CORPORATION UTEX

Décisions


CORPORATION UTEX
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-98-085

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 27 octobre 1999

Appel n o AP-98-085

EU ÉGARD À un appel entendu le 6 mai 1999 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes L.R.C. (1985) (2e supp.), ch. 1;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national le 9 novembre 1998 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CORPORATION UTEX Appelante

ET

L E SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.


Richard Lafontaine ______ Richard Lafontaine Membre présidant

Anita Szlazak ______ Anita Szlazak Membre

Pierre Gosselin ______ Pierre Gosselin Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les commissions versées par l'appelante à son mandataire doivent être ajoutées au prix payé ou à payer pour des vêtements importés aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi sur les douanes.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal est d'avis qu'un mandataire a une responsabilité fiduciaire à l'égard de l'acheteur qui l'oblige, notamment, à communiquer à l'acheteur tous les renseignements relatifs aux transactions effectuées pour le compte de l'acheteur par le mandataire ou en son nom. À la lumière des éléments de preuve, il est douteux que l'appelante ait été entiE8Šrement au fait de l'ampleur de l'activité d'une autre société qui agissait à titre de sous-mandataire de son mandataire direct ou que ledit sous-mandataire, avec qui l'appelante faisait aussi affaire, pouvait toucher des commissions des usines chinoises. Certaines des usines auraient pu faire affaire avec l'appelante ou éventuellement auraient pu être désignées par le sous-mandataire à titre de fournisseurs potentiels de l'appelante. Le Tribunal n'est pas convaincu que le mandataire ait toujours servi les intérêts de son mandant. Le Tribunal conclut que l'appelante n'a pas établi que son mandataire était, en l'espèce, un commissionnaire d'achat de bonne foi.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 6 mai 1999 Date de la décision : Le 27 octobre 1999
Membres du Tribunal : Richard Lafontaine, membre présidant Anita Szlazak, membre Pierre Gosselin, membre
Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Greffier : Margaret Fisher
Ont comparu : Richard S. Gottlieb et J. Peter Jarosz, pour l'appelante Louis Sébastien et Claude Morissette, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] à l'égard de trois décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national le 9 novembre 1998.

Les décisions qui font l'objet du présent appel portent sur la valeur en douane de vêtements importés durant la période de janvier 1996 à février 1998. Les vêtements importés de la République populaire de Chine (Chine) ont été vendus à l'appelante par différents vendeurs.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les commissions versées par l'appelante à son mandataire, la société Fabco Trading Corp. (Fabco), doivent être ajoutées au prix payé ou à payer pour les vêtements importés, en application du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi, comme l'a déterminé l'intimé. Le sous-alinéa 48(5)a)(i) prévoit ce qui suit :

(5) Dans le cas d'une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :

a) par addition, dans la mesure où ils n'y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :

(i) les commissions et les frais de courtage relatifs aux marchandises et supportés par l'acheteur, à l'exclusion des honoraires versés ou à verser par celui-ci à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente.

Pour l'essentiel, la position de l'appelante est que les montants qu'elle a versés à Fabco sont des commissions d'achat et ne doivent pas être ajoutés au prix payé ou à payer pour les vêtements importés.

À l'audience, M. Abraham Weinstein, vice-président de la Corporation Utex, a comparu à titre de témoin de l'appelante et a souscrit, dans le cadre de sa présentation d'éléments de preuve, à l'exposé des faits de l'appelante compris dans le mémoire de cette dernière. Le témoignage de M. Weinstein est résumé ci-après.

À l'origine, l'appelante exploitait le domaine des vêtements de dessus pour hommes (c.-à-d. imperméables, coupe-vent, vêtements avec isolant de duvet, manteaux de tissu); elle a ensuite étendu son activité aux vêtements de dessus pour femmes et aux vêtements de haute qualité pour hommes (c.-à-d. complets et vestons de sport). D'une façon générale, l'appelante n'achète pas de vêtements finis, mais fait fabriquer les marchandises qu'elle achète par des usines chinoises à partir de ses propres patrons. Par l'intermédiaire de commissionnaires d'achat, l'appelante a pour habitude d'acheter, de diverses sources, les tissus, les doublures et les divers composants, y compris les étiquettes et les tirettes, dont les usines ont besoin pour confectionner les vêtements requis.

