RIGEL SHIPPING CANADA INC.

Décisions


RIGEL SHIPPING CANADA INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
v.
ULTRAMAR LTD. (ANCIENNEMENT ULTRAMAR CANADA INC.) ET L'ASSOCIATION DES ARMATEURS CANADIENS
Appel no AP-97-045

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mardi 15 septembre 1998

Appel n o AP-97-045

EU ÉGARD À un appel entendu les 26 et 27 novembre 1997 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 14 avril 1997 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

RIGEL SHIPPING CANADA INC. Appelante

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

ET

ULTRAMAR LTD. (ANCIENNEMENT ULTRAMAR CANADA INC.) ET
L'ASSOCIATION DES ARMATEURS CANADIENS Intervenantes

L'appel est admis en partie.


Patricia M. Close ______ Patricia M. Close Membre présidant

Raynald Guay ______ Raynald Guay Membre

Peter F. Thalheimer ______ Peter F. Thalheimer Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 14 avril 1997. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si la valeur en douane a correctement été appréciée.

L'appelante a acheté trois navires, l'Emsstern et l'Elbestern qui, lorsqu'ils ont été commandés en 1991, ont respectivement coûté 18 238 460 $ US, et le Jadestern qui, lorsqu'il a été commandé plus tard en 1991, a coûté 19 140 460 $ US. Les navires ont été construits par la société MTW Schiffswerft GmbH (MTW), de Wismar (Allemagne), et livrés en 1992 (l'Emsstern et l'Elbestern) et au début de 1993 (le Jadestern).

La société Ultramar Ltd. (Ultramar) est un raffineur et distributeur canadien de produits pétroliers, principalement dans l'Est du Canada. Pour transporter ses produits de la raffinerie au marché, elle doit avoir accès à des navires-citernes pouvant transporter des produits pétroliers sur le fleuve Saint-Laurent et le long de la côte est du Canada.

En 1992, Ultramar a communiqué avec un courtier en navires et lui a demandé de trouver sur le marché mondial des navires-citernes qui répondraient à ses besoins. La recherche du courtier a mené à trois navires-citernes transporteurs de produits chimiques et de produits pétroliers alors en construction par MTW (les navires de Rigel).

Le courtier en navires a rencontré les représentants du ministère du Revenu national (Revenu Canada) pour décider de la méthode de calcul de la valeur en douane. À la suite d'une série d'échanges, il a été convenu que la méthode habituelle de calcul de la valeur en douane, c'est-à-dire la méthode fondée sur la valeur transactionnelle prévue à l'article 48 de la Loi, ne conviendrait pas puisque, comme les navires entraient au Canada aux termes d'une entente de charte-partie, il n'y avait pas de vente pour exportation au Canada. Par conséquent, Revenu Canada a décidé, et l'appelante a accepté, de se servir de la dernière méthode d'appréciation mentionnée, qui est prévue à l'article 53 de la Loi. Pour déterminer cette valeur, Revenu Canada a demandé qu'Ultramar se serve de la moyenne des valeurs indiquées par deux évaluations des navires de Rigel. Une valeur moyenne des deux évaluations a été établie, et les droits de douane ont été payés sur un montant de 11 280 000 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement, importés au Canada en novembre 1993, et sur un montant de 12 150 000 $ US pour le Jadestern, importé au Canada en mars 1994.

Après avoir reçu une plainte provenant de l'Association des armateurs canadiens, Revenu Canada a procédé à une nouvelle appréciation de la valeur des navires de Rigel. Le 14 avril 1997, l'intimé a fait connaître les valeurs issues de la nouvelle appréciation des navires aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi, soit les montants suivants : 15 370 000 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et 15 760 000 $ US pour le Jadestern.

DÉCISION : L'appel est admis en partie. Le Tribunal conclut que l'intimé a, en partie, incorrectement calculé la valeur en douane des navires de Rigel. Le Tribunal est d'avis que l'article 67 de la Loi l'autorise à remplacer la valeur en douane calculée susmentionnée par une valeur qu'il estime correcte, et que son pouvoir ne se limite pas à simplement accepter ou rejeter la détermination de l'intimé. À la lumière de tous les éléments de preuve dont il dispose, le Tribunal conclut que les valeurs correctes au moment de leur importation sont 14 860 926 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et 14 807 000 $ US pour le Jadestern. C'est sur ces derniers montants que les droits de douane applicables doivent être versés.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Les 26 et 27 novembre 1997 Date de la décision : Le 15 septembre 1998
Membres du Tribunal : Patricia M. Close, membre présidant Raynald Guay, membre Peter F. Thalheimer, membre
Avocat pour le Tribunal : Gerry H. Stobo
Greffier : Anne Jamieson Ont comparu : Glenn A. Cranker et Randall J. Hofley, pour l'appelante et Ultramar Ltd. Christopher Rupar, pour l'intimé Michael A. Kelen, pour l'Association des armateurs canadiens





INTRODUCTION

Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 14 avril 1997. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si la valeur en douane a correctement été appréciée.

CONTEXTE

L'appelante est une filiale de la société Rigel Schiffahrts GmbH, de Bremen (Allemagne). L'appelante a acheté trois navires, l'Emsstern et l'Elbestern qui, lorsqu'ils ont été commandés en 1991, ont respectivement coûté 18 238 460 $ US, et le Jadestern qui, lorsqu'il a été commandé plus tard en 1991, a coûté 19 140 460 $ US [2] . Les navires ont été construits par la société MTW Schiffswerft GmbH (MTW), de Wismar (Allemagne), et livrés en 1992 (l'Emsstern et l'Elbestern) et au début de 1993 (le Jadestern).

La société Ultramar Ltd. (Ultramar) est un raffineur et distributeur canadien de produits pétroliers, principalement dans l'Est du Canada. Pour transporter ses produits de la raffinerie au marché, elle doit avoir accès à des navires-citernes pouvant transporter des produits pétroliers sur le fleuve Saint-Laurent et le long de la côte est du Canada. En 1992, Ultramar a décidé qu'elle avait besoin de remplacer les navires vieillissants qu'elle utilisait aux termes d'une entente de charte-partie avec la société Socanav Inc., un consortium canadien de transport maritime. L'entente avait été conclue en 1985 et devait expirer en 1995. Ultramar désirait retenir les services de navires-citernes plus récents.

En 1992, Ultramar a communiqué avec M. Brian G. Ritchie, courtier en navires, et lui a demandé de trouver sur le marché mondial des navires-citernes qui répondraient à ses besoins. M. Ritchie a désigné trois navires-citernes transporteurs de produits chimiques et de produits pétroliers alors en construction par MTW (les navires de Rigel), ainsi que trois autres navires en provenance d'un chantier maritime coréen devant être achetés par la société Knud I. Larsen Shipping Company (Larsen), du Danemark, et dont la livraison était prévue à la fin de 1993 et au début de 1994. À certains égards, les navires commandés par Larsen (les navires de Larsen) étaient plus perfectionnés que les navires de Rigel. Par exemple, M. Ritchie a fait observer qu'un équipage de 8 personnes suffisait aux navires de Larsen tandis que la taille minimale de l'équipage des navires de Rigel était de 14 personnes. Les représentants de Larsen étaient fort désireux de remporter le contrat de charte-partie d'Ultramar et ont consacré considérablement de temps et d'argent en frais juridiques et avis fiscaux à cette fin. En fin d'analyse, cependant, M. Ritchie a recommandé, et Ultramar a choisi, les navires de Rigel de préférence aux navires de Larsen.

M. Ritchie a témoigné qu'il savait que l'importation des navires soulèverait la question de leur valeur en douane et, en novembre 1992, a rencontré les représentants du ministère du Revenu national (Revenu Canada) pour en discuter et décider de la méthode de calcul de la valeur en douane. À la suite d'une série d'échanges entre M. Ritchie et Revenu Canada, il a été convenu que la méthode habituelle du calcul de la valeur en douane, c'est-à-dire la méthode fondée sur la valeur transactionnelle prévue à l'article 48 de la Loi, ne conviendrait pas puisque, comme les navires entraient au Canada aux termes d'une entente de charte-partie, il n'y avait pas de vente pour exportation au Canada. Par conséquent, Revenu Canada a décidé, et l'appelante a accepté, de se servir de la dernière méthode d'appréciation prévue à l'article 53 de la Loi [3] . Pour déterminer cette valeur, Revenu Canada a demandé qu'Ultramar se serve de la moyenne des valeurs indiquées par deux évaluations des navires de Rigel.

