COSTCO WHOLESALE CANADA LTD. (FAISANT AFFAIRES AU QUÉBEC SOUS LE NOM LES ENTREPÔTS COSTCO)

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD. (FAISANT AFFAIRES AU QUÉBEC SOUS LE NOM LES ENTREPÔTS COSTCO)
c.
PRÉSIDENT DE L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2013-003

Décision et motifs rendus
le jeudi 13 février 2014

TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 24 octobre 2013 en vertu de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le président de l'Agence des services frontaliers du Canada le 9 janvier 2013 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD. (FAISANT AFFAIRES AU QUÉBEC SOUS LE NOM LES ENTREPÔTS COSTCO) Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

L'appel est admis.

Stephen A. Leach
Stephen A. Leach
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Date de l'audience : le 24 octobre 2013

Membre du Tribunal : Stephen A. Leach, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Jidé Afolabi

Carrie Vanderveen

Gestionnaire par intérim, Programmes et
services du greffe : Lindsay Vincelli

Agent du greffe : Alexis Chénier

PARTICIPANTS :

Appelante Conseillers/représentants
Costco Wholesale Canada Ltd. (faisant affaires au Québec sous le nom Les entrepôts Costco) Andrew Simkins
Michael Sherbo
Intimé Conseillers/représentants
Président de l'Agence des services frontaliers du Canada Sarah Sherhols
Andrew Gibbs

TÉMOIN :

Angelo Losurdo
Vice-président de la qualité et des systèmes de la qualité
Ann's House of Nuts

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

1. Le présent appel a été interjeté par Costco Wholesale Canada Ltd. (faisant affaires au Québec sous le nom Les entrepôts Costco) (Costco) le 5 avril 2013 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes1 à l'égard de révisions de l'origine faites par le président de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 9 janvier 2013 aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si des noix de cajou fines entières de marque Kirkland Signature (les marchandises en cause) sont un produit originaire d'un pays signataire de l'Accord de libre-échange nord-américain2 et peuvent ainsi bénéficier des avantages du tarif des États-Unis (TÉU).

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

3. Le 23 juin 2010, l'ASFC a rendu une décision anticipée à l'endroit de Ann's House of Nuts (AHN), l'exportateur des marchandises en cause basé aux États-Unis. La décision anticipée indique que les marchandises en cause ont été classées dans le numéro tarifaire 2008.19.90 à titre d'autres parties comestibles de plantes, autrement préparées, non dénommées ni comprises ailleurs, qu'elles ne sont pas admissibles à titre de produit originaire d'un pays de l'ALÉNA et que, par conséquent, elles ne peuvent bénéficier des avantages du TÉU3.

4. Le 28 juin 2011, Costco a importé les marchandises en cause d'AHN en déclarant qu'elles étaient assujetties au TÉU. Toutefois, le 15 juillet 2011, conformément au paragraphe 32.2(1) de la Loi et à la décision anticipée rendue à AHN, Costco a présenté une correction, modifiant la déclaration de traitement tarifaire aux termes du TÉU pour une déclaration de traitement tarifaire de la nation la plus favorisée4. L'ASFC a accepté cette correction le 19 octobre 2011 aux termes de l'alinéa 59(1)a) de la Loi5.

5. Le 14 janvier 2012, Costco a demandé une révision aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi en soutenant que les marchandises en cause sont admissibles à titre de produit originaire d'un pays de l'ALÉNA et qu'elles doivent ainsi bénéficier des avantages du TÉU. L'ASFC a rejeté la demande le 11 mai 20126. Costco a ensuite demandé un réexamen, lequel a été rejeté par l'ASFC le 9 janvier 20137.

6. Le 5 avril 2013, Costco a interjeté le présent appel auprès du Tribunal.

7. Le Tribunal a tenu une audience publique à Ottawa (Ontario) le 24 octobre 2013.

8. M. Angelo Losurdo, vice-président de la qualité et des systèmes de la qualité chez AHN, a témoigné au nom de Costco.

MARCHANDISES EN CAUSE

9. Les marchandises en cause sont des noix de cajou grillées et salées produites aux États-Unis par AHN et vendues comme des noix de cajou fines entières sous la marque Kirkland Signature, produit no 252769.