Dans le cadre d'une entente datée du 20 mars 1975 [2] , qui a été modifiée en février 1991 [3] , l'appelante a retenu les services de Fabco pour l'aider à se procurer des marchandises et lui fournir des services liés à l'achat en contrepartie d'un pourcentage du prix du vendeur à l'appelante. Selon le mémoire de l'appelante, depuis 1975, Fabco a loyalement et efficacement fourni les services susmentionnés, représentant les intérêts de l'appelante en Chine, bien que Fabco n'ait pas été le mandataire exclusif de l'appelante dans ce pays. Selon l'appelante, Fabco a toujours, dans l'exécution de son mandat, agi au mieux des intérêts de l'appelante. Les services de Fabco comprenaient la supervision de la production des vêtements dans les délais prévus, la notification à l'appelante de tout problème de production et la vérification de la conformité des expéditions aux dispositions de l'entente contractuelle. Bien que son mandat ait également comporté l'inspection des expéditions, M. Weinstein a admis ne pas avoir vu de certificat d'inspection depuis quelques années.

En 1987, la société Corin International (HK) Ltd. (Corin) a commencé a fournir à l'appelante des composants devant servir dans la confection de vêtements par les vendeurs avec qui l'appelante traitait. En plus de fournir des composants, Corin en coordonnait la livraison aux usines des vendeurs de l'appelante pour faciliter la production des vêtements dans les délais prévus. Les services susmentionnés dégageaient l'appelante de l'obligation de prendre des dispositions liées à l'achat et à la livraison des matières premières auprès de multiples producteurs, et représentaient donc une économie considérable. Ils la dégageaient aussi de la responsabilité à l'égard de l'expédition excédentaire de composants par les fournisseurs. L'appelante ne savait pas où Corin se procurait les marchandises. L'appelante ne versait pas de commission à Corin en contrepartie des services de cette dernière, mais lui versait plutôt, selon M. Weinstein, « une légère prime au-delà du prix du produit ou du composant » [traduction] qu'elle avait acheté. M. Weinstein a dit ne pas savoir si des commissions avaient déjà été versées à Corin par un des fournisseurs intéressés aux transactions qui font l'objet du présent appel.

En tout temps, l'appelante contrôlait la production puisqu'il approuvait les échantillons des vêtements produits par les diverses usines avant d'en commander la pleine production. De fait, l'appelante prenait les décisions finales dans tous les aspects de son activité commerciale, y compris la quantité d'articles à produire, le prix à payer à l'usine, le genre et la qualité des marchandises, et la méthode et le moment de la production et de l'expédition. Quant aux liens qui pouvaient exister entre Fabco et Corin, M. Weinstein savait que Corin fournissait des services à Fabco, mais n'a pas pu préciser lesquels. Il a supposé, cependant, que Corin agissait à titre de sous-mandataire de Fabco. M. Weinstein a reconnu que, à quelques reprises, Corin, alors qu'elle agissait au nom de Fabco, a présenté les marchandiseurs ou les techniciens de l'appelante à d'autres usines. M. Weinstein a dit ignorer l'existence de toute entente spécifique conclue entre les deux sociétés susmentionnées en janvier 1975 [4] . Quant au versement de la commission de Fabco, M. Weinstein a expliqué que Fabco recevait un pourcentage du « prix de revient de base » de l'appelante, c'est-à-dire, le coût de la main-d'œuvre, y compris tous les composants des vêtements, moins le coût des composants fournis à l'appelante par Corin.