Les deux évaluations ont été dûment obtenues d'experts et évaluateurs en navires de réputation internationale et transmises à Revenu Canada. Elles étaient présentées sous la forme suivante :

1) des lettres, datées du 15 mars et du 8 octobre 1993, de la société Francis A. Martin and Ottaway, Inc., dans lesquelles l'Elbestern et l'Emsstern étaient respectivement évalués à environ 11,0 millions de dollars américains, et une lettre, datée du 15 février 1994, de la société Martin, Ottaway and van Hemmen, Inc., dans laquelle le Jadestern était évalué à environ 11,3 millions de dollars américains;

2) une lettre, datée du 6 juillet 1994, de la société Jacq. Pierot Jr. & Sons Inc., dans laquelle l'Elbestern et l'Emsstern étaient respectivement évalués à 11 562 000 $ US et le Jadestern à 13 millions de dollars américains.

Ainsi qu'il avait été convenu entre l'appelante et Revenu Canada, la moyenne des valeurs susmentionnées a été établie, et les droits de douane ont été payés sur un montant de 11 280 000 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern, importés au Canada en novembre 1993, et sur un montant de 12 150 000 $ US pour le Jadestern, importé au Canada en mars 1994.

En novembre 1993, l'intimé a reçu une lettre rédigée au nom de l'Association des armateurs canadiens (AAC), selon laquelle les navires de Rigel étaient gravement sous-évalués [4] . La lettre indiquait aussi que l'importation de ces navires « sous-évalués » construits à l'étranger aurait une incidence négative sur les armateurs canadiens. Revenu Canada a donc procédé à une nouvelle appréciation de la valeur en douane aux termes de l'article 61 de la Loi et a demandé plusieurs autres évaluations. Ces dernières ont été réalisées par les sociétés C.W. Kellock & Co. Ltd., A.P. Moller Sale and Purchase, Trafco UK Ltd. et Braemar Shipbrokers Limited (Braemar), toutes des entreprises d'évaluation de navires tenues en haute estime. Leurs méthodes d'évaluation différaient entre elles, et différaient des méthodes appliquées par Martin, Ottaway & van Hemmen, Inc. et Jacq. Pierot Jr. & Sons, Inc. Par exemple, un des évaluateurs a fondé son évaluation sur la valeur de remplacement après dépréciation, un autre sur une analyse du marché du fret et un autre encore sur une comparaison avec la construction d'un navire neuf. Ces diverses méthodes ont abouti à diverses valeurs, situées entre 11,0 et 21,5 millions de dollars américains.

Après avoir examiné les diverses appréciations soumises et pris note des diverses méthodes d'évaluation, l'intimé a retenu les évaluations de Braemar, concluant qu'il s'agissait des « évaluations les mieux exécutées au plan technique et celles qui recevaient le meilleur appui de l'industrie [5] » [traduction]. En appliquant une méthode d'évaluation fondée sur le coût de remplacement par la construction d'un navire neuf, Braemar a évalué la valeur des navires à 16 650 000 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et de 17 250 000 $ US dans le cas du Jadestern [6] .

Après avoir été informé des montants susmentionnés par Revenu Canada, l'appelante a de nouveau discuté de la question, s'efforçant d'arriver à des valeurs mutuellement acceptables. N'ayant pu s'entendre avec Revenu Canada sur des valeurs définitives, l'appelante a retenu les services d'une autre société de réputation internationale dans le domaine de l'affrètement, du courtage et de l'évaluation des navires, à savoir la société H. Clarkson & Company Limited (Clarkson). Le 29 août 1996, Clarkson a remis son évaluation de la valeur des navires de Rigel. Fondé sur la méthode des ventes comparables, l'avis de Clarkson sur la valeur des navires de Rigel a été le suivant : 13 634 747 $ US pour l'Elbestern et l'Emsstern respectivement et 13 585 500 $ US pour le Jadestern. Son rapport a été soumis à l'intimé.

À la demande de l'intimé, Braemar a examiné les évaluations effectuées par Clarkson. Braemar a ensuite publié un rapport révisé, en décembre 1996, dans lequel elle a utilisé une autre méthode d'évaluation, soit celle s'appuyant sur la méthode des ventes comparables, utilisée par Clarkson, plutôt que sur le coût de remplacement par la construction d'un navire neuf. Braemar a révisé ses valeurs à la baisse pour en arriver aux montants suivants : 15 370 000 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et 15 760 000 $ US pour le Jadestern.

Le 14 avril 1997, l'intimé, s'appuyant sur le rapport révisé de Braemar, a rendu une nouvelle appréciation des valeurs des navires aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi. Bien que les montants alors indiqués aient été plus près des montants mentionnés dans l'appréciation de Clarkson, il subsistait néanmoins toujours un écart de 1 735 253 $ US dans le cas de l'Emsstern et de l'Elbestern respectivement, et de 2 174 500 $ US dans le cas du Jadestern. L'appelante, étant toujours en désaccord sur l'appréciation de la valeur en douane rendue par l'intimé le 14 avril 1997, a donc interjeté appel auprès du Tribunal.

QUESTION EN LITIGE

Les valeurs de 15 370 000 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et de 15 760 000 $ US pour le Jadestern, issues de la nouvelle appréciation de l'intimé, étaient-elles correctes?

POSITION DE L'APPELANTE

M. Brian Ritchie, le premier témoin de l'appelante, a décrit le processus de recherche et de négociation qu'il a entrepris pour le compte d'Ultramar et qui a mené à sa recommandation des navires de Rigel. Tout en reconnaissant que les navires de Rigel présentent beaucoup de caractéristiques favorables, il a souligné certains de leurs problèmes au niveau de la qualité. Par exemple, la pression que pouvaient soutenir les conduites de chargement des navires de Rigel ne respectait pas une norme acceptable et il a donc fallu changer toute la robinetterie des conduites de chargement et de déchargement. De même, le revêtement d'époxy des citernes du navire n'adhérait pas aux parois et a dû être refait. Étant donné qu'ils étaient les premiers navires-citernes transporteurs de produits chimiques jamais produits par les chantiers navals MTW, certains problèmes initiaux étaient certes à prévoir, ce qui réduisait la valeur des navires de Rigel. Il a aussi fallu changer les conduites de chauffage des navires de Rigel. De plus, il a été fait observer que l'appelante a dû exécuter un programme de modification en rattrapage pour maintenir la sécurité et l'efficacité des navires.

M. Ritchie a témoigné que, bien que les navires aient été plus perfectionnés que ceux que l'appelante avait auparavant affrétés de Socanav Inc., ils étaient moins perfectionnés que des navires similaires construits à la même époque, par exemple les navires de Larsen. Il a fait observer que, grâce au niveau de perfectionnement des navires de Larsen, un équipage de 8 personnes suffisait par rapport aux 14 membres d'équipage nécessaires dans le cas des navires de Rigel. À son avis, les navires de Rigel étaient de qualité satisfaisante, mais n'étaient pas la « Mercedes Benz » de leur catégorie, comme l'a laissé entendre l'AAC.

Un autre témoin, M. Kieran J. Shanahan, ancien dirigeant d'Ultramar, a témoigné au sujet des caractéristiques que l'appelante souhaitait trouver dans un navire et a corroboré les observations de M. Ritchie quant aux problèmes de qualité auxquels Ultramar a dû faire face après avoir pris possession des navires.

M. David J. Tantrum, évaluateur principal de navires à la société Martin, Ottaway, van Hemmen and Dolan, Inc., du New Jersey, a été convoqué par l'appelante pour témoigner sur l'évaluation établie par l'entreprise qui l'emploie. Le Tribunal lui a reconnu le titre d'expert en évaluation de navire. M. Tantrum a présenté des éléments de preuve portant sur l'évaluation réalisée en mars 1993 par l'entreprise. Il a témoigné que l'appelante avait d'abord demandé à son entreprise d'évaluer les navires de Larsen (croyant qu'il s'agissait des navires qui allaient être importés). Il a expliqué que son entreprise a appliqué la méthode du rendement sur capital investi pour évaluer les navires de Larsen, ce qui avait mené à des valeurs de 11,0 millions de dollars américains pour l'Elbestern et l'Emsstern respectivement et de 11,3 millions de dollars américains pour le Jadestern. Son entreprise n'a pas appliqué la méthode (préférée) des ventes comparables parce que, au moment de réaliser l'évaluation en mars 1993, il n'y avait pas eu récemment de vente de navire comparable.

Plusieurs semaines plus tard, il a été demandé à l'employeur de M. Tantrum de comparer les navires de Larsen et les navires de Rigel. Dans son analyse comparative, cette entreprise a décelé certaines différences entre les navires de Rigel et les navires de Larsen mais, tout bien considéré, a conclu qu'il n'y avait peu ou pas d'écart dans les valeurs finales. En octobre 1993, il a été demandé à cette même entreprise de mettre de nouveau ses évaluations à jour. Dans le cadre de la préparation de la mise à jour susmentionnée, la vente, en mai 1993, du Mikhail Romm et de ses navires jumeaux (l'Ivan Pyrev,le Vasily Mercurev et le Mikhail Kalatozov) a été prise en note. Bien que la première évaluation faite par la société Martin, Ottaway, van Hemmen and Dolan, Inc. n'ait pas tenu compte de la vente susmentionnée, selon M. Tantrum, le prix de vente de 12 millions de dollars américains de ces navires corroborait ses résultats des évaluations des navires de Larsen et de Rigel.

