816392 ONTARIO LTD., S/N FREEDOM MOTORS

Décisions


816392 ONTARIO LTD., S/N FREEDOM MOTORS
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appels nos AP-95-299 et AP-96-053

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 6 décembre 1996

Appels n os AP-95-299 et AP-96-053

EU ÉGARD À des appels entendus le 18 septembre 1996 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national le 27 décembre 1995 ainsi que les 11 janvier et 8 mai 1996 concernant des demandes de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

816392 ONTARIO LTD., S/N FREEDOM MOTORS Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

Les appels sont admis.


Lyle M. Russell ______ Lyle M. Russell Membre présidant

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





LeTribunal a examiné si des changements apportés à des fourgonnettes pourraient être considérés des modifications au sens habituel de ce terme et aussi au sens que lui donne l'article 318 de l'Accord de libre-échange nord-américain (l'ALÉNA). Le Tribunal est d'accord avec l'avocat de l'appelant que les changements entrent dans la définition habituelle du terme «modifications», c'est-à-dire que les fourgonnettes ont été changées ou modifiées, mais non au point de devenir quelque chose d'autre. Quant à la définition du terme «modifications» dans l'ALÉNA, le Tribunal a conclu qu'elle ne contribuait pas à déterminer quels changements pourraient être considérés comme des «modifications». Plus précisément, le Tribunal ne peut accepter que les différences de coût entre deux produits et les différences entre les capacités physiques de leurs utilisateurs indiquent nécessairement qu'un produit est commercialement différent de l'autre.

DÉCISION : Les appels sont admis. En tenant spécifiquement compte de la définition du terme «modifications» énoncée dans l'ALÉNA, le Tribunal conclut que la façon correcte d'interpréter la définition est d'étudier, d'abord, les «caractéristiques essentielles» du produit lorsqu'il est exporté du Canada, puis de déterminer si celles-ci ont soit été détruites (par exemple, lorsqu'on écrase une voiture usagée pour en faire un bloc de ferraille) soit améliorées à un point tel qu'il est devenu un «produit nouveau ou commercialement différent». Prise dans un tel contexte, cette dernière expression est simplement une autre façon de dire «un produit dont les propriétés essentielles sont différentes» ou, pour paraphraser la définition d'un dictionnaire, [traduction] «un produit qui a été transformé en quelque chose d'autre». Par conséquent, pour déterminer si un produit est «commercialement différent» d'un autre, il faut en évaluer les caractéristiques essentielles. Dans son examen des caractéristiques essentielles des fourgonnettes exportées aux États-Unis, et de celles importées au Canada, le Tribunal conclut qu'elles ont la même utilisation finale, à savoir le transport personnel du propriétaire (ou conducteur) et des passagers, et que leurs caractéristiques essentielles n'ont pas changé.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 18 septembre 1996 Date de la décision : Le 6 décembre 1996
Membre du Tribunal : Lyle M. Russell, membre présidant
Avocat pour le Tribunal : Shelley Rowe
Greffier : Margaret Fisher
Ont comparu : M. Lee Stratton, pour l'appelant Lubomyr Chabursky, pour l'intimé





Les présents appels, qui ont été entendus par un seul membre du Tribunal [1] , sont interjetés aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [2] (la Loi) à l'égard de décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi. La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si les fourgonnettes, destinées à des fins commerciales (c'est-à-dire location de véhicules et entreprises de taxi) et à des fins privées, exportées à une société des États-Unis, pour y être modifiées de telle sorte que les utilisateurs de fauteuil roulant puissent y entrer tout en demeurant assis, puis importées au Canada après modifications, sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8703.24.00 de l'annexe I du Tarif des douanes [3] à titre de voitures de tourisme et autres véhicules automobiles principalement conçus pour le transport de personnes, d'une cylindrée excédant 3 000 cm3, comme l'a déterminé [4] l'intimé, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 9822.00.00 à titre de produits réadmis au Canada après avoir été exportés aux États-Unis pour y être réparés ou modifiés, comme l'a soutenu l'appelant. Les dispositions pertinentes de la nomenclature tarifaire sont les suivantes :

87.03 Voitures de tourisme et autres véhicules automobiles principalement conçus pour le transport de personnes (autres que ceux du no 87.02), y compris les voitures du type «break» et les voitures de course.

