SHERSON MARKETING CORPORATION

Décisions


SHERSON MARKETING CORPORATION
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-98-097

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 27 juillet 2000

Appel no AP-98-097

EU ÉGARD À un appel entendu les 23 et 24 février 2000 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national le 21 janvier 1998 concernant des demandes de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

SHERSON MARKETING CORPORATION Appelante

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

L'appel est admis en partie.


Arthur B. Trudeau

Arthur B. Trudeau
Membre présidant

Richard Lafontaine

Richard Lafontaine
Membre

James A. Ogilvy

James A. Ogilvy
Membre


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire
 
 

RÉSUMÉ OFFICIEUX

Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes à l'égard de décisions rendues le 21 janvier 1998 par le sous-ministre du Revenu national (désormais le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada) aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes. Le présent appel porte sur la valeur en douane correcte de certains souliers importés par l'appelante sous les marques de commerce Apropos et Margaret J ou Margaret Jerrold. Plus précisément, la question en litige consiste à déterminer si les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Chang's Imports Inc., doivent être ajoutés au prix payé ou à payer pour les marchandises importées. L'appelante soutient que ces honoraires sont une commission d'achat authentique et ne sont pas, de ce fait, sujets à des droits de douane. L'intimé a déterminé que les honoraires de 10 p. 100 sont des honoraires pour des travaux de conception sujets à des droits de douane.

DÉCISION : L'appel est admis en partie. Le Tribunal conclut qu'une partie, au montant de 3 000 $US par année, des honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Chang's Imports Inc., relatifs aux marchandises portant la marque de commerce Margaret J ou Margaret Jerrold, représente des honoraires pour travaux de conception sujets à des droits de douane et que le solde des honoraires représente une commission d'achat authentique et n'est pas sujet à des droits de douane. Le Tribunal conclut que les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Chang's Imports Inc., relatifs aux marchandises portant la marque de commerce Apropos, sont une commission d'achat authentique et ne sont pas sujets à des droits de douane. Le Tribunal conclut que les usines sont les vendeuses des souliers. Le Tribunal conclut que Chang's Imports Inc. a exécuté les services d'un mandataire à l'achat et qu'aucun élément de preuve ne montre que cette dernière a failli à sa responsabilité fiduciaire à l'égard de l'appelante.

Lieu de l'audience :

Ottawa (Ontario)

Dates de l'audience :

Les 23 et 24 février 2000

Date de la décision :

Le 27 juillet 2000

   

Membres du Tribunal :

Arthur B. Trudeau, membre présidant

 

Richard Lafontaine, membre

 

James A. Ogilvy, membre

   

Conseillers pour le Tribunal :

Tamra Alexander

 

Philippe Cellard

   

Agent du greffe :

Anne Turcotte

   

Ont comparu :

Michael Kaylor, pour l'appelante

 

Patricia Johnston, pour l'intimé

 
 

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes 1 à l'égard de décisions rendues le 21 janvier 1998 par le sous-ministre du Revenu national (désormais le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada) aux termes de l'article 63 de la Loi. Le présent appel porte sur la valeur en douane correcte de certains souliers importés par l'appelante sous la marque de commerce Apropos et sous la marque de commerce Margaret J ou Margaret Jerrold (collectivement appelé ci-après M.J.). Plus précisément, la question en litige consiste à déterminer si les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B., payés par l'appelante à Chang's Imports Inc. (Chang), doivent être ajoutés au prix payé ou à payer pour les marchandises importées aux termes du paragraphe 48(5) de la Loi. L'appelante soutient que ces honoraires sont une commission d'achat authentique et ne sont pas, de ce fait, sujets à des droits de douane. L'intimé a déterminé que les honoraires de 10 p. 100 sont des honoraires de conception sujets à des droits de douane. Les dispositions pertinentes de la Loi prévoient ce qui suit :

47.(1) La valeur en douane des marchandises est déterminée d'après leur valeur transactionnelle dans les conditions prévues à l'article 48.