10. AHN importe des noix de cajou crues écalées de l'Inde et/ou du Vietnam dans ses installations aux États-Unis. Lorsqu'elles arrivent aux États-Unis, les noix de cajou sont tamisées, aspirées, grillées dans de l'huile d'arachide, refroidies, triées au laser, salées et emballées dans des contenants de polyéthylène téréphtalate (PET) de 1,13 kilogrammes pour la vente au détail. Le processus d'emballage comporte un tamisage supplémentaire ainsi que la pesée, la détection de métaux, le passage aux rayons X et l'étiquetage. Une fois emballées, les marchandises sont mises en caisse et empilées sur des palettes en vue de leur transport8.

11. L'étiquette des marchandises en cause indique leur valeur nutritive et trois ingrédients : noix de cajou, huile d'arachide et sel9.

QUESTION DE PROCÉDURE

12. Le 15 octobre 2013, Costco a déposé de la documentation et de la jurisprudence additionnelles auprès du Tribunal.

13. Le jour suivant, l'ASFC a demandé au Tribunal de supprimer cette documentation additionnelle du dossier ou, subsidiairement, de tenir une conférence préparatoire lors de laquelle Costco expliquerait la pertinence de la documentation additionnelle10. Pour appuyer sa demande, l'ASFC a soutenu que Costco était tenue de « présenter la meilleure preuve » [traduction] le plus tôt possible, que les documents déposés étaient disponibles antérieurement et que Costco n'avait pas indiqué leur pertinence.

14. Costco a soutenu quant à elle qu'elle a déposé la documentation additionnelle conformément à l'alinéa 34(3)a) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur11, qui permet à l'appelant de déposer des documents au moins 10 jours avant l'audience. Elle a soutenu que certains documents se rapportent directement au témoignage de son témoin, dont l'ASFC avait connaissance, ou aux questions soulevées par l'ASFC. Elle a également indiqué qu'elle n'a reçu que récemment certains documents des témoins et qu'aucun des documents n'apportait de nouveaux arguments. Enfin, elle a souligné qu'aucune règle ne prévoit qu'une partie doive fournir un résumé écrit du témoignage prévu d'un témoin non expert12.

15. Le Tribunal est d'accord avec Costco que cette documentation additionnelle a été déposée conformément à l'alinéa 34(3)a) des Règles du TCCE, qui prévoit que, « [si l'appelante] a l'intention de s'appuyer sur des documents, ouvrages ou décisions qui n'ont pas été déposés dans le cadre du mémoire, l'appelant[e] doit, au moins 10 jours avant l'audience, les déposer auprès du secrétaire [...] ».

16. En outre, le Tribunal a conclu que la documentation additionnelle n'apportait pas de nouveaux arguments qui pourraient nuire à l'ASFC. Ces documents se rapportent plutôt aux déclarations d'un témoin ordinaire dont l'ASFC avait déjà connaissance : par exemple, ils comprennent des photographies qu'il a prises et à l'égard desquelles il témoignerait à l'audience. Pour ces motifs, le 18 octobre 2013, le Tribunal a rejeté la demande de l'ASFC de supprimer la documentation et la jurisprudence additionnelles déposées par Costco.

CADRE LÉGISLATIF

17. Le paragraphe 67(1) de la Loi prévoit que « [t]oute personne qui s'estime lésée par une décision [de l'ASFC] rendue conformément [à l'article] 60 [...] peut en interjeter appel devant le Tribunal [...] ». Les décisions rendues aux termes de l'article 60 comprennent celles de l'ASFC concernant l'origine des marchandises.

18. Les règles d'origine contenues dans l'ALÉNA, intégrées au droit canadien, prévoient des critères pour déterminer si des marchandises peuvent bénéficier d'un traitement tarifaire préférentiel. Ces règles d'origine tiennent compte de l'endroit où les marchandises sont produites et des matières qui servent à leur production.

19. Le chapitre 4 de l'ALÉNA énonce les conditions pour que des marchandises soient considérées comme des « produits originaires ». Les dispositions du chapitre 4 sont intégrées au droit canadien par les dispositions de la Loi, du Tarif des douanes13 et de divers règlements, dont le Règlement sur les règles d'origine (ALÉNA)14.

