ the] question is to be determined, not by giving a strict legal interpretation to an expression used by a layman in forming the contract, but rather by a broad consideration of the intention of the parties as evidenced by what the parties did, as well as by what they sai d [9] » (« [la] question doit être déterminée, non pas en donnant une interprétation légale stricte d'une expression utilisée par une personne profane dans la formulation du contrat, mais plutôt par une large considération de l'intention des parties qui est attestée autant par ce que les parties ont fait que par ce qu'elles ont dit »).

Le Tribunal rend sa décision en s'appuyant, en particulier, sur les facteurs suivants, dont il a été convaincu du bien-fondé par les éléments de preuve, et plus précisément par les déclarations du témoin : 1) l'appelant a un compte bancaire distinct de celui de Ferragamo, qui lui sert à financer ses propres activités commerciales, y compris le versement du salaire de ses employés; 2) Ferragamo facture les marchandises à l'appelant et l'appelant, à son tour, les facture à ses clients, le paiement étant effectué en conséquence; 3) l'appelant tient ses propres états financiers consolidés en tant que société limitée, d'une façon distincte et séparée de ceux de Ferragamo; 4) même si l'appelant a les mêmes directeurs d'entreprise que Ferragamo, ces derniers ne participent pas aux activités quotidiennes de l'appelant; 5) à l'exception des réclamations pour cause de qualité inférieure des marchandises elles-mêmes, l'appelant est responsable du coût de toutes les autres réclamations concernant les ventes; 6) tous les profits réalisés et toutes les pertes subies par l'appelant sont assumés par ce dernier; 7) l'appelant assume les risques qui se rapportent aux marchandises et en prend possession en Italie. Le Tribunal conclut que, malgré l'existence de certains documents qui porteraient à croire que le titre de propriété des marchandises est transféré à l'appelant à Toronto (Ontario), l'appelant assume en fait les risques se rapportant aux marchandises et prend possession de ces dernières en Italie, d'après le témoignage de M. Rosato sur ce que l'appelant et Ferragamo font relativement à l'expédition et à la couverture d'assurance.

Bien que le Tribunal reconnaisse l'existence d'autres facteurs pouvant motiver une conclusion de relation de mandataire, comme l'absence de marchandises figurant à l'inventaire au Canada, le fait que les dispositions pour l'expédition ont parfois été prises par Ferragamo, l'appelant remboursant les frais à Ferragamo, et l'absence d'accords écrits entre Ferragamo et l'appelant, ainsi qu'il a déjà été indiqué, c'est après avoir pondéré les divers facteurs de la présente affaire que le Tribunal décide que, compte tenu de l'ensemble des faits, il n'existe pas de relation de mandataire. Le Tribunal fait observer qu'aucun fondement juridique n'autorise à conclure que, simplement parce que deux sociétés sont liées, une est nécessairement mandataire de l'autre. En fait, la Loi prévoit clairement que le prix de la transaction entre des sociétés liées peut servir à apprécier la valeur en douane lorsqu'il est jugé que le lien qui unit lesdites sociétés n'influe pas sur le prix.

En ce qui a trait à la pertinence du fait que l'appelant soit un importateur non résident à la décision dans le présent appel, le Tribunal fait observer que, dans l'affaire Harbour Sales, relativement à laquelle l'autorisation d'interjeter appel n'a pas été accordée par la Cour d'appel fédérale, il a déterminé, entre autres, que rien dans la loi n'exigeait, aux fins de la détermination de la valeur en douane, qu'un acheteur dans une vente pour exportation soit un résident canadien ou un acheteur au Canada [10] . Le Tribunal conclut donc que le fait que l'appelant soit un importateur non résident et aussi un acheteur hors du Canada n'a aucun rapport avec sa conclusion que la transaction entre Ferragamo et l'appelant constitue une transaction correcte aux fins de la détermination de la valeur en douane des marchandises en cause aux termes de la Loi.

Le Tribunal fait observer qu'il ne considère pas la transaction entre l'appelant et les détaillants au Canada comme étant la « vente de marchandises pour exportation » aux fins de l'appréciation de la valeur en douane. Bien que l'appelant soit un résident des États-Unis et non du Canada, il achète à Ferragamo des marchandises destinées au marché canadien à condition que Ferragamo les exporte au Canada. C'est là la transaction qui, de l'avis du Tribunal, constitue la vente « pour exportation au Canada » aux fins de la détermination de la valeur en douane aux termes de l'article 48 de la Loi. Le fait qu'au moment de la vente l'acheteur ait déjà passé une entente portant sur la vente et la livraison des marchandises à un autre acheteur résidant au Canada ne fait pas de celle-ci une vente « pour exportation au Canada ».

Pour les motifs qui précèdent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. Pièce B-4.

3. Appel no AP-93-322, le 4 novembre 1994; autorisation d’interjeter appel rejetée, le 2 février 1995 (C.F. 1re inst.).

4. À l’appui de son affirmation, l’avocat a renvoyé aux décisions suivantes : Firestone Tire and Rubber Company of Canada, Limited c. Commissioner of Income Tax, [1942] R.C.S. 476; His Majesty the King c. Leon L. Plotkins, [1938-1939] C.T.C. 138 (C. de l’É.) à la p. 146; His Majesty the King c. B.C. Brick and Tile Company, [1935] C.T.C. 110 (C. de l’É.).

5. Appels nos AP-94-359 et AP-94-360, le 26 mars 1996.

6. Appels nos AP-95-126 et AP-95-255, le 15 janvier 1997.

7. Supra note 5 à la p. 13.

8. B & M Readers' Service Limited c. Anglo Canadian Publishers Limited, [1950] O.R. 159 à la p. 164, et cité, avec autorisation, par le Tribunal dans l'affaire Jewel w ay, ibid.

9. Ibid.

10. Subséquemment à la décision du Tribunal dans l'affaire Harbour Sales, le paragraphe 48(1) de la Loi devait être modifié, par l'introduction d'une exigence de résidence au Canada, par la Loi modifiant la Loi sur les douanes, le Tarif des douanes et d'autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 41, art. 18. À la date de l'audience du présent appel, la modification n'avait pas été proclamée en vigueur.


Publication initiale : le 23 septembre 1997