48.(1) [. . .] la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada, si le prix payé ou à payer est déterminable [. . . ]

(5) Dans le cas d'une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :

a) par addition, dans la mesure où ils n'y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :

(i) les commissions et les frais de courtage relatifs aux marchandises et supportés par l'acheteur, à l'exclusion des honoraires versés ou à verser par celui-ci à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente,

(iii) la valeur, déterminée de façon réglementaire et imputée d'une manière raisonnable et conforme aux principes de comptabilité généralement acceptés aux marchandises importées, des marchandises et services ci-après, fournis directement ou indirectement par l'acheteur des marchandises, sans frais ou à coût réduit, et utilisés lors de la production et de la vente pour exportation des marchandises importées :

(D) travaux d'ingénierie, d'étude, d'art, d'esthétique industrielle, plans et croquis exécutés à l'extérieur du Canada et nécessaires pour la production des marchandises importées2 .

PREUVE

Les éléments de preuve relatifs au présent appel et aux appels nos AP-98-002, AP-98-098 et AP-98-099 ont été entendus simultanément. Avant d'entendre les témoins dans l'appel no AP-98-002, le Tribunal a demandé aux conseillers des parties de confirmer que les éléments de preuve produits relativement à un appel peuvent, s'ils sont de nature générale, être invoqués et utilisés dans le cadre des autres appels.

MM. Stephen Applebaum, PDG de Sherson Marketing Corporation, Al Gervais, directeur des Opérations, Europe - Services de détail, Nine West Group Inc., et Eric H. Lakien, contrôleur et directeur des Opérations, Sherson Marketing Corporation, ont témoigné au nom de l'appelante. M. Applebaum occupe le poste de PDG depuis 1989. M. Gervais a été au service de l'appelante de 1994 à 1998. M. Lakien est au service de l'appelante depuis 1998. M. Applebaum a déclaré que l'appelante a été constituée en société en 1984 et que, durant la période pertinente, elle importait et distribuait des chaussures et un certain nombre de sacs à main. L'appelante distribuait ses marchandises à des détaillants au Canada. M. Applebaum a déclaré que l'appelante importait des souliers sous ses propres marques de commerce et sous d'autres marques de commerce afin de permettre une certaine diversification de ses activités.

M. Applebaum a témoigné que l'appelante a commencé la conception [appelés « travaux d'esthétique industrielle » dans la Loi] et la commercialisation d'une gamme de souliers sous la marque de commerce Apropos au milieu des années 80. Les souliers étaient des espadrilles multicolores. Il a déclaré que la marque Apropos était une marque de commerce déposée dont l'appelante est propriétaire. Chang était la mandataire de l'appelante pour l'achat desdits souliers. À cette époque, Chang importait et distribuait aussi une gamme de souliers sous la marque de commerce M.J. Dans la foulée des progrès de l'entreprise de l'appelante, cette dernière a voulu ajouter des chaussures habillées à sa gamme de produits, mais a déterminé que la marque de commerce Apropos ne se prêtait pas à une telle expansion. L'appelante a décidé de vendre ses souliers de marque Apropos ainsi que la nouvelle gamme de souliers, sous la marque de commerce M.J. M. Applebaum a témoigné que les services rendus par Chang pour l'appelante n'ont pas changé lorsque cette dernière a cessé de se servir de la marque de commerce Apropos. M. Applebaum a témoigné que, relativement aux souliers M.J., l'appelante exécutait la conception des souliers, les colorait et s'occupait des échantillons, comme elle l'avait fait dans le cas des souliers sous la marque de commerce Apropos.

M. Applebaum a témoigné que Chang était propriétaire de la marque de commerce déposée afférente à la marque de commerce M.J., mais que la marque comme telle n'avait pas de valeur. L'appelante aurait pu mettre n'importe quelle marque sur les souliers. M. Applebaum a témoigné qu'il n'y avait pas de lien de propriété entre Chang et les usines qui produisaient les souliers Apropos ou M.J. Ce fait a été confirmé dans une lettre déposée auprès du Tribunal, adressée par Chang à l'intimé, datée du 28 février 1996, et qui indique aussi que Chang ne recevait pas de commission ni de paiement des usines3 .

M. Applebaum a témoigné que Chang était la mandataire à l'achat de l'appelante relativement aux souliers, et que l'appelante payait à cet égard une commission équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. M. Applebaum a déclaré qu'Antonio Riquelme Bañuls (Antonio) exécutait aussi des fonctions de mandataire à l'achat pour l'appelante relativement aux souliers, et que l'appelante payait à cet égard à Antonio une commission équivalant à 5 p. 100 du coût F.A.B. M. Applebaum a ajouté que, relativement à chaque transaction d'importation, Chang et Antonio exécutaient des services pour lesquels Chang recevait une rémunération de 10 p. 100 et Antonio, de 5 p. 100.