M. Michael Blayney, évaluateur de navires au service de Clarkson, a ensuite témoigné en faveur de l'appelante. M. Blayney, auquel le Tribunal a reconnu le titre d'expert en évaluation de navires, a indiqué qu'il œuvre depuis 40 ans dans le domaine du transport maritime et se spécialise, depuis 35 ans, dans la vente et l'achat de navires marchands. À partir d'un poste d'entrée chez Clarkson, il est devenu un de ses cadres les plus respectés. M. Blayney a fait observer que Clarkson publie des revues professionnelles à grande diffusion qui sont tenues en haute estime dans le domaine de la marine marchande, par exemple une revue trimestrielle qui comprend une étude du marché des navires transporteurs de produits chimiques (et autres) et des prévisions à cet égard. M. Blayney et son personnel se tiennent au fait de toutes les transactions concernant la vente de navires transporteurs de produits chimiques et de produits pétroliers partout dans le monde.

Il a fait observer que Clarkson, qui a été constituée en 1852, emploie maintenant plus de 300 personnes dans le monde et compte une des plus importantes équipes de recherche dans le domaine de la marine marchande au monde. Une des divisions de Clarkson, la Division des navires-citernes, regroupe près de 35 courtiers spécialisés dans les transactions concernant ce type de navires, depuis les plus petits navires-citernes destinés au transport de produits chimiques jusqu'aux pétroliers géants.

M. Blayney a témoigné que la méthode usuelle pour l'évaluation des navires usagés, comme les navires de Rigel, est celle qui se fonde sur les ventes comparables [7] . Dans son rapport du 29 août 1996, M. Clarkson a signalé quatre navires transporteurs de produits chimiques et de produits pétroliers présentant à peu près les mêmes caractéristiques que les navires de Rigel, à savoir, le Mikhail Romm et ses trois navires jumeaux qui ont été vendus en mai 1993. Le Mikhail Romm et ses trois navires jumeaux ont été vendus environ 12 millions de dollars américains. Malgré les réserves de Clarkson au sujet de la comparabilité du Mikhail Romm, cette société était d'avis qu'il était suffisamment semblable aux navires de Rigel pour permettre de déterminer une juste valeur marchande. Un tableau comparatif des caractéristiques principales des navires de Rigel et du Mikhail Romm figure en appendice aux présents motifs.

Pour préparer son analyse rétrospective du prix qu'un acheteur sérieux était prêt à payer, à la fin de 1993 et au début de 1994, pour un navire transporteur de produits chimiques et de pétrole comparable, Clarkson a examiné la conjoncture du marché de la vente et de l'achat des navires à cette époque. Elle a constaté que, à la fin de 1993 et au début de 1994, le marché des navires transporteurs de produits chimiques et de produits pétroliers était déprimé en raison d'une récession en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord. Les éléments de preuve présentés par M. Blayney indiquent que le marché de la vente et de l'achat des navires usagés transporteurs de produits chimiques et de produits pétroliers était aussi très calme. Il a aussi fait observer que le marché de la vente des navires usagés transporteurs de produits chimiques était tellement morne que deux navires transporteurs de produits chimiques à peu près comparables, qui étaient en vente depuis des mois à cette époque, ont de fait été retirés du marché lorsqu'aucun acheteur ne s'est présenté.

Clarkson a souligné dans son rapport Chemical Tanker Trends & Outlook, publié à l'automne 1993, que les revenus des navires transporteurs de produits chimiques avaient été durement touchés par le fléchissement de l'activité industrielle. Les revenus d”affrètement ont donc diminué.

C'est à la lueur d'une telle conjoncture économique que Clarkson a effectué son évaluation. Pour déterminer la valeur des navires de Rigel en se servant du Mikhail Romm comme repère, il lui a fallu, d'abord, déterminer une valeur de base commune, en tenant compte de la différence d'âge des navires, et, en deuxième lieu, comparer et évaluer leurs particularités propres.

Pour déterminer la valeur de base commune du Mikhail Romm et des navires de Rigel, il a fallu prendre en compte la différence d'âge entre eux. Clarkson a appliqué la norme en usage dans l'industrie, soit 6 p. 100 par année, comme taux d'appréciation ou de dépréciation. À partir du prix de vente de 12 millions de dollars américains du Mikhail Romm, Clarkson a apprécié ce montant de 6 p. 100 par année sur quatre ans et est arrivée à une valeur de 15 149 718 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement, parce que ces deux navires, des modèles de 1992, étaient plus jeunes de quatre ans que le Mikhail Romm, et l'a apprécié sur cinq ans, arrivant à une valeur de 16 058 700 $ US, pour le Jadestern, puisque ce dernier est un modèle de 1993. Parce que le Jadestern a été construit en 1993 et n'a pas été importé avant 1994, un an plus tard que ses navires jumeaux et presque un an après la vente, en mai 1993, du Mikhail Romm, Clarkson en a déprécié la valeur de 6 p. 100 pour tenir compte du fait qu'il avait été importé à titre de navire âgé de un an. Sa valeur à l'importation en 1994 était donc de 15 095 000 $ US [8] .

Ensuite, Clarkson a considéré les différences entre les citernes de charge des divers navires. Les citernes des navires de Rigel étaient à recouvrement d'époxy. Les citernes du Mikhail Romm étaient, d'autre part, à 50 p. 100 en acier inoxydable. Les éléments de preuve dont disposait Clarkson indiquaient que les citernes en acier inoxydable pouvaient servir à une plus vaste gamme de cargaisons, y compris les produits chimiques liquides, que les citernes à recouvrement d'époxy. Par conséquent, les taux d'affrètement associés aux navires dotés de citernes en acier inoxydable sont supérieurs à ceux associés aux navires dotés de citernes à recouvrement d'époxy. Précisément, les citernes en acier inoxydable augmentent la valeur d'un navire [9] . À l'appui de son argument, M. Blayney a souligné que, au printemps 1992, il existait un écart de 26 p. 100 entre les gains quotidiens d'un navire de 12 000 tonnes de port en lourd (TPL), doté de citernes à recouvrement d'époxy et ceux qui pouvaient être associés à un même navire doté de citernes en acier inoxydable. L'écart, s'il est tenu compte de la conjoncture économique au printemps de 1993 et au printemps de 1994, grimpe à presque 40 p. 100 [10] .

Clarkson a entrepris de déterminer la valeur supplémentaire qu'il convenait d'attribuer au Mikhail Romm puisqu'il était doté de citernes en acier inoxydable. La conclusion de Clarkson a été que, dans l'ensemble, l'écart de 26 à 40 p. 100 des recettes justifiait une augmentation de 15 à 20 p. 100 de la valeur du Mikhail Romm par rapport aux navires de Rigel. Clarkson a choisi l'extrémité supérieure de la fourchette, soit 20 p. 100, et l'a réduite de 50 p. 100 pour tenir compte du fait que seulement la moitié des citernes du Mikhail Romm étaient en acier inoxydable. Pour tenir compte de la valeur supplémentaire de ces réservoirs, elle a diminué la valeur des navires de Rigel de 10 p. 100. Par conséquent, la valeur de ces derniers passait à 13 634 747 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et à 13 585 500 $ US pour le Jadestern.

Clarkson a ensuite examiné la différence de construction de la coque des navires. Le Mikhail Romm avait une coque simple, tandis que les navires de Rigel avaient une double coque. Cependant, le Mikhail Romm était doté d'un double fond qui en améliorait la résistance et la sécurité, quoique moins qu'une double coque. M. Blayney a expliqué que les doubles coques ne sont pas obligatoires au Canada, bien qu'elles devraient le devenir vers 2010. Il a indiqué que la construction d'un navire à double coque coûtait légèrement plus cher, mais que cette caractéristique, en elle-même, ne produisait pas de gains supplémentaires sur le marché de l'affrètement. Les acheteurs de navires, étant si parcimonieux, ne paieraient pas, selon M. Blayney, un prix majoré pour obtenir un navire doté d'une double coque.

