CAPITAL GARMENT CO. INC.

Décisions


CAPITAL GARMENT CO. INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-96-002

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mardi 3 juin 1997

Appel n o AP-96-002

EU ÉGARD À un appel entendu le 10 septembre 1996 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 7 février 1996 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CAPITAL GARMENT CO. INC. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 7 février 1996 aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes. L'appelant, un importateur de vêtements, est propriétaire d'une entreprise de design au Canada, Capital Design Group, qui produit des design originaux de vêtements. L'appelant fait exécuter ces vêtements à l'étranger à partir de design produits par Capital Design Group, puis les importe ensuite.

Dans le cadre du processus qui aboutit à la confection des vêtements, l'appelant fournit gratuitement au fabricant étranger des patrons gradués produits au Canada pour chaque taille de vêtement. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les patrons gradués sont des aides aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(iii) de la Loi sur les douanes comme l'a déterminé l'intimé et, dans l'affirmative, s'il faut ajouter leur valeur à la valeur transactionnelle des marchandises importées dans la détermination de la valeur en douane des vêtements.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal est d'avis que les patrons gradués constituent un travail « d'esthétique industrielle » nécessaire à la production des marchandises importées et, par conséquent, qu'ils sont visés par la division 48(5)a)(iii)(D) de la Loi sur les douanes. Cependant, puisque le travail relatif aux patrons gradués est effectué au Canada, ceux-ci ne sont pas passibles de droits aux termes de l'alinéa 48(5)a).

Le Tribunal fonde sa décision à cet égard sur le fait que, à son avis, la gradation n'est qu'une des étapes du processus de design, même si elle n'intervient que vers la fin de ce processus. La définition du mot « design » (« design ») donnée dans le Webster's Unabridged Dictionary of the English Language est la suivante : « an outline, sketch, or plan, as of the form and structure of a work of art, an edifice, or a machine to be executed or constructed » (« un tracé, un croquis ou un plan, par exemple de la forme ou de la structure d'une œuvre d'art, d'un bâtiment ou d'une machine à exécuter ou à construire »). Par ailleurs, le mot « plan » (« plan ») est défini comme suit : « a formulated and esp. detailed method by which a thing is to be done; a design or scheme » (« une méthode élaborée et particulièrement détaillée selon laquelle une chose doit être faite; un design ou un projet »). De l'avis du Tribunal, ces définitions engloberaient l'aspect gradation de la confection des vêtements. Le Tribunal tient compte des dépositions des témoins, selon lesquelles, avant d'être informatisée, la gradation a souvent été effectuée à l'interne par le groupe de design d'une entreprise. À son avis, le simple fait que la gradation soit maintenant effectuée à l'externe et que, dans la présente affaire, elle soit informatisée, n'a pas pour effet de la soustraire à la portée de ce qui est considéré comme étant un travail « d'esthétique industrielle ». Un témoin a en outre reconnu que les personnes chargées de la gradation ne modifieraient jamais unilatéralement une règle de gradation sans l'approbation de l'appelant.


Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 10 septembre 1996 Date de la décision : Le 3 juin 1997
Membre du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant
Avocat pour le Tribunal : Heather A. Grant
Greffier : Margaret Fisher
Ont comparu : Peter E. Kirby, pour l'appelant Deborah Johnston et Stéphane Lilkoff, pour l'intimé





Le présent appel, entendu par un seul membre du Tribunal [1] , est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [2] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 7 février 1996 aux termes de l'article 63 de la Loi.

L'appelant, un importateur de vêtements, est propriétaire d'une entreprise de design [[Note du réviseur] : Le mot « design » et « designer » sont couramment utilisés en français dans les domaines de la mode. Cependant, le texte français de la Loi a préféré utiliser l’expression « esthétique industrielle ». Elle sera donc employée lorsqu’il est fait référence à la Loi.] au Canada, Capital Design Group (Capital Design), qui produit des design originaux de vêtements. L'appelant fait exécuter ces vêtements à l'étranger à partir de design produits par Capital Design, puis les importe ensuite.

Dans le cadre du processus qui aboutit à la confection des vêtements, l'appelant fournit gratuitement au fabricant étranger des patrons gradués produits au Canada pour chaque taille de vêtement. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les patrons gradués sont des aides aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(iii) de la Loi comme l'a déterminé l'intimé, et, dans l'affirmative, s'il faut ajouter leur valeur à la valeur transactionnelle des marchandises importées dans la détermination de la valeur en douane des vêtements.