M. Applebaum a témoigné que Chang exécutait les services suivants pour l'appelante : 1) aider l'appelante à trouver des usines; 2) aider à la négociation des prix avec les usines; 3) traiter les commandes d'échantillons exécutés à partir des dessins, des spécifications, des couleurs et des matériaux de l'appelante; 4) inspecter périodiquement les usines; 5) établir le calendrier de production; 6) organiser des réunions avec les propriétaires des usines; 7) procéder à des essais d'ajustement des marchandises. M. Applebaum a dit qu'il parlait avec Chang une fois la semaine, peut-être plus. M. Applebaum a témoigné que l'entente initiale entre Chang et l'appelante était une entente à l'amiable, ce qui est courant dans l'industrie de la chaussure. Il a déclaré que l'arrangement susmentionné a été confirmé dans une entente de commission d'achat établie vers 1994. La date de l'entente a été fixée, avec effet rétroactif, à 1985. Une entente de commission d'achat identique, (à l'exception du taux de la commission) a aussi été établie relativement aux services rendus par Antonio pour l'appelante.

M. Applebaum a témoigné que l'appelante aurait pu se procurer les souliers auprès d'autres usines que celles recommandées par Chang, mais qu'il n'aurait pas été sensé de le faire parce que ces dernières étaient capables de fabriquer les petites quantités de marchandises dont l'appelante avait besoin. Il a déclaré que le choix d'usines de l'appelante était fondé sur des échantillons de production fournis par Chang et en fonction des recommandations de cette dernière. M. Applebaum a déclaré qu'il n'était pas nécessaire que l'appelante achète les souliers par l'intermédiaire de Chang ni d'Antonio. M. Applebaum a témoigné que ni Chang ni Antonio n'ont jamais acquis le titre de propriété des souliers, ni n'ont assumé quelque risque que ce soit relatif aux transactions pertinentes. M. Applebaum a déclaré que l'appelante assumait le risque relatif à tout problème lié aux souliers. M. Applebaum a témoigné que l'appelante fixait le calendrier des expéditions.

M. Gervais a guidé le Tribunal dans l'examen de divers documents, y compris des bons de commande de l'appelante à Antonio, dont une copie était envoyée à Chang, des factures types émises par Antonio jointes à une demande d'ouverture d'une lettre de crédit transférable, des lettres de crédit transférables de la banque de l'appelante en faveur d'Antonio, des factures des usines à l'appelante, des documents prouvant le virement des montants prévus aux lettres de crédit faits par Antonio aux usines, des factures portant l'inscription « design and service charges » (« frais de conception et de services ») de Chang à l'appelante, et des factures de commissions soumises par Antonio à l'appelante. M. Applebaum a témoigné que l'expression « frais de conception et de services » qui figure sur les factures de Chang était une appellation fautive. Il a déclaré que, avant la vérification, l'appelante n'était pas consciente que la façon dont les honoraires étaient désignés avait une importance; par conséquent, l'appelante a simplement dit à Chang de les facturer à titre d'honoraires de conception.

M. Lakien a témoigné que les usines achetaient le cuir et les matériaux pour les souliers et prenaient les dispositions relatives à l'emballage. Dans son témoignage concernant l'appel no AP-98-098, M. Applebaum a déclaré que toutes les usines sont propriétaires de leurs propres formes, c'est-à-dire des pièces qui servent à fabriquer les souliers.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Applebaum a reconnu que Chang a exécuté certaines fonctions mineures de conception, comme l'indique la lettre datée du 24 octobre 1997 de M. Ronnie Srader, président de Chang's Imports Inc., à l'intimé4 . En réponse à une question du Tribunal, M. Applebaum a précisé que, de temps à autre, l'appelante et Chang peuvent avoir partagé une même forme. M. Applebaum a ajouté que, relativement aux marchandises portant la marque de commerce Apropos, Chang n'a exécuté aucun travail de conception. Au cours du contre-interrogatoire, il a été demandé à M. Applebaum s'il avait dit à Mme Tayetch Sienkiewicz, une agente de la vérification de l'observation à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, que Chang était une mandataire de l'usine. M. Applebaum a déclaré qu'il ne se rappelle pas avoir fait une telle déclaration et que Chang n'a jamais été la mandataire de l'usine; Chang était la mandataire de l'appelante. Au cours du contre-interrogatoire, il a aussi été demandé à M. Applebaum si l'appelante pouvait produire un échantillon. Ce dernier a déclaré que l'appelante ne disposait pas des installations nécessaires. Il a ajouté que les usines produisaient les échantillons.