8703.24.00 --D'une cylindrée excédant 3.000 cm3

9822.00.00 Produits, quel que soit leur pays d'origine ou le traitement tarifaire qui leur est applicable, autres que les produits des nostarifaires 9820.00.00 ou 9821.00.00, réadmis au Canada après avoir été exportés aux États-Unis ou au Mexique pour y être réparés ou modifiés

Trois témoins ont comparu devant le Tribunal : 1) M. Bob Brown, un quadraplégique qui travaille pour le service de santé Access et qui se sert toujours d'un fauteuil roulant et d'une fourgonnette accessible aux fauteuils roulants; 2) M. Anthony H. Colenbrander, président de Freedom Motors; 3) M. David W. Hotchkiss, gestionnaire, Unité de la politique des remises, Services des programmes de l'exonération des droits, Direction générale de l'administration des politiques commerciales du ministère du Revenu national (Revenu Canada).

Dans son témoignage, M. Brown a parlé du système parallèle de transport public pour les personnes ayant une déficience physique, des besoins généraux de ces personnes, du coût, de l'utilisation et de la fonction d'une fourgonnette modifiée pour être accessible aux fauteuils roulants et des types de modifications qui peuvent être effectuées. Plus précisément, il a souligné que la mobilité est une des clés de l'autonomie et qu'elle est nécessaire aux activités de la vie quotidienne comme se rendre à l'école et au travail, faire partie d'organismes et participer aux événements communautaires. De plus, il a indiqué qu'il est important qu'une personne en fauteuil roulant puisse se déplacer sans avoir à quitter son fauteuil roulant tant pour préserver sa dignité que pour éviter tout risque associé au fait d'être transféré de son fauteuil roulant. Enfin, M. Brown a déclaré qu'imposer des droits sur l'accessibilité est une mesure qui décourage, au lieu d'encourager, l'intégration sociale des personnes ayant une déficience physique. Il a aussi souligné que, dans certaines circonstances, les personnes ayant une déficience physique se voient accorder un traitement fiscal favorable par les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux quant à l'achat d'articles ou de produits destinés à améliorer l'accessibilité.

M. Colenbrander a renvoyé au contenu du mémoire de l'appelant et l'a fait sien. Le mémoire de l'appelant donne une description détaillée et présente des illustrations des types de modifications effectuées sur les fourgonnettes en cause, comme des changements destinés à permettre l'accès aux fauteuils roulants et aux fauteuils tricycles par l'arrière de la fourgonnette (accès par l'arrière), par le côté de la fourgonnette (accès latéral) et au siège du conducteur ou du passager avant (accès au siège).

Les changements destinés à permettre l'accès par l'arrière sont les suivants :

a) une section du plancher (30 po de large x 54 à 90 po de long) est découpée et remplacée par une autre de 30 po de large, de 54 à 90 po de long et d'environ 8 po de profond; cette nouvelle section du plancher est soudée en place;

b) une rampe articulée (30 po x 32 po) est installée à l'extrémité arrière de la section de plancher surbaissée;

c) une section du pare-chocs est découpée et réinstallée sur la rampe;

d) la roue de secours est transférée de son logement sous la fourgonnette à un autre dans la fourgonnette pour libérer l'espace nécessaire à la section de plancher surbaissée;

e) le réservoir à essence est déplacé vers l'avant pour libérer l'espace pour la section de plancher surbaissée;

f) les canalisations de freinage et d'essence ainsi que le tuyau d'échappement sont déplacés pour libérer l'espace pour la section de plancher surbaissée;

g) des amortisseurs spéciaux, qui permettent d'abaisser l'arrière de la fourgonnette et ainsi diminuer la pente de la rampe, peuvent être installés;

h) un système de télécommande automatique de la porte et de la rampe peut être installé pour permettre à la personne à mobilité réduite ou à la personne qui l'accompagne de commander à distance l'ouverture et la fermeture de la porte et le déplacement de la rampe;

i) des courroies d'arrimage du fauteuil roulant ainsi qu'une ceinture de sécurité pour le passager en fauteuil roulant sont installées;

j) diverses options, c.-à-d. des sièges-baquets près de l'emplacement du fauteuil roulant ou du fauteuil tricycle, peuvent être ajoutées.

