NORTESCO INC.

Décisions


NORTESCO INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-96-092

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 16 octobre 1997

Appel no AP-96-092

EU ÉGARD À un appel entendu le 13 juin 1997 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

NORTESCO INC. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre présidant

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant a importé les marchandises en cause au Canada en 1994 dans le cadre des transactions nos 13037015126401 et 13037015158397. L'appelant a classé les marchandises en cause à titre d'articles de liège aggloméré dans les numéros tarifaires 4504.10.00 et 4504.90.00. Ce classement a été rejeté par l'intimé qui, aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes, a classé les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 4008.11.00 à titre de feuilles en caoutchouc alvéolaire vulcanisé non durci.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal est d'avis que les marchandises en cause possèdent le caractère essentiel du liège. Le liège prédomine des points de vue du poids, du volume et du prix. Bien que du caoutchouc non vulcanisé serve initialement de liant avec le liège et d'autres éléments, il est transformé en caoutchouc vulcanisé à la suite du processus de mélange et de vulcanisation. Il est manifeste que ni le liège seul ni le caoutchouc seul n'offre toutes les propriétés nécessaires aux utilisations finales dont les témoins ont discuté. Pour qu'il soit utile, il faut que le produit soit composé de ces deux substances. Le liège, en raison de son aptitude unique à plier sur lui-même en accordéon sans déformation des produits, est essentiel à l'utilité des produits. Cette caractéristique particulière du liège est importante pour la réduction de la « déformation latérale » et des fuites, pour la résistance à long terme à la « pression de serrage » et pour la compressibilité sur des surfaces inégales. Ce sont ces propriétés qui, de l'avis du Tribunal, confèrent aux marchandises en cause leur caractère essentiel ou leur caractéristique principale.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 13 juin 1997 Date de la décision : Le 16 octobre 1997
Membre du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant
Avocat pour le Tribunal : Gerry H. Stobo
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Paul Hughes, pour l'appelant Louis Sébastien, pour l'intimé





Le présent appel, entendu par un seul membre du Tribunal [1] , est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes [2] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national concernant le classement tarifaire correct des joints ASEA Nebar et des tabliers amortisseurs Tico S/PA.

L'appelant a importé les marchandises en cause au Canada en 1994 dans le cadre des transactions nos 13037015126401 et 13037015158397. L'appelant a classé les marchandises en cause à titre d'articles de liège aggloméré dans les numéros tarifaires 4504.10.00 et 4504.90.00 de l'annexe I du Tarif des douanes [3] . Ce classement a été rejeté par l'intimé qui, aux termes de l'article 63 de la Loi, a classé les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 4008.11.00 à titre de feuilles en caoutchouc alvéolaire vulcanisé non durci.

Les joints ASEA Nebar sont importés en diverses épaisseurs, largeurs et longueurs, déterminées par l'utilisateur final. Ils servent à beaucoup d'usages différents, en tant que matériau pour joints de grands transformateurs dans l'industrie de l'hydroélectricité, de brides dans l'industrie chimique et de joints d'étanchéité de couvercles dans les pétroliers.

Les tabliers amortisseurs Tico S/PA sont aussi importés en diverses tailles et épaisseurs. Ils servent de matériau antivibrateur et antibruit que l'on place sous des compresseurs, des pompes et des transformateurs de grande taille.

Les marchandises en cause sont fabriquées en Angleterre par la société Tiflex Limited (Tiflex), la division des produits en liège élastomère de James Walker Manufacturing.

Selon l'appelant, les produits susmentionnés sont du liège aggloméré. Il fait valoir que le liège est l'ingrédient qui confère aux marchandises en cause leur nature particulière. D'autre part, l'intimé est d'avis que les marchandises en cause sont des produits de caoutchouc vulcanisé avec une matière de remplissage en liège. L'intimé soutient que c'est le caoutchouc, et non le liège, qui confère aux marchandises en cause leurs qualités particulières.

Le représentant de l'appelant a fait témoigner deux personnes. Le premier témoin a été M. Ian Johnson, directeur du service technique chez Tiflex. Le deuxième témoin a été M. Philippe Hess, propriétaire de Nortesco Inc.