Le Tribunal a interrogé M. Applebaum au sujet de l'écart entre les honoraires versés à Chang et ceux versés à Antonio. Plus particulièrement, le Tribunal a demandé pourquoi Antonio recevait une rémunération moins élevée alors qu'il exécutait davantage de fonctions courantes. M. Applebaum a déclaré qu'Antonio n'avait demandé que des honoraires équivalant à 5 p. 100 du coût F.A.B.

Mme Sienkiewicz a témoigné au nom de l'intimé. Elle a déclaré que, sur la foi de ses notes dactylographiées, qui reprenaient les notes manuscrites prises au moment de sa rencontre avec M. Applebaum, que M. Applebaum lui avait dit que « Chang Imports est la représentante nord-américaine des fournisseurs en Espagne » [traduction]. En réponse à une question du Tribunal, elle a reconnu que la note « pourrait signifier n'importe quoi » [traduction], mais que, à son avis, elle signifiait que Chang représentait les usines. Elle a déclaré ne pas avoir donné suite à cette affaire au moment de la vérification parce qu'elle disposait de documents concrets qui indiquaient que les honoraires de 10 p. 100 versés à Chang étaient des honoraires de conception.

PLAIDOIRIE

L'appelante a soutenu que les services exécutés par Chang pour l'appelante étaient les services d'un mandataire à l'achat authentique et que, par conséquent, les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. versés à Chang ne sont pas sujets à des droits de douane. L'appelante a retiré sa déclaration selon laquelle le montant des honoraires de 10 p. 100 représentait des redevances non sujettes à des droits de douane. Elle a reconnu que Chang exécutait quelques fonctions mineures de conception relativement aux souliers M.J. Elle a soutenu que le montant qu'elle devait payer relativement auxdits services de conception ne dépasse pas le montant établi dans la lettre datée du 24 octobre 1997 de M. Srader à l'intimé.

L'appelante a soutenu que Chang n'a jamais exécuté de fonctions de conception relativement aux souliers Apropos et que la désignation des honoraires de 10 p. 100 versés par l'appelante à Chang par l'expression « frais de conception et de services » utilisée dans les factures de Chang était incorrecte. Les honoraires de 10 p. 100 étaient une commission d'achat. L'appelante a soutenu que, puisque les fonctions de Chang n'ont pas changé lorsque l'appelante a commencé à se servir de la marque de commerce M.J. plutôt que de la marque de commerce Apropos, la description des honoraires de 10 p. 100 ne devrait pas changer non plus.

L'appelante a soutenu que Chang et Antonio formaient un « tandem » et que le fait que Chang n'exécutait pas toutes les fonctions de mandataire à l'achat ne signifie pas que cette dernière n'était pas une mandataire à l'achat. L'appelante a souligné le témoignage selon lequel il n'y avait pas de lien de propriété entre Chang et les usines et que Chang ne recevait pas de commission des usines. Elle a soutenu que l'affaire Chaps-Ralph Lauren c. S-MRN 5 corrobore la proposition selon laquelle un mandataire à l'achat peut agir auprès de plus d'un acheteur. L'appelante a soutenu que les faits présentement mis à la disposition du Tribunal ressemblent aux faits dans les affaires Charley Originals c. S-MRN 6 et Radio Shack c. S-MRNDA 7 . Par conséquent, l'appelante a soutenu que le Tribunal devrait conclure que les honoraires de 10 p. 100 sont une commission d'achat authentique.

L'intimé a soutenu que les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. versés à Chang sont des honoraires de conception sujets à des droits de douane. L'intimé a soutenu que les honoraires de 10 p. 100 étaient appelés des honoraires de conception par Chang sur ses factures et que l'appelante n'a pas tenté de corriger lesdites factures avant la vérification. L'intimé a soutenu que l'appelante a reconnu que Chang exécute certains travaux de conception. En outre, l'intimé a soutenu que l'appelante exécutait une fonction de stylisme, mais non une fonction de conception. L'intimé a soutenu que quelqu'un devait exécuter la conception et que ce quelqu'un devait donc avoir été Chang. L'intimé a soutenu que l'appelante ne s'est pas acquittée de sa responsabilité, qui était de démontrer que les honoraires de 10 p. 100 ne sont pas des honoraires de conception.

