BLUESTEIN ENTERPRISES INC.

BLUESTEIN ENTERPRISES INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2013-028

Décision et motifs rendus
le lundi 31 mars 2014

TABLE DES MATIÈRES

DÉCISION

EXPOSÉ DES MOTIFS

 CONTEXTE

 HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

 CADRE LÉGISLATIF

 LES FAITS

 POSITIONS DES PARTIES

  Bluestein

  ASFC

 ANALYSE

 DÉCISION

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 10 décembre 2013 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À neuf décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 26 mars 2013 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

BLUESTEIN ENTERPRISES INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 10 décembre 2013

Membre du Tribunal : Serge Fréchette, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Jidé Afolabi

Gestionnaire, Programmes et services du greffe : Sarah MacMillan

Agent principal du greffe par intérim : Haley Raynor

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Bluestein Enterprises Inc.

Richard S. Gottlieb
Zave Kaufman

 

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Agnieszka Zagorska
Kirk Shannon

TÉMOIN :

David Bluestein
Président
Bluestein Export Import Inc.

 

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : secretaire@tcce-citt.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le présent appel a été interjeté le 18 juin 2013 par Bluestein Enterprises Inc. (Bluestein) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1]. Il porte sur neuf décisions rendues le 26 mars 2013 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), aux termes du paragraphe 60(4), concernant la valeur en douane de tee-shirts imprimés et d’autres souvenirs de concert importés par Bluestein.
  2. La première question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si la méthode fondée sur la valeur de référence peut dûment être appliquée aux importations susmentionnées pour déterminer leur valeur en douane et si l’ASFC l’a correctement appliquée. Subsidiairement, Bluestein invoque l’application de la méthode de la valeur reconstituée.
  3. La deuxième question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si, contrairement à la position adoptée par l’ASFC, les redevances versées par les marchands établis aux États-Unis aux détenteurs de licence également établis aux États-Unis, après la vente des marchandises susmentionnées au Canada, peuvent être considérées comme des frais généraux liés à la vente au Canada, à déduire de la valeur en douane en application de la méthode fondée sur la valeur de référence. Une question connexe consiste à déterminer si le régime législatif concernant la valeur en douane d’importations révèle l’existence d’une règle générale aux termes de laquelle les redevances sont exemptes de droits de douane.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Du 1er avril 2006 au 31 mars 2007, Bluestein a importé au Canada des souvenirs de concert, déclarant en détail les marchandises selon leur valeur en douane déterminée en application de la méthode de la valeur transactionnelle, énoncée à l’article 48 de la Loi. La méthode de la valeur transactionnelle est fondée sur une vente pour exportation à un acheteur au Canada.
  2. Dans tous les cas, Bluestein n’était pas l’acheteur des souvenirs. Elle a plutôt agi, moyennant des frais, à titre d’importateur officiel des souvenirs, qui sont demeurés la propriété des marchands établis aux États-Unis. Après l’importation, Bluestein a offert les souvenirs sur les lieux de divers concerts afin de les vendre à des clients canadiens. Dans sa déclaration en détail des souvenirs aux fins de leur valeur en douane, Bluestein a déclaré le coût d’achat acquitté par les marchands établis aux États-Unis, tel que le coût d’achat en gros de tee-shirts vierges, plus le coût d’impression sur les tee-shirts de divers images sous licence.
  3. Du 1er avril 2006 au 18 juin 2009, Bluestein a fait l’objet d’une vérification entreprise par l’ASFC aux termes de l’article 42.01 et du paragraphe 42(2) de la Loi. À la suite de la vérification, l’ASFC a publié une lettre de décision modifiant la méthode de détermination de la valeur en douane des souvenirs pour la méthode fondée sur la valeur de référence énoncée à l’article 51[2]. Cette lettre de décision a été suivie par une décision rendue le 30 juin 2009, aux termes du paragraphe 59(1), confirmant la modification[3].
  4. Pour arriver à sa décision relative à la modification, l’ASFC a conclu que la méthode de la valeur transactionnelle ne pouvait s’appliquer aux importations étant donné l’absence de vente pour exportation à un acheteur au Canada. La détermination de la valeur en douane par l’ASFC au moyen de la méthode fondée sur la valeur de référence était basée sur le prix de vente des souvenirs aux amateurs de concerts au Canada.
  5. Le 28 septembre 2009, Bluestein a déposé une demande de révision de la valeur en douane des souvenirs aux termes de l’article 60 de la Loi. Elle demandait à l’ASFC d’utiliser la méthode de la valeur reconstituée énoncée à l’article 52, plutôt que la méthode fondée sur la valeur de référence, pour déterminer la valeur en douane des souvenirs. En outre, Bluestein demandait à l’ASFC d’envisager de déduire les redevances versées après la vente au Canada par les vendeurs des souvenirs, soit les marchands établis aux États-Unis, aux détenteurs américains des licences des motifs imprimés sur les tee-shirts[4].
  6. Le 26 mars 2013, l’ASFC a répondu à la demande de révision de Bluestein, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi. L’ASFC maintenait sa décision de modifier la méthode de détermination de la valeur en douane des souvenirs pour la méthode fondée sur la valeur de référence. En outre, elle refusait de déduire les redevances du prix de vente des souvenirs.
  7. Le 18 juin 2013, Bluestein a déposé le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