20. Pour que les marchandises en cause puissent bénéficier du traitement tarifaire préférentiel aux termes de l'ALÉNA, le paragraphe 24(1) du Tarif des douanes prévoit deux conditions : 1) leur origine est établie en conformité avec la Loi; 2) les marchandises bénéficient du traitement tarifaire accordé en conformité avec les règlements pris en vertu de l'article 16 du Tarif des douanes.

21. Le sous-alinéa 16(2)a)(i) du Tarif des douanes prévoit que le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir l'origine des marchandises, notamment en ce qui touche « l'assimilation [...] à des marchandises originaires d'un pays de marchandises produites en tout ou en partie à l'extérieur de celui-ci, sous réserve des conditions précisées dans le règlement ».

22. L'alinéa 4(2)a) du Règlement prévoit deux critères que les marchandises en cause doivent respecter pour être considérées comme originaires du territoire d'un pays ALÉNA : 1) chacune des matières non originaires utilisées dans leur production doit subir un changement de classification tarifaire applicable par suite de la production effectuée entièrement sur le territoire de l'un ou plusieurs des pays ALÉNA; 2) les marchandises doivent satisfaire aux autres exigences applicables du Règlement.

23. Dans le présent appel, les parties conviennent que la première condition est satisfaite15. Les matières utilisées pour produire les noix de cajou fines entières de marque Kirkland Signature, c'est-à-dire les noix de cajou crues aux termes du chapitre 8 du Tarif des douanes, l'huile d'arachide aux termes du chapitre 15 et le sel aux termes du chapitre 25, ont été combinées pour former une préparation alimentaire aux termes du chapitre 20 du Tarif des douanes. L'accord des parties sur ce point est important, car cela permet de confirmer que le classement tarifaire des marchandises n'est pas en litige dans le présent appel.

24. Par conséquent, la seule question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause respectent les critères pertinents du Règlement. Les parties conviennent que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2008.19.9016. En se fondant sur ce classement tarifaire, un critère pertinent est prévu à la note du chapitre 20 de l'annexe 1 du Règlement qui prévoit ce qui suit :

PRODUITS DES INDUSTRIES ALIMENTAIRES; BOISSONS, LIQUIDES ALCOOLIQUES ET VINAIGRES; TABACS ET SUCCÉDANÉS DE TABAC FABRIQUÉS
(CHAPITRES 16-24)

[...]

Chapitre 20

Préparations de légumes, de fruits ou d'autres parties de plantes

Note : Les légumes, noix et fruits du chapitre 20 qui ont été préparés ou conservés uniquement par congélation, par empaquetage (y compris la mise en conserve) dans de l'eau, de la saumure ou des jus naturels, ou par grillage, à sec ou dans l'huile (y compris le traitement afférent à la congélation, à l'empaquetage ou au grillage), ne seront traités comme des produits originaires que si le produit frais a été entièrement produit ou obtenu sur le territoire d'un ou de plusieurs pays ALÉNA.

25. Cette note indique qu'un critère additionnel s'applique aux marchandises en cause, c'est-à-dire qu'elles ne doivent pas avoir été préparées ou conservées uniquement par grillage ou par un traitement afférent au grillage.

ARGUMENTS DES PARTIES

COSTCO

26. Costco soutient que les marchandises en cause ne sont pas préparées uniquement par le grillage dans l'huile. Dans ses observations, Costco indique que les marchandises ont subi d'autres traitements dans leur préparation, plus particulièrement le tamisage, l'aspiration, le refroidissement, le triage par laser, le salage, l'emballage et l'empaquetage.

27. De plus, Costco soutient que ces traitements additionnels ne sont pas un traitement afférent au grillage. Pour appuyer cet argument, Costco renvoie aux définitions du mot « incidental » (afférent) tirées des dictionnaires qui définissent ce mot comme suit : « [q]ui résulte probablement du hasard ou est une conséquence mineure » [traduction] ou « qui se produit par hasard ou sans intention ni calcul17 » [traduction].