Les dispositions pertinentes de l'article 48 de la Loi sont les suivantes :

(5) Dans le cas d'une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :

a) par addition, dans la mesure où ils n'y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :

(iii) la valeur, déterminée de façon réglementaire et imputée d'une manière raisonnable et conforme aux principes de comptabilité généralement acceptés aux marchandises importées, des marchandises et services ci-après, fournis directement ou indirectement par l'acheteur des marchandises, sans frais ou à coût réduit, et utilisés lors de la production et de la vente pour exportation des marchandises importées :

(B) outils, matrices, moules et autres marchandises utilisées pour la production des marchandises importées,

(D) travaux d'ingénierie, d'étude, d'art, d'esthétique industrielle, plans et croquis exécutés à l'extérieur du Canada et nécessaires pour la production des marchandises importées.

Le premier témoin appelé à faire une déposition à l'audience au nom de l'appelant était M. Luc Dupont, du ministère du Revenu national. Le témoignage de M. Dupont a porté sur la nature du Comité technique de l'évaluation en douane, ainsi que sur les études de cas et les opinions publiées ou rendues par cet organisme.

Le deuxième témoin à comparaître au nom de l'appelant était M. Armand Cymbalista, président de Capital Garment Co. Inc. Ce dernier a commencé son témoignage en décrivant ses antécédents et ceux de l'appelant dans l'industrie de la confection de vêtements. Il a ensuite parlé des diverses étapes que comporte la confection d'un vêtement et a insisté sur ces étapes dans le contexte des activités de l'appelant. Son témoignage à cet égard peut être résumé de la façon suivante. D'abord, quelqu'un a une idée pour un nouveau vêtement. Cette idée est communiquée à Capital Design, qui crée un patron sur du papier bouffant et ensuite sur du papier dur, à partir duquel un échantillon original du vêtement est créé. Une fois cet échantillon approuvé, le patron est envoyé à Grad-Tech Industries Ltd. (Grad-Tech), le sous-traitant chargé de la gradation des patrons. À partir du patron original, Grad-Tech réalise un « patron de base » constitué d'une bande de papier bouffant sur laquelle sont dessinées toutes les pièces du patron d'un vêtement en particulier, dans une taille donnée, une taille après l'autre. Les divers patrons de base pour les différentes tailles d'un vêtement sont les patrons gradués en question.

Une fois que le fabricant a reçu le patron de base, il taille les pièces et les trace sur du papier dur. Il produit ensuite un contre-échantillon du vêtement d'une taille quelconque qu'il envoie à l'appelant pour approbation. Une fois cet échantillon approuvé, le fabricant crée un « papier de marquage ». Il s'agit d'une bande de papier bouffant sur laquelle chaque pièce de patron, comprenant les différentes tailles d'un vêtement donné, est déposée et dessinée de façon à réduire au maximum la quantité de tissu utilisée dans la confection du vêtement.

De l'avis de M. Cymbalista, les patrons de base représentent les spécifications de l'appelant au fabricant concernant ce que le premier demande au dernier de produire. Grad-Tech prépare également un mini-papier de marquage pour chaque vêtement, qui est ensuite envoyé au fabricant étranger en vue d'établir des données de base relativement à la consommation de tissu. En général, le fabricant prépare ses propres papier de marquage, incluant les pièces de patron, pour un nombre encore plus grand de tailles que celles que comprend le papier de marquage de Grad-Tech, afin d'utiliser encore moins de tissu dans la production des vêtements.

M. Cymbalista a déclaré que les patrons en papier bouffant ne sont pas utilisés pour la coupe du tissu. Ce genre de papier se déplace et peut provoquer des erreurs dans le traçage du patron sur le tissu. M. Cymbalista a indiqué qu'il faut distinguer entre « design » et « production » et que les patrons gradués font partie de la portion « design » de l'activité de confection des vêtements. À l'étape « design », un seul vêtement est fait, tandis qu'à l'étape « production », mille vêtements sont faits. Il a indiqué que c'est uniquement lorsque le patron est reporté sur du papier dur et que le papier de marquage est réalisé pour le processus de production que ce processus peut commencer.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Cymbalista a précisé que la gradation peut être faite à la main sans l'aide d'un ordinateur. Même si les fabricants étrangers de l'appelant sont capables de faire la gradation, M. Cymbalista préfère la faire exécuter au Canada afin de contrôler les résultats. L'appelant choisit de faire exécuter la gradation à l'externe par Grad-Tech parce que Capital Design n'utilise pas d'ordinateur pour sa gradation, ce qui exige plus de temps.

