BERNARD CHAUS INC.

Ordonnances et motifs de prolongation de délai (Loi sur les douanes)


BERNARD CHAUS INC.
Demande no EP-2003-001


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 4 décembre 2003

Demande no EP-2003-001

EU ÉGARD À une demande de Bernard Chaus Inc. aux termes de l'article 60.2 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1, pour une prorogation du délai de présentation d'une demande de réexamen.

ORDONNANCE DU TRIBUNAL

Le Tribunal canadien du commerce extérieur fait droit à la demande de prorogation du délai de présentation d'une demande de réexamen aux termes de l'article 60 de la Loi sur les douanes.

Patricia M. Close
Patricia M. Close
Membre présidant

Zdenek Kvarda
Zdenek Kvarda
Membre

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

Entre le 1er juin et le 18 novembre 1998, Bernard Chaus Inc. (Chaus) a importé des vêtements, ce qui représentait sept livraisons.

Le 18 juin 2002, le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (le commissaire) a effectué une révision de la valeur en douane déclarée relativement aux livraisons ci-dessus, ce qui a donné une évaluation de 212 130 $ visant les droits de douane supplémentaires et de 90 622 $ visant la TPS, pour un total de 302 752 $.

Le 15 juillet 2002, Chaus, par l'intermédiaire de son représentant (Ernst & Young LLP), a écrit au commissaire en vue d'interjeter appel de la nouvelle évaluation. Le même jour, un agent de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) a fourni au commissaire une preuve d'autorité du représentant. La lettre et l'autorisation ont été déposées dans le délai de 90 jours spécifié à l'article 60 de la Loi sur les douanes 1 , mais la demande de réexamen elle-même (sur le formulaire B-2) n'a été présentée que le 15 septembre 2002, soit deux jours après le délai prescrit.

Le 23 septembre 2002, le commissaire a rejeté la demande « étant donné qu'elle avait dépassé le délai de 90 jours » [traduction].

Le 18 novembre 2002, Chaus, par l'intermédiaire de son représentant (Gowling Lafleur Henderson LLP), a fait une demande de prorogation du délai de présentation d'une demande de réexamen au commissaire en vertu de l'article 60.1 de la Loi.

Le 13 février 2003, le commissaire a rejeté la demande « étant donné qu'il avait été établi que la demande n'avait pas été présentée dès que possible » [traduction].

Le 12 mai 2003, Chaus a saisi le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), en vertu de l'article 60.2 de la Loi, d'une demande de prorogation du délai de présentation d'une demande de réexamen, en déposant une copie de la demande ci-dessus en vertu de l'article 60.1 ainsi que l'avis de rejet du commissaire.

Le 22 mai 2003, le Tribunal a invité le commissaire à commenter la demande de Chaus en vertu de l'article 60.2 de la Loi. Le commissaire a déposé sa réponse le 23 juin 2003.

Le 24 juin 2003, le Tribunal a invité Chaus à répliquer aux commentaires du commissaire. Le 14 juillet 2003, Chaus a déposé ses commentaires.

Le 16 juillet 2003, le Tribunal a invité les parties à lui faire part de leurs observations sur la question de savoir s'il avait compétence pour imposer ou se prononcer sur l'obligation prévue au paragraphe 60(1) de la Loi selon laquelle un demandeur doit verser tous droits et intérêts dus ou donner la garantie jugée satisfaisante par le ministre du Revenu national avant de présenter une demande de réexamen, ainsi que sur la question de savoir comment cette compétence devrait s'exercer. Le 23 juillet 2003, le commissaire a déposé son exposé et Chaus a déposé son exposé le 25 juillet 2003.

ANALYSE

L'article 60.2 de la Loi prévoit ce qui suit :

60.2 (1) La personne qui a présenté une demande de prorogation en vertu de l'article 60.1 peut demander au Tribunal canadien du commerce extérieur d'y faire droit :

a) soit après le rejet de la demande par le commissaire;

b) soit à l'expiration d'un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la présentation de la demande, si le commissaire ne l'a pas avisée de sa décision.

