INGRAM MICRO INC.

Ordonnances et motifs de prolongation de délai (Loi sur les douanes)


INGRAM MICRO INC.
Demande no EP-2003-006


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 31 mars 2004

Demande no EP-2003-006

EU ÉGARD À une demande d'Ingram Micro Inc. aux termes de l'article 60.2 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1, d'une prorogation du délai de présentation d'une demande de réexamen.

ORDONNANCE DU TRIBUNAL

Le Tribunal canadien du commerce extérieur fait droit à la demande de prorogation du délai et accorde à Ingram Micro Inc. six semaines à partir de la date de la présente ordonnance pour présenter une demande de réexamen aux termes de l'article 60 de la Loi sur les douanes.

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre présidant

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

De 2001 à 2002, Ingram Micro Inc. (Ingram) a importé des marchandises électroniques expédiées par chargements. Les 18 et 29 juillet et le 20 août 2002, après la présentation de demandes de réexamen par Ingram, le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) a révisé le classement tarifaire et la valeur en douane des marchandises importées. Au total, elle a rendu 36 décisions.

Le 26 mai 2003, l'ADRC a reçu la demande datée du 14 mai 2003 présentée par Ingram d'obtenir une prorogation du délai en vertu de l'article 60.1 de la Loi sur les douanes 1 relativement au réexamen du classement et de la valeur en douane en vertu de l'article 60. Le 7 juillet 2003, l'ADRC a rejeté la demande d'Ingram au motif que les conditions pour qu'il soit fait droit à la demande n'avaient pas été satisfaites.

Le 15 août 2003, Ingram a déposé une demande auprès du Tribunal, en vertu de l'article 60.2 de la Loi, pour une prorogation du délai de présentation d'une demande de réexamen en déposant une copie de la demande susmentionnée visée à l'article 60.1 et une copie de l'avis de rejet par l'ADRC.

Le 24 septembre 2003, le Tribunal a invité l'ADRC à déposer ses observations sur la demande présentée par Ingram en vertu de l'article 60.2 de la Loi. L'ADRC a déposé ses observations le 28 octobre 2003.

Le 19 novembre 2003, le Tribunal a invité Ingram à déposer ses observations en réponse aux observations de l'ADRC. Le 27 novembre 2003, Ingram a déposé ses observations.

ANALYSE

L'article 60.2 de la Loi prévoit ce qui suit :

60.2 (1) La personne qui a présenté une demande de prorogation en vertu de l'article 60.1 peut demander au Tribunal canadien du commerce extérieur d'y faire droit :

a) soit après le rejet de la demande par le commissaire;

b) soit à l'expiration d'un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la présentation de la demande, si le commissaire ne l'a pas avisée de sa décision.

La demande fondée sur l'alinéa a) est présentée dans les quatre-vingt-dix jours suivant le rejet de la demande.

(2) La demande se fait par dépôt, auprès du commissaire et du secrétaire du Tribunal canadien du commerce extérieur, d'une copie de la demande de prorogation visée à l'article 60.1 et, si un avis a été donné en application du paragraphe 60.1(4), d'une copie de l'avis.

(3) Le Tribunal canadien du commerce extérieur peut rejeter la demande ou y faire droit. Dans ce dernier cas, il peut imposer les conditions qu'il estime justes ou ordonner que la demande de révision ou de réexamen soit réputée valide à compter de la date de l'ordonnance.

(4) Il n'est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande de prorogation visée au paragraphe 60.1(1) a été présentée dans l'année suivant l'expiration du délai prévu à l'article 60;

b) l'auteur de la demande établit ce qui suit :

(i) au cours du délai prévu à l'article 60, il n'a pu ni agir ni mandater quelqu'un pour agir en son nom, ou il avait véritablement l'intention de présenter une demande de révision ou de réexamen,

(ii) il serait juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii) la demande a été présentée dès que possible.

La disposition ci-dessus prévoit quatre conditions auxquelles l'auteur de la demande doit satisfaire, sans exception, pour que le Tribunal puisse faire droit à sa demande de prorogation du délai de présentation de sa demande de réexamen par l'ADRC.

