I.D. FOODS SUPERIOR CORP.

Décisions


I.D. FOODS SUPERIOR CORP.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-95-252

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 12 décembre 1996

Appel n o AP-95-252

EU ÉGARD À un appel entendu le 8 juillet 1996 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national le 4 décembre 1995 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

I.D. FOODS SUPERIOR CORP. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.


Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre présidant

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes à l'égard de décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2202.90.90 de l'annexe I du Tarif des douanes à titre d'autres eaux, additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées, et autres boissons non alcooliques, conformément à une décision antérieure du Tribunal portant sur des marchandises identiques, comme l'a déterminé l'intimé, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 2009.70.99 à titre d'autres jus de pomme, comme l'a soutenu l'appelant. À l'audience, l'avocate de l'intimé a soulevé une question préliminaire. Elle a soutenu que l'appel doit être rejeté sommairement sans examiner le bien-fondé de l'affaire, du fait que la question en litige dans le présent appel a déjà fait l'objet d'une décision du Tribunal dans un appel antérieur. Elle a fait valoir que le principe de la chose jugée s'applique et empêche le Tribunal de rendre des conclusions dans le présent appel.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal est d'avis que le principe de la chose jugée - l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige, ou simplement issue estoppel, autorise le Tribunal à refuser d'examiner le bien-fondé du présent appel. Plus précisément, le Tribunal est d'avis que la question qui fait l'objet du présent appel a été décidée dans l'appel antérieur de l'appelant, c.-à-d. le classement tarifaire du jus de pomme gazéifié. De plus, le Tribunal est d'avis que sa décision dans l'affaire que l'appelant tente de porter en appel devant la Cour fédérale du Canada est définitive. Enfin, les parties au présent appel sont les mêmes que celles qui étaient engagées dans l'appel antérieur de l'appelant. Le Tribunal n'est pas convaincu qu'il existe des motifs de revoir une question qui a déjà été tranchée dans cette affaire.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 8 juillet 1996 Date de la décision : Le 12 décembre 1996
Membre du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant
Avocat du Tribunal : Joël J. Robichaud
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Peter E. Kirby, pour l'appelant Janet Ozembloski, pour l'intimé





Le présent appel, qui a été entendu par un seul membre du Tribunal [1] , est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [2] (la Loi) à l'égard de décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national le 4 décembre 1995 aux termes de l'article 63 de la Loi.

Les marchandises en cause, décrites comme «jus de pomme pétillant», ont ét 9‚ importées au Canada lors de cinq transactions différentes du 24 mars au 23 décembre 1993. Au moment de leur importation, elles ont été classées dans le numéro tarifaire 2202.90.90 de l'annexe I du Tarif des douanes [3] à titre d'autres eaux, additionnées de sucre ou d'autres édulcorants ou aromatisées, et autres boissons non alcooliques, conformément à une décision antérieure du Tribunal portant sur des marchandises identiques [4] (l'appel antérieur). Une demande de réexamen, aux termes de l'article 63 de la Loi, visant le classement des marchandises en cause dans le numéro tarifaire 2009.70.99 à titre d'autres jus de pomme, a été rejetée par l'intimé. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2202.90.90, comme l'a déterminé l'intimé, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 2009.70.99, comme l'a soutenu l'appelant.