La demande fondée sur l'alinéa a) est présentée dans les quatre-vingt-dix jours suivant le rejet de la demande.

(2) La demande se fait par dépôt, auprès du commissaire et du secrétaire du Tribunal canadien du commerce extérieur, d'une copie de la demande de prorogation visée à l'article 60.1 et, si un avis a été donné en application du paragraphe 60.1(4), d'une copie de l'avis.

(3) Le Tribunal canadien du commerce extérieur peut rejeter la demande ou y faire droit. Dans ce dernier cas, il peut imposer les conditions qu'il estime justes ou ordonner que la demande de révision ou de réexamen soit réputée valide à compter de la date de l'ordonnance.

(4) Il n'est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande de prorogation visée au paragraphe 60.1(1) a été présentée dans l'année suivant l'expiration du délai prévu à l'article 60;

b) l'auteur de la demande établit ce qui suit :

(i) au cours du délai prévu à l'article 60, il n'a pu ni agir ni mandater quelqu'un pour agir en son nom, ou il avait véritablement l'intention de présenter une demande de révision ou de réexamen,

(ii) il serait juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii) la demande a été présentée dès que possible.

La disposition ci-dessus comprend quatre tests que le demandeur doit réussir, sans exception, avant que le Tribunal ne lui accorde une prorogation du délai de présentation d'une demande de réexamen par le commissaire.

Premièrement, l'alinéa 60.2(4)a) de la Loi exige que la demande de révision ou de réexamen d'un classement tarifaire auprès de l'ADRC en vertu de l'article 60.1 ait été présentée dans l'année suivant le délai prévu pour présenter une demande en vertu de l'article 60. En l'espèce, la demande en vertu de l'article 60.1 de la Loi a été présentée le 21 novembre 2002, bien avant la date limite du 13 septembre 2003.

Deuxièmement, le sous-alinéa 60.2(4)b)(i) de la Loi exige que le demandeur démontre que, au cours du délai de 90 jours prévu à l'article 60, le demandeur n'a pas pu agir ni mandater quelqu'un pour agir en son nom, afin de donner suite à la révision ou au réexamen de l'ADRC. Comme solution de rechange, le demandeur pourrait établir que le demandeur avait véritablement l'intention de présenter une demande de révision dans le délai réglementaire de 90 jours. Le Tribunal accepte la lettre et l'autorisation de M. Chaus datées du 15 juillet 2002 comme preuve de son intention véritable.

Troisièmement, le sous-alinéa 60.2(4)b)(ii) de la Loi exige que le demandeur démontre qu'il serait juste et équitable de faire droit à la demande. Le Tribunal conclut que Chaus a établi cette preuve. Comme il a été indiqué plus haut, la demande de révision a été présentée deux jours seulement après le délai réglementaire. Étant donné que la révision de l'ADRC a doublé la valeur en douane des marchandises importées, Chaus risque de subir une perte de plus de 100 000 $ pour ne pas avoir rencontré cette date limite, sans avoir eu la possibilité de démontrer que l'évaluation était trop élevée. Il s'agit là d'une conséquence très sévère pour une infraction technique mineure à la Loi et cela justifie une dispense. De plus, il est clair que le temps n'était pas essentiel du point de vue du commissaire. L'ADRC a mis de la fin 1998 à la mi-2002 pour réviser la valeur en douane des marchandises importées, soit une période de beaucoup plus de trois ans; cependant, elle soutient qu'il serait injuste pour elle et pour d'autres importateurs que Chaus soit autorisé à faire sa demande avec seulement deux jours de retard. De l'avis du Tribunal, le commissaire n'a pas fait la démonstration que cela serait injuste.

