CANADIAN FRACMASTER LTD.

Décisions


CANADIAN FRACMASTER LTD.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-97-059

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 29 mai 1998

Appel n o AP - 97 - 059

EU ÉGARD À une requête du sous-ministre du Revenu national demandant que le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette l'appel déposé aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

ENTRE

CANADIAN FRACMASTER LTD. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

Le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par la présente, qu'il n'a pas compétence pour entendre le présent appel puisqu'il concerne la même cause d'action que l'appel no AP-95-098, Canadian Fracmaster Ltd.c. Le sous-ministre du Revenu national. Par conséquent, la requête est admise et le présent appel est rejeté.


Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre présidant

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le 1er août 1997, Canadian Fracmaster Ltd. a interjeté appel auprès du Tribunal aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard de décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national le 9 mai 1997 aux termes de l'alinéa 64d) de la Loi. Les décisions de l'intimé devaient donner suite à la décision rendue par le Tribunal dans le cadre d'un appel antérieur, soit Canadian Fracmaster Ltd.c. Le sous-ministre du Revenu national [2] (l'appel de 1996), où il avait été conclu que des serpentins en acier étaient correctement classés dans le numéro tarifaire 7306.50.00 de l'annexe I du Tarif des douanes [3] à titre d'autres tubes et tuyaux, en fer ou en acier, soudés, de section circulaire, en autres aciers alliés, plutôt que dans le numéro tarifaire 8307.10.00 à titre de tuyaux flexibles en métaux communs, même avec leurs accessoires, en fer ou en acier.

La représentante de l'appelant a déposé un mémoire auprès du Tribunal le 10 octobre 1997 dans lequel il est indiqué que le présent appel porte sur les mêmes marchandises que celles qui ont fait l'objet de l'appel de 1996 (c.-à-d. des serpentins en acier), mais que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne peut être utilisé pour empêcher le Tribunal d'entendre le présent appel, puisque de nouvelles questions concernant le classement tarifaire y sont soulevées, questions qui n'ont pas été étudiées dans le cadre de l'appel de 1996. La représentante a soutenu que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 7306.20.00 à titre d'autres tubes et tuyaux, en fer ou en acier et, plus précisément, à titre de tubes et tuyaux de cuvelage ou de production des types utilisés pour l'extraction du pétrole ou du gaz, plutôt que dans le numéro tarifaire 7306.50.00, comme il a été conclu dans l'appel de 1996. Il a été également soutenu que les marchandises en cause sont admissibles à l'entrée en franchise de droits aux termes du code 1570 de l'annexe II du Tarif des douanes, puisqu'elles servent aux « travaux d'exploration, de découverte, de mise en valeur, d'entretien, d'essai, d'épuisement ou de mise en exploitation de puits de pétrole ou de gaz naturel, jusqu'à et y compris la vanne de distribution sur place ».

La représentante de l'appelant a soutenu que la signification des expressions « du type utilisé » ou « des types utilisés » n'a pas été considérée dans l'appel de 1996. Elle a souligné que le Tribunal a défini les expressions susmentionnées dans l'affaire Ballarat Corporation Ltd. c. Le sous - ministre du Revenu national [4] et que la décision dans cette affairea été rendue le 19 décembre 1995, soit peu de temps avant la date de l'audience tenue dans le cadre de l'appel de 1996, c.-à-d. le 6 février 1996, ladite audience ayant eu lieu avant la publication de l'Avis des douanes N-044 [5] qui a adopté l'interprétation des expressions susmentionnées faite par le Tribunal dans l'affaire Ballarat. La représentante a soutenu que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ne s'applique pas, puisque l'une des trois conditions requises identifiées par le Tribunal dans l'affaire I.D. Foods Superior Corp.c. Le sous-ministre du Revenu national [6] n'a pas été satisfaite (c.-à-d. le présent appel ne porte pas sur la même question que celle qui a été décidée dans le cadre de l'appel de 1996). En tout état de cause, la représentante a soutenu que la décision dans l'affaire Ballarat constitue un appui important en faveur du réexamen par le Tribunal du classement tarifaire des marchandises en cause.