CADRE LÉGISLATIF

  1. La Loi exige qu’une valeur soit attribuée aux marchandises importées aux fins de l’imposition de droits de douane sur ces marchandises. L’article 46 de la Loi prévoit que cette valeur en douane est déterminée conformément aux articles 47 à 55, qui énoncent certaines méthodes de détermination de la valeur en douane de marchandises importées. En outre, le paragraphe 47(2) prévoit que les méthodes susmentionnées doivent être prises en compte dans l’ordre dans lequel elles apparaissent dans la Loi.
  2. Les articles 47 et 48 de la Loi indiquent que la méthode de la valeur transactionnelle est la première à prendre en compte pour déterminer la valeur en douane de marchandises importées. Par conséquent, le paragraphe 48(1) prévoit que « [...] la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada à un acheteur au Canada, si le prix payé ou à payer est déterminable [...] ». De plus, le « prix payé ou à payer », défini au paragraphe 45(1), est lié à la « vente de marchandises pour exportation au Canada ».
  3. Quant aux importations en cause, l’ASFC a déterminé que les souvenirs n’étaient pas, au moment de leur importation, vendus pour exportation au Canada à un acheteur au Canada. Par conséquent, l’ASFC a conclu que la méthode de la valeur transactionnelle ne s’appliquait pas[5]. Bien que Bluestein ait d’abord fait une déclaration en détail quant aux souvenirs en application de la méthode de la valeur transactionnelle, elle a ensuite convenu avec l’ASFC, et a également indiqué au Tribunal, que la méthode de la valeur transactionnelle ne s’appliquait pas aux souvenirs importés[6]. Le Tribunal est d’avis que la position adoptée par les deux parties est exacte.
  4. Si la méthode de la valeur transactionnelle ne s’applique pas, l’article 49 de la Loi ordonne l’application de la méthode de la valeur transactionnelle de marchandises identiques, et si cette méthode ne s’applique pas non plus, l’article 50 ordonne l’application de la méthode de la valeur transactionnelle de marchandises semblables. Puisque les faits de l’espèce n’incluent en aucun temps une vente pour exportation, les parties conviennent de même que ces deux méthodes subséquentes ne s’appliquent pas aux souvenirs importés[7], et le Tribunal est d’avis que la position adoptée par les parties à l’égard de cette question est exacte.
  5. La méthode suivante à prendre en compte est la méthode fondée sur la valeur de référence énoncée à l’article 51 de la Loi. Cet article prévoit ce qui suit :

51.(1) Sous réserve des paragraphes (5) et 47(3), la valeur en douane des marchandises est, dans les cas où elle n’est pas déterminée par application des articles 48 à 50, leur valeur de référence, si elle est déterminable.

(2) La valeur de référence des marchandises à apprécier est un prix unitaire, déterminé conformément au paragraphe (3), ajusté conformément au paragraphe (4), choisi selon les modalités suivantes :

a) lorsque, au moment de l’importation des marchandises à apprécier ou à peu près à ce moment, ces marchandises, des marchandises identiques ou semblables sont vendues au Canada dans l’état où elles ont été importées, c’est le prix unitaire de vente du plus grand nombre de marchandises des trois catégories au moment sus-indiqué qui est retenu;

b) lorsque les marchandises à apprécier, des marchandises identiques ou semblables sont vendues au Canada, non dans les situations visées à l’alinéa a), mais dans l’état où elles ont été importées dans les quatre-vingt-dix jours suivant l’importation des marchandises à apprécier, c’est le prix unitaire de vente du plus grand nombre de marchandises des trois catégories à la date la plus proche de l’importation des marchandises à apprécier qui est retenu;

c) lorsque les marchandises à apprécier, des marchandises identiques ou semblables ne sont pas vendues au Canada dans les situations visées aux alinéas a) ou b), que les marchandises à apprécier, après assemblage, emballage ou transformation complémentaire, y sont vendues dans les cent quatre-vingts jours suivant leur importation et que l’importateur des marchandises à apprécier demande l’application du présent alinéa à la détermination de leur valeur en douane, c’est le prix unitaire de vente du plus grand nombre des marchandises à apprécier qui est retenu.

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le prix unitaire des marchandises à apprécier, de marchandises identiques ou de marchandises semblables désigne le prix unitaire auquel ces marchandises sont vendues, au premier niveau commercial après leur importation, à des personnes qui, à la fois :

a) ne sont pas liées, au moment de la vente, aux vendeurs des marchandises en question;

b) n’ont fourni, directement ou indirectement, sans frais ou à coût réduit, aucune des marchandises ou aucun des services visés au sous-alinéa 48(5)a)(iii) pour être utilisés lors de la production et de la vente à l’exportation des marchandises en question.

Le prix unitaire retenu à cet égard est le prix unitaire de vente du plus grand nombre de ces marchandises lorsque, selon le ministre ou son délégué, ce nombre est suffisamment important pour permettre la détermination de ce prix.

(4) Pour l’application du paragraphe (2), le prix unitaire qui y est visé est ajusté en retranchant la somme des montants suivants :

a) le montant, déterminé de la manière réglementaire, représentant, dans le cadre de la vente au Canada de marchandises de même nature ou de même espèce que les marchandises en question :

(i) soit le montant de la commission normale payée sur une base unitaire,

(ii) soit le montant pour les bénéfices et frais généraux, considérés comme un tout et comprenant tous les frais de commercialisation, normalement inclus dans le prix unitaire;

b) les coûts et frais de transport et d’assurance des marchandises à l’intérieur du Canada, y compris les coûts et frais connexes, généralement supportés lors de la vente au Canada des marchandises à apprécier, des marchandises identiques ou des marchandises semblables, dans la mesure où ils ne sont pas déduits avec les frais généraux visés à l’alinéa a);

c) les coûts et frais supportés afférents aux marchandises en question et visés au sous-alinéa 48(5)b)(i), dans la mesure où ils ne sont pas déduits avec les frais généraux visés à l’alinéa a);

d) les droits et taxes visés à la division 48(5)b)(ii)(B), dans la mesure où ils ne sont pas déduits avec les frais généraux visés à l’alinéa a);

e) dans le cas visé à l’alinéa (2)c), la valeur ajoutée aux marchandises en question par suite de leur assemblage, emballage ou transformation complémentaire au Canada.

(5) Si, en l’absence de renseignements suffisants, la valeur visée à l’alinéa (4)e) n’est pas déterminable, la valeur en douane des marchandises à apprécier ne doit pas se fonder sur l’alinéa (2)c).

(6) Dans le présent article, la date de l’importation des marchandises est, selon le cas :

a) à l’égard de marchandises autres que celles visées à l’alinéa 32(2)b), la date à laquelle leur dédouanement est autorisé en application de la présente loi par un agent ou selon les modalités réglementaires;

b) à l’égard de marchandises visées à l’alinéa 32(2)b), la date de réception de celles-ci à l’établissement de l’importateur, du propriétaire ou du destinataire.

51.(1) Subject to subsections (5) and 47(3), where the value for duty of goods is not appraised under sections 48 to 50, the value for duty of the goods is the deductive value of the goods if it can be determined.