M. Cymbalista a en outre indiqué que, même si le fabricant étranger pouvait confectionner le vêtement à partir des instructions ou d'une ébauche, la gradation est requise pour assurer le contrôle de l'ajustage. Grad-Tech gradue selon les spécifications qui lui sont fournies par l'appelant. M. Cymbalista a reconnu que, essentiellement, la différence entre les patrons gradués et les patrons sur papier dur tient au type de papier utilisé dans chaque cas.

Le seul témoin à comparaître au nom de l'intimé, en vertu d'une citation à comparaître, a été M. David Abramovitch, un des propriétaires de Grad-Tech. M. Abramovitch a expliqué les différentes étapes que Grad-Tech franchit pour graduer un vêtement échantillon à l'aide d'un patron sur papier dur de l'échantillon. Il a indiqué que certaines règles de gradation s'appliquent à chaque pièce d'un patron selon les spécifications du client. Une fois que les pièces ont été graduées, les spécifications sont entrées sur un ordinateur de manière à être numérisées en vue de la production de la gamme complète des tailles de tel ou tel vêtement. Cette étape comporte l'introduction de certains points de chaque pièce de patron et ainsi les instructions requises pour produire une copie papier de chaque taille sont chargées dans l'ordinateur. Il a indiqué que l'intervention humaine est essentielle dans ce processus. Même si normalement chaque client a des règles ou spécifications de gradation standard pour ses design, le client peut modifier ces règles en fonction du tissu utilisé. Il a souligné que les préposés à la gradation à Grad-Tech ne peuvent modifier unilatéralement aucune des règles de gradation, même s'ils estiment qu'une règle devrait être ajustée. Dans tous les cas, il faudrait obtenir l'approbation du client, étant donné que la gradation fait partie du design d'un vêtement particulier et que chaque client a ses propres règles.

M. Abramovitch a déclaré que la gradation est indispensable à l'industrie de confection des vêtements. Grad-Tech utilise un logiciel spécial et du matériel informatique pour l'effectuer. Des règles de gradation sont conservées pour chaque client jusqu'au moment où celui-ci ne recourt plus aux services de Grad-Tech. En outre, les employés de Grad-Tech ont de l'expérience dans l'industrie du vêtement et dans le domaine du design. M. Abramovitch a indiqué que, même si Grad-Tech effectue la gradation, les travaux de placement et les activités de taille et de fusion, il ne fait pas de patrons et ne crée pas de styles.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Abramovitch a déclaré que les services que Grad-Tech fournit à l'appelant sont considérés comme une activité traditionnelle de design dans l'industrie du vêtement, activité aujourd'hui informatisée. Il a en outre reconnu que la gradation pourrait être classée dans la catégorie de conception assistée par ordinateur, comme proposé dans un article sur la question paru dans la revue Canadian Apparel Manufacturer Magazine [3] .

Lors de sa plaidoirie, l'avocat de l'appelant a soutenu qu'en examinant la question en litige dans le présent appel, le Tribunal doit tenir compte, par principe, du fait qu'en spécifiant que la valeur d'une activité de design exécutée au Canada ne doit pas être ajoutée à la valeur en douane des marchandises importées, le législateur visait à favoriser l'exécution du travail de design au Canada.

En ce qui concerne les dispositions particulières de la Loi en question, l'avocat de l'appelant a soutenu que les patrons gradués ne sont pas des aides puisqu'ils ne sont pas « utilisés lors de la production et de la vente pour exportation des marchandises importées », insistant sur les mots « utilisés lors de la production ». Plus précisément, l'avocat a fait valoir que les patrons gradués ne sont que des spécifications de l'acheteur à l'intention du fabricant indiquant ce que les clients désirent acheter. À l'appui de la position de l'appelant, l'avocat a renvoyé à une décision rendue par le US Customs Service (Service des douanes des États-Unis) selon laquelle certains patrons, croquis et vêtements prototypes ne sont pas des aides parce qu'ils indiquent au fabricant ce qu'il doit produire et non pas la façon de le produire [4] .