Le 13 novembre 1997, l'avocate de l'intimé a déposé un avis de requête visant à obtenir le rejet de l'appel pour le motif que la question qui fait l'objet du présent appel, à savoir le classement pertinent de serpentins en acier, a été décidée par le Tribunal dans le cadre de l'appel de 1996. Elle a soutenu que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige doit être invoqué pour empêcher l'audience du présent appel. L'avocate a souligné que les mêmes parties engagées dans l'appel de 1996 se retrouvent devant le Tribunal dans le présent appel. Elle a soutenu que le raisonnement adopté par le Tribunal dans l'affaire I.D. Foods s'applique pour statuer sur la présente requête et, de ce fait, sur le présent appel. L'avocate a demandé que la requête soit plaidée de vive voix devant le Tribunal ou par voie de téléconférence. Si le Tribunal devait décider de procéder par voie d'exposés écrits, elle a demandé d'avoir l'occasion de déposer des observations écrites formelles. Si le Tribunal devait décider de rejeter la requête, l'avocate a demandé que la date limite du dépôt du mémoire de l'intimé soit reportée.

Le 20 novembre 1997, le Tribunal a envoyé une lettre à l'avocate de l'intimé, avec copie à la représentante de l'appelant, avisant les deux parties de présenter au Tribunal toute observation supplémentaire qu'elles pourraient avoir sur la requête. Le Tribunal a indiqué que, après réception de ces derniers, il examinerait les documents et déciderait de la façon de procéder relativement à la requête.

Le 25 novembre 1997, la représentante de l'appelant a envoyé une lettre au Tribunal en réponse à la requête de l'intimé. Elle a contesté la position de l'intimé puisque, à son avis, le présent appel porte sur de nouvelles questions. Elle a soutenu que le critère véritable du principe de l'autorité de la chose jugée ou de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige réside dans l'identité des questions en litige. Elle a indiqué que la position de l'appelant est que l'appel de 1996 portait sur la question de savoir dans quelle position du Tarif des douanes les marchandises en cause étaient correctement classées, tandis que le présent appel porte sur une question séparée et distincte, c.-à-d. celle de savoir si les marchandises en cause doivent être classées dans la sous-position no 7306.20, comme l'a soutenu l'appelant, ou sont correctement classées dans la sous-position no 7305.50, comme l'a déterminé l'intimé. Par conséquent, les faits de l'affaire I.D. Foods sont clairement différents de ceux du présent appel. La représentante a ajouté que le présent appel a été interjeté à l'égard de cette nouvelle question à la suite du changement apporté à la politique interprétative du ministère du Revenu national, qui est entré en vigueur le 12 avril 1996, concernant l'interprétation des expressions « du type utilisé » et « des types utilisés ». À son avis, le fait que la modification « de droit » susmentionnée a eu lieu après que le Tribunal ait entendu et tranché l'appel de 1996 corrobore l'affirmation de l'appelant selon laquelle une nouvelle question est, en l'espèce, soumise au Tribunal.

La représentante de l'appelant a indiqué qu'elle préférerait traiter oralement de la requête devant le Tribunal, la prochaine fois que ce dernier tiendra audience à Vancouver (Colombie-Britannique). Cependant, s'il est improbable que le Tribunal tienne audience à Vancouver dans les six mois à venir, elle préférerait alors que la requête soit traitée sur la foi d'exposés écrits. Elle a indiqué que, si le Tribunal devait accorder à l'intimé l'occasion de préparer des observations écrites formelles, elle aimerait alors avoir l'occasion de préparer une réponse écrite formelle à ces dernières. Elle a dit préférer ne pas traiter de la requête par voie de téléconférence. Enfin, elle a fait savoir que, tant que le Tribunal n'aura pas statué sur la requête, elle ne prendrait aucune position relativement à la demande de report du délai de dépôt d'un mémoire de l'intimé.