À titre d'argument subsidiaire, si le Tribunal devait conclure que les honoraires de 10 p. 100 sont une commission, l'intimé a soutenu qu'il ne s'agit pas d'une commission d'achat authentique. L'intimé a soutenu qu'il ne ressort pas des pièces documentaires que les fonctions de Chang étaient des fonctions d'un mandataire à l'achat. L'intimé a soutenu qu'il est difficile de croire que l'appelante payait Chang et Antonio pour les mêmes fonctions, comme le démontrent les deux ententes de commission d'achat. L'intimé a soutenu que les honoraires versés par l'appelante à Chang ne reflétaient pas le caractère limité des fonctions exécutées par cette dernière. L'intimé a soutenu que l'appelante ne pouvait pas choisir les usines. L'intimé a aussi soutenu que, en vertu de ses droits afférents à la marque de commerce, Chang était propriétaire des souliers et était la vendeuse des souliers.

En outre, l'intimé a soutenu que Chang était en situation de conflit d'intérêts avec l'appelante. Il a soutenu que Chang ne pouvait agir au mieux des intérêts de l'appelante parce Chang exécutait une fonction de conception, agissait au nom d'autres clients et représentait l'usine.

DÉCISION

La première question que le Tribunal doit trancher dans le présent appel porte sur l'identité du vendeur des souliers. De l'avis du Tribunal, les usines étaient les vendeuses des souliers. La déclaration de l'intimé selon laquelle, en vertu de ses droits afférents à la marque de commerce, Chang était la propriétaire réelle et, donc, la vendeuse des souliers, est dénuée de fondement. Ainsi que le prévoit l'article 19 de la Loi sur les marques de commerce 8 , le propriétaire d'une marque de commerce a le droit exclusif à l'emploi de celle-ci. Le propriétaire de la marque de commerce n'est pas propriétaire, uniquement en vertu de ses droits à la marque de commerce, des marchandises afférentes9 .

Le Tribunal est d'avis que, contrairement aux circonstances dans les affaires Signature Plaza Sport c. Canada 10 et Mexx Canada c. S-MRN 11 , les usines ne faisaient pas que simplement exécuter un contrat de services. Les éléments de preuve dont dispose le Tribunal montrent que les usines fournissaient les formes et tous les matériaux nécessaires à la fabrication et à l'emballage des souliers. Le Tribunal est d'avis que les usines étaient propriétaires des souliers jusqu'au moment où les titres de propriété en étaient cédés à l'appelante. Le Tribunal est donc d'avis que les usines étaient les vendeuses des souliers.

À la lumière de telles conclusions, le Tribunal doit examiner la question de savoir si les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B. versés par l'appelante à Chang sont une commission ou des honoraires de conception. Dans le cadre d'une question préliminaire, le Tribunal conclut que la description des honoraires par l'expression « frais de conception et de services » utilisée dans les factures de Chang n'est d'aucune utilité, étant donné que, relativement à la marque de commerce Apropos, aucun service de conception n'a été rendu et que les honoraires étaient décrits de la même manière. Le Tribunal accueille le témoignage de M. Applebaum selon lequel personne ne s'est arrêté à songer à la façon d'appeler les honoraires avant la vérification. De plus, après avoir examiné avec soin les éléments de preuve, le Tribunal conclut aussi que les ententes de commission d'achat datées de 1985 ne reflètent pas correctement la relation entre l'appelante, Chang et Antonio au moment des importations pertinentes.