28. Costco soutient que l'ASFC a erronément refusé de lui accorder les avantages du TÉU, (1) en déterminant que les noix de cajou non originaires sont préparées uniquement par grillage ou par un traitement afférent au grillage, ignorant ainsi les traitements additionnels énumérés par Costco; (2) en déterminant que le salage est un traitement afférent au grillage; (3) en interprétant erronément la note du chapitre 20 comme limitant le type de traitements pouvant rendre une marchandise admissible au traitement tarifaire préférentiel aux termes de l'ALÉNA. Selon Costco, l'intention de la note du chapitre 20 est de s'assurer que les marchandises admissibles au traitement tarifaire préférentiel ont subi un traitement suffisant18.

ASFC

29. L'ASFC soutient que la note du chapitre 20 ne permet pas un changement de traitement tarifaire si les marchandises en cause n'ont pas subi un traitement au-delà du grillage, y compris un traitement afférent au grillage19. L'ASFC affirme que la note du chapitre 20 impose des conditions additionnelles à l'égard des traitements qui sont considérés suffisants pour que les marchandises soient classées dans les sous-positions nos 2008.19 et 2008.99 pour être admissibles aux avantages du TÉU20. Selon l'ASFC, l'objectif de ces conditions est de limiter le type de traitements pouvant rendre des marchandises admissibles au traitement tarifaire préférentiel aux termes de l'ALÉNA et de s'assurer que le traitement tarifaire préférentiel n'est pas fondé sur les seuls traitements de grillage et de salage21.

30. L'ASFC soutient que les marchandises en cause ne respectent pas les critères restrictifs additionnels de la note du chapitre 20. Premièrement, selon l'ASFC, les marchandises n'ont pas subi de traitement autre que le grillage. L'ASFC prétend que les traitements additionnels mentionnés par Costco sont afférents au grillage ou nécessaires pour la vente au détail et le commerce des marchandises, et qu'ils ne transforment pas les ingrédients alimentaires en produit alimentaire22.

31. Deuxièmement, l'ASFC soutient que le salage est un traitement afférent au grillage. Elle cite plusieurs définitions du mot « incidental » et soutient qu'en l'espèce, un traitement afférent est un traitement qui est relié, mais secondaire, au grillage. Puisque le salage ne modifie pas la nature des noix de cajou grillées en tant que produit alimentaire, il s'agit d'un traitement secondaire au grillage23. Pour appuyer son argument selon lequel le salage est un traitement afférent au grillage, l'ASFC renvoie à la décision du Tribunal dans North American Tea & Coffee Inc. c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada24 dans laquelle le Tribunal a conclu que les épices et les autres additifs ne modifiaient pas le caractère essentiel des marchandises25. Elle renvoie également aux notes explicatives de la position no 20.08 des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises26 qui prévoient expressément que la position comprend les noix grillées à l'huile contenant ou non du sel ou enrobées ou non de sel27.

32. De plus, l'ASFC soutient que la section IV de l'annexe 401 de l'ALÉNA, Règles d'origine spécifiques, appuie l'argument selon lequel Costco fait erreur en affirmant que l'intention de la note du chapitre 20 est de s'assurer que les marchandises ont subi un traitement suffisant. Selon l'ASFC, la section IV se rapporte à toutes les préparations alimentaires, mais le chapitre 20 est le seul chapitre qui contienne une note qui distingue les traitements afférents28. Cela indique l'intention du législateur de limiter le type de traitements pouvant rendre des marchandises admissibles au traitement tarifaire préférentiel aux termes de l'ALÉNA29.

33. Enfin, l'ASFC soutient que les noix de cajou salées et non salées devraient recevoir le même traitement tarifaire, car elles ne sont pas intrinsèquement différentes30.

ANALYSE

34. Comme il a été indiqué ci-dessus, la seule question que le Tribunal doit trancher consiste à déterminer si les marchandises en cause respectent les critères de la note du chapitre 20, c'est-à-dire ne pas avoir été préparées ou conservées uniquement par grillage ou par un traitement afférent au grillage.

35. Tout d'abord, le Tribunal abordera l'argument de l'ASFC selon lequel tout traitement supplémentaire au grillage doit contribuer à la transformation des noix de cajou crues en produit fini31. L'ASFC soutient que les traitements comme le salage, le refroidissement, le tamisage, le triage, la pesée et l'emballage sont afférents au grillage, car ils ne transforment pas les ingrédients alimentaires en un produit alimentaire32 ou parce qu'ils ne modifient pas la nature des noix de cajou grillées33.