M. Johnson a été reconnu à titre d'expert avec l'accord de l'avocat de l'intimé. M. Johnson a obtenu une formation postsecondaire dans le domaine du caoutchouc et des plastiques au National College of Rubber Technology de Londres (Angleterre). Il a travaillé durant 40 ans chez James Walker Manufacturing où, à la suite de plusieurs promotions, il est devenu directeur du service technique chez Tiflex. Durant sa carrière, il a été chargé du développement de produits, de la conception et de la commande de nouvelles usines et de nouveau matériel, de la formulation des produits, des relations avec les clients et du contrôle de la qualité.

La gamme des produits de Tiflex comprend un vaste éventail d'articles de caoutchouc-liège, y compris des roulements, des soufflets et des compensateurs en caoutchouc qui servent de joints dans les canalisations de postes d'essence et de turbines, des cylindres d'imprimantes et de textiles, des joints d'étanchéité de brides, des coussins antibruit et antivibrateurs et des revêtements de sol. Certains des produits que fabrique Tiflex contiennent du liège et d'autres n'en contiennent pas.

M. Johnson a indiqué que la formulation particulière de tout produit diffère selon les diverses utilisations. Une usine d'hydroélectricité tiendra à obtenir un produit dont les caractéristiques de rendement seront, par exemple, différentes de celles qui sont recherchées dans un produit de revêtement de sol flexible destiné à une aire de grande circulation. Pourtant, il se peut que ces produits soient composés des mêmes ou en grande partie des mêmes éléments. Le dosage de ces ingrédients sera cependant différent et leur traitement peut varier.

M. Johnson a témoigné que, pour fabriquer les marchandises en cause, des quantités prédéterminées de caoutchouc non vulcanisé, de liège, d'activateurs et de liants sont placées dans un mélangeur. Par suite d'une interaction chimique, le caoutchouc non vulcanisé se transforme en caoutchouc vulcanisé et il en résulte un produit de liège-caoutchouc vulcanisé flexible et résistant. Selon M. Johnson, ce produit est doté d'au moins six caractéristiques importantes qui le rendent particulièrement utile :

i) faible coefficient de Poisson - il s'agit de la mesure de la « déformation latérale » lorsque les marchandises en cause sont soumises à une contrainte, comme elles le sont, par exemple, lorsqu'elles servent de joints d'étanchéité dans un grand transformateur hydroélectrique ou qu'elles supportent le poids d'un compresseur de deux tonnes. En présence de « déformation latérale », il peut y avoir bombement, particulièrement autour des principaux points de contrainte, par exemple, autour des boulons. Le bombement peut causer des fuites ou l'usure prématurée du matériel. Selon M. Johnson, c'est le liège, et non le caoutchouc, qui est l'ingrédient le plus important pour prévenir cet effet indésirable. Il a déclaré :

Oui. Vous voyez, le liège est plutôt unique, il n'existe rien de pareil. Il comprend plusieurs millions de petites cellules au centimètre cube, et la raison pour laquelle il est possible de comprimer le liège sans qu'il y ait déformation latérale — en fait, il est possible de le comprimer jusqu'à plus de 60 p. 100 de son épaisseur et il ne se déforme pas latéralement — c'est que les parois des cellules du liège comprennent de petits plis en accordéon. Ainsi, lorsqu'elles sont soumises à des contraintes de compression, ces petites parois plient merveilleusement bien. Elles ne se bombent pas, comme le font les matériaux ordinaires de type spongieux. Elles se compriment véritablement sur elles-mêmes, tout comme un soufflet. Elles se replient à la manière d'un soufflet, sans que leurs dimensions latérales n'augmentent. C'est pour cela que le liège répond si bien.

Le liège est unique. Il n'existe rien de pareil [4] .

[Traduction]

ii) rétention à long terme de la pression de serrage. Bien que la rétention de la pression de serrage du caoutchouc soit excellente à court terme, dans le plus long terme, par exemple 20 ans, seul le liège lui confère ses qualités de « résistance ». M. Johnson a présenté, par analogie, l'exemple d'une bouteille de vin qui est retirée de la mer après qu'elle y eut passé un grand nombre d'années. Souvent, le contenu peut encore en être bu parce que le liège est demeuré intact malgré tout ce temps écoulé.

iii) conformité avec les surfaces à sceller qui peuvent être inégales. Comme M. Johnson l'indique, les matériaux de liège élastomère peuvent accommoder une réduction pouvant atteindre jusqu'à 40 p. 100 de leur épaisseur initiale et sceller des brides dont la surface est inégale tandis que, avec un caoutchouc, il y aurait alors un bombement excessif. Selon M. Johnson, il s'ensuivrait inévitablement une déformation de la bride et des fuites :

[I]l est possible d'exercer une contrainte de compression et cette contrainte est absorbée par les particules de liège dans la matrice de caoutchouc, et il ne se produit alors qu'un bombement très minime, [ce qui] est très commode lorsque des couvercles de grande dimension sont de qualité inégale et que leur surface est rugueuse et qu'il faut compenser une variation de la bride de plusieurs millimètres [5] .