M. Blayney a témoigné que Clarkson a trouvé très difficile de déterminer quel écart il convenait d'associer à la valeur des navires usagés à double coque par rapport aux navires usagés à coque simple. Ainsi qu'il l'a précisé, « le fait serait reconnu que, lors de la construction initiale du navire, il y aurait un certain coût supplémentaire lié à l'acier, mais que, sur le marché des navires d'occasion, lorsqu'une double coque n'est pas nécessaire pour exploiter un navire, alors un propriétaire n'acceptera vraisemblablement pas de payer un prix majoré pour une telle caractéristique [11] » [traduction]. Clarkson n'a pas augmenté la valeur des navires de Rigel relativement à cette caractéristique. Plutôt, elle a « mis de côté » ce facteur et y est revenue par la suite en déclarant que cette caractéristique, ainsi que la cote glace plus élevée des navires de Rigel, compensait pour la plus grande capacité de transport, la plus grande vitesse, et les machines plus puissantes du Mikhail Romm.

M. Blayney a ensuite abordé la question de cote glace des navires. Il a souligné que les navires de Rigel ont une cote glace 1A, tandis que la cote glace du Mikhail Romm est 1B. Plus la cote glace d'un navire est élevée, plus ce navire est en mesure de naviguer dans des conditions rigoureuses. M. Blayney a dit avoir conclu que cette caractéristique était excessive par rapport aux besoins d'Ultramar, puisque cette dernière n'avait pas l'intention de faire du commerce dans les eaux arctiques. Le point le plus rapproché de l'Arctique où Ultramar avait l'intention de se rendre était Goose Bay (Labrador) et ce, uniquement durant l'été, une période durant laquelle la cote glace n'est pas du tout nécessaire.

M. Blayney a admis qu'un navire ayant une cote glace plus élevée peut naviguer dans certaines eaux où les autres navires ne peuvent se rendre. Il a cependant ajouté que « cette cote glace plus élevée n'est en fait nécessaire qu'en zone arctique et bien peu de personnes y font du commerce [12] » [traduction]. Cependant, il a reconnu qu'une cote glace plus élevée peut avoir une certaine valeur et aussi, ainsi qu'il a déjà été indiqué, cette caractéristique compensait pour les caractéristiques supérieures du Mikhail Romm aux plans de sa capacité volumétrique, de la puissance de ses machines et de sa vitesse.

Le rapport Clarkson a souligné que le Mikhail Romm avait une plus grande capacité de transport, des machines plus puissantes et pouvait atteindre une vitesse légèrement plus élevée que les navires de Rigel. En théorie, de telles caractéristiques signifieraient, selon M. Blayney, qu'un navire peut rapporter davantage, grâce à sa capacité de transporter une plus grosse cargaison et de se déplacer plus rapidement et plus longtemps avec des machines plus puissantes à une plus grande vitesse. Ces dernières caractéristiques pourraient représenter un ou deux voyages de plus durant une année. Cependant, il a ajouté que Clarkson ne pouvait quantifier avec précision la valeur des caractéristiques susmentionnées parce qu'il arrive souvent que les navires ne transportent pas un plein chargement et que, « généralement », ils se déplacent à environ 13 nœuds, soit une vitesse que le Mikhail Romm et les navires de Rigel peuvent atteindre. Tenant compte de ces valeurs supplémentaires, Clarkson a décidé qu'elles compensaient pour la cote glace supérieure des navires de Rigel et leur construction à double coque.

Les valeurs finales établies par Clarkson ont été de 13 634 747 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et de 13 585 500 $ US pour le Jadestern.

POSITION DE L'INTIMÉ

M. William Bays, auquel le Tribunal a reconnu le titre d'expert en évaluation de navires, a témoigné au nom de l'intimé. Comme dans le cas de M. Blayney, la carrière de M. Bays dans l'industrie du transport maritime est longue et éminente. Il a commencé à travailler dans le domaine de la marine marchande en 1953 chez Clarkson, où il est demeuré jusqu'en 1983, l'année où il a quitté Clarkson, y ayant progressé jusqu'au poste de directeur principal du Conseil d'administration, pour lancer sa propre société de courtage et d'évaluation de navires — Braemar. Comme Clarkson, Braemar est une société de courtage et d'évaluation de navires qui jouit d'une excellente réputation.

Bien que M. Bays n'ait pas été le premier à s'occuper du « dossier Rigel » chez Braemar, il était bien au courant du travail d'évaluation accompli par ses collègues à la fin de 1993 et en 1994. En janvier 1994, lorsque Braemar a offert pour la première fois un avis sur la valeur des navires de Rigel, elle a souligné le fait qu'« il existait très peu de navires similaires disponibles et, en vérité, nous n'avons enregistré aucune vente significative durant la dernière année [13] » [traduction]. En l'absence de vente significative qui aurait pu servir à une étude comparative des navires de Rigel, Braemar a adopté une méthode d'évaluation fondée sur le coût de remplacement par la construction d'un navire neuf. Elle a constaté qu'il faudrait payer, en janvier 1994, pour remplacer un navire présentant des caractéristiques et éléments similaires, de 18 à 19 millions de dollars américains environ. Cependant, elle a pris note qu'il y avait eu un « fléchissement des marchés du transport maritime depuis que [les navires de Rigel] ont été commandés et livrés [14] » [traduction]. Par conséquent, ses évaluations initiales étaient de 16 650 000 $ US chacun pour l'Elbestern et l'Emsstern et de 17 250 000 $ US pour le Jadestern. Braemar a aussi souligné, dans la lettre d'accompagnement du rapport, que le marché du transport maritime présentait passablement peu d'attrait à cette époque, qu'il existait davantage de navires qu'il n'en fallait pour suffire aux besoins de l'industrie et que, par conséquent, peu de commandes de navires seraient vraisemblablement placées.

À la suite de son évaluation initiale, Braemar a échangé quelques lettres avec l'intimé, dans lesquelles Braemar a répondu à une série de questions au sujet de la méthode qu'elle avait retenue pour son évaluation et a présenté des observations sur les évaluations réalisées par les autres évaluateurs de navires. Après avoir examiné le rapport d'août 1996 de Clarkson, Braemar a changé de méthode d'évaluation pour adopter la méthode fondée sur les ventes comparables. En décembre 1996, Braemar a remis un rapport révisé dans lequel l'analyse de Clarkson était minutieusement étudiée article par article [15] .

Dans cette dernière évaluation, Braemar, comme Clarkson, a tenté de tenir compte du marché des navires usagés transporteurs de produits chimiques tel qu'il était à la fin de 1993 et au début de 1994. À cet égard, elle a tenu compte de la conjoncture économique globale qui, à cette époque, aurait eu une incidence sur le marché de la vente de navires usagés transporteurs de produits chimiques. À cette fin, elle a conclu que « les valeurs sur le marché des navires transporteurs de produits chimiques et autres produits ont augmenté de façon modeste mais persistante durant 1993, le redressement des prix se poursuivant en 1994 [16] » [traduction].

Braemar a aussi été d'avis que le marché des navires « presque neufs » similaires aux navires de Rigel était suffisamment robuste pour supporter une augmentation de 4 p. 100 des valeurs du Emsstern et du Elbestern et de 7 p. 100 du Jadestern. La position optimiste de Braemar, soit d'augmenter la valeur des navires de Rigel, était basée sur le fait que, notamment, le marché de la construction de navires neufs en 1993-1994 maintenait les prix de vente à leur niveau de 1991-1992. De même, elle a pris note de la vigueur de l'activité de vente dans un autre secteur du transport maritime, soit le secteur Panamax, qui touche les navires transportant des cargaisons sèches atteignant souvent des tonnages de 60 000 à 70 000 TPL. Selon Braemar, la robustesse ou la vigueur du marché du transport de marchandises sèches était de nature à entraîner à la hausse, par le simple effet de réaction en chaîne, les autres secteurs du commerce, comme celui des produits chimiques et pétroliers [17] . Enfin, Braemar a cité le rapport de recherche de Clarkson intitulé « Chemical Tanker Trends & Outlook», publié à l'automne 1993, qui indiquait une augmentation à long terme de 2 à 3 p. 100 par année de l'activité commerciale du secteur du transport maritime de produits chimiques [18] . L'analyse économique susmentionnée a poussé Braemar à conclure que « le marché était mûr pour une augmentation et un investissement de l'ordre indiqué par les valeurs des navires de Rigel que nous avions déterminées n'était certes pas trop élevé [19] » [traduction]. C'est dans un tel contexte que Braemar a ensuite examiné les différences d'âge et de caractéristiques des navires.

Braemar se dit d'abord d'accord avec Clarkson sur le fait qu'un taux de 6 p. 100 par année pour calculer l'appréciation ou la dépréciation s'imposait pour obtenir une valeur de base commune dans le but de tenir compte de la différence d'âge entre les navires de Rigel et le Mikhail Romm. Par conséquent, les valeurs de base de Braemar, compte tenu de la différence d'âge des navires et des augmentations économiques de 4 p. 100 et de 7 p. 100, sont de 15 755 706 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et de 16 151 650 $ pour le Jadestern.