(2) The deductive value of goods being appraised is

(a) where the goods being appraised, identical goods or similar goods are sold in Canada in the condition in which they were imported at the same or substantially the same time as the time of importation of the goods being appraised, the price per unit, determined in accordance with subsection (3) and adjusted in accordance with subsection (4), at which the greatest number of units of the goods being appraised, identical goods or similar goods are so sold;

(b) where the goods being appraised, identical goods or similar goods are not sold in Canada in the circumstances described in paragraph (a) but are sold in Canada in the condition in which they were imported before the expiration of ninety days after the time of importation of the goods being appraised, the price per unit, determined in accordance with subsection (3) and adjusted in accordance with subsection (4), at which the greatest number of units of the goods being appraised, identical goods or similar goods are so sold at the earliest date after the time of importation of the goods being appraised; or

(c) where the goods being appraised, identical goods or similar goods are not sold in Canada in the circumstances described in paragraph (a) or (b) but the goods being appraised, after being assembled, packaged or further processed in Canada, are sold in Canada before the expiration of one hundred and eighty days after the time of importation thereof and the importer of the goods being appraised requests that this paragraph be applied in the determination of the value for duty of those goods, the price per unit, determined in accordance with subsection (3) and adjusted in accordance with subsection (4), at which the greatest number of units of the goods being appraised are so sold.

(3) For the purposes of subsection (2), the price per unit, in respect of goods being appraised, identical goods or similar goods, shall be determined by ascertaining the unit price, in respect of sales of the goods at the first trade level after importation thereof to persons who

(a) are not related to the persons from whom they buy the goods at the time the goods are sold to them, and

(b) have not supplied, directly or indirectly, free of charge or at a reduced cost for use in connection with the production and sale for export of the goods any of the goods or services referred to in subparagraph 48(5)(a)(iii),

at which the greatest number of units of the goods is sold where, in the opinion of the Minister or any person authorized by him, a sufficient number of such sales have been made to permit a determination of the price per unit of the goods.

(4) For the purposes of subsection (2), the price per unit, in respect of goods being appraised, identical goods or similar goods, shall be adjusted by deducting therefrom an amount equal to the aggregate of

(a) an amount, determined in the manner prescribed, equal to

(i) the amount of commission generally earned on a unit basis, or

(ii) the amount for profit and general expenses, including all costs of marketing the goods, considered together as a whole, that is generally reflected on a unit basis

in connection with sales in Canada of goods of the same class or kind as those goods,

(b) the costs, charges and expenses in respect of the transportation and insurance of the goods within Canada and the costs, charges and expenses associated therewith that are generally incurred in connection with sales in Canada of the goods being appraised, identical goods or similar goods, to the extent that an amount for such costs, charges and expenses is not deducted in respect of general expenses under paragraph (a),

(c) the costs, charges and expenses referred to in subparagraph 48(5)(b)(i), incurred in respect of the goods, to the extent that an amount for such costs, charges and expenses is not deducted in respect of general expenses under paragraph (a),

(d) any duties and taxes referred to in clause 48(5)(b)(ii)(B) in respect of the goods, to the extent that an amount for such duties and taxes is not deducted in respect of general expenses under paragraph (a), and

(e) where paragraph (2)(c) applies, the amount of the value added to the goods that is attributable to the assembly, packaging or further processing in Canada of the goods.

(5) Where there is not sufficient information to determine an amount referred to in paragraph (4)(e) in respect of any goods being appraised, the value for duty of the goods shall not be appraised under paragraph (2)(c).

(6) In this section, “time of importation” means

(a) in respect of goods other than those to which paragraph 32(2)(b) applies, the date on which an officer authorizes the release of the goods under this Act or the date on which their release is authorized by any prescribed means; and

(b) in respect of goods to which paragraph 32(2)(b) applies, the date on which the goods are received at the place of business of the importer, owner or consignee.

[Nos italiques]

  1. Par conséquent, aux termes de l’article 51 de la Loi, la valeur de référence est le prix unitaire des souvenirs de concert, déterminé et ajusté conformément aux dispositions dudit article. La valeur de référence est déterminable, et la méthode éponyme peut être utilisée si les conditions suivantes sont réunies :
  • au moment de l’importation des marchandises ou à peu près à ce moment, ces marchandises ou des marchandises identiques ou semblables sont vendues au Canada dans l’état où elles ont été importées;
  • le prix unitaire de vente du plus grand nombre de marchandises désigne le prix unitaire auquel ces marchandises sont vendues, au premier niveau commercial après leur importation, à des personnes non liées;
  • le prix unitaire peut être ajusté en en retranchant certains montants, dont ceux qui s’appliquent aux faits de l’espèce et qui doivent être pris en compte de manière consécutive, soit le montant de la commission normale payée sur une base unitaire, soit le montant pour les bénéfices et frais généraux normalement inclus dans le prix unitaire, dans le cadre de la vente au Canada de marchandises de même nature ou de même espèce.

LES FAITS

  1. Avant de présenter les positions des parties ainsi que l’analyse du Tribunal, il importe d’expliquer brièvement la démarche adoptée par l’ASFC à l’égard de l’application de la méthode fondée sur la valeur de référence aux importations en cause.
  2. Pour déterminer la valeur en douane des souvenirs de concert en application de la méthode fondée sur la valeur de référence, l’ASFC a établi le prix unitaire auquel les souvenirs sont vendus à des acheteurs canadiens, selon les prix de vente indiqués sur les listes de prix des marchands américains[8].
  3. L’ASFC a ensuite assujetti le prix unitaire à des déductions, conformément au paragraphe 51(4) de la Loi. Ce paragraphe prévoit une option entre déduire la commission normale payée sur une base unitaire, d’une part, ou les bénéfices et frais généraux normalement inclus dans le prix unitaire, d’autre part. Dans un cas comme dans l’autre, les déductions doivent être liées à la vente au Canada de marchandises de même nature ou de même espèce. Conformément à l’option décrite ci-dessus, l’ASFC a retranché des montants pour les bénéfices et frais généraux[9].
  4. Pour retrancher des montants pour les bénéfices, l’ASFC a interprété la formule « [...] dans le cadre de la vente au Canada [...] les bénéfices et frais généraux [...] », qui se trouve au paragraphe 51(4) de la Loi, comme signifiant les bénéfices réalisés par une partie prenante établie au Canada et les frais engagés au Canada. Conformément à cette interprétation, l’ASFC n’a tenu aucun compte des bénéfices réalisés par les marchands américains de la vente au Canada[10]. Elle a plutôt déduit les honoraires de Bluestein pour les services qu’elle a fournis aux marchands américains, conformément au raisonnement selon lequel ces honoraires couvrent les frais liés à l’importation des souvenirs et à la facilitation de leur vente, tout montant restant figurant à titre de bénéfices dans les documents comptables de Bluestein[11].
  5. Quant aux frais généraux, et conformément à la liste des déductions autorisées contenue dans les alinéas 51(4)a) à 51(4)d) de la Loi, l’ASFC a converti divers montants en un pourcentage global des ventes brutes et a déduit ce pourcentage du prix unitaire établi précédemment. Le pourcentage global était constitué de frais figurant dans les documents comptables de Bluestein, comme la TPS et la TVP au détail, des frais de carte de crédit, des frais de garantie, des redevances routières, des frais liés aux lieux de concert, des frais de transport et de courtage et des droits et taxes à l’importation[12]. Comme indiqué précédemment, pour tenir compte d’autres frais et de bénéfices, le pourcentage global comprenait également les honoraires de Bluestein.
  6. Suivant le raisonnement selon lequel la méthode fondée sur la valeur de référence ne prévoit pas expressément la déduction de montants de redevances du prix unitaire, l’ASFC a conclu que ces montants sont passibles de droits de douane en application de la méthode fondée sur la valeur de référence. Par conséquent, l’ASFC n’a pas déduit les redevances versées par les marchands américains aux détenteurs de licence américains[13].