Si, cependant, le Tribunal considère qu'il existe un rapport entre les patrons gradués et la production des marchandises importées, alors l'avocat de l'appelant a soutenu que les patrons gradués sont clairement visés par la division 48(5)a)(iii)(D) de la Loi, à titre de « travaux d'ingénierie, d'étude, d'art, d'esthétique industrielle, plans et croquis », qui ne sont pas passibles de droits lorsqu'ils sont exécutés au Canada. L'avocat a affirmé que les patrons gradués ne sont pas compris dans la division 48(5)a)(iii)(B) qui vise les « outils, matrices, moules », étant donné que les patrons gradués ne sont pas utilisés dans la production réelle des vêtements. L'avocat a soutenu que le design et la production sont deux aspects distincts et que la production ne commence qu'après que le fabricant a obtenu le placement et commence à tailler le tissu.

L'avocat de l'appelant a ensuite examiné les diverses définitions des termes « tool » (« outil »), « die » (« matrice ») et « mould » (« moule »), soutenant que les patrons gradués ne satisfont à aucune de ces définitions [5] . Par contraste, l'avocat a soutenu que les patrons gradués répondent à la définition de « design [6] » (« design »). Plus précisément, produire un design signifie faire un croquis préliminaire de quelque chose ou tracer le plan d'un immeuble futur, etc. En ce qui concerne la position de l'intimé selon laquelle les patrons gradués sont visés par la division 48(5)a)(iii)(B) de la Loi, l'avocat a soutenu que les patrons gradués ne sont pas « utilisés lors de la production » et que leur valeur ne fait partie de celle des marchandises importées que dans la mesure où ils sont consommés ou usés dans le processus de production des marchandises [7] . L'avocat a également renvoyé au Mémorandum D13-4-8 [8] qu'il a invoqué à l'appui de la position de l'appelant.

En ce qui concerne le renvoi de l'intimé à l'Étude de cas 8.1 [9] , l'avocat de l'appelant a soutenu que cette étude ne s'applique pas à la présente situation sur le plan des faits, puisqu'elle suppose que les patrons mentionnés dans l'étude ont été utilisés dans la production des marchandises. En outre, selon l'avocat, il ne faudrait pas donner beaucoup de poids à ces études compte tenu de leur origine. Quoi qu'il en soit, il n'existe dans la loi aucune ambiguïté justifiant un renvoi à des ententes internationales ou à d'autres aides extrinsèques.

Les avocats de l'intimé ont soutenu que les patrons gradués sont des éléments qui ont une fonction semblable à celle d'un moule ou d'une matrice, qu'ils sont utilisés dans la production de marchandises importées et, par conséquent, qu'il faut en tenir compte dans la valeur transactionnelle des marchandises importées. À l'appui de la position de l'intimé, ils ont élaboré sur quatre points précis : 1) les patrons gradués sont fournis gratuitement par l'appelant au fabricant étranger pour aider au processus de production; 2) les patrons gradués ne tombent pas sous le coup de la division 48(5)a)(iii)(D) de la Loi parce qu'ils ne sont pas inclus dans les articles énumérés dans cette division; 3) les patrons gradués sont des marchandises qui jouent une fonction semblable à celle d'un moule, d'une matrice ou d'un outil parce qu'ils sont utilisés concrètement comme un moule, en ce sens qu'ils donnent la forme ou la taille définitive des vêtements importés; 4) les patrons gradués ne peuvent être considérés séparément des patrons sur papier dur ¾ ils sont tous les deux utilisés pour la production des vêtements importés.

Dans leur élaboration du deuxième point, les avocats de l'intimé ont soutenu que, pour que les éléments soient visés par la division 48(5)a)(iii)(D) de la Loi, il faut qu'ils y soient explicitement nommés. Rejetant l'idée selon laquelle les patrons gradués constituent l'un des éléments énumérés, les avocats ont d'abord soutenu que les patrons gradués ne peuvent pas être vus comme des « travaux [...] d'esthétique industrielle », puisqu'ils ne font que refléter la taille des marchandises, alors que les aides ou tâches supplémentaires dont il est question dans la division 48(5)a)(iii)(D) sont des réalités intangibles ou les fruits d'une activité intellectuelle ou créatrice, ce que les patrons gradués ne sont pas de toute évidence.