À l'audience, l'avocate de l'intimé a soulevé une question préliminaire. Elle a fait valoir que l'appel doit être rejeté sommairement sans examiner le bien-fondé de l'affaire, du fait que la question en litige dans le présent appel a déjà fait l'objet d'une décision du Tribunal dans l'appel antérieur. Elle a soutenu que le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique et empêche le Tribunal de rendre des conclusions dans le présent appel. L'avocate a fait valoir que l'appel antérieur portait sur des marchandises identiques, que la question en litige était la même et que les parties engagées étaient les mêmes, c.-à-d. I.D. FoodsSuperior Corp. et le sous-ministre du Revenu national. La seule différence réside en ce que le présent appel porte sur des importations différentes. Dans l'appel antérieur, le Tribunal a conclu que le degré de gazéification des marchandises importées par l'appelant dépassait le seuil de gazéification des jus de fruit pouvant être classés dans la position no 20.09. Le Tribunal avait par conséquent conclu que les marchandises étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 2202.90.90. L'appelant avait demandé l'autorisation d'interjeter appel de la décision du Tribunal, mais l'autorisation avait été refusée par la Section de première instance de la Cour fédérale. L'appelant a interjeté appel de la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale auprès de la Cour d'appel fédérale.

L'avocate de l'intimé a soutenu que, même si le Tribunal n'est pas lié par ses décisions antérieures, une certaine uniformité dans ses décisions est souhaitable. Elle a renvoyé à deux décisions antérieures du Tribunal [5] , qui portaient sur cette question, ainsi qu'à la question du principe de la chose jugée. L'avocate a fait valoir que ces deux affaires se distinguent du fait que le Tribunal ne traitait pas de la même question ou de produits identiques, comme dans le présent appel. Enfin, l'avocate a soutenu que la décision de la Commission du tarif dans l'affaire E.T.F. Tools Limited c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [6] s'appliquait directement au présent appel. Dans cette affaire, la Commission du tarif avait rejeté sommairement un appel sans en examiner le bien-fondé, pour le motif que l'appel était frivole et vexatoire. Les marchandises en cause dans cette affaire étaient les mêmes que celles visées dans une affaire antérieure de la Commission du tarif et les parties en cause étaient les mêmes. La seule différence était que le deuxième appel portait sur une importation différente. L'appelant a déposé un troisième appel sous un nom différent [7] . Ce dernier rappel a également été rejeté sommairement pour le motif qu'il s'agissait d'un appel frivole, vexatoire, un scandale et un abus de la procédure de la Commission du tarif.

L'avocat de l'appelant a soutenu que la question du principe de la chose jugée doit faire partie de la plaidoirie finale. Il a avancé que le fait que le présent appel porte sur des produits identiques à ceux en cause dans l'appel antérieur et que les parties sont les mêmes n'empêche pas le Tribunal de revoir sa décision antérieure et de réexaminer l'affaire. Il a fait valoir que la question du principe de la chose jugée ne s'applique pas aux circonstances du présent appel. L'avocat a soutenu que la règle prépondérante veut que le Tribunal, comme toute entité administrative, ne soit pas lié par ses décisions antérieures. Il a reconnu que l'uniformité est souhaitable, mais que les circonstances de cette affaire particulière sont telles que le Tribunal doit entendre l'appel. L'avocat a fait valoir que la stricte interprétation du principe de la chose jugée limite la possibilité du Tribunal de toujours interpréter le Tarif des douanes à la lumière de nouvelles technologies. L'avocat a soutenu que l'appelant présenterait des faits et des arguments non soulevés dans l'appel antérieur qui pourraient avoir une incidence sur l'interprétation à donner à la nomenclature tarifaire pertinente.

L'avocat de l'appelant a également fait état des difficultés auxquelles l'appelant dans l'affaire I.D. Foods avait été confronté dans sa tentative d'interjeter appel de la décision dans l'appel antérieur auprès de la Cour fédérale du Canada, ainsi que des raisons pour lesquelles l'appelant est d'avis qu'un appel auprès de la Cour d'appel fédérale serait admis. Selon l'avocat, l'appel antérieur n'a pas été bien soumis ou plaidé devant le Tribunal. Plus précisément, les éléments de preuve ont été présentés au Tribunal d'une manière inintelligible et les éléments de preuve et la plaidoirie ont été mélangés. De plus, l'avocat a soutenu que, dans l'appel antérieur, le Tribunal a mal interprété les dispositions pertinentes des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [8] lorsqu'il a conclu que le dioxyde de carbone peut servir à préserver le jus de fruit. Si le Tribunal avait raison, alors, selon l'avocat, il a omis d'indiquer quelle quantité de dioxyde de carbone est nécessaire pour préserver un jus de fruit sans qu'il soit exclu du classement dans la position no 20.09.