Toutefois, avant de déterminer si l'auteur d'une demande a satisfait aux quatre conditions, le Tribunal doit déterminer si, conformément au paragraphe 60.2(1) de la Loi, la demande de prorogation du délai a été présentée dans les 90 jours suivant le rejet de la demande par l'ADRC. Le Tribunal est convaincu qu'elle l'a été, puisque l'ADRC a rejeté la demande le 7 juillet 2003 et qu'Ingram a présenté sa demande en vertu de l'article 60.2 le 15 août 2003.

La première condition en vertu de l'alinéa 60.2(4)a) de la Loi exige que la demande de révision ou de réexamen du classement tarifaire présentée à l'ADRC en vertu de l'article 60.1 ait été faite dans l'année suivant l'expiration du délai de présentation d'une demande prévu à l'article 60. En l'espèce, les délais de 90 jours prévus pour la présentation d'une demande de réexamen en vertu de l'article 60 ont expiré les 16 et 28 octobre et le 18 novembre 2002. L'ADRC a reçu les demandes présentées en vertu du paragraphe 60.1(1) le 26 mai 2002, bien avant la fin du délai de un an. Il est donc satisfait à la première condition. L'ADRC n'a pas contesté ce fait.

Deuxièmement, le sous-alinéa 60.2(4)b)(i) de la Loi exige que l'auteur de la demande établisse qu'il n'a pu, au cours du délai de 90 jours prévu à l'article 60, ni agir ni mandater quelqu'un pour agir en son nom afin de donner suite à la décision ou à la révision de l'ADRC. D'une manière subsidiaire, l'auteur de la demande peut établir qu'il avait véritablement l'intention de présenter une demande de réexamen dans le délai prévu de 90 jours. Les éléments de preuve au dossier2 établissent qu'Ingram a retenu les services d'un conseiller en 2001 pour avoir un avis en vue d'un « appel du classement tarifaire » [traduction] et que des services juridiques extensifs ont été rendus en 2001 et en 2002 à la fois par des conseillers internes et externes. Il ressort clairement de ce qui précède qu'Ingram avait l'intention de poursuivre ses efforts en vue d'obtenir de l'ADRC le remboursement des droits au moyen de tous les mécanismes juridiques possibles, comme en fait mention l'avis juridique qu'elle a reçu, y compris un réexamen le cas échéant.

Dans son énoncé de position, l'ADRC s'est beaucoup appuyée sur la décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt dans McIndless c. La Reine 3 pour corroborer sa position selon laquelle Ingram n'aurait pas pu véritablement avoir l'intention de présenter une demande alors qu'elle ignorait l'existence de décisions rendues en application du paragraphe 59(1) de la Loi. En vérité, l'ADRC a soutenu qu'Ingram n'a pas connu l'effet des décisions ou du fondement législatif de ces dernières avant le 27 novembre 2002, plusieurs semaines après la fin du délai prévu pour le dépôt d'une demande de réexamen en vertu du paragraphe 60(1).

L'affaire McIndless se rapportait à l'article 167 de la Loi de l'impôt sur le revenu 4 et sa pertinence est donc limitée en ce qui a trait à l'affaire dont le Tribunal est présentement saisi en vertu de l'article 60.2 de la Loi. De plus, le Tribunal n'est pas d'avis que les faits dans McIndless ressemblent suffisamment aux faits de l'espèce pour être utiles. En vérité, en omettant de citer la première partie du paragraphe pertinent, l'ADRC a donné une image incomplète des circonstances de l'affaire susmentionnée. Le paragraphe intégral prévoit ce qui suit :

Le juge en chef adjoint Christie de la Cour canadienne de l'impôt a déclaré ce qui suit dans l'affaire Marion D'Arcy v. The Queen, dont les faits ressemblent à ceux de la présente affaire :