Les avocats de l'intimé ont ensuite fait valoir que les patrons gradués ne peuvent être des « croquis » ou des « plans », également mentionnés dans la division 48(5)a)(iii)(D) de la Loi. Ils ont soutenu que les « croquis » sont utilisés pour faire le patron initial qui est par la suite ajusté à différentes tailles par le processus de gradation. En outre, les patrons gradués ne constituent pas des « designs [10] » « travaux […] d'esthétique industrielle » étant donné que la définition de cette expression désigne des dessins et des croquis qui donnent de l'information, et non des éléments comme des patrons gradués. De l'avis des avocats, le travail exécuté par Capital Design constitue un travail « d'esthétique industrielle », contrairement à celui effectué par Grad-Tech. À leur avis, cette gradation est un processus distinct du travail de design lui-même.

En décrivant le travail exécuté par Grad-Tech, les avocats de l'intimé ont souligné que la participation humaine à la gradation se limite essentiellement à l'inscription de numéros sur le carton, à leur introduction sur ordinateur, à la manipulation du patron sur l'écran d'ordinateur et à l'impression du patron. De l'avis des avocats, ce processus ne comporte aucun élément créateur.

Les avocats de l'intimé ont établi une distinction concernant la décision du US Customs Service à laquelle l'appelant avait fait allusion parce que, dans cette affaire, les faits démontrent que la question portait sur la caractérisation du travail de production du patron avant la gradation et non pas sur le processus de gradation lui-même.

Les avocats de l'intimé ont en outre fait valoir que la liste des aides mentionnées à la division 48(5)a)(iii)(D) de la Loi, contrairement à celles décrites dans les autres divisions, est exhaustive en raison du libellé utilisé. Alors que les divisions (A), (B) et (C) utilisent un langage ouvert, la division (D) ne le fait pas. Par conséquent, ce sont uniquement les travaux explicitement définis à la division (D) qui sont visés par celle-ci. Par contraste, la division (B) n'est pas exhaustive. Par conséquent, elle englobe des articles qui ne sont pas explicitement mentionnés, à la condition qu'ils soient semblables à ceux qui le sont. À cet égard, les avocats ont soutenu que les patrons gradués sont en réalité des gabarits qui sont semblables à des « moulds » (« moules »), des « dies » (« matrices ») et des « tools » (« outils »), en ce sens qu'ils servent à « donner une forme » aux marchandises finies [11] .

Pour ce qui est de la pertinence de l'Étude de cas 8.1, les avocats de l'intimé ont soutenu qu'elle est utile pour l'interprétation de cette affaire puisqu'elle porte sur de nombreux patrons de papier comme les patrons gradués. Ils ont déclaré que le libellé des dispositions, par exemple le sens de l'expression « autres marchandises » de la division 48(5)a)(iii)(B) de la Loi, est ambigu et que, par conséquent, il est possible d'invoquer de tels aides à l'interprétation. Ils ont en outre avancé, en réponse à l'argument de l'avocat de l'appelant selon lequel les éléments énumérés à la division (B) doivent être usés, qu'effectivement les patrons gradués finissent pas s'user en raison de leur fragilité. Quoi qu'il en soit, cela n'est pas exigé explicitement dans la loi.

Les avocats de l'intimé ont soutenu, contrairement à la position prise par l'appelant, que les patrons gradués ne sont pas des bons de commande ou des spécifications. Ils ne font qu'indiquer au fabricant ce que le client veut que le fabricant fasse. Les avocats ont déclaré que les patrons gradués sont utilisés dans le processus de production, en particulier pour réaliser les patrons sur carton. Ils constituent, à leur avis, une partie essentielle du processus de production sans lequel il est impossible d'obtenir des tailles de vêtement exactes. Si les patrons gradués n'étaient pas faits au Canada, ils devraient l'être à l'étranger et, en tant que tels, les patrons gradués seraient donc un avantage pour le fabricant étranger.

À l'appui de l'opinion de l'intimé selon laquelle les patrons gradués font partie de la « production », les avocats de l'intimé ont renvoyé à la définition du verbe « produire » dans la décision rendue dans l'affaire The Consumers' Gas Company c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [12] . Ils ont soutenu que la « production » est un processus qui fait apparaître « quelque chose » et que tout ce qui est essentiel à l'atteinte de ce résultat fait partie du processus de production.