POSITIONS DES PARTIES

Bluestein

  1. En ce qui concerne la première question en litige dans le présent appel – la question de l’applicabilité de la méthode fondée sur la valeur de référence aux importations de souvenirs de concert – Bluestein est d’avis que la méthode est rendue inappropriée à cause des différents scénarios de production et d’expédition utilisés à l’égard des souvenirs. Les quatre scénarios présentés par Bluestein sont les suivants :
  • les marchands américains achètent des marchandises vierges, comme des tee-shirts, et les expédient à des imprimeurs pour l’application d’images sous licence, ce qui en fait des souvenirs, avant l’expédition des marchandises finies au Canada;
  • les marchands américains achètent des marchandises vierges, comme des tee-shirts, et les expédient à des imprimeurs pour l’application d’images sous licence uniquement au Canada, ce qui en fait des souvenirs, avant l’expédition des marchandises finies au Canada;
  • les marchands américains achètent des marchandises vierges, comme des tee-shirts, et les expédient à des imprimeurs pour l’application d’images sous licence pour une tournée comprenant des concerts aux États-Unis et au Canada et, après la portion américaine de la tournée, les souvenirs restants sont expédiés au Canada;
  • les marchands américains achètent des marchandises vierges, comme des tee-shirts, et les expédient à des imprimeurs pour l’application d’images sous licence; les souvenirs sont ensuite regroupés dans les stocks du marchand avant l’expédition de certains d’entre eux au Canada[14].
  1. Premièrement, Bluestein soutient que 50 p. 100 des marchandises sont produites selon un scénario dans lequel les marchandises qui sont destinées aux États-Unis et celles qui sont destinées au Canada doivent être regroupées, de sorte qu’il est impossible de déterminer lesquelles finiront par être importées au Canada[15]. Elle affirme également qu’une quantité inconnue de marchandises invendues est retournée aux États-Unis, ce qui donne lieu à un drawback de droits. Bluestein allègue que les scénarios de production et d’expédition qui visent les souvenirs de concert créent une situation dans laquelle la valeur en douane ne peut, au moment de l’importation, être déterminée au moyen de la méthode fondée sur la valeur de référence[16].
  2. Deuxièmement, Bluestein conteste la décision de l’ASFC de ne pas tenir compte des bénéfices réalisés par les marchands américains de la vente au Canada. Elle soutient que le libellé de l’alinéa 51(4)a) de la Loi n’appuie pas la conclusion selon laquelle les déductions admissibles ne concernent que les bénéfices réalisés par une partie prenante établie au Canada et les frais engagés au Canada. Bluestein allègue qu’en ce qui concerne expressément les bénéfices et leur nécessité d’être liés à la vente au Canada, il suffit de démontrer que les bénéfices ont été réalisés au Canada même si la partie prenante est établie ailleurs[17].
  3. Troisièmement, Bluestein allègue que, dans la mesure où les bénéfices réalisés par les marchands américains de la vente au Canada sont exclus des déductions, étant donné le fait que ni Bluestein ni l’ASFC n’a librement accès aux dossiers financiers de ces marchands américains, des chiffres précis sur les bénéfices ne sont pas disponibles. Bluestein est d’avis que, dans un tel cas, le champ d’application du cadre législatif visant la méthode fondée sur la valeur de référence ne peut être tout simplement réduit; l’utilisation de la méthode applicable suivante de détermination de la valeur en douane – la méthode de la valeur reconstituée – doit plutôt être envisagée[18].
  4. À titre de quatrième argument, Bluestein soutient que les bénéfices et les frais généraux des marchands américains à l’égard de la vente au Canada, conformément au libellé de l’alinéa 51(4)a) de la Loi, sont représentatifs des pourcentages des bénéfices qui seraient réalisés et des frais généraux qui seraient engagés dans le cadre de la vente au Canada de marchandises de même nature ou de même espèce que les souvenirs de concert[19]. Le Tribunal estime que cette affirmation sous-entend que l’alinéa 51(4)a) renvoie essentiellement à des normes industrielles relatives aux bénéfices et aux frais généraux et que non seulement ces normes existent quant aux souvenirs de concert, mais également que les bénéfices et les frais généraux des marchands américains sont conformes à ces normes. Il faut donc conclure, selon Bluestein, que si la méthode fondée sur la valeur de référence est la méthode d’appréciation indiquée relativement aux importations en cause, les bénéfices et les frais généraux des marchands américains peuvent à juste titre être pris en compte dans la détermination de la valeur en douane de ces importations en application de cette méthode.
  5. À titre de cinquième argument, avancé relativement à la deuxième question en litige dans le présent appel, Bluestein est d’avis que la démarche indiquée pour l’application de la méthode fondée sur la valeur de référence en l’espèce consiste à déduire les redevances versées par les marchands américains aux détenteurs de licence américains, puisque les redevances sont exemptes de droits de douane. À l’appui de cette position, Bluestein affirme que l’inclusion des redevances dans la valeur en douane de marchandises n’est explicitement indiquée qu’au paragraphe 48(5) de la Loi, qui concerne la méthode de la valeur transactionnelle[20]. Selon Bluestein, le corollaire est que, puisque l’inclusion des redevances n’est pas mentionnée ailleurs, celles-ci sont généralement exemptes de droits de douane et doivent être déduites dans tous les autres cas[21].
  6. En outre, à titre de sixième argument, Bluestein affirme que les redevances dans le contexte de la méthode fondée sur la valeur de référence sont, en termes génériques, des « frais généraux ». Elle soutient qu’en l’espèce, ces frais figurent dans les documents comptables des marchands américains à titre de « frais engagés par le vendeur » [traduction] dans le cadre de la vente au Canada. Bluestein conclut que ces frais doivent donc être déduits conformément au sous-alinéa 51(4)a)(ii) de la Loi et à la caractérisation par Bluestein de la substance de la décision dans Armstrong[22].
  7. Quant à ce qui précède, Bluestein soutient, à titre de septième argument, que le moment du paiement appuie la conclusion selon laquelle les redevances en l’espèce sont des « frais généraux ». Elle allègue que les redevances ne doivent être payées qu’après l’importation et la vente des marchandises et qu’après la détermination des bénéfices nets[23]. Bluestein est d’avis que, plutôt que de considérer que les redevances font partie du « prix unitaire » des souvenirs, le moment du paiement des redevances signifie en fait qu’elles doivent être qualifiées de « frais généraux » liés à la vente au Canada.
  8. À titre de huitième argument, Bluestein fait valoir qu’aucun ajustement n’est exigé en ce qui a trait à la détermination de la valeur en douane en application de la méthode fondée sur la valeur de référence si aucune redevance n’est versée[24]. Le corollaire est que lorsque des redevances sont payées, celles-ci doivent être déduites puisqu’elles n’ont pas leur place dans cette méthode de détermination de la valeur en douane.
  9. À titre de neuvième argument, Bluestein renvoie à l’avis consultatif 4.8 de l’Accord du GATT et Textes du Comité technique de l’évaluation en douane[25]. L’avis consultatif présente un scénario dans lequel un importateur conclut un accord aux termes duquel des redevances doivent être versées à un détenteur de licence dans un pays d’exportation et un deuxième accord aux termes duquel des marchandises doivent être fabriquées et imprimées avec des images sous licence protégées en vertu du premier accord, également dans le pays d’exportation. Après la fabrication et l’impression des marchandises, celles-ci sont vendues pour exportation à l’importateur par la partie au second accord.
  10. Le Comité technique de l’évaluation en douane affirme que, dans un tel cas, deux accords non liés existent et que le dernier de ces accords, qui est celui qui concerne la vente pour exportation, ne comprend pas le paiement de redevances en tant que condition de la vente des marchandises. Il en découle que les redevances versées dans un tel cas ne font pas partie de la valeur en douane des marchandises. Bluestein affirme que les faits de l’espèce sont semblables au scénario présenté dans l’avis consultatif[26].
  11. Enfin, le dixième argument de Bluestein est fondé sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc.[27]. Bluestein affirme que Mattel appuie la proposition selon laquelle, pour que les paiements de redevances soient passibles de droits de douane, « [...] une “prérogative” de “refus de vendre à moins que le paiement ne soit fait” doit être communiquée à l’acheteur par le vendeur/concédant de licence, par voie d’une mention dans les documents commerciaux d’accompagnement ou dans un contrat de licence »[28] [traduction]. Bluestein fait valoir qu’une telle prérogative n’existe pas dans les documents commerciaux ou les accords liés aux faits de l’espèce.
  12. Il est à noter qu’au cours de l’audience orale dans le cadre du présent appel, Bluestein a retiré de l’examen les deuxième, troisième et quatrième arguments qu’elle a avancés relativement à la question des bénéfices réalisés par les marchands américains de la vente au Canada[29]. Par conséquent, le Tribunal n’indiquera pas les réponses de l’ASFC à ces arguments et n’analysera pas non plus la loi à l’égard des questions soulevées par ceux-ci.