36. En présentant ces arguments, l'ASFC semble amalgamer le critère de transformation prévu à la première partie de l'alinéa 4(2)a) du Règlement, dont le respect est reconnu par les parties, aux exigences de traitement prévues à la note du chapitre 20. Même si la note du chapitre 20 mentionne expressément certains traitements comme la congélation, l'empaquetage et le grillage, ces traitements ne transforment pas nécessairement les marchandises34. Puisque l'alinéa 4(2)a) du Règlement prévoit déjà un critère de transformation, le Tribunal considère que l'intention de la note du chapitre 20 n'est pas d'exiger une autre transformation des marchandises. Le Tribunal est plutôt d'avis que l'intention de la note du chapitre 20, prise dans ce contexte, est de s'assurer que les marchandises ont subi un traitement suffisant dans un pays de l'ALÉNA pour être originaire de ce pays.

37. Le Tribunal commencera son analyse de la note du chapitre 20 en déterminant le sens ordinaire du libellé de la note. Le mot « merely » (uniquement) est défini comme étant « [...] seulement (ce à quoi il fait référence) et rien de plus [...]35 » [traduction]. Pris dans le contexte du reste de la note, le mot « uniquement » indique que les marchandises non originaires doivent subir un traitement supplémentaire à ce qui est prévu par la note, soit la congélation, l'empaquetage dans de l'eau, de la saumure ou des jus naturels, ou le grillage à sec ou dans l'huile (et le traitement afférent à ceux-ci) pour être considérées comme étant originaires d'un pays de l'ALÉNA. Par conséquent, pris en contexte, le mot « uniquement », plutôt que de limiter les types de traitements pouvant rendre des noix admissibles au traitement tarifaire préférentiel aux termes de l'ALÉNA, signifie que les traitements énumérés sont insuffisants.

38. Par conséquent, en l'espèce, si les marchandises en cause ont subi, en plus du grillage, un traitement qui n'est pas afférent au grillage, elles seront admissibles au traitement tarifaire préférentiel aux termes de l'ALÉNA.

39. Les parties conviennent que les marchandises en cause ont été préparées ou conservées par grillage, et le Tribunal ne voit aucune raison de s'écarter de cette conclusion36. Le témoin de Costco, M. Losurdo, a déclaré que les noix de cajou crues sont grillées dans de l'huile d'arachide chauffée à environ 285 ºF à 300 ºF37.

40. Le Tribunal conclut également que les marchandises en cause, outre le grillage, ont été tamisées, aspirées, refroidies, triées par laser, salées et emballées dans des contenants PET pour la vente au détail38. Ce processus d'empaquetage comprend de plus le tamisage, la pesée, la détection de métaux, l'injection d'azote39, l'operculage, le passage aux rayons X, l'étiquetage, l'encaissage et la palettisation pour le transport40.

41. La question qui doit maintenant être tranchée est celle de savoir si les autres traitements sont afférents au grillage et, par conséquent, ne rendent pas les marchandises admissibles à titre de produit originaire d'un pays de l'ALÉNA.

42. Le sens ordinaire du mot « incidental » est « [s]usceptible d'arriver à; naturellement relié à » [traduction] ou « [q]ui survient comme une chose habituelle ou d'une importance secondaire; non directement pertinent à; consécutif à titre de circonstance subordonnée41 » [traduction]. Ces définitions indiquent que les traitements afférents au grillage sont ceux qui découlent naturellement du grillage, mais sont d'une importance secondaire.

43. Le Tribunal conclut que le refroidissement est un traitement qui découle naturellement du grillage : les marchandises sont refroidies après avoir été grillées dans un bain d'huile chauffé à environ 285 ºF à 300 ºF soit, comme cela est le cas en l'espèce, au moyen d'une ventilation forcée42 ou naturellement après un certain temps. Par conséquent, le refroidissement est un traitement afférent au grillage. De même, le tamisage et l'aspiration avant le grillage et le triage par laser après le grillage sont tous des traitements qui doivent être effectués pour s'assurer que les marchandises en cause ne contiennent pas de particules ou de matières étrangères. Ces traitements sont afférents au grillage, car ils doivent être effectués pour s'assurer que le produit final ne contient que des noix de cajou grillées. Par conséquent, ces traitements ne respectent pas les critères de la note du chapitre 20.