L'avocat de l'appelant a fait valoir que les tribunaux, lorsqu'ils réexaminent un appel, font preuve de beaucoup d'égards à l'endroit des tribunaux administratifs. Par conséquent, le pouvoir des tribunaux administratifs de revoir leurs décisions leur revient. L'avocat a soutenu qu'une application stricte du principe de la chose jugée enlèverait un tel pouvoir ainsi que la possibilité pour un appelant d'obtenir une interprétation différente d'une disposition législative. Comme l'avocat l'a déclaré : «We can't go to the appellate jurisdictions because they are exercising curial deference [9] » ([traduction] Nous ne pouvons nous adresser aux juridictions d'appel parce qu'elles exercent des égards judiciaires). Il a déclaré que le présent appel est la seule option possible de l'appelant.

Après avoir entendu les plaidoiries de l'avocate de l'intimé et de l'avocat de l'appelant, le Tribunal a ajourné quelques instants et a rendu la décision suivante :

PRESIDING MEMBER: As you can appreciate, we have been gone a little while because we wanted to be certain of the facts in relation to this case and to associate them with the previous decision that was rendered by this Tribunal in the same matter.

As I understand it, the previous decision that was rendered by the Tribunal was appealed by the Appellant to the Federal Court. Is that correct?

MR. KIRBY: We sought leave to appeal, Mr. Chairman, and leave to appeal was not granted. Then we appealed the decision refusing leave to appeal, and we are now before the Federal Court of Appeal.

PRESIDING MEMBER: Subsequent to that, you made a decision to apply to the [Tribunal] once again to, in effect, re-hear the case that was previously one of the participants in the hearing. Is that not correct?

MR. KIRBY: With the qualification that we are not seeking to re-hear the previous case. We are seeking to hear a case on a different importation. Effectively, the goods are the same and the parties are the same. Does that answer your question?

PRESIDING MEMBER: Yes. I have read both the briefs and the other documentation associated with those briefs, and I have listened to [counsel for the respondent] and I have listened to your arguments in relation to the matter. As I anticipate what would happen, the Appellant has now sought leave in the Federal Appeal Court to appeal to the Federal Court the decision that was previously rendered.

From that point of view, I have to conclude that it would be improper for this Tribunal to hear AP-95-252. I would like to [quote] from MacAulay's “Practice and Procedure Before Administrative Tribunals” and refer you to page 28NC-5 where Justice Muldoon makes the following statement in a case reported as 43 F.T.R. 47, Attorney General v. Canada (Human Rights Commission) in 1991:

“The underlying notion of issue estoppel is to prohibit one party to previous litigation from putting a concluded issue finally determined therein, into contention again in newly instituted proceedings taken against the same opponent before the same, or another tribunal having jurisdiction to adjudicate and determine that issue anew.”

I find that statement by Mr. Justice Muldoon to apply to this case and, on that basis, I find that I must dismiss this application on the basis of res judicata.

Thank you. [10]

MEMBRE PRÉSIDANT : Je suis certain que vous comprendrez que nous avons dû nous absenter quelque temps afin d'être certains des faits de la présente affaire et de les relier à la décision antérieure rendue par le Tribunal sur cette même question.

De la façon dont je vois les choses, la décision antérieure rendue par le Tribunal a été portée en appel par l'appelant auprès de la Cour fédérale. Est-ce exact ?

M. KIRBY : Nous avons demandé l'autorisation d'interjeter appel, Monsieur le président, et l'autorisation d'interjeter appel n'a pas été accordée. Ensuite, nous avons interjeté appel de la décision nous refusant l'autorisation d'en appeler, et nous sommes maintenant devant la Cour d'appel fédérale.