Dans une décision d'un administrateur du tarif et des valeurs du ministère du Revenu national (Revenu Canada), datée du 28 décembre 1995 [5] , l'appelante a été informée que les commissions versées à Fabco devaient être incluses dans la valeur en douane des importations de vêtements futures parce que, notamment, « Fabco est lié à Corin, qui est elle-même le vendeur des garnitures et des accessoires » [traduction] et que « le lien entre les mandataires et le vendeur empêche le mandataire d'agir uniquement au nom de l'acheteur ou de servir au mieux ses intérêts » [traduction]. L'appelante a alors été avisée que la conclusion susmentionnée était fondée sur le fait que M. Ron Reuben, un actionnaire principal de Corin, était le fils de M. Eli Reuben, un actionnaire principal de Fabco, et que M. Ron Reuben était censément un actionnaire principal de la société Statemount Company Limited (Statemount), un des fournisseurs de vêtements de l'appelante. Cependant, l'appelante a été informée par MM. Ron Reuben et Eli Reuben que ni Fabco ni M. Eli Reuben n'avaient d'intérêt financier dans Corin ou dans une autre entreprise qui fournissait l'appelante et que ni Corin ni M. Ron Reuben ni aucun autre fournisseur du genre n'avait d'intérêt dans Fabco. Au sujet de ce qui précède, M. Weinstein a expliqué que Fabco n'a pas agi à titre de mandataire de l'appelante et n'a pas reçu de commission sur les accessoires ou les garnitures que l'appelante a achetés de Corin. M. Weinstein a ajouté que, en fait, le lien contractuel entre Corin et l'appelante n'a eu aucune incidence que ce soit sur la relation entre Fabco et l'appelante. Selon M. Weinstein, l'appelante était parfaitement au courant du lien de parenté qui unissait M. Ron Reuben et M. Eli Reuben et que, si tant est qu'on puisse en dire quelque chose, ce lien a permis à Fabco de mieux satisfaire les besoins de l'appelante.

Finalement, M. Weinstein a déclaré que, avant les décisions de l'intimé qui font l'objet du présent appel, Revenu Canada avait, à deux reprises, en 1991 et en 1994, procédé à un réexamen de la valeur en douane des vêtements importés par l'appelante et avait déterminé que les commissions versées par l'appelante à Fabco n'étaient pas passibles de droits de douane, même si les parties, c'est-à-dire l'appelante, Corin et Fabco, étaient les mêmes.

M. Gaëtan Montpetit, un agent de Revenu Canada qui a procédé à une vérification chez l'appelante, a témoigné à l'audience au nom de l'intimé. La vérification effectuée par M. Montpetit a été faite en octobre 1995 dans le cadre d'une série de vérifications des importateurs de textiles de la région de Montréal (Québec). Durant une vérification chez un de ces importateurs, M. Montpetit a découvert que des commissions étaient versées par ledit importateur à Fabco et à Corin. M. Montpetit a découvert une lettre dans laquelle il était écrit que Fabco se servirait de Corin à titre de mandataire exclusif, cette dernière étant ensuite rémunérée par les producteurs chinois [6] . D'après la lettre susmentionnée ainsi que les états financiers et les déclarations de revenus de Fabco, M. Montpetit a conclu que Fabco ne pouvait agir en tant que mandataire de bonne foi, étant donné son interprétation d'un mémorandum de Revenu Canada [7] selon lequel un mandataire doit servir au mieux les intérêts de l'importateur, que le vendeur et le mandataire ne doivent pas être liés et que le mandataire doit communiquer tous les renseignements à son mandant. M. Montpetit a aussi expliqué que les bureaux de Fabco et de Corin, à Montréal, sont contigus.

Dans le cadre de la vérification effectuée chez l'appelante, M. Montpetit a trouvé une lettre, datée du 11 janvier 1994, de l'appelante à M. Ron Reuben et à Mme Arpie Margorian, une employée de Fabco, dans laquelle sont exprimées certaines préoccupations au sujet du rendement de Corin au plan du contrôle de la qualité [8] . Il a trouvé une autre lettre, datée du 28 janvier 1994, en provenance de Fabco dans laquelle M. A. Browman, de la Corporation Utex, était informé que Corin assumerait le coût du pressage de vêtements spécifiques [9] . Il existait également une note de débit, datée du 28 mars 1994, de l'appelante à Corin, dans laquelle le coût du pressage d'un certain nombre de vêtements était imputé à cette dernière [10] . Cela, à son avis, confirmait que Corin n'était pas un mandataire authentique, parce qu'un mandataire authentique n'assume pas ce genre de coûts et de responsabilités.