Quatrièmement, le sous-alinéa 60.2(4)b)(iii) de la Loi exige que le demandeur démontre que la demande a été présentée dès que possible. Le libellé de cette exigence présente une certaine difficulté initiale d'interprétation, du fait de son ambiguïté : il est difficile de dire si « demande » signifie une demande auprès de l'ADRC en vertu de l'article 60.1 ou une demande auprès du Tribunal en vertu de l'article 60.2. Ailleurs, dans l'article 60.2, c.-à-d. à l'alinéa 60.2(4)a), le Parlement a mentionner explicitement une « demande [...] visée au paragraphe 60.1(1) » en faisant référence à une demande auprès du commissaire. Par conséquent, de prime abord, il y a une présomption a contrario contre l'utilisation de « demande » dans l'article 60.2 pour signifier une demande auprès de l'ADRC à moins que le terme ne soit accompagné de l'expression « en vertu de l'article 60.1(1) ».

Cependant, une telle approche interprétative, dans le contexte du sujet de l'article 60.2 de la Loi mènerait à une incohérence et, par conséquent, elle doit être évitée2 . Le paragraphe 60.2(1) oblige le demandeur à présenter une demande au Tribunal dans les 90 jours suivant le refus du commissaire de proroger le délai de présentation d'une demande de révision ou de réexamen. Quatre-vingt-dix jours est une période relativement courte. Le Tribunal considère qu'il n'y aurait aucun avantage à réduire cette période davantage en obligeant le demandeur à présenter une demande dès que possible à l'intérieur des 90 jours. Par contraste, le paragraphe 60(1) autorise toute la période de 90 jours sans autre restriction semblable.

Un contexte plus logique pour la notion de diligence dénotée dans l'expression « dès que possible » serait la période de 12 mois accordée pour présenter une demande auprès de l'ADRC en vertu du paragraphe 60.1(6) de la Loi. Il semble que l'intention du Parlement n'était pas de priver les demandeurs diligents de leur « droit de se faire entendre » pour la seule raison qu'ils n'avaient pas respecté le délai de 90 jours prescrit au paragraphe 60(1). Par ailleurs, le Parlement ne voulait pas que le délai soit étendu indéfiniment et, par conséquent, il a établi une période limite de 12 mois à partir du délai de 90 jours, comme étant la période maximum pour présenter une demande de prorogation du délai de présentation d'une demande de réexamen. La question de savoir si un demandeur a agi avec suffisamment de diligence à l'intérieur de la « fenêtre » de 12 mois est un exercice qui laisse une grande discrétion. De plus, le pouvoir attribué au Tribunal en vertu de l'article 60.2 lui permet d'infirmer une décision prise par l'ADRC en vertu de l'article 60.1 ou d'y souscrire. On trouve exactement la même expression, « dès que possible », dans le sous-alinéa 60.1(6)b)(iii). De l'avis du Tribunal, il semble logique qu'il était de l'intention du Parlement que le Tribunal considère la même période de temps en prenant sa décision que celle que l'ADRC a considérée en prenant la sienne. Par conséquent, le Tribunal interprète « demande » dans le sous-alinéa 60.2(4)b)(iii), comme signifiant une demande en vertu du paragraphe 60.1(1), c.-à-d. une demande présentée auprès de l'ADRC.

Le Tribunal est convaincu que Chaus a fait sa demande en vertu du paragraphe 60.1(1) de la Loi dès que possible. Une période de 92 jours s'est écoulée entre l'avis de révision du commissaire et la demande de Chaus en vertu du paragraphe 60.1(1). Pendant cette période, Chaus, qui avait mis fin à ses activités au Canada depuis longtemps, a consulté le bureau d'Ernst & Young LLP; par l'intermédiaire de ce bureau, elle a avisé le commissaire des motifs de sa demande de réexamen, bien qu'elle n'ait déposé le formulaire B-2 que deux mois plus tard. Dans l'intervalle, elle a soigneusement examiné de nouveau la stratégie proposée par Ernst & Young LLP pour traiter du réexamen, et elle a demandé une seconde opinion à ses mandataires des douanes des États-Unis et à des conseillers canadiens spécialisés3 . On ne peut guère qualifier cette soudaine poussée d'activités de man_uvre dilatoire.