Les changements destinés à permettre l'accès latéral sont les suivants :

a) deux poutres longitudinales, séparées d'environ 32 po, ainsi que des poutres servant à abaisser le plancher de la fourgonnette d'environ 12 po, sont découpées et soudées en place;

b) une section de 54 po de la partie intermédiaire du plancher de la fourgonnette est enlevée sur toute sa largeur et replacée dans la position surbaissée de 12 po prévue;

c) un faux plancher est construit 2 po au-dessus du plancher surbaissé de 12 po; une rampe est insérée dans l'espace de 2 po ainsi aménagé; la rampe peut ainsi être glissée vers l'extérieur de la fourgonnette et permettre aux personnes à mobilité réduite d'avoir accès au véhicule;

d) la porte coulissante est rallongée de 12 po pour couvrir la section de plancher surbaissée;

e) une porte à charnières est installée pour les sorties d'urgence du côté opposé à celui de la porte coulissante;

f) des «jupes» esthétiques sont installées à l'avant ainsi qu'à l'arrière de la porte coulissante et de la porte d'urgence à charnières pour rehausser l'apparence de la fourgonnette - elles ne servent à aucune autre fonction;

g) le réservoir à essence est déplacé jusque derrière l'essieu arrière et la roue de secours est montée sous le réservoir à essence pour libérer l'espace pour la section de plancher surbaissée;

h) les canalisations de freinage et d'essence ainsi que le tuyau d'échappement sont déplacés pour libérer de l'espace pour la section de plancher surbaissée;

i) la suspension de la fourgonnette est modifiée comme suit : la suspension avant et arrière est relevée d'environ 2 po pour obtenir un dégagement au sol suffisant;

j) des courroies d'arrimage du fauteuil roulant et des ceintures de sécurité sont installées pour les passagers.

Les changements destinés à permettre l'accès au siège sont les suivants :

a) presque toute la base d'origine du siège est enlevée et un rail est installé pour déplacer le siège vers l'arrière jusqu'à l'emplacement du fauteuil roulant ou du fauteuil tricycle dans la fourgonnette;

b) un pivot est fixé à la base du siège;

c) une barre d'appui surélevée est parfois installée.

M. Colenbrander a indiqué que l'entreprise de l'appelant consiste surtout à effectuer des modifications permettant l'accès par l'arrière, et dans une faible proportion, les modifications permettant l'accès au siège. Il a fait savoir qu'il existe trois autres sociétés canadiennes qui fabriquent des fourgonnettes accessibles aux fauteuils roulants, mais que ces dernières vendent des fourgonnettes permettant l'accès latéral aux fauteuils roulants.

Pour montrer ce qu'est une fourgonnette accessible par l'arrière à un fauteuil roulant, l'appelant a amené à l'audience une fourgonnette Ford Windstar avec accès par l'arrière. Le Tribunal l'a examiné sur le terrain de stationnement adjacent aux locaux du Tribunal. M. Colenbrander a décrit les diverses modifications requises pour permettre l'accès par l'arrière. Il a montré qu'il faut abaisser le plancher pour aménager un creux d'une largeur d'environ 30 po et d'une longueur aussi grande que possible vers l'avant, que le plancher se prolonge vers l'arrière à travers un espace découpé dans le pare-chocs et que la rampe est articulée à son extrémité. Le véhicule est doté d'une «caractéristique d'agenouillement», une modification du système de suspension qui permet d'abaisser le véhicule par une manœuvre des amortisseurs afin de faciliter la montée de la rampe d'accès. La porte arrière, le plancher et la rampe peuvent être manœuvrés manuellement ou par un dispositif automatique. L'aménagement des sièges intérieurs est en général adapté aux besoins spécifiques de l'utilisateur.