Le Tribunal est d'avis que les éléments de preuve montrent que Chang a exécuté diverses fonctions qui ont justifié le versement des honoraires de 10 p. 100, notamment : 1) aider l'appelante à trouver des usines; 2) aider à la négociation des prix avec les usines; 3) traiter les commandes d'échantillon; 4) inspecter périodiquement les usines; 5) établir le calendrier de production; 6) organiser des réunions avec les propriétaires d'usine; 7) procéder à des essais d'ajustement des marchandises en cause. Chang a aussi exécuté certaines fonctions de conception. Cependant, les éléments de preuve portant sur les travaux de conception exécutés par Chang sont très limités et se rapportent uniquement aux marchandises portant la marque de commerce M.J. La lettre du 24 octobre 1997 de M. Srader à l'intimé indique que Chang disposait d'un employé dont le temps était consacré aux travaux de conception pour tous les clients de Chang. Par conséquent, toute fonction liée à des travaux de conception exécutés par Chang était limitée à l'activité de ce seul employé. Ledit employé touchait une rémunération de 30 000 $US. Étant donné que les achats de l'appelante par l'entremise de Chang ont représenté environ 10 p. 100 des achats globaux de Chang au nom de ses clientes, il est raisonnable de croire que la proportion de l'activité dudit employé consacrée à des travaux de conception qui pouvaient être attribués à des fonctions de conception pour l'appelante pouvait aussi être de 10 p. 100. Le Tribunal est d'avis qu'il s'agit là d'un calcul valable, étant donné les éléments de preuve selon lesquels l'appelante fournissait l'élément « créatif » afférent à toute fonction de conception exécutée et les éléments de preuve selon lesquels les usines fabriquaient les échantillons et étaient propriétaires des formes. En outre, à l'exception de la lettre susmentionnée, il n'existe pas d'élément de preuve de l'existence de travaux de conception véritables exécutés par Chang pour l'appelante. Le Tribunal conclut qu'un montant de 3 000 $US par année, soit 10 p. 100 de la rémunération du modéliste-patronier, représente un calcul raisonnable du coût d'acquisition par l'appelante des travaux de conception exécutés par Chang12 . Le Tribunal conclut donc qu'un montant de 3 000 $US par année sur le montant des honoraires versés par l'appelante à Chang relativement aux marchandises portant la marque de commerce M.J. représente des honoraires pour travaux de conception sujets à des droits de douane.

Le Tribunal doit maintenant déterminer si le reste du montant des honoraires de 10 p. 100 représente une commission sujette à des droits. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, le Tribunal conclut que Chang a exécuté diverses fonctions qui justifiaient le paiement des honoraires de 10 p. 100. Les fonctions énumérées ci-dessus sont, de l'avis du Tribunal, des fonctions qu'une personne pourrait normalement s'attendre à voir exécuter par un mandataire à l'achat. Le Tribunal est aussi d'avis que l'appelante dirigeait et contrôlait Chang relativement auxdites fonctions de mandataire à l'achat. Le Tribunal fait observer que l'appelante choisissait le modèle (ou le concept), le style, les couleurs et les matériaux devant servir à la fabrication des marchandises. L'appelante passait les commandes et fixait le calendrier des expéditions. En outre, M. Applebaum a témoigné que l'appelante aurait pu choisir des usines différentes ou acheter les souliers sans recourir à Chang, bien qu'un tel choix n'était pas sensé pour l'appelante.

Le Tribunal conclut qu'il n'y a pas d'élément de preuve que les usines dirigeaient ou contrôlaient Chang si ce n'est la note laconique de Mme Sienkiewicz qui, comme elle l'a admis, pouvait signifier n'importe quoi. Étant donné les éléments de preuve dans la lettre de Chang à l'intimé, datée du 28 février 199613 , qui indique que Chang ne recevait pas de commission ni de rémunération des usines et les déclarations sans équivoque de M. Applebaum selon lesquelles Chang n'a jamais été mandataire d'usine, le Tribunal trouve non concluante la note de Mme Sienkiewicz.

L'intimé a soutenu que, même si Chang avait rendu les services d'un mandataire à l'achat, elle n'aurait pas pu être un mandataire à l'achat de bonne foi parce que Chang était en situation de conflit d'intérêts avec son mandant, l'appelante. L'intimé soutient que la position de Chang à titre de titulaire de la marque de commerce, de modéliste-patronier et de mandataire pour d'autres acheteurs a donné lieu à un tel conflit d'intérêts. Le Tribunal fait observer qu'il existe un principe de droit bien établi dans le domaine de la relation de mandant et mandataire selon lequel un mandataire a une responsabilité fiduciaire à l'égard d'un mandant portant sur la divulgation complète de tout intérêt, que le mandataire pourrait avoir, qui pourrait avoir une incidence sur l'exécution, par le mandataire, de sa responsabilité à l'égard du mandant. Étant donné une telle divulgation complète, cependant, le mandant peut décider de retenir les services du mandataire pour agir en son nom. Une telle décision est laissée à l'entière discrétion du mandant14 . Le Tribunal est d'avis que les éléments de preuve montrent que l'appelante était pleinement informée que Chang était titulaire de la marque de commerce et connaissait le rôle que jouait Chang relativement aux travaux de conception des souliers. Sachant cela, l'appelante a accepté Chang. L'intimé n'a pas allégué qu'une action non divulguée spécifique quelconque de Chang ait été contraire aux intérêts de l'appelante15 . Par conséquent, le Tribunal conclut que, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si la position de Chang à titre de titulaire de la marque de commerce et de modéliste-patronier donne naissance à une situation de conflit d'intérêts avec l'appelante, il y a eu divulgation complète à l'appelante et que, par conséquent, Chang a satisfait à sa responsabilité fiduciaire.