Le 26 novembre 1997, dans une lettre au Tribunal, l'avocate de l'intimé a soutenu que, à son avis, la meilleure façon de connaître de la requête était de procéder par voie d'exposés écrits ou de téléconférence. Elle a soutenu qu'attendre la prochaine audience du Tribunal à Vancouver retarderait inutilement l'examen du bien-fondé de l'appel si la requête devait être rejetée.

Dans une lette envoyée le 5 décembre 1997, le Tribunal a demandé à l'avocate de l'intimé de lui faire parvenir ses observations sur le bien-fondé de la requête. Une copie de la lettre a également été envoyée à la représentante de l'appelant. L'avocate a fait parvenir ses observations le 16 décembre 1997. Dans une lettre envoyée le 21 janvier 1998, le Tribunal a avisé les deux parties qu'il examinerait les pièces déposées par l'appelant et l'intimé et rendrait sa décision peu après.

Dans son exposé écrit, l'avocate de l'intimé a répété que le présent appel doit être rejeté du fait que le Tribunal a, dans le cadre de l'appel de 1996, statué sur la question qui fait l'objet du présent appel. L'avocate a souligné que les marchandises en cause sont exactement les mêmes que celles qui ont fait l'objet de l'appel de 1996. En outre, le présent appel porte sur les mêmes importations. L'avocate a fait valoir que le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique et empêche le Tribunal d'examiner le bien-fondé du présent appel. Selon l'avocate, l'appelant essaie de faire réentendre la question que le Tribunal a tranchée dans le cadre de l'appel de 1996, c'est-à-dire le classement tarifaire correct de serpentins en acier utilisés dans l'industrie du pétrole et du gaz. Elle a soutenu qu'aucune nouvelle question n'est visée dans le présent appel. De plus, le fait que l'appelant souhaite plaider sa cause différemment ne signifie pas qu'il y ait une nouvelle « question en litige ». L'avocate a fait valoir que la décision dans l'affaire Ballarat a été rendue avant que le Tribunal n'entende l'appel de 1996 et que l'appelant aurait donc pu à ce moment l'invoquer à l'appui de sa position.

L'avocate de l'intimé a renvoyé à la décision du Tribunal dans l'affaire I.D. Foods pour appuyer son argument selon lequel le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique au présent appel. Dans cette affaire, le Tribunal a invoqué certaines décisions de la Cour fédérale du Canada en énonçant les trois conditions suivantes, requises pour que s'applique le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige : il faut que 1) la même question ait été décidée; 2) la décision judiciaire invoquée comme créant l'irrecevabilité soit définitive; 3) les parties visées par la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'instance où l'irrecevabilité est soulevée, ou leurs ayants droit. L'avocate a soutenu que, en l'espèce, les trois conditions susmentionnées sont satisfaites. En premier lieu, la question qui est soulevée dans le présent appel est la même que celle qui a été décidée par le Tribunal dans le cadre de l'appel de 1996. En deuxième lieu, la décision du Tribunal dans l'appel de 1996 était définitive. En troisième lieu, les parties au présent appel sont les mêmes que les parties visées dans l'appel de 1996. De plus, le présent appel et l'appel de 1996 portent sur les mêmes importations.

Invoquant la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Canada (Procureur général)c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) [7] , l'avocate de l'intimé a soutenu que le fait que le Tribunal soit un tribunal administratif et non une cour n'empêche pas l'application du principe de l'autorité de la chose jugée. Invoquant la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Merck Frosst Canada Inc. et Merck & Co., Inc. c. Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Apotex Inc. [8] , l'avocate a soutenu qu'une partie visée par une décision définitive ne peut remettre en litige une question même si ladite partie a trouvé des arguments supplémentaires qui étaient disponibles au moment du litige initial. L'avocate a aussi invoqué plusieurs autres causes à l'appui de son argument.

Dans l'affaire I.D Foods, le Tribunal a interprété le droit afférent à l'applicabilité du principe de l'autorité de la chose jugée en ce qui touche les tribunaux administratifs. Le Tribunal, tout en reconnaissant qu'il s'agissait d'un point de droit bien établi que les tribunaux administratifs ne sont pas liés par leurs décisions antérieures, a conclu que l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige pouvait s'appliquer aux procédures engagées devant les tribunaux administratifs afin d'empêcher que soit entendue une question qui a déjà été tranchée. Le Tribunal a invoqué la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire O'Brienc. Canada (Procureur général) [9] et la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) en rendant sa décision.