[Traduction]

iv) faible conductivité thermique.

v) aptitude à étouffer le bruit et à absorber les vibrations. Les produits à base de caoutchouc sont, selon M. Johnson, bien moins aptes à absorber les vibrations, particulièrement aux températures extrêmes. Il est important que les produits conservent les propriétés susmentionnées dans toutes les conditions météorologiques. Par exemple, les marchandises en cause doivent être fonctionnelles dans les conditions arctiques de - 40°. Un produit principalement fait de caoutchouc, dans des conditions et des usages similaires, deviendrait dur et ne conviendrait plus.

vi) coefficient de frottement élevé. Parce que le liège a un coefficient de frottement élevé, les marchandises en cause sont moins susceptibles de se déplacer lorsqu'elles sont soumises à une force. Pour cette raison, le liège joue un rôle particulièrement utile dans les produits comme les revêtements antidérapants.

M. Johnson a poursuivi en donnant la répartition exacte, par rapport à la masse totale, des différents ingrédients qui servent à fabriquer les marchandises en cause. Il a fait observer que les marchandises se composent de produits de caoutchouc non vulcanisé, d'activateurs chimiques, de liants, de plastiques, de matériau de remplissage et de liège, regroupés en quatre groupes principaux : caoutchouc, activateurs, liants et liège. Les données confidentielles soumises par M. Johnson révèlent que, dans chaque cas, le liège est l'ingrédient simple prédominant en poids, suivi dans l'ordre par le caoutchouc, les liants et les activateurs.

M. Johnson a ensuite porté son attention sur l'analyse volumétrique des ingrédients. Il a déclaré que, en volume, le liège est encore l'ingrédient prédominant. Cette fois encore, il s'est appuyé sur des renseignements confidentiels versés au dossier par Tiflex pour attester ce fait. Il a reconnu que d'essayer de déterminer le volume de chacun des ingrédients du mélange sans en connaître la formule exacte est un exercice très difficile. Il a déclaré :

Il est très difficile de déterminer quelles sont les quantités, en volume, du liège dans le mélange sans connaître la formule de ce dernier et la densité finale du matériau.

Si les données susmentionnées sont connues, il est possible effectivement de calculer la quantité en volume du liège présent dans le produit, parce que la densité relative de tous les autres ingrédients, à l'exception du liège, est connue avec précision. Il est possible de s'informer de cette densité dans tous les manuels d'approvisionnement, et ainsi calculer le volume exact de ces produits dans le composé. De là, connaissant la densité finale, il est possible de calculer très simplement le volume de liège dans le produit.

Cependant, si la formule et la densité finale du matériau sont inconnues, il est impossible de déterminer avec précision quel est le volume de liège qu'il contient.

Il est possible d'en avoir une idée en procédant à un examen au microscope et en mesurant physiquement le liège, mais le résultat n'est pas très satisfaisant. La seule façon d'y arriver, c'est en connaissant la formule et la densité finale du produit [6] .

[Traduction]

Dans son témoignage, M. Johnson a déclaré que le liège est, en termes de coût global, l'ingrédient le plus coûteux du mélange. Il a reconnu que certains des activateurs coûtent proportionnellement plus cher, mais seule de petites quantités de ceux-ci sont utilisées.

Le deuxième témoin de l'appelant, M. Hess, a déclaré que, depuis plus de 28 ans, il importe, par l'intermédiaire de sa société, des produits comme les marchandises en cause du groupe The James Walker Group of Companies. M. Hess vend ensuite ces produits à des clients canadiens, comme Ontario Hydro, Manitoba Hydro et Asea Brown Boveri Inc. (grande société internationale qui construit des transformateurs au Québec). La surface des brides des caissons des très grands transformateurs, comme ceux qui servent dans l'industrie de l'hydroélectricité, est rarement, sinon jamais, unie. Selon M. Hess, le liège dans le produit ASEA Nebar confère au produit une mémoire suffisante pour sceller correctement sur de longues distances (c'est-à-dire avec un espacement large des boulons). Le liège aide à prévenir la « déformation permanente » du caoutchouc, ce qui serait un effet indésirable. Il permet donc d'obtenir un joint plus sûr et qui dure pendant longtemps.

