MOVADO GROUP OF CANADA, INC.

Décisions


MOVADO GROUP OF CANADA, INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-97-027

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 31 août 1998

Appel n o AP-97-027

EU ÉGARD À un appel entendu le 11 décembre 1997 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 18 avril 1997 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

MOVADO GROUP OF CANADA, INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre présidant

Anita Szlazak ______ Anita Szlazak Membre

Peter F. Thalheimer ______ Peter F. Thalheimer Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise à l'égard d'une cotisation du ministre du Revenu national datée du 24 septembre 1996. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'intimé a correctement établi que l'appelant est un fabricant ou producteur de montres adaptées à l'usage personnel et vendues au Canada et, donc, redevable de la taxe d'accise sur ces marchandises au moment de leur vente au Canada aux termes du paragraphe 23(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal est d'avis qu'une lecture ordinaire de l'alinéa 23(11)b) de la Loi sur la taxe d'accise fait ressortir qu'au moins deux activités doivent être réalisées au Canada pour fabriquer ou produire une montre, à savoir placer un mécanisme de montre dans un boîtier et y ajouter un bracelet. En l'espèce, l'appelant ne réalise qu'une des deux activités susmentionnées, c'est-à-dire l'ajout d'un bracelet au bloc-montre. Le Tribunal est donc d'avis que, puisque l'appelant ne réalise qu'une des deux activités requises, il ne peut être considéré qu'il fabrique ou produit des montres aux fins du paragraphe 23(11). De plus, le Tribunal est d'avis que l'ajout d'un bracelet au bloc-montre est similaire à l'installation d'un désembrouilleur dans un téléviseur ou d'un récepteur radio dans un véhicule automobile, des activités au sujet desquelles il a été conclu qu'elles ne constituaient pas des activités d'assemblage au sens de l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur » énoncée au paragraphe 2(1). Puisqu'une montre peut fonctionner sans un bracelet, ce dernier n'est pas nécessaire pour former un tout fonctionnel. De plus, le fait que les bracelets peuvent s'enlever facilement et être vendus séparément est indicatif d'un ajout plutôt qu'un assemblage. Par conséquent, l'action qui consiste à ajouter un bracelet au bloc-montre ne répond pas à la définition du mot « assemblage ».

Enfin, l'action qui consiste à ajouter un bracelet au bloc-montre ne répond pas aux définitions en common law de l'expression « fabrication ou production ». Plus précisément, les montres ou les bracelets ne sont pas des « matériaux bruts ou préparés », et l'action d'ajouter un bracelet à une montre ne donne pas à cette dernière de nouvelles formes, qualités ni propriétés. En outre, l'opération effectuée ne débouche pas sur une montre capable d'exercer une fonction qu'elle ne pouvait remplir auparavant. Les éléments de preuve montrent clairement que la fonction première d'une montre est d'indiquer l'heure et que les marchandises en cause sont capables d'accomplir cette fonction au moment de leur importation, avant que l'appelant n'ajoute les bracelets.



Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 11 décembre 1997 Date de la décision : Le 31 août 1998
Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant Anita Szlazak, membre Peter F. Thalheimer, membre
Avocat pour le Tribunal : Joël J. Robichaud
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Steven K. D'Arcy et C. Brent Jay, pour l'appelant Kathleen McManus, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une cotisation du ministre du Revenu national datée du 24 septembre 1996. Le 19 juin 1996, la société North American Watch of Canada Ltd. (NAW) s'est vue imposer une cotisation de 202 415,00 $ représentant les taxes non payées, plus des intérêts de 8 529,91 $ et une pénalité de 8 038,82 $ pour la période du 1er novembre 1991 au 30 avril 1996. L'avis de cotisation indiquait que NAW avait droit à des crédits de 179 477,00 $ relativement à des taxes qu'elle avait payées par erreur sur l'achat de stocks au cours de la même période. NAW devait donc 39 506,73 $. NAW a signifié son opposition à la cotisation dans un avis d'opposition daté du 16 septembre 1996. Le 24 septembre 1996, l'intimé a publié un avis de révision pour corriger des erreurs mathématiques dans le calcul du montant de la taxe. NAW s'est vue imposer une nouvelle cotisation de 222 653,00 $ représentant les taxes non payées, plus des intérêts de 12 174,79 $ et une pénalité de 11 975,45 $. Le montant des crédits est demeuré inchangé. La nouvelle somme dont l'appelant était redevable était donc de 67 326,24 $. Dans un avis de décision daté du 18 avril 1997, l'intimé a rejeté l'opposition de NAW et ratifié la cotisation.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'intimé a correctement établi que l'appelant est un fabricant ou producteur de montres adaptées à l'usage personnel et vendues au Canada et, donc, redevable de la taxe d'accise sur ces marchandises au moment de leur vente au Canada, aux termes de l'article 23 de la Loi.