Dans leurs observations générales sur la nature des aides passibles de droits, les avocats de l'intimé ont soutenu que ces aides sont assujettis à des droits parce que, si ces éléments n'étaient pas fournis par l'importateur gratuitement ou à un coût réduit, il faudrait que le fabricant fasse lui-même ce travail qui est essentiel au processus de production. Ainsi, ces éléments devraient être inclus dans la valeur transactionnelle des marchandises parce qu'ils constituent fondamentalement un paiement partiel par l'importateur au fabricant étranger. Du point de vue de la politique, les avocats ont soutenu que ces éléments sont passibles de droits afin de protéger les fabricants canadiens, parce qu'autrement il serait moins coûteux de fabriquer des vêtements à l'étranger, ce qui aurait une incidence négative sur les activités de fabrication au Canada.

En réplique à ces arguments, l'avocat de l'appelant a souligné que la gradation effectuée par Grad-Tech a, en général, par le passé, été effectuée par Capital Design et qu'elle ne cesse pas d'être un travail de design du simple fait qu'une société distincte l'exécute. Répondant aux arguments avancés par les avocats de l'intimé selon lesquels les aides ou tâches supplémentaires visées à la division 48(5)a)(ii)(D) de la Loi sont des réalités intangibles, contrairement aux patrons gradués, l'avocat a soutenu que les patrons gradués, comme les éléments énumérés à la division (D), sont l'expression concrète d'un travail intangible.

Aux termes de l'alinéa 48(5)a) de la Loi, pour déterminer la valeur transactionnelle des marchandises importées aux fins d'établir leur valeur en douane, il faut ajuster le prix payé ou payable dans le cas de leur vente pour exportation au Canada de manière à ce que ce prix tienne compte de la valeur de certaines marchandises et de certains services fournis par l'acheteur gratuitement ou à un coût réduit, marchandises et services qui sont donc utilisés lors de la production et dans la vente pour exportation des marchandises. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les patrons gradués fournis gratuitement par l'appelant aux fabricants étrangers constituent bien de tels marchandises et services et, dans l'affirmative, s'il sont passibles de droits. Les deux divisions dont les patrons gradués pourraient relever sont la division (B), qui mentionne les « outils, matrices, moules et autres marchandises utilisés lors de la production des marchandises importées », et la division (D), qui englobe les « travaux d'ingénierie, d'étude, d'art, d'esthétique industrielle, plans et croquis exécutés à l'extérieur du Canada et nécessaires pour la production des marchandises importées ».

Le Tribunal est d'avis que les patrons gradués sont visés par les dispositions du sous-alinéa 48(5)a)(iii) de la Loi puisqu'ils sont fournis directement et gratuitement par l'appelant au fabricant et, ce qui est plus important, qu'ils sont « utilisés lors de la production et de la vente pour exportation des marchandises importées ». Selon le Tribunal, cette phrase englobe de façon générale les différents types de rapports précisés entre les marchandises et les services en question et les marchandises importées. La question revient donc à savoir laquelle de ces divisions englobe les patrons gradués.

Le Tribunal est d'avis que les patrons gradués constituent des « travaux […] d'esthétique industrielle » nécessaires à la production des marchandises importées et qu'ils sont, par conséquent, compris dans la division 48(5)a)(iii)(D) de la Loi. Cependant, puisque le travail relatif aux patrons gradués est effectué au Canada, ils ne sont pas passibles de droits aux termes de l'alinéa 48(5)a).