Relativement aux tabliers amortisseurs Tico S/PA, M. Hess a déclaré ce qui suit au sujet du liège et du caoutchouc qui les composent :

Bien, laissez-moi vous donner un autre aspect du liège par rapport au caoutchouc. En tant que matériel antivibrateur, dans le Grand Nord, dans l'Arctique, où nous avons des génératrices diesel de 16 cylindres et qu'il fait peut-être 10 ou 12° l'été, mais - 40 l'hiver; à - 40°, le caoutchouc est rigide, solide, et n'absorbe aucune vibration. La vibration se transmettrait directement au travers. Nous avons utilisé le produit Tico sur des colonnes de béton afin de ne pas avoir de dommages dans le pergélisol [7] .

[Traduction]

L'avocat de l'intimé a convoqué un témoin, M. Brian J. Finch, qui a été reconnu à titre d'expert, avec observations de l'appelant. M. Finch est chimiste et présentement chef du Laboratoire des polymères, au ministère du Revenu national. Il participe à l'analyse des polymères (y compris le caoutchouc) et à l'administration de cette section depuis presque 25 ans. Il a aussi brièvement travaillé au ministère des Finances en tant qu'agent chargé de la politique de contrôle du commerce de l'industrie des polymères, des plastiques, des produits chimiques organiques et des produits pharmaceutiques.

Il a d'abord expliqué que, selon lui, les marchandises en cause sont correctement classées à titre de caoutchouc vulcanisé, même si elles contiennent du liège. Il a déclaré que les produits en caoutchouc peuvent contenir trois composants : i) du polymère-caoutchouc; ii) des agents de vulcanisation, comme des activateurs, des accélérateurs ou des retardateurs; iii) des liants, des substances de remplissage, des stabilisants, des pigments et des plastifiants. Il a dit que le composant qu'est le liège se classerait dans ce dernier groupe, qui, il est intéressant de le noter, peut constituer plus de 50 p. 100 en poids d'un produit.

M. Finch a témoigné que l'analyse des marchandises en cause a été effectuée par des chimistes au laboratoire. Lorsque les tests ont été effectués, l'intimé ne disposait pas des formules exactes soumises par l'appelant au Tribunal. L'analyse en laboratoire a révélé que le pourcentage du poids total du caoutchouc était de 67 p. 100 et celui du liège de 33 p. 100 dans les joints ASEA Nebar. Dans les tabliers amortisseurs Tico S/PA, le caoutchouc représentait 76 p. 100 en poids du total, et le liège, 24 p. 100. Vu sous cet angle, le caoutchouc était donc l'ingrédient prédominant et le liège, même s'il confère au produit final certaines propriétés utiles, n'est simplement qu'une matière de remplissage. Étant donné les résultats de l'analyse, il n'est pas surprenant que les marchandises en cause aient été classées comme elles l'ont été.

Le Tribunal se voit placé devant ce qui semble être deux répartitions différentes du poids des ingrédients que sont le caoutchouc et le liège dans les marchandises en cause. Comment est-il possible de concilier les valeurs différentes attribuées par les parties au poids des composants ?

Il est manifeste que le poids des composants des marchandises en cause peut être réparti de différentes façons, chacune donnant des résultats légèrement différents. Selon les données de M. Johnson, le poids global du caoutchouc, des activateurs et des liants dans les joints ASEA Nebar atteindrait presque 55 p. 100 du poids total du produit, le liège représentant le reste du poids total.

Quant aux tabliers amortisseurs Tico S/PA, en se servant des données soumises par M. Johnson, le poids du caoutchouc, des activateurs et des liants dépasserait légèrement 60 p. 100 du poids total du produit et le liège, un peu moins de 40 p. 100. Bien que ces valeurs diffèrent de celles qu'a soumises l'intimé, elles ne sont pas différentes au point d'interdire toute possibilité de conciliation.