Aux fins du présent appel, les dispositions pertinentes de la Loi sont les articles 2 et 23 et l'alinéa 5a) de l'annexe I de la Loi, qui prévoient, notamment, ce qui suit :

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« fabricant ou producteur » Y sont assimilés :

f) toute personne qui, y compris par l'intermédiaire d'une autre personne agissant pour le compte de celle-ci, prépare des marchandises pour la vente en les assemblant, fusionnant, mélangeant, coupant sur mesure, diluant, embouteillant, emballant ou remballant, ou en les enduisant ou les finissant, à l'exclusion d'une personne qui prépare ainsi des marchandises dans un magasin de détail afin de les y vendre exclusivement et directement aux consommateurs;

23. (1) Sous réserve des paragraphes (6) à (8.3) et 23.2(6), lorsque les marchandises énumérées aux annexes I et II sont importées au Canada, ou y sont fabriquées ou produites, puis livrées à leur acheteur, il est imposé, prélevé et perçu, outre les autres droits et taxes exigibles en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, une taxe d'accise sur ces marchandises, suivant le taux applicable figurant à l'article concerné à l'annexe pertinente, calculée, lorsqu'il est précisé qu'il s'agit d'un pourcentage, d'après la valeur à l'acquitté ou le prix de vente, selon le cas.

(2) Lorsque les marchandises sont importées, la taxe d'accise prévue par le paragraphe (1) est payée conformément à la Loi sur les douanes, et lorsque les marchandises sont de fabrication ou de provenance canadienne et vendues au Canada, cette taxe d'accise est exigible du fabricant ou du producteur au moment de la livraison de ces marchandises à leur acheteur.

(11) Lorsqu'une personne a, au Canada, selon le cas :

a) placé un mécanisme d'horloge ou de montre dans un boîtier d'horloge ou de montre;

b) placé un mécanisme d'horloge ou de montre dans un boîtier d'horloge ou de montre et y a ajouté une courroie, un bracelet, une broche ou autre accessoire;

c) serti ou monté un ou plusieurs diamants, ou autres pierres précieuses ou fines, véritables ou imitées, en une bague, une broche ou autre article de bijouterie,

elle est réputée, pour l'application de la présente partie, avoir fabriqué ou produit la montre, l'horloge, la bague, la broche ou autre article de bijouterie au Canada.

[Annexe I]

5. a) Horloges et montres adaptées à l'usage domestique ou personnel, sauf les montres d'employés de chemins de fer et les montres spécialement conçues pour l'usage des aveugles, dix pour cent de la fraction du prix de vente ou de la valeur à l'acquitté qui est supérieure à cinquante dollars.

À l'audience, M. Cory Boisselle, vice-président de Movado Group of Canada, Inc., a témoigné au nom de l'appelant. Il a expliqué que NAW a changé son nom en juin 1997 à celui de Movado Group of Canada, Inc., un nom qui reflète celui de sa société mère. Les avocats de l'appelant ont donc présenté une requête en vue d'obtenir le changement du nom de l'appelant, de NAW à Movado Group of Canada, Inc. L'avocate de l'intimé s'est dite d'accord sur la requête. Le Tribunal a accueilli la requête.