En outre, M. Montpetit a fait référence à une lettre adressée à Corin par une tierce partie [11] , dans laquelle il était reconnu que, en plus des commissions qu'elle allait verser à Corin, cette dernière aurait droit à des commissions « de Chine » pour la vente des mêmes marchandises [12] . M. Montpetit a jugé qu'une telle situation donnait lieu à un conflit d'intérêts.

M. Montpetit a expliqué avoir effectué une recherche sur Corin et sur Statemount par l'intermédiaire des services d'information commerciale Dun & Bradstreet. Il a découvert que M. Ronald Reuben était directeur des deux sociétés susmentionnées et que Fabco était une société affiliée. Sur la foi de tous les renseignements qu'il avait recueillis, y compris sa découverte que Fabco n'avait pas communiqué à l'appelante tous les renseignements dont elle disposait, particulièrement au sujet de sa relation avec Corin, M. Montpetit a conclu que Fabco n'agissait pas à titre de mandataire de l'appelante et que, au contraire, Corin exécutait le travail à l'extérieur du Canada. Il a aussi conclu que, puisque ni Fabco ni l'appelante ne versait de commission à Corin, cette dernière était, dans les faits, une entreprise de revente qui était payée pour les accessoires qu'elle fournissait aux fournisseurs de l'appelante. Au cours du contre-interrogatoire, M. Montpetit n'a pas pu expliquer comment l'entente entre Corin et Fabco, dont il a déjà été discuté, aurait pu être conclue en 1975, puisque le rapport Dun & Bradstreet indique que Corin est entrée en exploitation en 1977. M. Montpetit a aussi reconnu que l'entente de 1975 entre Corin et Fabco était signée par M. Herman Wong au nom de Corin et non par M. Ron Reuben. M. Montpetit a dit ne pas savoir comment M. Ron Reuben a pu devenir une partie intéressée à Corin et, apparemment, ignorait aussi que M. Reuben avait été désigné comme « inactif » dans le rapport susmentionné.

Les conseillers de l'appelante ont soutenu que le fardeau de la preuve incombe à l'intimé qui n'a pas entièrement divulgué les raisons pour lesquelles les commissions sont maintenant passibles de droits de douane alors qu'elles ont été jugées non passibles à la suite de deux réexamens. Ils ont invoqué la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Johnston c. M.R.N. [13] à l'appui de leur argument. En outre, ils ont soutenu que le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique en l'espèce et que, à moins que de nouveaux faits ne soient introduits, l'intimé n'a pas compétence pour rendre une décision contraire aux intérêts de l'appelante. Ils ont en outre soutenu qu'aucun des alinéas définissant l'expression « personnes liées » visant les articles 46 à 55 de la Loi ne s'applique en l'espèce, et plus particulièrement l'alinéa a) qui se rapporte aux personnes physiques et non aux personnes morales, ce qui corrobore l'argument selon lequel il ne pouvait y avoir un tel lien entre Fabco et Corin et, d'une façon similaire, entre Fabco et Statemount, puisqu'elles sont des personnes morales et non des personnes physiques. Ils ont invoqué la décision que le Tribunal a rendue dans l'affaire Chaps-Ralph Lauren c. S.-M.R.N. [14] et soutenu que, de toute façon, lorsque le mandant connaît et accepte l'existence d'un lien entre le mandataire et d'autres parties pertinentes, il ne peut y avoir conflit d'intérêts [15] . Les conseillers ont aussi soutenu, à cet égard, que les réponses données par M. Montpetit aux questions 7, 8 et 9 de l'annexe du mémorandum de Revenu Canada indiquent clairement que le mandataire est un commissionnaire d'achat de bonne foi. Finalement, ils ont soutenu qu'il serait difficile d'établir que les entrepreneurs vendaient les marchandises, puisqu'ils n'étaient que de simples fournisseurs de services, ce qui n'offre donc aucun lien juridique susceptible de permettre le prélèvement de droits sur les commissions.