Les écarts susmentionnés semblent pouvoir s'expliquer de deux façons. La première touche la précision relative des résultats obtenus en laboratoire par l'intimé, par rapport à la formule exacte soumise par l'appelant. La deuxième façon touche le regroupement des composants particuliers des marchandises en cause.

M. Finch a décrit la méthode appliquée par les chimistes de l'intimé pour répartir les marchandises en cause selon leurs éléments constitutifs et en déterminer la masse. Essentiellement, le procédé consiste à extraire les plastifiants et les autres huiles, puis à les identifier et à les mesurer. Les chimistes détruisent alors le liège restant. Les particules de liège décomposées sont ensuite éliminées dans un bain aux ultrasons. Il ne reste essentiellement que du caoutchouc. À partir de ce point, il est possible de calculer mathématiquement le poids des différents ingrédients. Selon M. Finch, ce procédé a produit des résultats « très satisfaisants ».

Ce type d'analyse est, à n'en pas douter, très précis et, lorsque les formules exactes sont inconnues, la meilleure solution. Cependant, M. Finch a admis que les résultats sont plus précis lorsque la formule exacte d'un produit est connue, comme c'est le cas maintenant pour les marchandises en cause. En fait, M. Finch n'a pas mis en doute la précision de la répartition selon le poids des composants qu'a présentée M. Johnson dans son rapport et dans son témoignage d'expert. Tout naturellement, une analyse effectuée en laboratoire ne peut, étant donné les limites auxquelles elle se heurte forcément, être aussi précise que le résultat de la connaissance exacte des quantités, en poids, que les travailleurs introduisent dans le mélangeur à l'usine de Tiflex.

Même en reconnaissant l'analyse de l'intimé comme tout a fait précise, cette analyse n'a tout de même pas séparé le poids du caoutchouc de celui des activateurs et des liants, comme le fait l'analyse de l'appelant. Il est donc tout à fait possible de concevoir que, en se servant des données de l'intimé, le liège pourrait être l'ingrédient prédominant si les ingrédients étaient répartis de la même manière que les répartit l'appelant.

Pour ce qui est de la tentative d'analyse volumétrique des marchandises en cause, M. Finch a témoigné que, sans la connaissance de la formule exacte du produit, il s'agit là d'un exercice impossible, même si une telle répartition selon le volume a été une méthode cautionnée dans une décision rendue en 1984 par la Commission du tarif [8] . Étant donné qu'il ignorait la formule exacte des produits, l'intimé a considéré que toute tentative d'analyse volumétrique ne serait pas suffisamment fiable et n'a pas tenté d'en effectuer. Cependant, il a poursuivi qu'il serait possible, connaissant la formule exacte, de calculer les volumes avec une certaine précision.

M. Finch a déclaré que les sociétés répugnent à fournir ces formules puisqu'il s'agit de secrets commerciaux hautement protégés. Un tel état des choses fait problème dans l'administration du programme de classement tarifaire. Le Tribunal est d'avis que les importateurs ont le devoir de faire part des renseignements nécessaires à l'intimé pour l'aider à décider du classement tarifaire. Si les importateurs ne collaborent pas, ils ne peuvent guère « crier à l'injustice » lorsque le classement résultant diffère du classement qu'ils proposent. L'intimé a tout à fait raison de se préoccuper de la possibilité d'administrer le processus de classement lorsque des renseignements clés sont retenus. Cependant, dans la présente affaire, les renseignements ont été fournis, quoiqu'ils l'aient été très tardivement.

Le Tribunal accepte l'analyse selon le poids et le volume des ingrédients individuels, telle que l'a soumise l'appelant. Le Tribunal est donc convaincu que le liège est l'ingrédient unique le plus important en poids ou en volume. Ayant conclu de la sorte, le Tribunal reconnaît cependant la faible différence entre la quantité de liège et la quantité de caoutchouc d'après les résultats de l'analyse selon le poids ou selon le volume.

Aux fins d'une analyse de classement tarifaire, les articles 10 et 11 du Tarif des douanes prévoient que les marchandises doivent être classées en conformité avec les Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé [9] (les Règles générales) et les Règles canadiennes [10] . Le Tribunal doit donc commencer son analyse en examinant si la Règle 1 des Règles générales peut aider à trancher le présent litige. La Règle 1 prévoit ce qui suit :

Le libellé des titres de Sections, de Chapitres ou de Sous-Chapitres est considéré comme n'ayant qu'une valeur indicative, le classement étant déterminé légalement d'après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres et, lorsqu'elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et Notes, d'après les Règles suivantes.