Dans l'affaire I.D. Foods, le Tribunal a signalé qu'il semblait exister deux principes distincts : le principe de la chose jugée et celui de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige. Le premier, le principe de la chose jugée, s'applique pour empêcher une partie d'obtenir une audience sur le fond lorsqu'une procédure est intentée pour la même cause d'action que celle qui a fait l'objet d'un jugement antérieur, et le second, l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige, est une fin de non-recevoir qui s'applique lorsqu'il arrive que la cause d'action est différente, mais que des points ou questions de fait ont déjà été décidés [10] . Étant donné que l'appel dans l'affaire I.D. Foods portait sur une importation différente de celle de l'appel antérieur, le Tribunal était d'avis que le principe de la chose jugée ne s'appliquait pas pour empêcher le Tribunal d'entendre l'appel. Cependant, le Tribunal a conclu que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige s'appliquait pour empêcher le Tribunal d'examiner le bien-fondé de l'appel, puisqu'il satisfaisait aux trois conditions énoncées plus haut [11] .

Le présent appel et l'appel de 1996 portent sur les mêmes importations. Le Tribunal est donc d'avis que le principe de la chose jugée — le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action — empêche le Tribunal d'entendre le présent appel. De plus, le Tribunal est d'avis que le présent appel satisfait les trois conditions énoncées ci-dessus. Plus précisément, la question en litige dans le présent appel, c'est-à-dire le classement tarifaire des serpentins en acier, a été décidée dans l'appel de 1996. Le Tribunal observe que la question en litige dans l'appel de 1996 concernait le classement tarifaire correct de ces marchandises au niveau du numéro tarifaire, c'est-à-dire qu'elle consistait à savoir si lesdites marchandises étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 7306.50.00, comme l'avait déterminé l'intimé, ou devaient être classées dans le numéro tarifaire 8307.10.00, comme le soutenait l'appelant [12] . De plus, la décision du Tribunal dans l'appel de 1996 était définitive. Enfin, les parties engagées dans le présent appel sont les mêmes parties que dans l'appel de 1996. Le Tribunal rend sa décision même si le présent appel est interjeté à l'égard d'une décision rendue par l'intimé aux termes de l'alinéa 64d) de la Loi.

Le Tribunal reçoit l'argument de l'avocate de l'intimé, corroboré par les affaires invoquées à l'appui de cet argument, selon lequel l'appelant, ayant reçu une décision définitive du Tribunal, n'est pas autorisé à reporter la même question en justice, même s'il a trouvé des arguments supplémentaires qui étaient disponibles au moment du litige initial. Le Tribunal fait observer que la décision dans l'affaire Ballarat a été rendue avant l'audience tenue dans le cadre de l'appel de 1996 et aurait donc pu alors être invoquée par l'appelant.

Par conséquent, le Tribunal détermine, par la présente, qu'il n'a pas compétence pour entendre le présent appel puisqu'il concerne la même cause d'action que l'appel de 1996. Par conséquent, la requête est admise et le présent appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. Appel no AP-95-098, le 31 octobre 1996.

3. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

4. Appel no AP-93-359, le 19 décembre 1995.

5. Interprétation des expressions « du type utilisé » et « des types utilisés », ministère du Revenu national, le 12 avril 1996.

6. Appel no AP-95-252, le 12 décembre 1996.

7. Non publiée, numéro du greffe T-381-90, le 24 avril 1991.

8. Non publiée, numéro du greffe T-1305-93, le 1er avril 1997.

9. Non publiée, numéro du greffe A-291-91, le 16 avril 1993.

10. Supra note 6 aux p. 6-7, où le Tribunal invoque la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Bande indienne Musqueam c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1990] 2 C.F. 351.

11. Supra note 6 à la p. 7.

12. Supra note 2 à la p. 1.


Publication initiale : le 13 juillet 1998