Invoquant la décision que le Tribunal a rendue dans l'affaire Radio Shack c. S.-M.R.N.D.A. [16] , les conseillers de l'intimé ont soutenu que le fardeau de la preuve incombe à l'appelante, puisque cette dernière demande une exception aux termes de la Loi. Ils ont en outre soutenu que Fabco n'est pas un commissionnaire d'achat de bonne foi, puisqu'elle est affiliée avec des vendeurs et se trouve dans une situation de conflit d'intérêts. De plus, ils ont soutenu que Fabco a, dans sa déclaration de revenus de 1992-1993, déclaré être commissionnaire-vendeur [17] . Ils ont aussi soutenu que Corin est un mandataire exclusif de Fabco en Chine et que Fabco ne verse pas de commission à Corin, qui doit prendre les dispositions nécessaires pour obtenir ses propres commissions auprès des fournisseurs chinois. Ils ont soutenu, en outre, que les deux réexamens précédents de Revenu Canada avaient clairement été désignés comme « in this instance only » (« ne s'applique uniquement qu'au présent cas ») et n'étaient donc pas de nature à établir un précédent. Quant à l'application du principe de l'autorité de la chose jugée, les conseillers ont soutenu que le présent appel porte sur de nouvelles importations et que les transactions visées ont été effectuées dans une autre année que celle qui avait fait l'objet des deux réexamens précédents.

Le Tribunal est d'avis que l'appel doit être rejeté. En ce qui concerne l'application du principe de la chose jugée, le Tribunal est d'avis que l'expression « in this instance only » (« ne s'applique uniquement qu'au présent cas ») incluse dans les deux réexamens précédents effectués par Revenu Canada n'est pas une « clause de style » [18] , contrairement à ce qu'ont affirmé les conseillers de l'appelante. Manifestement, l'expression susmentionnée vise à laisser à Revenu Canada une certaine latitude, dans le cas où, par exemple, une vérification se rapportant à de futures importations devait révéler des circonstances ou des faits inconnus au moment des importations antérieures. Cependant, chose plus importante encore en l'espèce, le Tribunal n'a pas compétence pour déterminer si un administrateur du tarif et des valeurs de Revenu Canada était ou non, du fait de l'existence des deux décisions précédentes, empêché de prendre la décision qu'il a prise. Dans un appel interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi, comme l'est le présent appel, le Tribunal doit déterminer, sur la foi des éléments de preuve et du droit, si le Sous-ministre a correctement, ou non, conclu que les commissions sont passibles de droits de douane. Sauf dans des circonstances particulières, par exemple, dans une situation où, manifestement, la décision du Sous-ministre n'a pas été prise dans le délai prescrit par la Loi, le Tribunal n'a pas compétence pour statuer sur la question de savoir si le Sous-ministre lui-même avait compétence pour rendre sa propre décision, y compris une décision qui a pour effet de maintenir des décisions antérieures prises par le personnel du Ministère [19] .

En outre, contrairement à la position de l'appelante sur le principe de l'autorité de la chose jugée, le Tribunal n'est pas en l'espèce saisi d'une question qui a déjà été traitée dans le cadre d'un précédent appel. Le Tribunal fait observer que dans l'affaire I.D. Foods Superior c. S.-M.R.N. [20] , invoquée par l'appelante à l'appui de sa position, il a été demandé au Tribunal de statuer sur une question entre les deux parties concernant des importations antérieures sur laquelle il avait déjà statué. Manifestement, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque la question qui fait l'objet du présent appel n'a jamais été tranchée par le Tribunal.