M. Boisselle a expliqué que l'appelant est une filiale à part entière de Movado Group, Inc., dont le siège social est à Lyndhurst (New Jersey) (Movado É.-U.). Il a témoigné que Movado É.-U. ne fabrique pas de montres. Son rôle premier est de distribuer des montres en Amérique du Nord. Les montres sont fabriquées en Suisse par deux sociétés qui appartiennent à Movado É.-U. M. Boisselle a témoigné que l'appelant ne participe pas à l'activité de fabrication des deux sociétés susmentionnées. Il a expliqué que l'appelant distribue, en exclusivité, les montres Movado sur le marché canadien. Ses installations canadiennes se composent d'un bureau central et d'un centre de distribution.

M. Boisselle a expliqué que l'appelant importe deux catégories de montres : celles qui lui sont livrées avec un bracelet en matière rigide en place, et celles qui lui sont livrées sans le bracelet en matière souple. Dans ce dernier cas, l'appelant ne reçoit que les blocs-montres. Il a ajouté qu'il est financièrement plus avantageux d'acheter ce type de bracelets au Canada ou de les importer séparément des États-Unis. Il a témoigné que cela peut se faire tout en maintenant les normes de qualité exigées par l'appelant. Selon M. Boisselle, le coût du bracelet représente de 5 à 7 p. 100 environ du coût total de la montre. Il a dit que l'appelant distribue les montres aux bijoutiers surtout. Elles sont vendues munies d'un bracelet pour garantir le respect des normes de qualité de l'appelant. M. Boisselle a expliqué qu'aucune personne n'est spécifiquement désignée pour fixer les bracelets aux blocs-montres. Souvent, l'appelant embauche un employé à temps partiel, lorsque des montres lui sont livrées, pour effectuer le travail susmentionné. La seule formation nécessaire se rapporte au maniement d'un outil de pose du bracelet, qui, d'une façon générale, s'apprend en environ cinq minutes.

M. Boisselle a expliqué que la gamme de montres Movado compte environ 100 différents types de montres et 25 différents types de bracelets de montre. Il a ajouté que la plupart des montres sont munies d'un bracelet noir. L'appelant peut cependant changer le bracelet, sur demande du bijoutier, ou le bijoutier peut la changer puis revendre le bracelet initial. Un simple examen de la montre ne permet pas de déceler que le bracelet a été changé. M. Boisselle a expliqué qu'il n'est pas difficile de changer un bracelet. Il existe un outil spécial qui facilite cette tâche; cependant, certains bijoutiers expérimentés se servent simplement d'un couteau de poche. L'opération prend environ deux minutes. M. Boisselle a témoigné que les montres fonctionnent sans le bracelet, c'est-à-dire qu'elles indiquent l'heure. Il a témoigné que les montres pouvaient être vendues en l'état où elles sont importées. Il a dit que l'appelant garantit les montres, et que cette garantie n'est pas annulée lorsque le bijoutier remplace le bracelet. La garantie ne vaudrait cependant plus si le bijoutier remplaçait une des pièces ou installait une pile non approuvée. M. Boisselle a témoigné que l'appelant paie la taxe d'accise sur le prix à l'acquitté des montres importées.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Boisselle a témoigné que l'appelant a pour pratique, afin de préserver l'apparence des montres, de ne pas les expédier au détaillant sans avoir d'abord fixé le bracelet. Il a convenu que, pour autant que l'appelant soit concerné, une montre Movado n'est pas prête à être vendue au détaillant tant que le bracelet n'a pas été attaché au bloc-montre. Il a ajouté que la personne qui fixe le bracelet au bloc-montre travaille d'habitude au centre de distribution de l'appelant. Il a expliqué que la plupart des bijoutiers disposent d'un outil de pose de bracelet, mais qu'il était impossible d'acheter un tel outil dans un magasin Canadian Tire, par exemple. Selon M. Boisselle, l'appelant ne rejetterait vraisemblablement pas une demande provenant d'un détaillant précis qui voudrait changer les bracelets, même si les nouveaux bracelets avaient une incidence sur l'apparence des montres, surtout dans le cas d'un détaillant qui achète beaucoup de montres.