MEMBRE PRÉSIDANT : Vous avez, par la suite, pris la décision de déposer à nouveau une demande auprès du [Tribunal] pour, en fait, qu'il réentende l'affaire qui avait antérieurement été l'une de celles des parties à l'audience. Est-ce exact ?

M. KIRBY : À cette nuance près que nous ne demandons pas que l'affaire précédente soit réentendue. Nous demandons qu'une affaire soit entendue au sujet d'une importation différente. Effectivement, les marchandises sont les mêmes et les parties en cause sont les mêmes. Est-ce que cela répond à votre question?

MEMBRE PRÉSIDANT : Oui. J'ai lu les deux exposés et le reste du dossier associé à ces exposés, et j'ai écouté [l'avocate de l'intimé] et j'ai écouté vos arguments relativement à la question. Conformément à mes prévisions, l'appelant a maintenant demandé à la Cour d'appel fédérale l'autorisation d'en appeler auprès de la Cour fédérale de la décision qui a antérieurement été rendue.

De ce point de vue, je dois conclure qu'il ne conviendrait pas que le Tribunal entende [l'appel] AP-95-252. J'aimerais citer un passage de «Practice and Procedure Before Administrative Tribunals» de MacAulay et vous renvoyer à la page 28NC-5 où l'on trouve la déclaration suivante du juge Muldoon dans une affaire rapportée sous 43 F.T.R. 47, Procureur général c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) en 1991 :

«L'objectif que vise le principe de la chose jugée réside dans l'interdiction faite à une partie à un litige antérieur de plaider de nouveau une question tranchée définitivement dans ce litige, à l'occasion d'un nouveau litige engagé contre le même adversaire devant le même tribunal ou un autre qui est compétent pour instruire et trancher à nouveau cette question.»

Je suis d'avis que la déclaration du juge Muldoon s'applique à la présente affaire et, de ce fait, je conclus qu'il me faut rejeter la présente demande du fait du principe de la chose jugée.

Merci.

[Traduction]

Dans le Canadian Law Dictionary [11] , res judicata (chose jugée) est défini comme «a thing decided. If the thing actually and directly in dispute has been already adjudicated upon, it cannot be litigated again [12] » ([traduction] une question tranchée. S'il a déjà été statué sur la question présentement et directement en litige, cette question ne peut être portée en justice de nouveau). La définition suivante paraît dans Words and Phrases Legally Defined [13] :

[Res judicata] gives effect to the policy of the law that the parties to a judicial decision should not afterwards be allowed to relitigate the same question, even though the decision may be wrong. If it is wrong, it must be challenged by way of appeal or not at all. As between themselves, the parties are bound by the decision, and may neither relitigate the same cause of action nor reopen any issue which was an essential part of the decision [14] .

[Chose jugée] donne effet à la politique du droit que les parties à une décision judiciaire ne devraient pas par la suite être autorisées à reporter la même question en justice, même si la décision peut être mauvaise. Si elle est mauvaise, elle doit soit être contestée par voie d'appel soit ne pas l'être du tout. Entre elles, les parties sont liées par la décision, et ne peuvent ni reporter la même cause d'action en justice ni rouvrir toute question qui était une partie essentielle de la décision.

[Traduction]

Dans l'affaire Nordic Laboratories c. Le sous-ministre du Revenu national [15] , le juge Nadon de la Section de première instance de la Cour fédérale a cité un passage du jugement du juge Linden de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chung [16] , qui expliquait ainsi le principe de la chose jugée:

Le principe de l'autorité de la chose jugée - qui est aussi connu sous le vocable d'estoppel per rem judicatam - se présente sous deux formes différentes : l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action (cause of action estoppel) et l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige (issue estoppel). L'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action n'a pas été invoquée en l'espèce et il n'est pas nécessaire de l'examiner. Quant à l'autre forme d'irrecevabilité résultant de l'autorité de la chose jugée, les conditions requises pour qu'il y ait issue estoppel ont été définies par lord Guest dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung v. Raymer & Keeler Ltd. (No 2), [1967] 1 A.C. 853 et ont été approuvés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Angle c. M.N.R., [1975] 2 R.C.S. 248 (les juges Spence et Laskin étaient dissidents quant au dispositif). Voici les conditions en question :

Il faut que :

1. la même question ait été décidée;

2. que la décision judiciaire invoquée comme créant l'irrecevabilité soit définitive;

3. que les parties visées par la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'instance où l'irrecevabilité est soulevée, ou leurs ayants droit [17] .

Dans certaines causes, les tribunaux ont déclaré qu'il y a deux principes distincts : le principe de la chose jugée et l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige. Par exemple, dans l'affaire Le Grand chef Michael Mitchell, également appelé Kanantakeron c. Le ministre du Revenu national [18] , le juge Teitelbaum de la Section de première instance de la Cour fédérale a cité le juge Joyal dans l'arrêt Bande indienne Musqueam c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) [19] , qui, pour tenter d'expliquer la distinction entre res judicata (chose jugée) et issue estoppel (l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige), a repris les propos tenus dans l'arrêt Hoysted v. Federal Commissioner of Taxation [20] . Le juge Joyal a écrit ce qui suit :

[Traduction] Je reconnais pleinement la distinction entre le principe de l'autorité de la chose jugée applicable lorsqu'une demande est intentée pour la même cause d'action que celle qui a fait l'objet d'un jugement antérieur, et cette théorie de la fin de non-recevoir qu'on applique lorsqu'il arrive que la cause d'action est différente mais que des points ou questions de fait ont déjà été décidés (laquelle je puis appeler théorie de l'«issue estoppel!») [21] .

Le juge Teitelbaum a alors poursuivi et énuméré les mêmes trois conditions énoncées dans l'affaire Nordic Laboratories, auxquelles il doit être satisfait pour que s'applique l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ou le principe de la chose jugée - l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action.

Le Tribunal reconnaît qu'il s'agit d'un point de droit bien établi que les tribunaux administratifs ne sont pas liés par leurs décisions antérieures. Le principe de la stare decisis ne s'applique pas aux décisions des tribunaux administratifs [22] . Toutefois, les tribunaux ont maintenu que l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige peut s'appliquer aux procédures engagées devant les tribunaux administratifs afin d'empêcher que soit entendue une question qui a déjà été tranchée [23] . Par exemple, dans l'affaire O'Brien, le juge Décary de la Cour d'appel fédérale a affirmé ce qui suit :

Le principe de l'autorité de la chose jugée a pour effet d'empêcher que les mêmes parties remettent en question, dans un nouveau litige, ces questions qui ont définitivement été tranchées dans une décision antérieure. [...] Cette Cour a implicitement étendu l'applicabilité du principe de l'autorité de la chose jugée, élaboré dans le contexte des procédures judiciaires, aux procédures tenues devant les tribunaux administratifs établis par la loi [24] .

Dans l'affaire O'Brien, le juge d'appel Décary a renvoyé à plusieurs décisions de la Cour d'appel fédérale où le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige a été examiné. Plus précisément, le juge d'appel Décary a renvoyé au jugement du juge Muldoon dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) [25] . L'éminent juge avait conclu ce qui suit :

Il semble n'exister aucune bonne raison de principe de refuser d'appliquer ce principe d'irrecevabilité aux décisions d'offices dotés d'un pouvoir juridictionnel, dans la mesure où leurs déclarations tranchent en fait, du moins pour la forme, des questions litigieuses entre les parties, de la même manière que les tribunaux [26] .

L'objectif que vise le principe de la chose jugée réside dans l'interdiction faite à une partie à un litige antérieur de plaider de nouveau une question tranchée définitivement dans ce litige, à l'occasion d'un nouveau litige engagé contre le même adversaire devant le même tribunal ou un autre qui est compétent pour instruire et trancher à nouveau cette question [27] .