M. Colenbrander a fait la démonstration de l'utilité de ces modifications avec l'aide de M. Brown. Se servant d'une télécommande, M. Colenbrander a pu commander le système hydraulique qui ouvre la porte arrière de la fourgonnette, en abaisse l'arrière et met la rampe en place. M. Brown est entré dans la fourgonnette en empruntant la rampe et, une fois à l'intérieur, M. Brown et son fauteuil roulant ont été immobilisés à l'aide de ceintures de sécurité et de courroies d'arrimage. Après que M. Brown est sorti de la fourgonnette, la porte arrière ainsi que la rampe ont été de nouveau manœuvrées à l'aide de la télécommande. De l'extérieur de la fourgonnette, comme l'avait décrit M. Colenbrander, il était évident que le pare-chocs arrière avait été découpé au niveau de plancher surbaissé, qu'une boîte se prolongeait d'environ 6 po au-dessous du pare-chocs et que la suspension arrière était relevée d'environ 1 po. M. Colenbrander a déclaré que le coût des modifications constatées était d'environ 15 400 $.

M. Colenbrander a fait savoir que les fourgonnettes en cause sont annoncées lors de certaines expositions et dans des revues, et sont vendues soit directement soit par l'entremise d'un concessionnaire automobile. En général, lorsqu'un client possible communique directement avec l'appelant, il est dirigé vers un concessionnaire local. Le concessionnaire et le client reçoivent les renseignements pertinents et les modalités sont habituellement négociées par téléphone.

De l'avis de M. Colenbrander, sauf pour ce qui touche les modifications apportées aux fourgonnettes en cause pour en améliorer l'accessibilité, leur fonction demeure inchangée. M. Colenbrander a toutefois convenu que les fourgonnettes en cause ne sont achetées que par les personnes ayant besoin d'un véhicule qui permet l'accessibilité aux fauteuils roulants et le transport d'une personne en fauteuil roulant.

Quant à la valeur réelle sur laquelle les droits de douane ont été appliqués, M. Colenbrander a indiqué que l'appelant a payé des droits de douane sur la valeur des modifications effectuées aux États-Unis ainsi que sur la valeur des fourgonnettes qui ont été exportées aux États-Unis pour y être modifiées.

M. Hotchkiss a déclaré que la position no 98.22 est entrée en vigueur le 1erjanvier 1994 dans le cadre de la Loi de mise en œuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain [5] (Loi de mise en œuvre de l'ALÉNA). Quant à savoir si les fourgonnettes en cause seraient visées par la position no 98.22, M. Hotchkiss a renvoyé à l'article 318 de l'Accord de libre-échange nord-américain [6] (l'ALÉNA) qui prévoit qu'aux fins du Chapitre trois, «réparations ou modifications exclut toute opération ou tout procédé qui détruit les propriétés essentielles d'un produit ou qui crée un produit nouveau ou commercialement différent»; il a avancé qu'une voiture de tourisme allongée pour en faire une limousine, une fourgonnette modifiée pour en faire un véhicule à l'épreuve des balles, et une fourgonnette modifiée pour en faire une ambulance seraient des exemples de création d'un produit nouveau ou commercialement différent. En réponse à une question du Tribunal sur la façon dont Revenu Canada détermine si un produit est commercialement différent, M. Hotchkiss a fait savoir qu'il n'existe aucune liste de critères, mais qu'un changement de numéro tarifaire peut être un des critères appliqués. Il a indiqué que Revenu Canada tient compte de facteurs tels que l'utilisation finale des fourgonnettes, leur prix, l'ampleur des modifications et l'existence d'un numéro tarifaire visant les véhicules conçus pour les personnes ayant une déficience physique.