Il ne fait aucun doute que le désir soudain de la requérante de faire opposition à la cotisation du Ministre résulte de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Thibaudeau [5]. Cette décision a été rendue publique le 3 mai 1994. Avant cette date, elle avait été traitée de façon strictement confidentielle par la Cour et ses employés. Quelle que puisse être la portée de l'alinéa 166.2(5)b), je ne pense pas qu'un contribuable puisse démontrer qu'il ne pouvait signifier un avis d'opposition ou charger quelqu'un d'agir en son nom avant une certaine date si, avant cette date, il ne connaissait aucun motif d'agir de la sorte. L'incapacité d'agir ou de charger quelqu'un d'agir relativement à la signification d'un avis d'opposition présuppose, chez le contribuable, l'existence d'une intention de procéder à une telle signification avant l'expiration du délai prévu par la Loi.

De plus, je ne peux comprendre, dans les circonstances qui viennent d'être décrites, comment un contribuable aurait pu véritablement avoir l'intention de faire opposition à la cotisation. Au moment où la requérante devait avoir cette intention, elle ignorait l'existence des faits qui devaient ultérieurement la pousser à faire opposition.

[Soulignement ajouté]

Dans McIndless, la publication de la décision de la Cour fédérale du Canada dans l'affaire Thibaudeau a déclenché le dépôt de l'avis d'opposition. Avant que cette décision ne soit rendue, il n'existait manifestement pas de véritable intention de déposer un avis d'opposition, étant donné que le contribuable ne connaissait même pas un motif d'appel. Les faits de l'espèce peuvent facilement être distingués des faits dans McIndless puisque, comme il a déjà été indiqué, Ingram avait l'intention de poursuivre ses efforts en vue d'obtenir de l'ADRC le remboursement des droits, au moyen de tous les mécanismes juridiques possibles, comme en fait mention l'avis juridique qu'elle a reçu, y compris des demandes de révision ou de réexamen, le cas échéant.

Le Tribunal conclut donc qu'Ingram avait véritablement l'intention de présenter une demande de réexamen dans le délai prévu de 90 jours, et il est donc satisfait à la deuxième condition.

Troisièmement, le sous-alinéa 60.2(4)b)(ii) de la Loi exige que l'auteur de la demande établisse qu'il serait juste et équitable de faire droit à la demande. Si cette demande n'est pas accueillie, Ingram perdra la possibilité de faire valoir qu'elle a droit de recevoir le remboursement des droits d'un montant possible de 66 500 $. En outre, Ingram a déclaré avoir, par erreur, présenté les demandes de révision sans document à l'appui, croyant que l'ADRC retiendrait les dossiers jusqu'à ce que les détails du classement tarifaire soient arrêtés. Ingram aurait certainement pu faire preuve d'une plus grande diligence dans l'examen des relevés de rajustement détaillés et aurait donc pu prendre connaissance, dans le délai de 90 jours, des décisions rendues en application du paragraphe 59(1). Toutefois, le Tribunal est d'avis qu'Ingram s'attendait à recevoir des décisions rendues en application du paragraphe 74(5) plutôt que des décisions rendues en application de l'article 59 et qu'elle n'a pas pris connaissance desdites décisions avant le 27 novembre 2002. Étant donné qu'Ingram a reçu à la fois des décisions rendues en application du paragraphe 74(5) et des décisions rendues en application de l'article 59 en réponse à des demandes semblables durant la même période, il est possible de croire qu'elle n'a pas examiné les relevés de rajustement détaillés plus tôt parce qu'elle était sous l'impression qu'elle n'allait recevoir que des décisions rendues en application du paragraphe 74(5).

En vertu du sous-alinéa 74(3)b)(i) et du paragraphe 74(5) de la Loi, le rejet d'une demande pour le motif que la documentation fournie est incomplète ou inexacte n'empêche pas une personne de présenter une nouvelle demande de remboursement, puisque le rejet n'est pas assimilé à la révision de l'origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane. Par conséquent, si les rejets des demandes de remboursement avaient été faits en application du paragraphe 74(5), Ingram aurait eu la possibilité de représenter sa demande de remboursement dans un délai de quatre ans après la déclaration initiale des marchandises, et non dans le délai beaucoup plus bref prévu dans le cas d'une demande de révision de décisions rendues en application de l'article 59.