Braemar a ensuite abordé la façon dont Clarkson avait traité la question des citernes en acier inoxydable. Selon Braemar, les citernes en acier inoxydable du Mikhail Romm devraient correspondre uniquement à une augmentation de 7,5 p. 100 par rapport aux navires de Rigel et non de 10,0 p. 100 comme l'a avancé Clarkson. À son avis, cette caractéristique devrait être évaluée en fonction de sa convenance au type d'activités prévues de l'acheteur, et non de l'incidence qu'elle a sur la capacité de produire des gains. M. Bays a souligné qu'Ultramar n'avait guère besoin de citernes en acier inoxydable, étant donné la cargaison qu'elle avait l'intention de transporter et que, par conséquent, de telles citernes ne représentaient qu'une valeur et une utilité marginales. En appliquant le facteur de 7,5 p. 100 qu'elle avait retenu, Braemar est arrivé à des valeurs d'évaluation ayant pour effet d'abaisser la valeur de l'Emsstern et de l'Elbestern à 14 574 028 $ US respectivement et celle du Jadestern à 14 940 276 $ US.

Un autre point sur lequel Braemar et Clarkson sont en désaccord se rapporte à la valeur qu'il convient d'attribuer à la double coque des navires de Rigel par rapport à la coque simple du Mikhail Romm. Selon Braemar, la double coque, tout en ayant peu d'incidence sur la capacité d'exploitation et de production de gains du navire (comme l'a souligné M. Blayney), a pourtant une incidence considérable sur la valeur d'un navire. Reconnaissant que les doubles coques ne sont pas présentement exigées pour exploiter un navire le long de la côte est du Canada, Braemar a déclaré que « [l]es acheteurs paient régulièrement davantage pour le tonnage en double coque, qu'ils commandent d'un chantier naval ou qu'ils achètent un navire d'occasion [20] » [traduction]. Selon Braemar, le coût supplémentaire de cette caractéristique pour un navire neuf est d'environ 15 p. 100. Tout en reconnaissant qu'il serait impossible de recouvrer intégralement ce montant dans le cas d'un navire usagé dans une transaction du type gré à gré, selon Braemar, cette caractéristique valait moins de 15 p. 100, mais plus que le pourcentage que lui a attribué Clarkson. Par conséquent, Braemar a ajouté 10 p. 100 à la valeur de l'Elbestern et de l'Emsstern, portant leur valeur à 16 031 430 $ US respectivement et celle du Jadestern à 16 434 303 $ US.

Quant à la cote glace, M. Bays s'est dit d'avis que, dans son évaluation, Clarkson n'a pas attribué une valeur suffisante à la cote glace des navires de Rigel. Même si l'écart est minime, la cote 1A étant capable de subir 0,8 mètres de glace (la première année) par rapport à 0,6 mètres de glace (la première année) dans le cas de la cote 1B, selon Braemar, une certaine valeur devait être attribuée à cet écart. Elle a déclaré que, bien que les navires de Rigel n'avaient pas besoin d'une cote glace pour effectuer le travail qui leur était destiné, cette caractéristique est un « point de vente important lorsqu'un navire doit faire du commerce dans cette région durant toute l'année [21] » [traduction]. Braemar attribuerait à ce facteur une augmentation de 2 p. 100 de la valeur, tandis que Clarkson ne lui a attribué aucune valeur quantifiable. Compte tenu du facteur de 2 p. 100 susmentionné, les valeurs deviennent les suivantes : 16 352 058 $ US pour l'Elbestern et l'Emsstern respectivement, et 16 762 989 $ US pour le Jadestern.

Enfin, Braemar a conclu qu'une réduction de 6 p. 100 de la valeur des navires de Rigel était convenable pour tenir compte de la plus grande capacité volumétrique du Mikhail Romm, de ses machines plus puissantes et de sa plus grande rapidité. En termes simples, selon Braemar, les facteurs susmentionnés, bien que mineurs, permettraient de transporter un plus grand nombre de cargaisons ou des cargaisons de plus grande taille chaque année. Sur ce point, encore, l'avis de Braemar diffère de celui de Clarkson qui a choisi d'annuler la valeur de ces caractéristiques en déclarant qu'elles équivalaient aux facteurs de cote glace et de double coque particuliers aux navires de Rigel. Compte tenu de cette réduction de 6 p. 100, les valeurs finales présentées par Braemar dans son rapport révisé de décembre 1996 ont été de 15 370 934 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement, et de 15 757 209 $ US pour le Jadestern.

POSITION DE l'AAC

L'avocat de l'AAC a convoqué un témoin, M. Terje Gilje, auquel le Tribunal a reconnu le titre d'expert en évaluation de navires. Son expérience dans le domaine du transport maritime remonte à plus de 28 ans, au cours desquels il a œuvré dans tous les aspects de ce secteur.

Fondamentalement, les éléments de preuve qu'il a présentés indiquent que les navires valent beaucoup plus que ne l'ont indiqué tant Braemar que Clarkson. Les navires étaient, à toutes fins pratiques, des navires neufs et auraient dû être évalués en tant que tels. Le fait qu'ils aient fait « le tour du pâté » avant leur importation n'enlève rien au fait qu'ils étaient essentiellement neufs.

Selon M. Gilje, les navires de Rigel valaient entre 24,0 et 24,5 millions de dollars américains en novembre 1993. Cette valeur a été déterminée d'après l'estimation du prix d'achat des navires à environ 25 millions de dollars américains et en appliquant à ce prix un facteur de dépréciation de 3 à 4 p. 100 par année.

Lorsqu'il lui a été demandé quelle était la valeur des navires de Rigel en 1993, M. Gilje a commencé son analyse en examinant, d'abord, le prospectus publié par l'appelante pour inviter des investissements. M. Gilje a parcouru le prospectus et en a déduit que les navires étaient évalués à environ 40 millions de deutsche marks, soit 25 millions de dollars américains. Les valeurs susmentionnées ont été, à son avis, confirmées par des articles publiés dans des revues professionnelles, comme Shiff & Hafen et TradeWinds. Les articles indiquaient que l'appelante avait payé 480 millions de deutsche marks pour dix navires, et M. Gilje a supposé que trois d'entre eux étaient l'Emsstern, l'Elbestern et le Jadestern.

M. Gilje a maintenu que les navires de Rigel auraient dû être évalués en tant que navires neufs à cause de leur niveau de perfectionnement (entraînant donc un taux de dépréciation moins élevé) et de leur nouveauté. Son opinion de la valeur des navires de Rigel a été renforcée du fait que les navires de Larsen, qui ont été livrés à peu près en même temps que les navires de Rigel, ont été évalués, pour des fins d'assurances et de financement, à environ 25 millions de dollars américains chacun. Tous les facteurs susmentionnés indiquaient une valeur se situant dans la fourchette des 24,0 à 24,5 millions de dollars américains. À son avis, il était incorrect d'attribuer des valeurs dans la fourchette des 14,0 à 15,7 millions de dollars américains comme Clarkson et Braemar l'avaient fait. De plus, M. Gilje a reçu, par un intermédiaire, un prix proposé de MTW, le chantier naval qui a construit les navires de Rigel, indiquant que, en juillet 1993, des navires identiques coûtaient presque 43 millions de deutsche marks, soit environ 26,0 millions de dollars américains. Les navires de Rigel, étant tellement nouveaux et ayant à peine servi, ne pouvaient tout simplement, à son avis, valoir presque la moitié de leur coût de construction comme navires neufs.

ANALYSE

La première question que le Tribunal doit trancher concerne la méthode de calcul de la valeur en douane. L'avocat de l'AAC a soutenu que la dernière méthode d'appréciation mentionnée, qui est prévue à l'article 53 de la Loi n'aurait pas dû être appliquée pour déterminer la valeur en douane dans la présente affaire. Plutôt, l'avocat a soutenu que la Loi exige le respect de l'ordre d'applicabilité des méthodes d'appréciation de la valeur en douane énoncées aux articles 48 à 53. L'avocat a souligné que l'article 47 prescrit que les différentes valeurs transactionnelles doivent être examinées dans l'ordre. Ce n'est que lorsqu'une méthode ne peut servir au calcul de la valeur en douane qu'il est autorisé de passer au prochain article et d'en utiliser une autre. Étant donné qu'il n'y a pas de vente pour exportation, l'article 48, selon l'AAC, ne peut s'appliquer, comme ne peuvent s'appliquer ni l'article 49, qui s'appuie sur la valeur transactionnelle de marchandises identiques, ni l'article 50, qui s'appuie sur la valeur transactionnelle de marchandises similaires, ni l'article 51, qui s'appuie sur une valeur de référence. Cependant, selon l'AAC, l'article 52, qui prévoit le recours à la valeur reconstituée, non seulement peut mais doit être appliqué pour calculer la valeur en douane [22] .