En réponse à des questions du Tribunal, M. Boisselle a témoigné que la publicité des montres ne fait pas mention qu'elles sont munies de bracelets interchangeables. Il a dit que certaines personnes peuvent transporter la montre dans leur poche, sans bracelet. À son avis, dans un tel cas, ces personnes ne porteraient pas la montre, mais elle fonctionnerait toujours comme une montre. Il a témoigné qu'il ne s'agit pas du genre de montre qu'une femme fixerait à une chaîne pour porter autour du cou. M. Boisselle a expliqué que les montres sont importées dans le même numéro tarifaire du Tarif des douanes [2] , qu'elles soient ou non munies d'un bracelet.

Les avocats de l'appelant ont soutenu que la pose d'un bracelet de montre à des montres ou à des blocs-montres entièrement manufacturés par l'appelant ne constitue ni la fabrication ni la production de ces marchandises aux fins de la partie III de la Loi. Ils ont soutenu qu'il ne s'agit pas là de préparation de marchandises pour la vente en les assemblant ni en procédant à aucune des autres opérations décrites à l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur » énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi. L'appelant ne peut donc être considéré comme étant un « fabricant ou producteur » de montres. Les avocats ont aussi soutenu que les termes du paragraphe 23(11) de la Loi, et plus précisément de l'alinéa b), indiquent que le Parlement n'avait pas l'intention que le simple fait de fixer un bracelet à une montre constitue une activité de fabrication ou de production de montres.

Les avocats de l'appelant ont invoqué la décision que le Tribunal a rendue dans l'affaire Tee-Comm Electronics Inc.c. Le ministre du Revenu national [3] à l'appui de leur argument selon lequel ajouter des bracelets de montre à des blocs-montres entièrement manufacturés ne constitue pas une fabrication ou une production de montres. Plus précisément, ils ont soutenu qu'ajouter les bracelets de montre à des blocs-montres entièrement manufacturés ne répond pas à la définition ci-dessous du mot « fabrication », tirée de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Her Majesty the Queen c. York Marble, Tile and Terrazzo Limited : « manufacture is the production of articles for use from raw or prepared material by giving to these materials new forms, qualities and properties or combinations whether by hand or machinery [4] » (« la fabrication représente la production à partir de matériaux bruts ou préparés des articles destinés à être utilisés, en donnant aux matériaux de nouvelles formes, qualités et propriétés ou combinaisons soit à la main, soit à la machine »). Les avocats ont comparé les faits dans l'affaire York Marble aux faits dans le présent appel. Ils ont soutenu qu'aucune nouvelle forme n'est donnée aux montres entre le moment où elles sont importées et le moment où elles quittent les installations de l'appelant. Ce qui arrive au Canada et ce qui quitte les installations de l'appelant, c'est une montre Movado; elle ne possède aucune qualité nouvelle. Ce qui arrive, c'est une belle montre suisse haut de gamme, et ce qui quitte, c'est une belle montre suisse haut de gamme. De plus, aucune nouvelle propriété ne lui a été conférée. La montre peut indiquer l'heure lorsqu'elle arrive au Canada et elle peut indiquer l'heure lorsqu'elle quitte les installations de l'appelant.

Selon les avocats de l'appelant, l'appelant ne produit pas d'articles à partir de matériaux bruts ou préparés. Plutôt, il prend deux articles entièrement fabriqués et fonctionnels, à savoir la montre et le bracelet de montre, et les fixe l'un à l'autre. Ils ont soutenu qu'attacher le bracelet à la montre ne débouche ni sur une montre ni sur un bracelet remplissant une fonction qu'elles ne pouvaient remplir auparavant. Ils ont invoqué les éléments de preuve qui montrent que le bracelet et la montre peuvent être vendues séparément. En outre, le bracelet peut être facilement changé. Cela se fait par une simple opération qui n'exige aucune compétence ni appareil de type spécial. Les avocats ont soutenu que les montres sont dans un état où elles peuvent être vendues au moment de leur importation par l'appelant. Rien n'empêcherait l'appelant de les vendre à un détaillant dès ce moment. Pour diverses raisons, l'appelant veut ajouter les bracelets avant de vendre les montres. Invoquant la décision de la Cour suprême de l'Ontario dans l'affaire Gruen Watch Company of Canada Ltd. c. Attorney General of Canada [5] et la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Le ministre du Revenu national c. Enseignes Imperial Signs Ltée [6] , les avocats ont soutenu que l'appelant n'est pas un fabricant de montres. Ils ont réitéré que l'ajout d'un bracelet ne modifie en rien la fonction de la montre.