Il est possible de recourir à la règle susmentionnée lorsque les marchandises en cause entrent exclusivement dans le champ d'application des termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres. Par exemple, il conviendrait de recourir à la Règle 1 des Règles générales dans le cas d'« animaux vivants de l'espèce ovine » qui sont classés dans la position no 01.04 : « Animaux vivants des espèces ovine ou caprine ». Manifestement, les « animaux vivants de l'espèce ovine » ne peuvent être classés que dans la position susmentionnée.

Bien que le Tribunal ait été exhorté de classer les marchandises en cause, par l'intimé, d'après les termes des positions et les Notes de Sections de la position no 40.08 à titre de « [p]laques, feuilles, bandes, baguettes et profilés, en caoutchouc vulcanisé non durci » ou, par l'appelant, dans la position no 45.04 à titre de « [l]iège aggloméré (avec ou sans liant) et ouvrages en liège aggloméré », le Tribunal ne peut le faire. Les Notes de Chapitres ne sont pas utiles au classement des marchandises en cause, qui sont un matériau composite principalement constitué de liège et de caoutchouc qui n'entre donc pas exclusivement dans le champ d'application de l'une ou de l'autre des positions.

Puisque la Règle 2 des Règles générales ne peut s'appliquer en l'espèce, le Tribunal doit entreprendre d'examiner la Règle 3 qui prévoit ce qui suit :

Lorsque les marchandises paraissent devoir être classées sous deux ou plusieurs positions par application de la règle 2 b) ou dans tout autre cas, le classement s'opère comme suit :

a) La position la plus spécifique doit avoir la priorité sur les positions d'une portée plus générale. Toutefois, lorsque deux ou plusieurs positions se rapportent chacune à une partie seulement des matières constituant un produit mélangé ou un article composite ou à une partie seulement des articles dans le cas de marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail, ces positions sont à considérer, au regard de ce produit ou de cet article, comme également spécifiques même si l'une d'elles en donne par ailleurs une description plus précise ou plus complète.

b) Les produits mélangés, les ouvrages composés de matières différentes ou constitués par l'assemblage d'articles différents et les marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail, dont le classement ne peut être effectué en application de la Règle 3 a), sont classés d'après la matière ou l'article qui leur confère leur caractère essentiel lorsqu'il est possible d'opérer cette détermination.

c) Dans le cas où les Règles 3 a) et 3 b) ne permettent pas d'effectuer le classement, la marchandise est classée dans la position placée la dernière par ordre de numérotation parmi celles susceptibles d'êtres valablement prises en considération.

Bien que la position no 45.04 puisse sembler plus spécifique que la position no 40.08, étant donné la teneur prédominante du liège, aucune des positions en elle-même et par elle-même ne dénomme complètement les produits. Les Notes des Chapitres 40 et 45 ne peuvent aider le Tribunal à décider du classement correct dans ces positions.

Puisque les marchandises en cause sont un matériau composite, aux termes de la Règle 3 a) des Règles générales, le Tribunal doit considérer les matières ou les substances comme « également spécifiques ». La Règle ne tranche cependant pas la question du classement.

Aux termes de la Règle 3 b) des Règles générales, le Tribunal est tenu de passer, depuis le domaine des critères observables et objectifs, au domaine plus subjectif du « caractère essentiel ».

Les Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [11] indiquent que le « caractère essentiel » diffère selon les marchandises en cause; cependant, ce dernier peut être déterminé d'après la nature de la matière constitutive ou des articles qui les composent, de leur volume, leur quantité, leur poids ou leur valeur, de l'importance d'une des matières constitutives en vue de l'utilisation des marchandises.

Selon M. Johnson, le liège est la caractéristique essentielle ou prédominante du produit. Il a déclaré :

Le caoutchouc est là pour lier les granules de liège ensemble pour fabriquer un matériau de liège flexible et robuste. Le caoutchouc est ici un liant. C'est le liège qui donne au matériau les propriétés que nous recherchons dans les applications auxquelles elles sont destinées [12] .