Les avocats de l'appelante et l'avocat de l'intimé ont exprimé leur désaccord sur la position susmentionnée. Mis à part le fait que cette question n'a été déposée par l'AAC que peu avant le début de l'audience, et presque quatre ans après que l'intimé et l'appelante se soient entendus sur le choix de la méthode prévue à l'article 53 de la Loi, ils ont convenu que l'article 53 était pertinent parce qu'il n'y avait pas de vente pour exportation au Canada. En invoquant l'article 53, l'intimé semblerait avoir examiné les autres méthodes prévues aux articles 48 à 52 et les avoir rejetées. Dans la présent affaire, l'information nécessaire pour mener une analyse en s'appuyant sur l'article 52 était connue d'une tierce partie, MTW. Bien que l'appelante puisse avoir été au courant d'une partie de cette information, il est improbable que l'appelante aurait pu avoir accès à l'information nécessaire pour réaliser un calcul fondé sur la valeur reconstituée. La valeur reconstituée est davantage utilisée lorsque l'importateur et le fabricant des marchandises sont liés. L'article 53 représente, selon le Tribunal, une méthode convenable pour fonder le calcul, étant donné la nature inhabituelle de ladite transaction.

Le Tribunal a examiné les arguments avancés par l'avocat de l'AAC portant sur la question de savoir si les navires devaient être évalués en tant que navires neufs ou en tant que navires usagés. Bien que les navires de Rigel aient été livrés à l'appelante à peine quelques mois après le début de leur exploitation en mer, ils n'étaient pas des navires neufs. D'autre part, le Tribunal a reçu des éléments de preuve selon lesquels les navires, comme les véhicules automobiles, sont considérés comme étant usagés une fois qu'ils « ont quitté le concessionnaire et tourné le coin de la rue ». Aucun des éléments de preuve présentés au Tribunal ne le convainc d'évaluer les navires en cause en tant que navires neufs, malgré les observations de l'AAC. Le fait qu'ils puissent être encore protégés par la garantie, et être en période de « rodage » acceptée dans l'industrie, ne change pas le fait qu'ils étaient des navires usagés lorsqu'ils ont été importés à la fin de 1993 et au début de 1994.

Ce qui précède ne signifie pas que le prix de construction d'un navire neuf doive être ignoré, particulièrement lorsqu'un navire n'est que légèrement usagé. Ce prix peut souvent représenter un autre repère qui peut éclairer le processus d'appréciation d'une valeur. Cependant, le Tribunal accueille les éléments de preuve de M. Blayney selon lesquels il ne peut être attribué que peu de poids au prix à neuf d'autres navires (comme les navires de Larsen) qui étaient, à certains égards, plus perfectionnés que les navires de Rigel et qui ont été construits par un chantier naval de meilleure réputation. Mettant de côté les avantages et les inconvénients des différents navires susmentionnés, M. Blayney a invité à la prudence relativement à l'usage du prix d'un navire neuf pour évaluer la valeur d'un navire usagé, puisqu'une foule de facteurs, dont certains peuvent n'avoir aucun rapport, peuvent déterminer ce que vaut un navire neuf pour un acheteur particulier.

Le Tribunal conclut que la méthode la plus précise, en l'espèce, pour déterminer la valeur d'un navire usagé est de le comparer avec le prix de vente versé pour des navires similaires vendus à peu près en même temps selon une transaction de gré à gré. Cette méthode, qui dépend évidemment de l'existence de ventes de navires usagés qui peuvent servir de points de comparaison, était la méthode préférée des experts, comme M. Tantrum, et a été reconnue comme telle par l'expert de l'intimé, M. Bays. Le Tribunal, par conséquent, rejette la méthode d'évaluation que l'AAC l'exhorte d'appliquer.

Le Tribunal examinera le calcul de la valeur en douane fondé sur la méthode des ventes comparables utilisant le Mikhail Romm à titre de repère. Le Tribunal accepte le prix de vente de 12 millions de dollars américains du Mikhail Romm et de ses navires jumeaux comme prix de départ pour les fins de l'appréciation de la valeur des navires de Rigel.

Âge

La valeur du Mikhail Romm, en date de sa vente en mai 1993, était de 12 millions de dollars américains. Le Tribunal fait observer que tant Braemar que Clarkson ont accepté le principe qu'un taux annuel d'appréciation ou de dépréciation de 6 p 100 convient pour arriver à un point de départ comparable. Puisque l'Emsstern et l'Elbestern ont tous deux été importés la même année que le Mikhail Romm a été vendu, il n'est pas nécessaire d'appliquer le facteur de dépréciation à leur valeur, mais il faut le faire dans le cas du Jadestern. L'application du taux d'appréciation et de dépréciation de 6 p. 100 par année donne un prix de base équivalent en novembre 1993, au moment de leur importation, de 15 149 718 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et, en mars 1994, de 15 095 000 $ US pour le Jadestern.

Reprise économique

Le rapport Braemar indique qu'une augmentation de 4 p. 100 de la valeur du Emsstern et du Elbestern et de 7 p. 100 de celle du Jadestern est justifiée étant donné que le marché des navires usagés était mûr pour une reprise, même si le marché des navires transporteurs de produits chimiques et de produits pétroliers était manifestement déprimé en 1992, 1993 et au début de 1994 en raison de la récession en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord.

Le Tribunal conclut que le marché de la vente des navires usagés et le marché de l'affrètement à terme de navires comme les navires de Rigel étaient déprimés en 1993 et au début de 1994. Les tableaux soumis par l'appelante ont démontré que la capacité bénéficiaire de navires similaires aux navires en cause est passée d'environ 9 500 $ US par jour à l'automne 1992 à environ 7 500 $ US par jour au printemps 1993 [23] . Elle est ensuite demeurée stable jusqu'au milieu de 1994 et n'a peu à peu commencé à monter que par la suite. L'indice de fret Baltic Freight Index, un autre baromètre de l'activité du transport maritime reconnu dans l'industrie, a indiqué une baisse similaire des profits du transport de marchandises sèches de 1992 jusqu'au début de 1994 [24] . Les indicateurs susmentionnés des gains pour l'affrètement à terme et du mouvement des marchandises corroborent l'opinion de Clarkson selon laquelle le marché des navires transporteurs de produits chimiques était déprimé.

La raison principale justifiant les augmentations de 4 et de 7 p. 100 de Braemar touchait la vigueur de l'activité du secteur des navires Panamax, qui sont de très grands navires. De l'avis de Braemar, cette vigueur du commerce devait inévitablement se répercuter sur le marché des navires transporteurs de produits chimiques. Cependant, étant donné que le secteur Panamax touchait des navires beaucoup plus gros que le type de navires qui font l'objet du présent appel, le Tribunal rejette la notion de réaction en chaîne obligatoire sur laquelle s'appuie Braemar.

L'optimisme de Braemar a également été motivé par le fait que les prix pour la construction de navires neufs s'étaient maintenus à un niveau relativement stable en 1993-1994 par rapport à 1991-1992. Cependant, ainsi que le Tribunal l'a entendu, beaucoup de raisons pourraient expliquer pourquoi de nouvelles commandes seraient placées lorsque le marché est déprimé, y compris l'occasion de commander à des prix bas ou déprimés, pariant que, au moment de la livraison (habituellement un ou deux ans plus tard), la valeur du navire sera plus élevée ou encore la décision d'une entreprise d'acheter un navire pour transporter ses propres produits, etc.

Les éléments de preuve ont aussi montré que les ventes de navires usagés comparables en 1993 ont été presque inexistantes. En vérité, il semble que des navires usagés similaires aux navires de Rigel ont même été retirés du marché à cette époque étant donné le manque d'intérêt des acheteurs.

Il apparaît au Tribunal que Braemar, tout en s'appuyant sur le bagage d'expérience et de compétences qu'elle avait accumulé, a aussi entrepris de faire certaines prédictions. Clarkson, d'autre part, semble avoir axé son analyse sur ce qui se passait réellement sur le marché des navires usagés au cours des périodes de temps pertinentes en 1993 et au début de 1994. De plus, les éléments de preuve ont indiqué que la reprise économique ne s'est amorcée qu'en 1994, après l'importation du Jadestern. Par conséquent, le Tribunal rejette les augmentations de 4 et 7 p. 100 calculées par Braemar.