Les éléments de preuve montrent que le présent appel porte sur une importation différente de celle de l'appel antérieur. Par conséquent, le Tribunal est d'avis que le principe de la chose jugée - l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action ou simplement la chose jugée, quelle que soit la façon dont on caractérise la question, ne s'applique pas pour empêcher le Tribunal d'entendre le présent appel. Le Tribunal est cependant d'avis que le principe de la chose jugée - l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige (issue estoppel) donne au Tribunal le pouvoir de refuser d'examiner le bien-fondé du présent appel, puisqu'il satisfait aux trois conditions énoncées dans l'affaire Chung. Plus précisément, le Tribunal est d'avis que la question en litige dans le présent appel a été décidée dans l'appel antérieur, c'est-à-dire le classement tarifaire du jus de pomme gazéifié. De plus, le Tribunal est d'avis que sa décision dans cette affaire, que l'appelant tente de porter en appel auprès de la Cour d'appel fédérale, est définitive. Enfin, les parties en cause dans le présent appel sont les mêmes parties qui étaient engagées dans l'appel antérieur. Le Tribunal n'est pas convaincu qu'il existe des motifs de revoir une question qui a été tranchée dans cette affaire.

Par conséquent, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L’article 3.2 du Règlement du Tribunal canadien du commerce extérieur, ajouté par DORS/95-27, le 22 décembre 1994, Gazette du Canada Partie II, vol. 129, no 1 à la p. 96, prévoit, en partie, que le président du Tribunal peut, compte tenu de la complexité des questions en litige et des précédents susceptibles d’en découler, décider qu’un seul membre constitue le quorum aux fins de connaître de tout appel interjeté devant le Tribunal aux termes de la Loi sur les douanes.

2. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

3. Ibid. ch. 41 (3e suppl.).

4. I.D. Foods Superior Corp. c. Le sous-ministre du Revenu national, appel no AP-94-102, le 8 juin 1995.

5. Farmer’s Sealed Storage Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national, appels nos AP-94-116 et AP-94-186, le 25 juillet 1995, et Vilico Optical Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national, appel no AP-94-365, le 7 mai 1996.

6. Non publié, appel no 718, le 10 février 1964.

7. W.J. Elliott and Co. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise, non publié, appel no 792, le 8 novembre 1965.

8. Conseil de coopération douanière, 1re éd., Bruxelles, 1986.

9. Transcription de l’audience publique à la p. 17.

10. Ibid. aux pp. 21-23.

11. J.A. Yogis, Woodbury, N.Y. : Barron's Educational Series, 1983.

12. Ibid. à la p. 187.

13. D. Hays, 3e éd., Supplément 1995, Londres: Butterworths, 1995.

14. Ibid. à la p. 161.

15. Non publiée, Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, no du greffe T-1050-93, le 26 février 1996.

16. [1993] 2 C.F. 42.

17. Supra note 15 à la p. 8.

18. [1993] 3 C.F. 276.

19. [1993] 2 C.F. 351 (Section de première instance).

20. (1921), 29 C.L.R. 537 (H.C. Aust.).

21. Supra note 19 à la p. 362 et supra note 18 à la p. 286.

22. Voir, par exemple, Lapointe c. Domtar Inc., [1993] 2 R.C.S. 756.

23. Voir, par exemple, O'Brien c. Canada (Procureur général), non publié, Cour d'appel fédérale, no du greffe A-291-91, le 16 avril 1993.

24. Ibid. aux pp. 4 et 5.

25. Non publié, Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, no du greffe T-381-90, le 24 avril 1991.

26. Ibid. à la p. 31 et supra note 23 à la p. 6.

27. Ibid. à la p. 32 et supra note 23 à la p. 6.


Publication initiale : le 27 février 1997