En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Tribunal est d'avis qu'il incombe à l'appelante. Le Tribunal fait observer que, à la suite de la vérification des activités de l'appelante par M. Montpetit, la lettre de ce dernier, datée du 28 décembre 1995 [21] , à M. Weinstein décrit la façon dont la valeur des importations futures de l'appelante doit être établie. Ensemble, la lettre susmentionnée et les décisions de l'intimé qui ont subséquemment été communiquées à l'appelante convainquent le Tribunal que l'intimé a manifestement satisfait les exigences minimales concernant la divulgation des renseignements, telles qu'elles ont été énoncées dans l'affaire Johnston.

Pour ce qui est du bien-fondé de la présente affaire, le Tribunal n'est pas convaincu, dans l'ensemble, que Fabco soit un commissionnaire d'achat de bonne foi de l'appelante. Le Tribunal confirme le point de vue qu'il a adopté dans l'affaire Radio Shack, lorsqu'il a déclaré que toute décision concernant l'existence d'une relation de mandataire et le traitement des frais d'un responsable des achats doit être fondée sur les faits pertinents en l'espèce [22] .

Cela dit, M. Weinstein n'a présenté aucun élément probant quant à la façon dont Fabco exécute dans les faits les services décrits dans sa lettre à l'appelante, datée du 20 mars 1975, qui a suivi la conclusion d'une entente entre les deux sociétés. Par exemple, bien que M. Weinstein ait confirmé qu'une des responsabilités d'un mandataire serait d'inspecter les marchandises avant leur expédition, M. Weinstein n'a pas, selon son propre témoignage, vu de certificat d'inspection depuis quelques années. D'autre part, M. Weinstein a reconnu que Fabco se servait de Corin à titre de sous-mandataire, y compris pour la recherche de marchés et la recommandation d'usines [23] . Le fait que tant Fabco que Corin fournissaient des services à l'appelante est corroboré par la pièce protégée B-2, dans laquelle l'appelante a énuméré trois importants problèmes concernant les difficultés de Corin au plan du contrôle de la qualité en Chine. Il ne fait aucun doute, selon le Tribunal, que l'appelante savait que Corin était sous-mandataire de Fabco et, par conséquent, que l'appelante a, dans une certaine mesure, accepté Corin dans le cadre de l'entente de mandat qu'elle a conclue avec Fabco. Les communications échangées entre les trois sociétés susmentionnées démontrent l'existence d'une telle connaissance de la part de l'appelante [24] .

Contrairement à l'un des facteurs dont il a été tenu compte dans l'affaire Chaps-Ralph Lauren, à savoir, qu'un mandataire n'assume aucun risque relatif aux marchandises endommagées ou perdues [25] , Corin (le mandataire de l'appelante par l'intermédiaire de Fabco [26] ) a dû assumer le coût du pressage des imperméables [27] . Cependant, il y a un problème davantage important qui se pose au Tribunal, à savoir le mode de fonctionnement de Fabco/Corin en ce qui a trait aux commissions, qui est décrit dans la lettre du 6 janvier 1975 [28] de Fabco à Corin ainsi que dans la lettre du 22 août 1991 [29] d'une tierce société [30] à Corin. Il ressort de ces pièces de correspondance que Corin, le mandataire exclusif de Fabco en Chine, aurait pu recevoir des commissions de vendeurs chinois pour les services qu'elle fournissait à Fabco pour le compte de l'appelante. Aucun élément de preuve n'a été déposé au Tribunal pour démontrer que l'appelante a été informée d'une telle situation, même si cette dernière était au courant de certains éléments de l'activité de Corin se rapportant à Fabco. En fait, M. Weinstein n'a même pas pu confirmer l'existence ou l'absence d'un contrat entre Fabco et Corin et a dit ignorer comment Fabco elle-même s'y prend pour gérer ses affaires outre-mer.