Se reportant à la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada dans l'affaire Fiat Auto Canada Limited c. La Reine [7] , où il a été conclu que l'installation de radiorécepteurs et de haut-parleurs dans des véhicules automobiles entièrement fabriqués ne constituait pas une activité d'assemblage mais plutôt un ajout au véhicule automobile, les avocats de l'appelant ont soutenu que fixer un bracelet au bloc-montre ne constitue pas une activité d'« assemblage » aux termes de l'alinéa f) de la définition de l'expression « fabricant ou producteur ». Les avocats ont fait observer que la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada a conclu qu'assembler quelque chose signifie monter ensemble diverses pièces de façon à en faire un tout fonctionnel. Il a été conclu que l'installation de radiorécepteurs et de haut-parleurs accroissait le caractère pratique, plutôt que de constituer un assemblage, même si elle impliquait le remplacement de la batterie du véhicule, l'insertion d'une antenne, des prises de terre et l'insertion d'une ouverture dans la porte et dans les panneaux arrière. Les avocats ont aussi invoqué l'affaire Tee - Comm, où le Tribunal a conclu que l'installation de désembrouilleurs dans des téléviseurs constituait une addition et non la préparation de marchandises en les assemblant. Le Tribunal a conclu que les téléviseurs pouvaient fonctionner dans une certaine mesure sans les désembrouilleurs; par conséquent, ces derniers n'étaient pas strictement nécessaires à la formation d'un ensemble opérationnel. En outre, le fait que les désembrouilleurs pouvaient facilement être enlevés des téléviseurs et que les deux articles pouvaient facilement être ramenés à leur état initial indiquait qu'il s'agissait d'une addition et non d'un assemblage. Se reportant à plusieurs définitions du dictionnaire du mot « montre », les avocats ont soutenu qu'une montre est un petit appareil d'horlogerie portatif qui peut être muni ou non d'un bracelet. À la lumière des définitions susmentionnées, les avocats ont soutenu qu'une montre devient un tout fonctionnel au moment où elle devient un appareil d'horlogerie portatif.

À l'appui de leur argument selon lequel ajouter un bracelet à une montre entièrement manufacturée ne constitue pas une « fabrication » ou une « production » selon la Loi, les avocats de l'appelant ont invoqué les deux principes communs d'interprétation des lois suivants : 1) le principe de l'« exclusion implicite » et 2) la « présomption d'absence de tautologie ». Les avocats ont soutenu que le paragraphe 23(11) de la Loi est une disposition plus spécifique que l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur ». Les avocats ont noté que le paragraphe 23(11) considère certaines activités relatives à des marchandises particulières comme étant une fabrication ou une production, contrairement à l'alinéa f) qui ne considère que certaines activités comme étant une fabrication ou une production. Les avocats ont expliqué que le principe d'« exclusion implicite » signifie qu'inclure spécifiquement une chose est en exclure implicitement une autre. Les avocats ont soutenu que, lorsqu'une disposition comme le paragraphe 23(11) ne prescrit rien sur une activité comme fixer un bracelet à une montre, ladite activité n'a pu être jugée pertinente d'y être incluse. Les avocats se sont aussi reportés à un ouvrage sur l'interprétation des lois [8] à l'appui de leur argument. Les avocats ont soutenu que la présomption est encore plus pertinente lorsqu'il y a de bonnes raisons de s'attendre à un renvoi explicite à un article, comme dans la présente affaire. Les avocats ont fait valoir que les activités combinées de placer un mécanisme de montre dans un boîtier de montre et d'ajouter un bracelet constituent une fabrication ou une production, et non simplement l'addition d'un bracelet.