Le Tribunal fonde sa décision à cet égard sur le fait que, à son avis, la gradation n'est qu'une étape du processus de design, même si cette étape n'intervient que vers la fin de ce processus. La définition du mot « design » (« design »), donnée dans le Webster's Unabridged Dictionary of the English Language [13] , est la suivante : «an outline, sketch, or plan, as of the form and structure of a work of art, an edifice, or a machine to be executed or constructed [14] » (« un tracé, un croquis ou un plan, par exemple de la forme ou de la structure d'une œuvre d'art, d'un bâtiment ou d'une machine à exécuter ou à construire »). Par ailleurs, le mot « Plan » (« plan ») est défini comme suit : « a formulated and esp. detailed method by which a thing is to be done; a design or scheme [15] » (« une méthode élaborée et particulièrement détaillée selon laquelle une chose doit être faite, un dessin ou un projet »). De l'avis du Tribunal, ces définitions engloberaient l'aspect gradation de la confection des vêtements. Le Tribunal tient compte des dépositions des témoins selon lesquelles, avant d'être informatisée, la gradation a souvent été effectuée à l'interne par le groupe de design d'une entreprise. À son avis, le simple fait que la gradation soit maintenant effectuée à l'externe et que, dans la présente affaire, elle soit informatisée, n'a pas pour effet de la soustraire à la portée de ce qui est considéré comme étant un travail de design. M. Cymbalista a en outre reconnu que les personnes chargées de la gradation ne modifieraient jamais unilatéralement une règle de gradation sans l'approbation de l'appelant.

Le Tribunal fait en outre remarquer que M. Cymbalista et M. Abramovitch ont tous deux déclaré qu'à leur avis la gradation faisait partie de la portion « design » de l'activité de confection des vêtements et non pas de la portion « production ». De plus, l'article traitant de l'informatisation dans la salle de design, publié dans la revue Canadian Apparel Manufacturer Magazine, laisse également entendre que la gradation est comprise dans le travail de design.

Même si les avocats de l'intimé ont soutenu que les patrons gradués sont explicitement visés par la division 48(5)a)(iii)(B) de la Loi, le Tribunal fait observer que l'intimé n'a donné aucune raison permettant de tirer cette conclusion. Les aides mentionnées dans la division 48(5)a)(iii)(B) sont des « outils, matrices, moules et autres marchandises », qui, en particulier, sont « utilisés pour la production des marchandises importées ». Le Tribunal n'a pas été persuadé que les patrons gradués étaient compris dans cette division, étant donné qu'ils ne sont pas « semblables » aux trois éléments énumérés, en ce sens qu'ils ne sont pas utilisés directement dans la production des vêtements importés. Les éléments énumérés, en effet, donnent une forme concrète à des matières brutes dans le but de produire d'autres marchandises, nommément les articles importés, tandis que le lien des patrons gradués avec les matières premières utilisées pour produire les vêtements importés se situe à une étape antérieure de leur production réelle.

Compte tenu des explications précédentes, le Tribunal conclut que les patrons gradués ne correspondent pas à la notion d'aides passibles de droits aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(iii) de la Loi.

Le Tribunal ne partage pas l'avis de l'avocat de l'appelant selon lequel les patrons gradués ne constituent pas en général des aides, au sens du sous-alinéa 48(5)a)(iii) de la Loi, parce qu'ils ne sont pas « utilisés lors de la production ». Ce sous-alinéa prévoit seulement que les aides doivent être utilisées lors de la production et non pas nécessairement dans la production, comme l'affirme l'avocat de l'appelant. De l'avis du Tribunal, l'affirmation selon laquelle les marchandises doivent être utilisées lors de la production a une portée plus générale que celle exigeant qu'elles soient utilisées dans la production.


[ Table des matières]

1. L’article 3.2 du Règlement sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, ajouté par DORS/95-27, le 22 décembre 1994, Gazette du Canada Partie II, vol. 129, no 1 à la p. 96, prévoit, en partie, que le président du Tribunal peut, compte tenu de la complexité des questions en litige et du précédent susceptible d’en découler, décider qu’un seul membre constitue le quorum aux fins de connaître de tout appel interjeté devant le Tribunal aux termes de la Loi.

2. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

3. Ste-Anne-de-Bellevue (Québec) : CTJ-Inc., 1994—, juillet/août 1996, vol. 20, no 4 à la p. 20.

4. Department of Treasury, US Customs Service, CLA-2 CO:R:CV:VS, 543064 MK.

5. « Tool: mechanical implement, usu. held in hand, for working upon something » (« Outil : élément mécanique, habit. tenu en main, pour travailler sur quelque chose »); « die: engraved stamp for coining, striking medal, embossing paper, etc.; hollow mould for shaping extruded metal, cutting screw-thread, etc. » ( « matrice : étampe gravée pour l'estampage, la frappe du métal, le gaufrage du papier, etc.; moule servant à donner une forme au métal extrudé, à filer des vis, etc. »); « mould: pattern or template used by mason, bricklayer, etc. » ( « moule : patron ou technique utilisé par un maçon, un poseur de briques, etc. »), The Concise Oxford Dictionary of Current English, 7e éd., Oxford, Clarendon Press, 1982 aux pp. 1128, 266 et 660 respectivement.