Les éléments de preuve ne permettent pas de déterminer clairement si, au moment des importations pertinentes, l'appelante savait, ou non, que Chang agissait à titre de mandataire à l'achat pour d'autres acheteurs. Cependant, le Tribunal est d'avis que le simple fait d'agir à titre de mandataire à l'achat pour plus d'un acheteur ne fonde pas la présomption que le mandataire à l'achat est en situation de conflit d'intérêts. Une telle position est cohérente avec les conclusions rendues par le Tribunal dans l'affaire Chaps-Ralph Lauren. Le Tribunal note qu'il n'a pas été allégué qu'une action spécifique de Chang, découlant du rôle de cette dernière à titre de mandataire à l'achat pour plusieurs acheteurs, ait été contraire aux intérêts de l'appelante. En outre, le Tribunal constate que le plus grand pouvoir d'achat de Chang associé au fait qu'elle représentait plusieurs acheteurs était de nature à profiter à l'appelante16 . Par conséquent, le Tribunal conclut que Chang n'a pas failli à sa responsabilité fiduciaire à l'égard de l'appelante.

Enfin, le Tribunal conclut qu'un montant de 3 000 $US par année, sur les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B., versés par l'appelante à Chang relativement aux marchandises portant la marque de commerce M.J., représente des honoraires pour travaux de conception sujets à des droits de douane et que le reste représente une commission d'achat authentique qui n'est pas sujette à des droits de douane. Le Tribunal conclut que les honoraires équivalant à 10 p. 100 du coût F.A.B., versés par l'appelante à Chang relativement aux marchandises portant la marque de commerce Apropos, représentent une commission d'achat authentique et ne sont pas sujets à des droits de douane. Par conséquent, l'appel est admis en partie.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [ci-après Loi].

2 . Selon le libellé de la Loi au moment des importations en cause.

3 . Mémoire complémentaire de l'appelante, onglet 1.

4 . Pièce B-13.

5 . (1 novembre 1995), AP-94-190 et AP-94-191 (TCCE) [ci-après Chaps-Ralph Lauren].

6 . (29 avril 1997), AP-95-261 et AP-95-263 (TCCE).

7 . (16 septembre 1993), AP-92-193 et AP-92-215 (TCCE).

8 . L.R.C. 1985, c. T-13.

9 . Le fait est démontré par le libellé du paragraphe 53.1(7) de la Loi sur les marques de commerce qui prévoit que, lorsqu'il conclut que l'importation de marchandises est, ou que la distribution serait, contraire à ladite loi, le tribunal peut rendre toute ordonnance qu'il juge indiquée, notamment quant à leur destruction ou à leur restitution au demandeur [le propriétaire de la marque de commerce] en toute propriété. Une telle ordonnance ne serait pas nécessaire si le propriétaire de la marque de commerce était le propriétaire des marchandises afférentes.

10 . (28 février 1994), A-453-90 (C.A.).

11 . (16 février 1995), AP-94-035, AP-94-042 et AP-94-165 (TCCE).

12 . Règlement sur la détermination de la valeur en douane, D.O.R.S./86-792, art. 4(2).

13 . Mémoire complémentaire de l'appelante, onglet 1.

14 . G.H.L. Fridman, The Law of Agency, 7e éd., Toronto, Butterworths, 1996 à la p. 175. Voir, aussi, Chaps-Ralph Lauren.

15 . Ce fait distingue l'espèce de Utex c. S-MRN (27 octobre 1999), AP-98-085 (TCCE), où il est ressorti que le mandant paraissait ne pas être au courant qu'il était prévu qu'un sous-mandataire du mandataire reçoive des commissions des usines.

16 . Le Tribunal souligne que des observations similaires ont été énoncées dans Superfine Import c. S-MRN (3 décembre 1996), AP-95-074 (TCCE).


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Publication initiale : le 22 septembre 2000