Quant au second principe, les avocats de l'appelant ont soutenu que toute disposition législative est présumée favoriser, d'une certaine manière, la finalité législative. En d'autres mots, il est présumé que le législateur évite les mots superflus ou dépourvus de sens, qu'il ne se répète pas inutilement ni ne parle en vain et que chaque mot d'une loi est présumé être pourvu de sens et jouer un rôle particulier dans la promotion de la finalité législative [9] . Les avocats ont fait remarquer que le paragraphe 23(11) a été promulgué avant l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur » et ont soutenu que, selon le principe de la présomption d'absence de tautologie, il doit être présumé que la décision de laisser en place la disposition plus spécifique avait un but particulier, c'est-à-dire englober les montres et les horloges. Ainsi, les avocats ont soutenu que, lorsqu'une question porte sur des montres et des horloges, l'alinéa f), la disposition la plus marginale, ne devrait pas primer. Le Tribunal devrait plutôt appuyer sa décision sur le paragraphe 23(11).

L'avocate de l'intimé a soutenu qu'une « montre-bracelet » ne devient une « montre-bracelet » que lorsque le bracelet est ajouté au bloc-montre, ce qui permet de la porter au poignet. L'avocate a soutenu que, puisque l'appelant est un fabricant de montres adaptées à l'usage personnel, la taxe d'accise a correctement été imposée au moment où l'appelant a livré les montres-bracelets à ses détaillants pour la vente au détail. Selon l'avocate, l'appelant satisfait aux quatre critères prescrits pour être considéré un « fabricant ou producteur » aux termes de l'alinéa f) de la définition de cette expression. Plus particulièrement, il y a eu un assemblage de marchandises effectué par l'appelant en vue de les préparer pour la vente, et cet assemblage n'a pas été effectué dans un magasin de détail pour vendre les marchandises directement et exclusivement aux consommateurs. Selon l'avocate, les marchandises en cause sont des montres-bracelets et elles ne sont pas prêtes à être vendues au détaillant avant que les bracelets ne soient fixés aux blocs-montres. L'avocate de l'intimé, invoquant certaines définitions du mot « montre » auxquelles les avocats de l'appelant se sont reportés, a soutenu qu'une montre-bracelet ne peut remplir la fonction pour laquelle elle a été conçue, c'est-à-dire être portée au poignet, avant que le bracelet n'y soit ajouté.

Quant à la signification attribuée au mot « assemblage », l'avocate de l'intimé a invoqué la décision du Tribunal dans l'affaire Advance-Interface Electronic Inc. c. Le ministre du Revenu national [10] , où il a été soutenu que ce mot ne devrait être utilisé qu'au sens grammatical et courant, c'est-à-dire mettre ensemble diverses pièces en vue de faire un tout fonctionnel. Invoquant l'affaire Fiat, l'avocate a fait valoir qu'une montre-bracelet n'est pas prête pour la vente lorsque dépourvue du bracelet qui permet de la porter au poignet. Elle a soutenu qu'un client n'achèterait pas une montre-bracelet sans bracelet. L'avocate s'est reportée au témoignage du témoin de l'appelant à l'appui de sa position selon laquelle, pour ce qui est de l'appelant, une montre n'est pas prête pour la vente au détaillant avant que le bracelet n'y soit fixé. Elle a soutenu que la raison pour laquelle l'appelant procède ainsi n'est pas pertinente. Ce qui importe est que c'est ce que fait l'appelant. Par conséquent, l'avocate a soutenu que fixer le bloc-montre et le bracelet ensemble pour produire une montre-bracelet correspond à la signification du mot « assemblage » aux sens de l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur ».

L'avocate de l'intimé s'est référée à l'affaire York Marble et a soutenu que fixer un bracelet au bloc-montre donne au bloc-montre une nouvelle forme. La nouvelle forme permet à la montre-bracelet d'accomplir finalement la fonction pour laquelle elle a été conçue, c'est-à-dire être portée au poignet. Pour cette raison, l'appelant peut certainement être considéré comme un fabricant traditionnel. De plus, l'appelant peut être considéré comme étant producteur. À l'appui de son argument, l'avocate s'est reportée à l'affaire Enseignes Imperial Signs, où il a été reconnu qu'il n'est pas nécessaire que les changements soient importants pour qu'il y ait une activité de production ou pour qu'une personne soit reconnue comme étant un producteur traditionnel de marchandises. À cet égard, fixer un bracelet au bloc-montre peut être considéré une activité de production, même s'il s'agit d'une opération simple. Le produit fini est la montre-bracelet et c'est ce produit qui doit être assujetti à la taxe.