ASFC

  1. En réponse au premier argument avancé par Bluestein, selon lequel les scénarios de production et d’expédition visant les souvenirs de concert mènent à l’incapacité de déterminer la valeur en douane au moment de l’importation et d’utiliser la méthode fondée sur la valeur de référence, l’ASFC réplique que l’alinéa 51(2)a) de la Loi, qui énonce le fondement pertinent de l’applicabilité de la méthode fondée sur la valeur de référence, renvoie à des marchandises identiques ou semblables, en plus de renvoyer aux marchandises à apprécier, ce qui appuie la conclusion selon laquelle les scénarios de production et d’expédition donnés des marchandises à apprécier ne sont pas pertinents pour déterminer la valeur en douane en application de la méthode fondée sur la valeur de référence[30].
  2. En ce qui concerne le cinquième argument de Bluestein, selon lequel les redevances sont exemptes de droits de douane, à l’exception de l’indication explicite de leur inclusion au paragraphe 48(5) de la Loi, qui concerne la méthode de la valeur transactionnelle, l’ASFC répond que les redevances dans le cadre du présent appel sont passibles de droits de douane puisqu’elles sont incluses dans le prix de vente des souvenirs de concert[31]. En outre, l’ASFC soutient que, dans le contexte de la détermination de la valeur en douane en application de la méthode fondée sur la valeur de référence, la Loi ne comporte aucune disposition relative à la déduction des montants de redevances du prix de vente de marchandises[32].
  3. Pour traiter du sixième argument de Bluestein, selon lequel les redevances dans le contexte de la méthode fondée sur la valeur de référence sont, en termes génériques, des « frais généraux », l’ASFC se fonde sur le commentaire généralement reconnu de S. Sherman et de H. Glashof – Customs Valuation: Commentary on the GATT Customs Valuation Code[33]. À l’appui de sa position selon laquelle les redevances ne sont pas des « frais généraux », l’ASFC cite l’extrait suivant :

La valeur de référence [...] aux termes de l’article 5 prévoit l’évaluation en douane fondée sur le prix de revente dans le pays d’exportation, moins certaines déductions. Les redevances et les droits de licence ne sont pas expressément mentionnés, que ce soit par rapport au prix de revente ou aux déductions. Sauf dans une situation où l’importateur revend à perte, le prix de revente doit non seulement couvrir le prix des marchandises importées, mais également les redevances ou les droits de licence connexes. La seule déduction prévue qui pourrait comprendre des redevances ou des droits de licence est celle des « frais généraux », et la pratique comptable généralement reconnue normalement ne qualifierait pas ces paiements de frais généraux[34].