Citernes en acier inoxydable

Les citernes en acier inoxydable du Mikhail Romm, bien qu'elle ne représentent que 50 p. 100 de la capacité de chargement, justifient une augmentation de valeur par rapport aux navires qui ne disposent que de citernes à recouvrement d'époxy et qui ne sont pas capables d'accepter des cargaisons liquides plus diversifiées et plus payantes. Le Tribunal est d'avis que la valeur de 10 p. 100 attribuée par Clarkson à cette caractéristique est trop élevée. D'autre part, l'argument de Braemar selon lequel cette caractéristique devrait être assortie d'une valeur moindre parce que l'appelante n'avait guère besoin de citernes en acier inoxydable est un argument trop centré sur un acheteur spécifique. Une appréciation objective doit être centrée sur la valeur de cette caractéristique pour un acheteur sérieux sur le marché libre. Cela dit, le Tribunal est d'avis que la valeur correcte se situe entre les deux valeurs susmentionnées et, par conséquent, évalué à 8,75 p. 100 la valeur supplémentaire que représentent les citernes en acier inoxydable du Mikhail Romm par rapport aux navires de Rigel. En appliquant ce facteur, la valeur des navires de Rigel baisse de 8,75 p. 100 et devient 13 824 118 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et 13 774 000 $ US pour le Jadestern.

Double coque par rapport à coque simple

Braemar et Clarkson sont en désaccord sur la valeur que représente la double coque des navires de Rigel par rapport à la coque simple du Mikhail Romm. Même si un vendeur ne peut raisonnablement s'attendre à recouvrer le montant intégral payé pour cette caractéristique sur un navire neuf (une majoration de prix d'environ 15 p. 100), le Tribunal est d'avis qu'une certaine valeur doit lui être attribuée. Clarkson déclare que, étant donné que les doubles coques ne sont présentement pas prescrites, elles n'ont pratiquement aucune incidence sur les possibilités commerciales des navires ni sur leur valeur marchande. Par conséquent, Clarkson n'attribue aucune valeur spécifique à cette caractéristique, même si elle l'utilise afin de compenser pour d'autres caractéristiques du Mikhail Romm.

Cette situation est peut-être analogue à l'exemple d'un véhicule automobile doté, en option, du système de freinage antidérapant. Manifestement, une telle caractéristique, qui implique un coût initial majoré, est une caractéristique utile au plan de la sécurité, même si elle n'est pas obligatoire dans un véhicule neuf. Une telle caractéristique aurait-elle une incidence sur le raisonnement d'un acheteur de véhicule automobile usagé et un acheteur paierait-il plus cher un véhicule qui en est doté? Selon le Tribunal, les caractéristiques additionnelles au plan de la sécurité peuvent motiver un acheteur à payer une prime. Étant donné que les doubles coques seront prescrites d'ici à 2010, et étant donné la mauvaise publicité qui découlerait d'un déversement de produits pétroliers ou de produits chimiques, une telle caractéristique peut exiger une prime. Cependant, le Tribunal n'est pas d'accord avec la valeur de 10 p. 100 attribuée à cette caractéristique par Braemar, étant donné la déclaration de cette dernière selon laquelle la caractéristique représente une majoration d'environ 15 p. 100 lors de la construction de navires neufs. Braemar a reconnu qu'un acheteur ne peut s'attendre à recouvrer le montant intégral de la majoration lors de la vente du navire en tant que navire usagé. Le Mikhail Romm, sans être à double coque, était doté d'un double fond qui en améliorait la résistance et la valeur marchande. Compte tenu des éléments susmentionnés, le Tribunal apprécie la valeur de cette caractéristique à 7,5 p. 100, soit à la moitié de la majoration du prix initial lors de la construction d'un navire neuf. Ainsi redressées, les valeurs des navires de Rigel augmentent à 14 860 926 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et à 14 807 000 $ US pour le Jadestern.

Cote glace

Clarkson n'a attribué aucune valeur quantifiable particulière à cette caractéristique, préférant l'utiliser, ainsi que la double coque, afin de compenser pour les plus grandes valeurs de capacité volumétrique, de puissance de machines et de rapidité du Mikhail Romm. Braemar, cependant, a exprimé l'avis qu'une majoration de 2 p. 100 est convenable puisque les navires de Rigel ont une cote glace 1A, tandis que le Mikhail Romm a une cote glace 1B. Le Tribunal est d'avis que l'écart a très peu d'incidence, comme le montrent les éléments de preuve selon lesquels les deux classes sont d'un niveau plus que suffisant pour mener, à l'année longue, une activité commerciale dans toutes les régions du monde, sauf les plus reculées. La cote 1A et la cote 1B sont toutes deux plus que suffisantes aux fins du commerce international général et, par conséquent, le Tribunal est d'avis que la majoration de 2 p. 100 proposée par Braemar n'est pas justifiée. Plutôt, le Tribunal est d'avis que la valeur correspondant à la différence de cote glace doit être annulée en la contrebalançant avec les valeurs plus grandes du Mikhail Romm en termes de puissance des machines, de capacité volumétrique et de vitesse maximale. Les valeurs des navires de Rigel demeurent 14 860 926 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et 14 807 000 $ US pour le Jadestern.

Capacité volumétrique, puissance des machines et rapidité

Il est manifeste que le Mikhail Romm peut transporter une plus grosse cargaison, et le faire plus rapidement. Braemar attribuerait donc à ces facteurs une valeur de 6 p. 100 par rapport aux navires de Rigel, qui sont plus lents et plus petits. Bien que des éléments de preuve militent, dans une certaine mesure, en faveur de l'avis de Braemar, l'avantage dont bénéficie le Mikhail Romm est marginal. La différence de vitesse n'est pas, en réalité, significative et n'augmente pas, dans une mesure quantifiable, les possibilités commerciales du Mikhail Romm. De même, la capacité volumétrique peut avoir une certaine valeur, mais étant donné que les navires sont rarement chargés à pleine capacité, ce facteur ne revêt qu'une valeur marginale. De même, la puissance des machines du Mikhail Romm, plus grande que celle des navires de Rigel, ne justifie pas une valeur supplémentaire précise puisqu'elle est mineure. Le Tribunal convient avec Clarkson que la façon la plus appropriée de traiter de ces caractéristiques avantageuses est de considérer qu'elles compensent pour les avantages des navires de Rigel au plan de la cote glace. La valeur des navires de Rigel demeure à 14 860 926 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et à 14 807 000 $ US pour le Jadestern.

Autres facteurs

Selon certains éléments de preuve, les navires de Rigel sont de meilleure construction que le Mikhail Romm. Il a été proposé que le chantier naval espagnol qui a construit le Mikhail Romm ne vaut pas le chantier naval allemand qui a construit les navires de Rigel. Bien qu'il soit possible de conclure que les navires de Rigel ont été mieux construits, la qualité d'exécution du travail n'a pas été supérieure au point de justifier une augmentation de valeur uniquement en raison de ce facteur. En vérité, les éléments de preuve montrent que les navires de Rigel étaient les premiers navires transporteurs de produits chimiques qu'ait jamais produits le chantier naval MTW. Un tel fait, combiné aux éléments de preuve présentés par MM. Ritchie et Shanahan, laisse croire que les navires de Rigel ont présenté de nombreux problèmes nécessitant des réparations ou des modifications. Par conséquent, le Tribunal n'apporte aucun redressement à la hausse ni à la baisse relativement au facteur « qualité ».

En outre, il a été indiqué que, pour l'application de la méthode fondée sur une transaction de gré à gré, il faut supposer que le navire ne fait l'objet d'aucune entente d'affrètement. Il semblerait que les navires, comme les navires de Rigel, qui sont importés assortis d'une entente d'affrètement à terme portant sur plusieurs années, devraient valoir davantage. Faire l'objet d'une entente d'affrètement portant sur plusieurs années augmente certes la valeur d'un navire, mais il est extrêmement difficile de quantifier une telle augmentation dans le cadre de l'application de la méthode de transaction de gré à gré portant sur des navires comparables. Les éléments de preuve qui ont été présentés au Tribunal ne sont pas de nature à l'aider à déterminer un montant pertinent à cet égard et, dans l'ensemble, le Tribunal n'est pas d'avis qu'un tel facteur doive se traduire par une augmentation de la valeur des navires de Rigel.

CONCLUSION

Compte tenu de tous les facteurs susmentionnés, le Tribunal conclut que l'intimé a, en partie, incorrectement calculé la valeur en douane des navires de Rigel. Le Tribunal est d'avis que l'article 67 de la Loi l'autorise à remplacer la valeur en douane calculée susmentionnée par la valeur qu'il estime correcte et que son pouvoir ne se limite pas à simplement accepter ou rejeter la détermination de l'intimé. Dans la présente affaire, les éléments de preuve présentés par toutes les parties ont été suffisamment détaillés pour faciliter un calcul indépendant. De plus, il ne serait guère utile de forcer les parties à recommencer et à calculer de nouveau elles-mêmes les montants ou à simplement retenir la valeur médiane du calcul. À la lumière de tous les éléments de preuve dont il dispose, le Tribunal conclut que les valeurs correctes au moment de leur importation sont 14 860 926 $ US pour l'Emsstern et l'Elbestern respectivement et 14 807 000 $ US pour le Jadestern. C'est sur ces derniers montants que les droits de douane applicables doivent être versés.