L'avocat de l'appelant a soutenu, sur la foi des dispositions de la Règle 1 des Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé [7] (les Règles générales) que la première étape consiste à déterminer le classement des fourgonnettes en cause d'après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres pertinentes. L'avocat a fait valoir qu'il n'existe aucune Note de Sections ou de Chapitres de la position no 98.22 ou de la sous-position no 9822.00. Par conséquent, la seule question sur laquelle le Tribunal doit statuer consiste à déterminer si les fourgonnettes visées ont été exportées aux États-Unis pour être «modifiées». L'avocat a soutenu que, pour interpréter le terme «modifications», le Tribunal doit tenir compte des définitions suivantes de ce terme dans divers dictionnaires :

alteration ... 2. A change or modification. [8]

alter ... 1. To cause to be different; change; modify; transform. [9]

alter ... change in characteristics, position, etc. [10]

alteration ... 1: the act or process of altering: the state of being altered 2: the result of altering: MODIFICATION [11]

alter ... 1: to make different without changing into something else [12]

modification [...] : un changement ou une altération.

modifier [...] 1. Rendre différent; changer, altérer, transformer.

modifier [...] changer les caractéristiques, la position, etc.

modification [...] 1 : action ou processus de modification; manière d'être modifiée 2 : résultat de la modification : CHANGEMENT

modifier [...] 1 : rendre une chose différente sans la transformer en quelque chose d'autre

[TRADUCTION]

De l'avis de l'avocat de l'appelant, ces définitions ne limitent ni le nombre d'étapes ou de procédés ni le coût des étapes ou des procédés effectués pour réaliser une modification. Il a soutenu que le processus de modification est le fait de changer, de modifier ou de rendre une chose différente sans la transformer en quelque chose d'autre. Il a fait mention, à titre d'exemple, de la modification d'une maison et d'un complet.

L'avocat de l'appelant a de plus soutenu que l'absence de changement de classement tarifaire des fourgonnettes entre leur exportation aux États-Unis et leur importation au Canada appuie l'affirmation que, bien que les fourgonnettes aient été changées, modifiées ou rendues différentes, elles n'ont pas été transformées en quelque chose d'autre. Ce fait vient également appuyer l'opinion que les propriétés essentielles des fourgonnettes n'ont pas été détruites et qu'aucun produit nouveau ou commercialement différent n'a été créé. L'avocat a donc soutenu que les fourgonnettes ont été modifiées dans le sens que donnent habituellement les dictionnaires au mot «modification».

L'avantage de la position no 98.22, comme l'a décrit l'avocat de l'appelant, est que seulement le coût ou la valeur de la modification ou de la réparation, et non la valeur du produit qui a fait l'objet de cette modification ou réparation, est assujetti aux droits de douane lorsque le produit est importé au Canada.

Quant à la question de savoir si les propriétés essentielles des fourgonnettes exportées aux États-Unis ont été détruites ou si les fourgonnettes en cause constituent un produit nouveau ou commercialement différent, l'avocat de l'appelant a soutenu que les changements apportés aux fourgonnettes ont été conçus pour les rendre fonctionnellement identiques pour une personne ayant une déficience physique et pour une personne physiquement apte, et que ces changements ne détruisent donc pas leurs propriétés essentielles et ne les rendent pas commercialement différentes.

L'avocat de l'intimé a fait valoir que la position no 98.22 découle de deux articles de l'ALÉNA, à savoir les articles 307 [13] et 318. S'appuyant sur le libellé de la définition du terme «modifications» de l'article 318, l'avocat a concédé que les changements effectués aux États-Unis ne détruisaient pas les propriétés essentielles des fourgonnettes en cause. Il a toutefois soutenu que les changements qui y sont apportés étaient plus que de simples modifications. Ces changements créaient en fait des produits nouveaux ou commercialement différents. De l'avis de l'avocat, «commercialement différent» signifie qu'un produit est mis en marché, à une étape donnée, à l'intention d'un groupe particulier de personnes et, qu'après certains changements, il s'adresse à un groupe différent de personnes. Il a donné les exemples suivants de véhicules commercialement différents : une voiture de tourisme modifiée pour servir de limousine, une voiture de tourisme modifiée pour servir de voiture de course, une fourgonnette modifiée pour servir d'ambulance ou une voiture de tourisme modifiée pour servir de véhicule blindé. L'avocat a soutenu que les éléments de preuve montrent très nettement que les personnes qui n'ont pas de déficience physique n'apporteront pas de tels changements à leur fourgonnette, puisque ceux-ci coûtent cher et ne sont pas nécessaires. Par conséquent, les fourgonnettes en cause sont commercialement différentes.