[Traduction]

M. Finch, lorsqu'il a témoigné en faveur de l'intimé, a qualifié les marchandises en cause de caoutchouc avec un matériau de remplissage en liège. Il a ajouté que cette description peut englober des produits présentant beaucoup de propriétés semblables à celles décrites par l'appelant. En vérité, selon M. Finch, beaucoup de différents produits à base de caoutchouc présentent les mêmes propriétés que du liège aggloméré. Il n'a pu, cependant, commenter sur le coefficient de Poisson, ou la déformation latérale, de ces produits, puisqu'il n'avait pas d'expérience relativement à cette caractéristique. C'est le caoutchouc et non le liège qui confère aux marchandises en cause leur caractère essentiel.

Le Tribunal est d'avis que les marchandises en cause possèdent le caractère essentiel du liège. Le liège prédomine des points de vue du poids, du volume et du prix. Bien que le caoutchouc non vulcanisé serve initialement de liant avec le liège et d'autres ingrédients, il est transformé en caoutchouc vulcanisé à la suite du mélange et du processus de vulcanisation. Il est manifeste que ni le liège seul ni le caoutchouc seul n'offre toutes les propriétés nécessaires aux utilisations finales dont les témoins ont discuté. Pour qu'il soit utile, il faut que le produit soit composé de ces deux substances. Le liège, en raison de son aptitude unique à plier sur lui-même en accordéon sans déformation des produits, est essentiel à l'utilité des produits, comme l'est son aptitude à pouvoir subir la pression exercée par des masses considérables. Ces caractéristiques particulières du liège sont importantes pour la réduction de la « déformation latérale » et des fuites, pour la résistance à long terme à la « pression de serrage » et pour la compressibilité sur des surfaces inégales. Ce sont ces propriétés qui, de l'avis du Tribunal, confèrent aux marchandises en cause leur caractère essentiel.

L'avocat de l'intimé a soumis un avis de classement publié par le Comité du Système harmonisé le 12 octobre 1993, dans lequel des joints constitués, en poids, de 65 p. 100 de caoutchouc vulcanisé et de 35 p. 100 de liège ont été classés dans la position no 40.08 (plaques, feuilles, bandes, baguettes et profilés, en caoutchouc vulcanisé non durci) plutôt que dans la position no 45.04 (liège aggloméré [avec ou sans liant] et ouvrages en liège aggloméré). Bien que le Tribunal doive tenir compte de l'avis de classement, l'avis ne l'y oblige pas. En vérité, la rareté des renseignements contenus dans l'avis et la brève description des motifs qui sous-tendent les positions des différents délégués amoindrissent la valeur d'argument de cet avis. De plus, le Tribunal fait observer que les poids du liège et du caoutchouc dans le produit diffèrent de ceux des marchandises en cause. Il s'ensuit que l'avis n'aide guère le Tribunal à décider du classement tarifaire correct.

En conclusion, le Tribunal est d'avis que les marchandises en cause doivent être classées dans la position no 45.04 (liège aggloméré [avec ou sans liant] et ouvrages en liège aggloméré). Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L’article 3.2 du Règlement sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, ajouté par DORS/95-27, le 22 décembre 1994, Gazette du Canada Partie II, vol. 129, no 1 à la p. 96, prévoit, en partie, que le président du Tribunal peut, compte tenu de la complexité des questions en litige et du précédent susceptible d’en découler, décider qu’un seul membre constitue le quorum aux fins de connaître de tout appel interjeté devant le Tribunal aux termes de la Loi sur les douanes.

2. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

3. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

4. Transcription de l’audience publique, le 13 juin 1997 à la p. 33.

5. Ibid. aux p. 23 et 24.

6. Ibid. aux p. 43 et 44.

7. Ibid. à la p. 67.

8. Nortesco Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, 9 T.B.R. 164. La décision a porté sur les paillassons Treadmaster Mats et les tampons Tico S/PA. Les questions en litige dans cette affaire sont, à plusieurs égards, similaires aux faits en présence dans le présent appel. La Commission du tarif a conclu que, puisque le liège prédominait en volume, les produits devaient être classés comme des articles en chêne-liège ou en écorce de chêne-liège plutôt que comme des articles en caoutchouc.

9. Supra note 3, annexe I.

10. Ibid.

11. Conseil de coopération douanière, 1re éd., Bruxelles, 1986.

12. Supra note 4 à la p. 15.


Publication initiale : le 6 novembre 1997