Le Tribunal remarque également qu'il a accordé à l'ADRC une prorogation du délai de dépôt de ses observations relativement à la demande qui fait l'objet de l'espèce parce que, en l'absence d'un employé du bureau, l'ADRC n'a pas été aussi diligente qu'elle aurait dû l'être dans sa réponse aux pièces de correspondance du Tribunal. Ceci ressemble plutôt à la latitude du type demandé par Ingram. Il est donc satisfait à la troisième condition.

Quatrièmement, le sous-alinéa 60.2(4)b)(iii) de la Loi exige que le demandeur établisse que la demande a été présentée dès que possible. Dans Bernard Chaus Inc. 6 , le Tribunal a interprété le mot « demande », au sens du sous-alinéa 60.2(4)b)(iii), comme signifiant une demande auprès de l'ADRC en vertu du paragraphe 60.1(1). Le Tribunal reprend la même interprétation en l'espèce, pour les motifs déjà énoncés dans Chaus.

Ce n'est que le 14 février 2003 que l'ADRC a indiqué que la façon de procéder était de présenter une demande de prorogation du délai à l'ADRC. Ingram a présenté une demande de prolongation du délai à l'ADRC environ trois mois plus tard, ce qui n'était pas déraisonnable au vu du délai subséquent de réponse de deux mois de la part de l'ADRC.

Le Tribunal remarque que, pendant plusieurs mois après qu'elle eût pris connaissance des décisions rendues en application de l'article 59, Ingram a poursuivi des discussions avec l'ADRC et qu'elle aurait alors raisonnablement pu croire qu'il ne lui était pas nécessaire de présenter une demande de révision ou de réexamen pendant que les discussions se poursuivaient. Les discussions pouvaient raisonnablement porter Ingram à croire que l'ADRC était en mesure de régler le problème en changeant simplement les décisions rendues en application de l'article 59 en des décisions rendues en application du paragraphe 74(5). En vérité, l'ADRC a fait cela en juillet 20037 dans six cas.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est convaincu qu'Ingram a présenté sa demande en vertu du paragraphe 60.1(1) de la Loi dès que possible et qu'il est donc satisfait à la quatrième condition.

Le Tribunal remarque que l'ADRC a soutenu que l'expression « dès que possible » signifie des circonstances inhabituelles ou exceptionnelles indépendantes de la volonté d'Ingram. Comme il l'a déclaré dans Chaus, le Tribunal estime qu'une telle interprétation est trop sévère et que la condition adéquate est qu'un demandeur ait fait sa demande et qu'il l'ait présentée à l'ADRC dans un délai raisonnable compte tenu des circonstances particulières.

Par conséquent, le Tribunal conclut qu'Ingram a satisfait à toutes les quatre conditions législatives et que sa demande doit être accueillie.

Enfin, Ingram a demandé que les 36 décisions rendues en application du paragraphe 59(1) de la Loi soient changées en des décisions rendues en application du paragraphe 74(5). Aux termes du paragraphe 60.2(3), la compétence du Tribunal eu égard à une demande présentée en vertu de l'article 60.2 se limite à la rejeter ou à y faire droit et, dans ce dernier cas, à imposer les conditions qu'il estime justes ou à ordonner que la demande soit réputée valide à compter de la date de l'ordonnance. Le Tribunal n'a donc pas le pouvoir d'ordonner que les décisions rendues en application du paragraphe 59(1) soient changées en décisions rendues en application du paragraphe 74(5).


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . Copies de factures du cabinet juridique, demande de prorogation du délai déposés auprès du Tribunal le 18 août 2003.

3 . [1995] 1 C.T.C. 2924 [McIndless].

4 . L.R.C. 1985 (5e supp.).

5 . Thibaudeau c. M.R.N., [1994] 3 C.F. 189 (C.A.) [Thibaudeau].

6 . (4 décembre 2003), EP-2003-001 (TCCE) [Chaus].

7 . Mémoire d'Ingram, pièce 7.