En réponse, l'avocat de l'appelant a soutenu que les points pertinents dont il faut tenir compte quant aux marchandises en cause sont le moment qu'elles entrent aux États-Unis puis reviennent au Canada.

Aux termes de l'article 10 du Tarif des douanes, le Tribunal doit classer les marchandises conformément aux Règles générales et aux Règles canadiennes [14] . La Règle 1 des Règles générales prévoit que le classement des marchandises est déterminé d'après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres et, lorsqu'elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et Notes, d'après les principes énoncés dans les Règles 2 à 6 ainsi que dans les Règles canadiennes qui suivent. Aux termes de l'article 11 du Tarif des douanes, le Tribunal doit aussi tenir compte des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [15] (les Notes explicatives) pour l'interprétation des positions et sous-positions de l'annexe I du Tarif des douanes. Ainsi, en déterminant le classement de fourgonnettes en cause, il faut d'abord examiner les termes des positions nos 98.22 et 87.03 et toute Note de Section ou de Chapitre pertinente ainsi que les Notes explicatives qui peuvent guider l'interprétation correcte des termes de ces positions.

Les deux avocats sont d'accord que, si les changements apportés aux fourgonnettes en cause peuvent être décrits comme des «modifications», les fourgonnettes doivent alors être classées dans le numéro tarifaire 9822.00.00. Le Tribunal a examiné si les changements pourraient être considérés comme des modifications au sens habituel du terme et aussi au sens prévu à l'article 318 de l'ALÉNA. Le Tribunal est d'accord avec l'avocat de l'appelant que les changements respectent la définition habituelle du terme «modifications», c.-à-d. que les fourgonnettes ont subi des changements ou des modifications, mais pas au point d'en faire autre chose que des fourgonnettes.

En soutenant que les changements effectués aux États-Unis ont rendu les fourgonnettes en cause commercialement différentes et, par conséquent, qu'elles n'ont pas été modifiées au sens que donne l'ALÉNA à ce terme, l'avocat de l'intimé s'est appuyé, principalement, sur le fait que les fourgonnettes en cause ne sont habituellement achetées que par les personnes ayant une déficience physique ou par quelqu'un qui doit les transporter. Les autres gens n'achèteraient pas les fourgonnettes en cause parce que les changements apportés ne sont pas nécessaires dans leur cas et coûtent cher. Il a cependant exprimé l'avis que le coût n'est pas un critère de grande importance dans la détermination des différences commerciales entre divers produits. Le Tribunal s'attendait à ce que le coût ou l'existence d'une différence de prix entre un produit et un autre soit, en théorie, un indicateur important d'une différence commerciale entre diverses marchandises. Le Tribunal est toutefois d'avis que, dans le contexte de la position no 98.22, considérer le coût des modifications comme un facteur déterminant pour interpréter l'expression «commercialement différent» restreindrait indûment cette disposition, peut-être même au point d'aller à l'encontre du but poursuivi. Il est difficile de concevoir une modification qui serait suffisamment importante pour justifier le transport transfrontalier aller-retour d'un produit et qui n'ajouterait pas considérablement à la valeur du produit. Par conséquent, le fait de qualifier de «commercialement différent» tout produit issu d'une modification considérablement coûteuse par rapport à la valeur du produit d'origine empêcherait le classement dans la position no 98.22 de pratiquement toutes les marchandises exportées aux États-Unis pour y subir des modifications.

Le Tribunal a donc dû considérer d'autres facteurs que celui du prix et il a conclu que la définition de l'ALÉNA ajoute très peu aux définitions que donnent les dictionnaires du terme «modification». La tentative faite par l'avocat de l'intimé pour rationaliser deux types de modifications, l'une qui serait acceptable aux termes de l'ALÉNA et l'autre qui ne le serait pas, était loin d'être convaincante. Son affirmation que la position no 98.22 s'applique à un certain «seuil inférieur» de changement, de telle sorte qu'un petit changement ne serait pas considéré comme une modification, contredit tout simplement la logique, et le Tribunal ne trouve rien dans la loi ni dans l'ALÉNA qui appuie une telle affirmation. Le Tribunal est aussi réticent à accepter l'affirmation selon laquelle l'installation d'un moteur plus puissant dans un véhicule ne permettrait pas à ce dernier d'accomplir toute fonction supplémentaire. Une telle modification pourrait bien le rendre capable de transporter ou de remorquer une charge plus lourde qu'auparavant ce qui, dans certaines circonstances, pourrait avoir une importance commerciale. Il convient également de noter qu'une telle modification pourrait entraîner un changement de classement tarifaire, par exemple de la sous-position no 8703.23 à la sous-position no 8703.24, le changement de classement tarifaire étant l'un des indicateurs de la possibilité d'une différence commerciale mentionnés par le témoin de l'intimé.