[Traduction]

  1. Quant au septième argument de Bluestein, selon lequel le moment du paiement appuie la conclusion selon laquelle les redevances en l’espèce sont des « frais généraux », l’ASFC réplique que, outre l’opinion exprimée dans le commentaire de S. Sherman et de H. Glashof selon laquelle les redevances ne sont pas des « frais généraux », les montants comme les redevances qui sont liés aux activités commerciales des marchands américains sont, dans le contexte de la méthode fondée sur la valeur de référence, hors de la portée nationale du prix unitaire et des déductions de celui-ci qui est définie par la Loi[35].
  2. L’ASFC n’a pas traité directement du huitième argument de Bluestein.
  3. Le neuvième argument de Bluestein concerne l’avis consultatif 4.8 des Avis relatifs à l’Accord sur l’évaluation en douane. Dans sa réponse à cet argument, l’ASFC affirme que le scénario présenté dans l’avis consultatif 4.7 ressemble davantage aux faits dans le cadre du présent appel. L’avis consultatif 4.7 présente un scénario dans lequel une maison de disques conclut un accord avec un artiste, dans le pays d’exportation, concernant des paiements de redevances en contrepartie de la cession des droits de distribution de l’artiste à l’échelle mondiale. La maison de disques conclut ensuite un accord de distribution et de vente avec un importateur, dans lequel elle lui cède ces droits de distribution en contrepartie d’un paiement de redevances de 10 p. 100 à l’égard des ventes effectuées dans le pays d’exportation.
  4. Le Comité technique de l’évaluation en douane affirme que, dans un tel cas, le paiement de redevances de 10 p. 100 est une condition de la vente pour exportation en vertu du second accord, aux termes duquel l’importateur doit verser les redevances à la maison de disques. L’ASFC soutient que, de façon semblable au scénario ci-dessus, Bluestein n’est pas au courant du contrat entre les marchands américains et les détenteurs de licence américains, mais que les accords qu’elle a conclus avec les marchands américains prévoient le versement de montants de redevances et que ces montants sont inclus à juste titre dans le prix unitaire des marchandises[36].
  5. L’ASFC n’a pas traité directement du dixième argument de Bluestein.