Citant la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire W.R. McRae Company Limited c. Sa Majesté la Reine [11] , l'avocate de l'intimé a soutenu que, dans l'interprétation de la Loi, le Tribunal ne devrait pas « assimiler l'asymétrie à un défaut ». Le Tribunal ne devrait pas « comparer à la loupe les termes de dispositions conçues à des époques différentes [...] et destinées à traiter de questions différentes ». Elle a soutenu que, dans l'affaire McRae, la Cour d'appel fédérale exhorte les cours et les tribunaux administratifs à interpréter avec indulgence des textes législatifs comme la Loi, qui a subi d'innombrables modifications et révisions depuis son entrée en vigueur il y a plus de 80 ans. L'avocate a soutenu que l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur » a été promulguée par le Parlement dans le but de tenir compte des réalités commerciales changeantes. Plus précisément, le Parlement a pris conscience d'un nouveau concept, la fabrication marginale. Les importateurs payaient, pour l'essentiel, moins de taxes que les fabricants nationaux en divisant le travail. Les mêmes marchandises étaient produites, mais des taxes différentes étaient levées, donnant lieu à une énorme injustice. L'avocate a invoqué la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ford du Canada Ltée c. Le ministre du Revenu national [12] qui référait aux Documents budgétaires promulguant l'alinéa f) pour étayer son argument. Elle a soutenu que l'alinéa f) a été promulgué pour résoudre une situation comme la présente, c'est-à-dire où une partie de la fabrication est effectuée au Canada. Si la disposition susmentionnée n'existait pas, l'appelant échapperait à la taxe, ce qui provoquerait une iniquité. Elle a fait valoir que l'alinéa f) et le paragraphe 23(11) abordent deux situations différentes et ne sont pas redondants.

En réplique, les avocats de l'appelant ont soutenu que le Tribunal devait considérer si, au moment de l'importation, les marchandises en cause constituaient un tout en état de fonctionnement et pouvaient être vendues telles quelles aux détaillants, et non aux consommateurs. Les avocats ont fait observer que la Loi se rapporte aux montres et non aux montres-bracelets. Les avocats ont soutenu que l'affaire McRae peut être distinguée de la situation présente parce que, dans l'affaire McRae, la taxe aurait été entièrement évitée si la Cour d'appel fédérale avait statué en faveur de l'appelant. La situation présente est très différente. La taxe est manifestement payable au moment de l'importation par l'appelant. Les avocats ont réitéré que le Tribunal doit se reporter au paragraphe 23(11) de la Loi plutôt qu'à l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur », car il s'agit d'une disposition plus spécifique traitant des marchandises en cause. Les avocats ont soutenu que, bien qu'il soit possible de réfuter la présomption contre la tautologie, cela n'a pas été fait dans le présent appel.

Ainsi qu'il a déjà été indiqué, le paragraphe 23(1) de la Loi prévoit que, lorsque les marchandises énumérées aux annexes I et II sont importées au Canada, ou y sont fabriquées ou produites, puis livrées à leur acheteur, il est imposé une taxe d'accise sur ces marchandises. Le paragraphe 23(2) prévoit que, lorsque les marchandises sont importées, la taxe d'accise doit être payée conformément aux dispositions de la Loi sur les douanes [13] par l'importateur, le propriétaire ou une autre personne redevable des droits aux termes de cette Loi et, lorsque les marchandises sont fabriquées ou produites et vendues au Canada, la taxe d'accise est exigible du fabricant ou du producteur au moment de la livraison des marchandises. Les parties sont convenues que les marchandises en cause sont dénommées à l'alinéa 5a) de l'annexe I de la Loi et qu'elles sont, par conséquent, assujetties à une taxe d'accise. Toutefois, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si les marchandises ont été fabriquées ou produites au Canada.

La question sur laquelle le Tribunal doit statuer est donc celle de déterminer si les marchandises en cause sont fabriquées ou produites au Canada ou, plus précisément, si ajouter un bracelet de montre au bloc-montre est une activité de fabrication ou de production de « montres ».