Le mémoire de l'intimé indique que les changements qui sont prétendument plus que de «simples modifications», sont considérés comme tels parce que de nouvelles fonctions et possibilités ont été ajoutées. À l'audience, cependant, l'avocat de l'intimé a affirmé que les caractéristiques, les besoins ou les préférences du groupe de personnes visées par la mise en marché du véhicule sont plus importantes que la fonction essentielle du véhicule lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est «commercialement différent». De ce point de vue, selon le segment du marché desservi, des voitures dont la fonction est essentiellement semblable pourraient tout de même être commercialement différentes, en autant qu'elles soient capables d'accomplir suffisamment de nouvelles fonctions pour plaire à un segment différent de la population. De l'avis du Tribunal, définir de tels groupes de personnes en se fondant sur leurs aptitudes physiques pourraient mener à des résultats tout aussi douteux que ceux qui pourraient découler du choix du prix comme facteur déterminant. Une fourgonnette munie d'une boîte de vitesses automatique pourrait, par exemple, être considérée commercialement différente d'une fourgonnette munie d'une boîte de vitesses manuelle, ou deux fourgonnettes seraient commercialement différentes selon qu'elles sont commandées à la main ou au pied. Le Tribunal ne peut accepter qu'une interprétation aussi étroite ait été voulue pour la position no 98.22.

Au plan grammatical, l'expression énoncée dans l'ALÉNA «procédé [...] qui crée un produit nouveau ou commercialement différent» est placée en apposition à «procédé qui détruit les propriétés essentielles d'un produit». Le Tribunal y voit une indication qu'une expression peut être définie par renvoi à l'autre et que l'univers des modifications acceptables inclut deux types opposés de procédés - la destruction et la construction. Compte tenu de ce qui précède et de la place centrale qu'occupe la notion de «caractéristiques essentielles» dans les Règles générales, le Tribunal estime que, pour correctement interpréter la définition de l'ALÉNA, il faut d'abord s'appuyer sur les «caractéristiques essentielles» du produit dans l'état où il est exporté du Canada puis déterminer si ses propriétés essentielles ont été soit détruites (comme lorsqu'on écrase une voiture usagée pour en faire un bloc de ferraille) soit améliorées à un point tel qu'il est devenu un «produit nouveau ou commercialement différent». Prise dans un tel contexte, cette dernière expression est simplement une autre façon de dire «un produit dont les propriétés essentielles sont différentes» ou, pour paraphraser la dernière des définitions du dictionnaire susmentionnées, [traduction] «un produit qui a été transformé en quelque chose d'autre».

Le Tribunal conclut par conséquent que, pour déterminer si un produit est «commercialement différent» d'un autre, il faut évaluer les propriétés essentielles de ces deux produits. Il faudra souvent, à cette fin, examiner leurs fonctions ou leur utilisation finale prévue. Il pourrait aussi être pertinent de déterminer si les produits servent des segments différents du marché. Pour les motifs qui précèdent, dans la présente affaire, le Tribunal doute du bien-fondé d'élargir la portée des analyses de marché pour inclure le critère de la capacité physique des utilisateurs. Quoi qu'il en soit, l'objet primaire de l'enquête doit demeurer une analyse objective des propriétés essentielles des marchandises mêmes. Aux fins des présents appels, les fourgonnettes non modifiées et les fourgonnettes modifiées ont la même utilisation finale, c'est-à-dire le transport personnel du propriétaire (ou conducteur) et des passagers. Les propriétés essentielles des fourgonnettes n'ont pas changé par suite des modifications effectuées aux États-Unis et, par conséquent, le Tribunal ne considère pas ces dernières comme des produits nouveaux ou commercialement différents. Elles sont donc admissibles aux avantages de la position no 98.22.