ANALYSE

  1. Plus tôt dans les présents motifs, le Tribunal a énoncé un critère en trois parties au sujet de la possibilité d’utiliser la méthode fondée sur la valeur de référence. Dans l’application du premier élément de ce critère aux faits du présent appel, le Tribunal peut conclure que les marchandises sont effectivement vendues au Canada dans l’état où elles ont été importées et à peu près au moment de l’importation. Les éléments de preuve au dossier indiquent que les marchandises sont importées en prévision de ventes lors de concerts. Il n’y a au dossier aucun élément de preuve selon lequel les marchandises subissent d’autres modifications au Canada, ni aucun élément de preuve selon lequel les marchandises sont entreposées pendant une période substantielle avant leur vente.
  2. Deuxièmement, l’ASFC a démontré qu’un prix unitaire peut être déterminé à l’égard des marchandises sur le fondement des ventes à des personnes non liées au premier niveau commercial après l’importation. À cet égard, le Tribunal conclut que le premier argument de Bluestein se fonde sur des considérations non pertinentes. Dans le contexte du régime législatif applicable à la méthode fondée sur la valeur de référence, le fait que les marchandises destinées à l’importation aient ou non été entreposées indistinctement avec d’autres marchandises n’est pas pertinent, non plus qu’est le fait que certaines marchandises soient retournées invendues dans le pays d’exportation. La considération pertinente en vertu de la Loi est la question de savoir s’il y a eu ou non un nombre suffisant de ventes au premier niveau commercial après leur importation, permettant ainsi de déterminer un prix unitaire, sans égard aux invendus.
  3. De plus, l’insistance connexe de Bluestein sur le moment de l’importation est également injustifiée. Puisque la méthode fondée sur la valeur de référence exige que des ventes se soient produites, il s’agit d’une méthode qui, dans de nombreux cas, dépend de transactions survenant après l’importation, et non au moment de l’importation. Il est concevable qu’au moment où la valeur en douane est déterminée, certaines marchandises demeureront invendues et en fait ne seront peut-être jamais vendues et seront retournées vers le pays d’exportation. Interprétée dans ce contexte, la présence dans la Loi d’un mécanisme de drawback de droits ne contredit pas mais appuie plutôt l’applicabilité de la méthode fondée sur la valeur de référence.
  4. Le troisième élément du critère relatif à la possibilité d’utiliser la méthode fondée sur la valeur de référence concerne les déductions à partir du prix unitaire. À cet égard, le Tribunal est convaincu que l’ASFC, en choisissant de déduire un montant pour les bénéfices et les frais généraux en application du sous-alinéa 51(4)a)(ii) de la Loi, a agi de manière conforme à la loi. Ainsi, le Tribunal conclut que la méthode fondée sur la valeur de référence s’applique dûment aux importations en cause.
  5. En ce qui concerne la question des redevances, le Tribunal n’est pas convaincu par le cinquième argument de Bluestein, qui allègue en substance qu’il existe une règle générale selon laquelle les redevances sont exemptes de droit sous réserve de l’inclusion indiquée au paragraphe 48(5) de la Loi. Le Tribunal est d’avis qu’en avançant cet argument, Bluestein a opéré un amalgame erroné entre les exigences législatives de la méthode de la valeur transactionnelle et celles de la méthode fondée sur la valeur de référence.
  6. En ce qui a trait aux déterminations de la valeur en douane, une indication expresse dans une méthodologie n’a pas pour effet d’asseoir en soi quelque inférence ou conclusion que ce soit sur la prémisse de l’absence d’une telle indication dans une méthodologie différente. Il faut plutôt considérer la cohérence interne de chacune des diverses méthodologies, qui ont été conçues dans le but d’obtenir des valeurs relativement comparables pour des marchandises relativement comparables en se servant pour point de départ de différentes circonstances de l’importation[37].
  7. Par conséquent, Bluestein s’est trompée sur le régime législatif en recherchant un motif de déduire des redevances dans l’article 51 de la Loi en l’absence de disposition concernant l’addition de redevances, soutenant que la disposition se trouve à l’article 48 mais nulle part ailleurs. En revanche, il est clair qu’il ne serait pas indiqué de déduire un montant déjà ajouté à la valeur pour détermination des droits de douane en l’absence d’une disposition de la Loi à cet effet.
  8. Pris ensemble, les sixième et septième arguments de Bluestein sont que les redevances, définies de manière large, sont des frais généraux et, en ce qui concerne en particulier le présent appel, sont payées à un moment confirmant leur inclusion dans les déductions pour frais généraux. Le Tribunal n’est persuadé par ni l’un ni l’autre de ces arguments. Le Tribunal est d’avis que le commentaire de S. Sherman et de H. Glashof mentionné par l’ASFC est instructif à l’égard de la conclusion selon laquelle les redevances ne sont pas généralement caractérisées comme des frais généraux.
  9. De plus, on peut se référer au libellé de l’alinéa 51(4)a) de la Loi, qui lie aux ventes au Canada les frais généraux déduits au cours d’une détermination de la valeur de référence de marchandises. Cela implique la conclusion que d’autres frais existent qui ne sont pas dans le cadre de ventes au Canada et qui ne doivent pas être déduits. Ils incluraient plutôt à bon droit les frais engagés pour l’élaboration de marchandises dans le pays d’exportation, frais qui, ensemble, concurrent à la création et à l’expédition transfrontalière subséquente des marchandises. Pour les fins de la méthode fondée sur la valeur de référence, le Tribunal est d’avis que les redevances, lorsque engagées à titre de frais avant l’importation dans le cadre de l’obtention de droits de propriété intellectuelle dans le pays d’exportation, sont des frais engagés pour l’élaboration à l’étranger plutôt que pour la vente au Canada des marchandises pertinentes.
  10. Le moment des paiements, y compris des paiements de frais, n’est pas déterminant pour leur catégorisation dans les calculs de valeur en douane[38]. Par conséquent, des frais engagés pour l’élaboration de marchandises ne deviennent pas relatifs à la vente de ces marchandises du seul fait qu’ils sont payés après les ventes. Dans le cours normal du commerce, les frais engagés pour l’élaboration de marchandises deviendront dus à un point donné du processus d’élaboration, et le paiement peut avoir lieu à ce point ou subséquemment.
  11. De façon similaire à son cinquième argument, Bluestein se trompe sur le régime législatif dans son huitième argument. L’assertion de Bluestein est essentiellement que, puisque aucun rajustement à la hausse n’est exigé à l’égard de la détermination de la valeur en douane en application de la méthode fondée sur la valeur de référence s’il n’y a pas de redevances payées, ces redevances doivent être déduites si elles sont payées. Cependant, l’absence d’un rajustement général lorsqu’un type de frais est absent ne peut fonder la déduction de ces frais lorsqu’il est présent. Une telle interprétation de la Loi est erronée. Les marchandises diffèrent, et il en est de même des charges auxquelles elles donnent lieu au cours de leur élaboration et de leur vente. Par conséquent, chaque utilisation d’une méthodologie de la valeur en douane est particulière aux faits de la cause.
  12. En ce qui concerne le neuvième argument de Bluestein et le contre-argument de l’ASFC, les deux renvoyant aux avis de l’Accord sur l’évaluation en douane, il est suffisant pour le Tribunal de constater que les avis auxquels les parties renvoient se rapportent, dans l’Accord sur l’évaluation en douane[39], à la méthode de la valeur transactionnelle dans la détermination de la valeur en douane prévue par la Loi. L’intention des deux avis vise la détermination du « prix payé ou à payer » et non du « prix unitaire », et les deux avis se rapportent à une vente pour exportation. Bien que ces distinctions n’annulent peut-être pas l’utilité des deux avis à toutes fins relatives à la méthode fondée sur la valeur de référence, le Tribunal estime qu’il est prudent de s’abstenir de mélanger les analogies dans ce cas, compte tenu que les redevances en cause peuvent de plus être définies sans avoir à recourir à ces avis.
  13. Le dixième argument se fonde sur Mattel, une décision portant sur l’interprétation de dispositions ayant trait à la méthode de la valeur transactionnelle. Comme cette décision se penchait sur l’inclusion possible de paiements de redevances dans le « prix payé ou à payer » aux termes de l’article 48 de la Loi, le Tribunal constate qu’elle est sans rapport avec les faits et le droit pertinents en l’espèce, qui concerne l’exclusion possible de paiements de redevances du « prix unitaire » aux termes de l’article 51.
  14. Par exemple, bien qu’en vertu du paragraphe 48(5) de la Loi les redevances doivent être incluses dans la valeur en douane des marchandises si elles constituent une « condition de la vente » de ces marchandises pour exportation, par effet du paragraphe 51(3) de la Loi, l’ASFC a le droit de se fonder sur la présomption que, dans la mesure où les frais sont répercutés sur les acheteurs au Canada au premier niveau commercial après l’importation, ces frais – comprenant toutes redevances payées – entrent dans le « prix unitaire » assujetti aux déductions expressément prévues par la Loi.
  15. Par conséquent, si Mattel concerne de manière générale l’application de droits ayant trait aux redevances dans le contexte de toutes les déterminations de valeur en douane, son applicabilité à une détermination effectuée selon la méthode fondée sur la valeur de référence doit reposer sur l’hypothèse que, dans le cours normal du commerce, une prérogative de refus de vendre, à moins qu’un paiement ne soit fait, s’attache aux paiements de redevances engagés pour des frais dans le pays d’exportation. Cela est dû au fait que, alors que l’article 48 de la Loi repose sur la détermination d’un prix à l’importation, qui tient compte de frais tels que les redevances, l’article 51 est fondé sur la reconstitution de ce prix par le biais de déductions particulières à partir d’un prix de vente au Canada qui comprend déjà les frais pertinents[40].
  16. Par ailleurs, l’article 51 de la Loi ne porte pas sur la vente pour exportation, ce qui rend caduque la question principale en cause dans Mattel, celle de savoir si certains paiements de redevances constituent une condition de la vente de marchandises pour exportation.
  17. En outre, si Mattel était interprétée de manière aussi générale, la méthodologie fondée sur la valeur de référence prévue par la Loi serait en fait modifiée car elle aurait pour effet d’y inclure une déduction non expressément prévue au paragraphe 51(4) de la Loi. Cette déduction porterait sur les paiements de redevances dans les cas où l’ASFC ne peut prouver qu’ils ont été payés en application d’une prérogative de refus de vendre à moins que le paiement ne soit fait.
  18. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la méthode fondée sur la valeur de référence peut valablement s’appliquer aux importations en cause. Puisque Bluestein a retiré la question, le Tribunal ne voit aucun fondement pour rendre une conclusion au sujet de la question connexe de savoir si l’ASFC a correctement appliqué la méthode fondée sur la valeur de référence en limitant la déduction des bénéfices à ceux qui sont réalisés à même les honoraires de Bluestein. De plus, le Tribunal conclut que les redevances payées par les marchands américains aux détenteurs de licence américains ne peuvent être déduites du « prix unitaire » sur le fondement d’un raisonnement selon lequel les redevances sont exemptes de droits et, de plus, qu’elles ne peuvent être déduites du « prix unitaire » selon un raisonnement selon lequel elles constituent des « frais généraux » dans le cadre de ventes au Canada.