Le commissaire soutient que « as soon as circumstances permitted » (« dès que possible ») évoque des circonstances exceptionnelles ou inhabituelles sur lesquelles Chaus4 n'a aucun contrôle et, pour appuyer son argument, il a recours aux interprétations, dans la jurisprudence, d'une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu 5 rédigée de façon semblable. Le Tribunal considère que ce test est trop sévère et observe, en passant, que la Loi de l'impôt sur le revenu ne s'applique pas à la présente demande et que, de toute façon, le test dans la Loi de l'impôt sur le revenu a été appliqué de façon moins étroite dans des causes plus récentes6 . Le Tribunal conclut que le test adéquat est qu'un demandeur ait fait sa demande et qu'il l'ait présentée à l'ADRC dans un délai raisonnable compte tenu des circonstances particulières7 .

Par conséquent, le Tribunal conclut que Chaus a satisfait aux quatre tests réglementaires et que sa demande devrait lui être accordée.

En faisant droit à une demande en vertu du paragraphe 60.2(3) de la Loi, le Tribunal peut imposer toute condition qu'il estime juste ou ordonner que la demande de réexamen soit réputée valide. Le Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs exposés quant à la question de savoir s'il avait compétence pour imposer ou déroger à l'obligation visée au paragraphe 60(1) selon laquelle tous droits et intérêts sur les marchandises importées doivent avoir été versés ou le ministre du Revenu national doit avoir reçu une garantie satisfaisante avant qu'une demande de réexamen ne puisse être présentée. Dans leurs exposés, Chaus a soutenu que le Tribunal n'avait pas l'autorité d'imposer la conformité au paragraphe 60(1)8 , et le commissaire a soutenu que le Tribunal n'avait pas l'autorité de déroger à l'application du paragraphe9 .

Le Tribunal est d'avis que sa compétence en vertu du paragraphe 60.2(3) de la Loi doit être exercée à la lumière des dispositions législatives des articles 60 à 60.2, qui incluent l'obligation de payer tous les droits et intérêts dus ou de donner une garantie jugée satisfaisante avant de pouvoir présenter une demande de réexamen. Chaus a reconnu que, lorsqu'il a fait sa demande de réexamen en septembre 2002, il n'était pas en mesure de remplir cette obligation légale10 . Par conséquent, le Tribunal refuse de rendre une ordonnance à l'effet que la demande était considérée comme une demande valide. Maintenant, Chaus demande plutôt que le Tribunal lui accorde une période de temps raisonnable pour organiser les paiements ou la garantie mentionnés ci-dessus11 . De l'avis du Tribunal, il revient au commissaire et non au Tribunal de faire respecter la conformité au paragraphe 60(1). Le Tribunal préfère plutôt faire simplement droit à la demande de prorogation du délai pour les raisons citées plus haut et donne à Chaus jusqu'au 31 janvier 2004 pour faire sa demande de réexamen en vertu de l'article 60.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . Voir Francis Bennion, Statutory Interpretation, 3e éd. (London : Butterworths, 1997) à la p. 970, selon lequel on ne doit pas appliquer une présomption a contrario lorsque cela entraînerait une incohérence ou une injustice.

3 . Affidavit de M. Barton Heminover, mémoire de l'appelant, 14 juillet 2003.

4 . Exposé de principe de l'ADRC, 23 juin 2003 au para. 21.

5 . Wright c. M.R.N., [1983] C.T.C. 2493; 83 D.T.C. 447; Savary Beach Lands Ltd. c. M.R.N., (1972) C.T.C. 2608; 72 D.T.C. 1497; Marvin Shore c. M.R.N., [1974] C.T.C. 2193; 74 D.T.C. 1132; Kidd c. M.R.N., (1983) C.T.C. 2747; 83 D.T.C. 639.

6 . La Reine c. A.C. Pennington, [1987] 1 C.T.C. 235 (C.A.F.) [Pennington]; Meer c. R., [2001] 3 C.T.C. 2537; Seater c. R., [1997] 1 C.T.C. 2204.

7 . Pennington à la p. 237.

8 . Exposé du demandeur, 25 juillet 2003.

9 . Exposé de l'intimé, 23 juillet 2003.

10 . Mémoire du demandeur, 14 juillet 2003 au para. 41.

11 . Exposé du demandeur, 25 juillet 2003.