L'avocat de l'appelant a aussi soutenu que le Tribunal doit interpréter le numéro tarifaire 9822.00.00 en conformité du paragraphe 15(1) [16] de la Charte canadienne des droits et libertés [17] (la Charte). Il a soutenu que les utilisateurs des fourgonnettes en cause forment un groupe protégé aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte et que le libellé du numéro tarifaire 9822.00.00 et de l'article 318 de l'ALÉNA, dans ces circonstances précises, a un effet discriminatoire contre les personnes handicapées. À son avis, conclure que les fourgonnettes en cause sont des produits commercialement différents aurait pour effet d'enfreindre le droit à l'égalité des personnes handicapées. L'avocat a soutenu que, dans la mesure où le droit à l'égalité des personnes ayant une déficience physique serait violé, il y aurait discrimination et, aux termes du paragraphe 52(1) de la Charte, une telle disposition serait inopérante et ne doit pas s'appliquer.

L'avocat de l'intimé a contesté la qualité de l'appelant pour prétendre à une violation du paragraphe 15(1) de la Charte. Par ailleurs, il a fait valoir que le fardeau de la preuve incombe à l'appelant et qu'il n'existe aucun élément de preuve que la position no 98.22 ou son interprétation ont des effets discriminatoires contre des personnes ayant une déficience physique.

Le Tribunal est d'avis que, puisque les fourgonnettes en cause doivent être classées dans la position no 98.22, il n'est pas nécessaire de traiter de la question de la Charte.

Par conséquent, les appels sont admis, et les fourgonnettes en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 9822.00.00 à titre de produits réadmis au Canada après avoir été exportés aux États-Unis pour y être modifiés.


[ Table des matières]

1. L’article 3.2 du Règlement sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, ajouté par DORS/95-27, le 22 décembre 1994, Gazette du Canada Partie II, vol. 129, no 1 à la p. 96, prévoit, en partie, que le président du Tribunal peut, compte tenu de la complexité des questions en litige et du précédent susceptible d’en découler, décider qu’un seul membre constitue le quorum aux fins de connaître de tout appel interjeté devant le Tribunal aux termes de la Loi sur les douanes.

2. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

3. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

4. Dans sa décision, l’intimé a classé les fourgonnettes en cause dans le numéro tarifaire 8703.23.00. Cependant, dans son mémoire, l’intimé a soumis que les fourgonnettes en cause auraient dû être classées dans le numéro tarifaire 8703.24.00.

5. L.C. 1993, ch. 44.

6. Signé à Ottawa (Ontario) les 11 et 17 décembre 1992, à Mexico, D.F., les 14 et 17 décembre 1992 et à Washington (D.C.), les 8 et 17 décembre 1992 (en vigueur au Canada le 1er janvier 1994).

7. Supra note 3, annexe I.

8. Funk & Wagnalls Standard College Dictionary, édition canadienne, Toronto, Longmans Canada, 1963 à la p. 41.

9. Ibid.

10. The Concise Oxford Dictionary, 7e éd., Oxford, Clarendon Press, 1982 à la p. 26.

11. Webster's Ninth New Collegiate Dictionary, Springfield, Merriam-Webster, 1991 à la p. 75.

12. Ibid.

13. «1. [...] aucune des Parties ne pourra appliquer un droit de douane à l'égard d'un produit, quelle qu'en soit l'origine, réadmis sur son territoire après en avoir été exporté vers le territoire d'une autre Partie pour y être réparé ou modifié, sans égard à la question de savoir si les réparations ou modifications auraient pu être effectuées sur son territoire.»

14. Supra note 3, annexe I.

15. Conseil de coopération douanière, 1re éd., Bruxelles, 1986.

16. «La Loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur [...] les déficiences [...] physiques.»

17. Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, à l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).


Publication initiale : le 5 mars 1997