DÉCISION

  1. L’appel est rejeté.
 

[1].     S.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     Pièce AP-2013-028-05B (protégée), onglet 2, vol. 2.

[3].     Pièce AP-2013-028-07B (protégée), onglet 1, vol. 2.

[4].     Pièce AP-2013-028-07A au par. 9, vol. 1A.

[5].     Ibid. au par. 21.

[6].     Pièce AP-2013-028-05A au par. 29, vol. 1.

[7].     Ibid.; AP-2013-028-07A au par. 23, vol. 1A.

[8].     Pièce AP-2012-028-07A au par. 28, vol. 1A.

[9].     Ibid. au par. 46. Comme indiqué au paragraphe 29 de la même pièce, l’ASFC a également conclu que les montants désignés comme étant des commissions dans les documents comptables de Bluestein n’étaient pas des commissions au vrai sens du mot, mais étaient plutôt des frais imposés par Bluestein pour les services qu’elle a fournis aux marchands américains.

[10].   Pièce AP-2012-028-07A aux par. 30, 31, 38 à 44, vol. 1A.

[11].   Ibid. aux par. 46, 47, 75; Transcription de l’audience publique, 10 décembre 2013, aux pp. 44, 47.

[12].   Pièce AP-2012-028-07A aux par. 46, 47, vol. 1A.

[13].   Ibid. aux par. 50-59.

[14].   Pièce AP-2013-028-05A au par. 8, vol. 1.

[15].   Ibid. au par. 32.

[16].   Ibid. au par. 47. Bluestein a affirmé précédemment, au paragraphe 31 de son mémoire, que pour que la méthode fondée sur la valeur de référence s’applique, « il est essentiel que des marchandises soient vendues pour exportation au Canada » [traduction]. En fait, il s’agit du contraire. L’absence d’une vente pour exportation est le fondement de l’incapacité de déterminer le prix payé ou à payer pour une marchandise importée conformément au paragraphe 48(1) de la Loi et, par conséquent, de l’incapacité d’utiliser la méthode de la valeur transactionnelle, d’où l’utilisation possible de la méthode fondée sur la valeur de référence. Puisque l’affirmation est entièrement contraire au cadre législatif énoncé aux articles 47 à 51, le Tribunal estime qu’elle ne mérite pas d’être examinée davantage et, par conséquent, il n’en tiendra pas compte dans son analyse.

[17].   Pièce AP-2013-028-05A aux par. 35, 38. Pour avancer cet argument, Bluestein s’appuie sur le raisonnement dans Armstrong Bros. Tool Co. c. Sous-M.R.N. (15 août 1997), AP-96-105 (TCCE) [Armstrong].

[18].   Pièce AP-2013-028-05A aux par. 19, 45, vol. 1. Pour avancer cet argument, Bluestein s’appuie sur le raisonnement dans Patagonia International, Inc. c. Sous-M.R.N. (28 septembre 2000), AP-99-014 (TCCE).

[19].   Pièce AP-2013-028-05A au par. 40, vol. 1.

[20].   Ibid. aux par. 50-54. Pour avancer cet argument, Bluestein s’appuie sur le raisonnement dans Jana & Company c. Sous-M.R.N. (3 septembre 1996), AP-94-150 (TCCE).

[21].   Pièce AP-2013-028-05A au par. 26, vol. 1.

[22].   Ibid. au par. 41.

[23].   Ibid. au par. 55.

[24].   Ibid. au par. 55.

[25].   Conseil de coopération douanière, Bruxelles [Avis relatifs à l’Accord sur l’évaluation en douane].

[26].   Pièce AP-2013-028-05A aux par. 56-58, vol. 1.

[27].   [2001] 2 R.C.S. 100 [Mattel].

[28].   Pièce AP-2013-028-05A au par. 59, vol. 1.

[29].   Transcription de l’audience publique, 10 décembre 2013, aux pp. 43, 47-48.

[30].   Pièce AP-2012-028-07A au par. 70, vol. 1A.

[31].   Pièce AP-2012-028-07A au par. 50, vol. 1A.

[32].   Ibid. au par. 52.

[33].   ICC Publishing S.A., 1987.

[34].   Pièce AP-2012-028-07A au par. 52, vol. 1A.

[35].   Pièce AP-2012-028-07A au par. 59, vol. 1A.

[36].   Ibid. aux par. 61, 62.

[37].   Tootsie Roll of Canada Ltd. c Sous-M.R.N. (16 septembre 1997), AP-96-114 (TCCE). Alors que la méthode de la valeur transactionnelle peut être considérée comme un exercice de construction du prix, la méthode fondée sur la valeur de référence peut être considérée comme un exercice de reconstruction du prix.

[38].   Double J Fashion Group Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (14 mars 2014), AP‑2013-017 (TCCE) au par. 55.

[39].   Accord relatif à la mise en œuvre de l’article VII de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé à Genève (Suisse) le 12 avril 1979, GATT IBDD, 26e suppl.

[40].   Si cette interprétation générale de Mattel était exacte, ce qui de l’avis du Tribunal n’est pas le cas, une partie appelante comme Bluestein pourrait avoir le droit de réfuter la présomption que dans l’application de la méthode fondée sur la valeur de référence à ses importations, une prérogative de refus de vendre à moins que le paiement ne soit fait s’attache à tout paiement de redevance engagé en charge dans le pays d’exportation. En l’espèce, Bluestein n’a soumis aucun élément de preuve en réfutation de manière à se décharger du fardeau de la preuve qui lui incombe conséquemment. Les Produits Laitiers Advidia Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada et Producteurs laitiers du Canada (8 mars 2005), AP-2003-040 (TCCE).