Le Tribunal est d'avis qu'un mandataire a une responsabilité fiduciaire à l'égard de l'acheteur qui l'oblige, notamment, à communiquer à l'acheteur tous les renseignements relatifs aux transactions effectuées pour le compte de l'acheteur, par le mandataire ou en son nom. À la lumière des éléments de preuve, il est douteux que l'appelante ait eu une pleine connaissance de l'activité de Corin en tant que représentant exclusif de Fabco en Chine ou du fait que Corin avait à recevoir ses commissions des usines chinoises. Il est possible d'imaginer que certaines de ces usines auraient pu faire affaire avec l'appelante ou qu'elles auraient éventuellement pu être recommandées à l'appelante par Corin en tant que fournisseurs potentiels. En tant que commissionnaire d'achat de bonne foi, Fabco avait le devoir d'informer l'appelante de toute possibilité de conflit d'intérêts de ce genre. Par conséquent, conformément à l'analyse qu'il a faite dans l'affaire Chaps-Ralph Lauren de l'obligation fiduciaire d'un mandataire à l'égard de son mandant, le Tribunal n'est pas convaincu que le mandataire a toujours servi les intérêts de son mandant [31] .

Compte tenu de tous les éléments qui précèdent, le Tribunal conclut que l'appelante n'a pas établi que Fabco était un commissionnaire d'achat de bonne foi en l'espèce.

Finalement, le Tribunal n'est pas convaincu par l'argument de l'appelante selon lequel il serait difficile d'établir s'il y a vente de marchandises en l'espèce, étant donné que les entrepreneurs ne font que simplement fournir des services. Une fois cousus, les vêtements en question deviennent des marchandises qui sont livrées à l'acheteur. Il est vrai que les entrepreneurs fournissent un service, mais ce service est payé à la livraison des marchandises finies. En dernière analyse, selon le Tribunal, les entrepreneurs vendent un produit fini, qui est sans aucun doute passible de droits de douane aux termes de la Loi.

Pour toutes les raisons susmentionnées, l'appel est rejeté. Les commissions versées à Fabco par l'appelante ont correctement été ajoutées au prix payé ou à payer pour les vêtements importés.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985) (2e supp.), ch. 1 [ci-après Loi].

2. Mémoire non protégé de l’appelante, onglet 2.

3. Mémoire non protégé de l’appelante, onglet 3.

4. Mémoire non protégé de l’intimé, onglet 7.

5. Mémoire non protégé de l’appelante, onglet 4.

6. Ibid.

7. Mémorandum D13-4-12, ministère du Revenu national, Accise, Douanes et Impôt, le 30 septembre 1991.

8. Pièce protégée B-2.

9. Pièce protégée B-1A.

10. Mémoire non protégé de l'intimé, onglet 8.

11. Le nom de cette société a été désigné comme étant un renseignement confidentiel aux termes du paragraphe 46(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), ch. 47.

12. Pièce protégée B-3.

13. [ 1948 ] R.C.S. 486 [ci-après Johnston].

14. (1er novembre 1995), AP-94-190 et AP-94-191 [ci-après Chaps-Ralph Lauren].

15. Ibid. à la p. 8.

16. (16 septembre 1993), AP-92-193 et AP-92-215 [ci-après Radio Shack].

17. Mémoire protégé de l'intimé, onglet 5.

18. Transcription de l'argumentation publique, le 6 mai 1999 à la p. 8.

19. Quant à la question de la compétence du Tribunal, voir Richards Packaging c. S.M.R.N. (10 février 1999), AP-98-007 et AP-98-010 (T.C.C.E.) à la p. 6.

20. (12 décembre 1996), AP-95-252 (T.C.C.E.).

21. Supra note 5.

22. Supra note 16 à la p. 8.

23. Transcription de l'audience publique, le 6 mai 1999 à la page 48.

24. Supra notes 8, 9 et 10.

25. Supra note 14 à la p. 6.

26. Supra note 4.

27. Supra note 9.

28. Supra note 4.

29. Supra note 12.

30. Supra note 11.

31. Supra note 14 à la p. 6.


Publication initiale : le 27 octobre 1999