En premier lieu, le Tribunal fait observer que, aux termes de l'alinéa 23(11)b) de la Loi, une personne qui, au Canada, place un mécanisme de montre dans un boîtier de montre et y ajoute un bracelet est réputée avoir fabriqué ou produit une montre. Selon le Tribunal, une lecture ordinaire de ces mots fait ressortir qu'au moins deux activités doivent être effectuées au Canada pour fabriquer ou produire une montre, à savoir placer un mécanisme de montre dans un boîtier et y ajouter un bracelet. En l'espèce, l'appelant ne réalise qu'une des deux activités susmentionnées, c'est-à-dire l'ajout d'un bracelet au bloc-montre. Le Tribunal est donc d'avis que, puisque l'appelant ne réalise qu'une des deux activités requises, il ne peut être considéré qu'il fabrique ou produit des montres aux fins du paragraphe 23(11) de la Loi.

Ensuite, le Tribunal doit décider si l'appelant peut être considéré comme étant un « fabricant ou producteur » de montres selon la définition énoncée à l'alinéa f). La question en litige consiste à déterminer si l'ajout d'un bracelet au bloc-montre constitue la préparation des marchandises pour la vente en les assemblant. Le sens à donner au mot « assemblage » aux termes de la Loi a été considéré par le Tribunal à au moins une occasion, c'est-à-dire dans l'affaire Tee - Comm. Le Tribunal est d'avis que l'ajout d'un bracelet au bloc-montre est similaire à l'installation d'un désembrouilleur dans un téléviseur, ce qui n'a pas été admis par le Tribunal comme étant une activité d'assemblage dans l'affaire Tee - Comm. De plus, le Tribunal est d'avis que l'ajout d'un bracelet au bloc-montre est similaire à l'installation d'un récepteur radio dans un véhicule automobile, ce qui n'a également pas été admis par la Cour fédérale du Canada comme étant une activité d'assemblage dans l'affaire Fiat. S'appuyant sur ces deux décisions, le Tribunal conclut qu'une montre peut fonctionner sans un bracelet; par conséquent, ce dernier n'est pas nécessaire pour former un tout fonctionnel. Le Tribunal fait observer que l'alinéa 5a) de l'annexe I de la Loi se rapporte aux « montres » et non aux « montres-bracelets ». De plus, le fait que les bracelets puissent s'enlever facilement et être vendus séparément est indicatif d'un ajout et non d'un assemblage. Par conséquent, ajouter un bracelet au bloc-montre ne répond pas à la définition du mot « assemblage » aux termes de l'alinéa f).

Le Tribunal est aussi d'avis que l'ajout d'un bracelet au bloc-montre ne répond pas aux définitions en common law de l'expression « fabrication ou production ». Plus précisément, le Tribunal est d'avis que les montres ou les bracelets ne sont pas des « matériaux bruts ou préparés » tels que définis dans l'affaire York Marble, et l'action d'ajouter un bracelet à une montre ne lui donne pas de nouvelles formes, qualités ni propriétés. En outre, l'opération effectuée ne débouche pas sur une montre capable d'exercer une fonction qu'elle ne pouvait remplir auparavant. À cet égard, l'appelant n'est pas un producteur, tel que défini dans de nombreuses causes, dont, notamment, l'affaire Enseignes Imperial Signs. Les éléments de preuve montrent clairement que la fonction première d'une montre est d'indiquer l'heure et que les marchandises en cause sont capables d'accomplir cette fonction au moment de leur importation avant que l'appelant n'ajoute les bracelets.

Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

3. Appel no AP-94-075, le 21 avril 1995.

4. [1968] R.C.S. 140 à la p. 145.

5. [1950] O.R. 429, [1950] C.T.C. 440.

6. Non publiée, numéro du greffe A-264-89, le 28 février 1990.

7. [1984] 1 C.F. 203.

8. R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., Toronto, Butterworths, 1994 à la p. 168.

9. Ibid. à la p. 159.

10. Appel no AP-95-071, le 30 mai 1996.

11. Non publiée, numéros du greffe A-207-94 et A-266-96, le 13 juin 1997.

12. Non publiée, numéro du greffe A-613-94, le 25 avril 1997.

13. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).


Publication initiale : le 29 septembre 1998