MIKHAIL ROMM

NAVIRES DE RIGEL

Type :

Transporteur de produits chimiques ou pétroliers

Transporteur de produits chimiques ou pétroliers

Taille :

9 990 TPL

10 345 TPL

Construction de coque :

Simple

Double

Construction :

1988

1992-1993

Chantier naval :

AESA, Espagne

MTW, Allemagne

Classe :

Cote glace 1B de
Lloyds

Cote glace 1A de
Germ Lloyd

Citernes - revêtement :

12 époxy
5 acier inoxydable

12, toutes époxy

Capacité (98 p. 100) :

11 445 m3

10 814 m3

Catégories :

15

13

Ségrégation (entièrement séparée avec pompe et conduite séparées) :

9

7

Chauffage (60o) :

Réchauffeurs de pont

Réchauffeurs de pont

Pompes :

Puits profonds Framo (17)

Puits profond Framo (12)

Nettoyage des citernes :

Portatif, chaque citerne

Stationnaire, chaque citerne

Moteur :

B + W 5 320

B + W 3 700

Vitesse :

Environ 14 n9C_uds

Environ 12,5 nœuds


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. Transcription de l’audience publique, le 26 novembre 1997, aux pp. 34-35. Bien que les trois navires aient été vendus le même prix en deutsche marks, le Jadestern a coûté davantage parce que, lorsqu’il a été commandé, un peu plus tard après les deux autres, le taux de change entre le dollar américain et le deutsche mark avait changé.

3. L’article 53 indique ce qui suit : 53. Lorsqu’elle n’est pas déterminée conformément aux articles 48 à 52, la valeur en douane des marchandises se fonde sur les deux éléments suivants : a) une valeur obtenue en utilisant celle des méthodes d’appréciation prévues aux articles 48 à 52 qui, appliquée avec suffisamment de souplesse pour permettre de déterminer une valeur en douane pour les marchandises, comporte plus de règles adaptables au cas que chacune des autres méthodes; b) les données accessibles au Canada.

4. Lettre du 25 novembre 1993 de M. Michael A. Kelen, avocat de l'AAC, à Revenu Canada, pièce A-18.

5. Lettre du 10 novembre 1995 de Revenu Canada à M. Brian Ritchie, pièce 9.2, onglet 1.

6. À l'origine, Braemar a évalué l'Elbestern au même prix que le Jadestern, croyant à tort que l'Elbestern avait été construit en 1993 plutôt qu'en 1992. Une fois qu'elle a pris note de cette erreur, Braemar a évalué l'Emsstern et l'Elbestern de façon identique.

7. Clarkson a décrit sa méthode d'évaluation dans son rapport du 29 août 1996, pièce 6.2, onglet 2 à la p. 3 : Bien qu'en théorie l'évaluation des navires procède comme telle d'une méthode relativement simple, elle n'est pas une science exacte et comporte inévitablement une certaine subjectivité; par conséquent, il est rare que deux ou plusieurs courtiers s'entendent exactement sur un montant. Le principal critère qu'appliquent la plupart des courtiers en navires d'envergure mondiale, pour les fins d'évaluation, est principalement de s'appuyer sur un navire de tonnage comparable vendu puis de comparer les divers éléments du navire à évaluer par rapport au navire vendu. Une analyse de toutes les principales caractéristiques est alors effectuée, par exemple le type, la taille, l'année de construction, les principales machines, et toutes les autres caractéristiques spéciales sont prises en considération; ces dernières seront examinées selon une échelle de + ou –. Il est habituellement reconnu que la durée de vie utile d'un navire est d'environ 20 ans; en général, les propriétaires amortissent leur navire sur une période de 15 à 20 ans de sorte qu'un courtier applique normalement un facteur de dépréciation de 5 à 6 p. 100 par année d'âge. À cet égard, l'année, et non le mois, est considérée comme date de naissance du navire indépendamment qu'il ait été livré en janvier ou en décembre. Sauf s'il nous est demandé d'évaluer un navire pour des fins spécifiques, telles son remplacement, sa mise à la ferraille ou avec l'inclusion d'un affrètement, notre évaluation se fait sur la base d'une exploitation permanente sans affrètement et en état de navigabilité selon une transaction de gré à gré à la date pour laquelle l'évaluation est demandée. Un courtier tiendra inévitablement compte de la conjoncture du marché, mais n'anticipera pas sur l'avenir ou ne calculera pas de montants spécifiquement élevés ou spécifiquement faibles, et s'appliquera à arriver à un avis équilibré aussi raisonnable que possible fondé sur tous les faits connus. [Traduction]

8. Ibid. Appendice 6. Ces calculs ont pour objet d'établir un point de départ aux fins de comparaison. Parce que le Mikhail Romm a été construit en 1988, quatre ans plus tôt que l'Elbestern et l'Emsstern et cinq ans plus tôt que le Jadestern, il faut calculer la valeur des navires, quatre et cinq ans plus jeunes que le Mikhail Romm, en mai 1993, date à laquelle ce dernier a été vendu 12 millions de dollars américains. Naturellement, il est à prévoir que les navires construits en 1992 et en 1993 valent davantage qu'un navire construit en 1988. La valeur du Jadestern, construit un an plus tard que ses navires jumeaux, serait plus élevée encore. Cependant, parce qu'il a été importé un an plus tard, il faut appliquer un facteur de dépréciation de 6 p. 100, d'où les valeurs différentes.

9. Le témoignage de M. Tantrum a corroboré cette opinion. Transcription de l'audience publique, le 26 novembre 1997 aux pp. 259-260.

10. Rapport d'expert public, de la société H. Clarkson & Company Limited, pièce 20.1, onglet C :

Marché de l'affrètement à terme, en $ US par jour
Construction au milieu
des années 1980
7 000 TPL/
époxy
12 000 TPL/
époxy
12000 TPL/acier
inoxydable
Printemps 1992 6 000 9 500 12 000
Printemps 1993 5 800 7 500 10 500
Printemps 1994 5 800 7 500 10 500
[Traduction]

11. Transcription de la session publique, vol. 1, le 27 novembre 1997 à la p. 408.

12. Ibid. à la p. 488.

13. Lettre de Braemar à Revenu Canada datée du 19 janvier 1994, pièce A-57 à la p. 2.

14. Lettre de Braemar à Revenu Canada datée du 14 avril 1994, pièce A-57 aux pp. 23-24.

15. Lettre du 12 décembre 1996, y compris le rapport révisé de Braemar à Revenu Canada, pièce 6.2, onglet 3.

16. Ibid.

17. Rapport de W.E.A. Bays, FICS, daté du 6 novembre 1997, pièce 19.1, onglet 1 à la p. 4.

18. Ibid. Onglet 7. La partie pertinente du rapport indique ce qui suit : « Il s'agit-là d'un facteur positif dans un contexte où la récession économique perdure et ne montre aucun signe de redressement à court terme. À plus long terme, il y a certaines raisons d'être optimiste puisqu'il est prévu que le taux de croissance de l'industrie remontera à environ 2 p. 100 par année, le taux de mise à la ferraille pouvant atteindre 3 p. 100 par année avec le vieillissement de la flotte. Étant donné la petite taille et la forte spécialisation du marché, les fluctuations relativement faibles susmentionnées devraient suffire pour améliorer les taux jusqu'à des niveaux favorables à l'investissement soutenu nécessaire dans ce secteur » [traduction].

19. Ibid. onglet 1 à la p. 4.

20. Pièce 6.2, onglet 3 à la p. 2.

21. Ibid.

22. L'article 52 indique, notamment, ce qui suit : 52. (1) Sous réserve du paragraphe 47(3), la valeur en douane des marchandises, dans le cas où elle n'est pas déterminée par application des articles 48 à 51, est leur valeur reconstituée, si elle peut être déterminée. (2) La valeur reconstituée des marchandises à évaluer et la somme des éléments suivants : a) les coûts et frais supportés à l'égard ou la valeur — déterminés de manière réglementaire : (i) des matières utilisées dans la production des marchandises à apprécier d'une part, des opérations de production ou de transformation des marchandises à apprécier d'autre part; b) le montant, déterminé de manière réglementaire, de l'ensemble des bénéfices et frais généraux, généralement supportés dans les ventes de marchandises de même nature ou de même espèce que les marchandises à apprécier, effectuées pour l'exportation au Canada par des producteurs qui se trouvent dans le pays d'exportation.

23. Rapport d'expert public, H. Clarkson & Company Limited, pièce 20.1, onglet C.

24. Rapport de W.E.A. Bays, FICS, daté du 6 novembre 1997, pièce 19.1, onglet 6.


Publication initiale : le 24 novembre 1998