6. « Design : make preliminary sketch of ...; draw plan of (future building etc.) » (« Design : faire une ébauche préliminaire de [...]; dessiner le plan d'un œuvre [bâtiment futur, etc.] ») ; « designer : draughtsman who makes plans for manufacturers » (« designer : dessinateur qui fait des plans pour les fabricants »), ibid. à la p. 259.

7. S.L. Sherman et H. Glashoff, Customs Valuation: Commentary on the GATT Customs Valuation Code, Paris, ICC Publishing, 1988.

8. Aides (Loi sur les douanes, article 48), ministère du Revenu national, Douanes et Accise, le 1er juin 1986.

9. Annexe IV au Doc. 39.000 E, Comité technique de l'évaluation en douane de l'Organisation mondiale des douanes.

10. « Design: a preliminary plan, sketch, or concept, for the making or production of a building, machine, garment ... an example or a completed version of a sketch » ( « Design : un plan préliminaire, un croquis ou un concept en vue de la production d'un bâtiment, d'une machine, d'un vêtement [...] un exemple ou une version terminée d'un croquis ») ; et « sketch: a rough, slight, merely outlined, or unfinished drawing or painting, often made to assist in making a more finished picture ... conveying a general idea of something » ( « croquis : un tracé grossier, léger ou un dessin ou une peinture non fini, souvent exécuté pour aider à créer une image plus précise [...] qui donne une idée générale de quelque chose »), The Concise Oxford Dictionary of Current English, 9e éd., Oxford, Clarendon Press, 1995 aux pp. 366 et 1300 respectivement . « Design: an outline, sketch, or plan, as of the form and structure of a work of art, an edifice, or a machine to be executed or constructed » (« Design : un aperçu, un croquis ou un plan, par exemple la forme et la structure d'une œuvre d'art, d'un immeuble ou d'une machine à exécuter ou à construire ») ; et « sketch: a simply or hastily executed drawing or painting, esp. a preliminary one, giving the essential features without the details ... a rough design, plan, or draft, as of a book » ( « croquis : une peinture ou un dessin exécuté simplement ou rapidement, part. à titre préliminaire, donnant les lignes essentielles sans le détail [...] un dessin, plan ou projet brut, par exemple d'un livre ») , Random House Unabridged Dictionary, 2e éd., New York, Random House, 1993 aux pp. 539 et 1791 respectivement. « Plan: a formulated and esp. detailed method by which a thing is to be done; a design or scheme » (« Plan : une méthode élaborée et part. détaillée selon laquelle une chose doit être faite, un dessin ou un schéma »), The Concise Oxford Dictionary of Current English, Oxford, Clarendon Press, 1990 à la p. 910.

11. « Die: any of various devices for cutting or forming material in a press or a stamping or forging machine » ( « Matrice : tout ce qui sert à couper ou à former du matériel dans une presse ou une machine à estamper ou à forger ») ; « mold: a hollow form or matrix for giving a particular shape to something in a molten or plastic state » ( « moule : une forme ou matrice creuse pour donner une forme particulière à quelque chose à l'état mou ou plastique ») ; « tool: the design or ornament impressed upon the cover of a book » (« outil : le dessin ou l'ornement imprimé sur la couverture d'un livre »), Random House Unabridged Dictionary, 2e éd., New York, Random House, 1993 aux pp. 551, 1238 et 1995 respectivement. « Mould: hollow form into which molten metal etc. is poured or soft material is pressed to harden in required shape » (« Moule : forme creuse dans laquelle du métal fondu, etc. est versé ou du matériel mou est pressé en vue de durcir pour donner la forme requise »), The Concise Oxford Dictionary of Current English, 7e éd., Oxford, Clarendon Press, 1982 à la p. 660.

12. « Faire apparaître, créer ou engendrer. Créer (une chose) à partir de matériaux ou d'éléments bruts », [1976] 2 R.C.S. 640 à la p. 648.

13. New York, Portland House, 1989.

14. Ibid. à la p. 391.

15. The Concise Oxford Dictionary of Current English, Oxford, Clarendon Press, 1990 à la p. 910.


Publication initiale : le 21 août 1997