44. Toutefois, le Tribunal conclut que l'ajout de sel n'est pas un traitement afférent au grillage. AHN ajoute intentionnellement du sel aux noix de cajou en quantités précises pour respecter les spécifications de l'acheteur43. L'ajout du sel crée le produit « noix de cajou salées » et figure sur la liste des ingrédients et le contenu en sodium sur l'étiquette44. Par conséquent, le Tribunal conclut que le salage n'est pas un traitement afférent au grillage et que, par conséquent, les marchandises en cause sont un produit originaire d'un pays de l'ALÉNA et peuvent bénéficier des avantages du TÉU.

45. Ayant conclu que les marchandises en cause peuvent bénéficier des avantages du TÉU, le Tribunal n'est pas tenu de déterminer si d'autres traitements additionnels subis par les marchandises en cause donneraient également ouverture aux avantages du TÉU, en raison du fait qu'ils ne seraient pas des traitements afférents au grillage.

46. Comme il appert clairement des observations écrites de l'ASFC45 et de sa plaidoirie46, sa définition du mot « incidental » est dictée par son opinion selon laquelle les autres traitements, incluant le salage, sont afférents au grillage sauf s'ils transforment les marchandises. Toutefois, comme il a été indiqué ci-dessus, la transformation du produit n'est pertinente qu'à l'égard de la question de savoir si les marchandises respectent le premier critère de l'alinéa 4(2)a) du Règlement. Par conséquent, même si les autres traitements subis par les marchandises en cause ne transforment pas le produit, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils sont afférents au grillage.

47. L'ASFC soutient également que les Notes explicatives peuvent fournir des indications additionnelles pour l'interprétation de la note du chapitre 2047. Même si le Tribunal reconnaît que les Notes explicatives sont un guide d'interprétation des positions et sous-positions du Tarif des douanes, le Tribunal n'est pas d'accord qu'elles sont également pertinentes pour interpréter les règles d'origine.

48. Premièrement, l'article 11 du Tarif des douanes prévoit expressément que pour l'interprétation des positions et sous-positions du Tarif des douanes, il est tenu compte des Notes explicatives. Si le Parlement avait voulu que les Notes explicatives s'appliquent également aux fins de déterminer l'origine, il aurait pu inclure une disposition similaire dans le Règlement, ce qu'il n'a pas fait. En outre, le Règlement ne contient aucune disposition similaire indiquant qu'il doit être tenu compte d'autre chose que le Règlement.

49. Deuxièmement, la Cour d'appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc. a conclu que « [...] le législateur veut [...] que les Notes explicatives soient un guide d'interprétation du classement tarifaire au Canada et qu'elles soient considérées dans ce contexte » [nos italiques]48. De l'avis du Tribunal, cela indique que les Notes explicatives ne s'appliquent qu'au classement tarifaire et non aux fins de déterminer l'origine.

50. L'ASFC soutient également que l'opinion exprimée par le Tribunal dans North American Tea & Coffee, selon laquelle les épices et les autres additifs n'étaient pas des éléments déterminants des marchandises et ne modifiaient pas leur caractère essentiel, appuie son argument selon lequel le salage est un traitement afférent au grillage49. Toutefois, la question en litige dans cette affaire consistait à déterminer le classement tarifaire approprié des marchandises et non leur origine. Plus important encore est le fait que la question en litige dans cette affaire, soit la question de savoir si les épices et les autres additifs modifiaient le caractère essentiel des marchandises, n'est pas pertinente pour déterminer l'origine conformément à la note du chapitre 20.

51. Enfin, l'ASFC soutient que, pour assurer une constance dans le système des douanes et parce que les noix de cajou salées et non salées ne sont pas intrinsèquement différentes, les deux types de noix de cajou ne devraient pas recevoir un traitement tarifaire différent50. Toutefois, la question du traitement tarifaire des noix de cajou non salées n'est pas en litige dans le présent appel. En outre, aucun élément de preuve n'a été présenté au Tribunal concernant la manière dont les noix de cajou non salées sont traitées. Par conséquent, le Tribunal n'abordera pas la question de savoir si les noix de cajou non salées respectent également les critères de la note du chapitre 20 et peuvent bénéficier des avantages du TÉU.

DÉCISION

52. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont admissibles à titre de produit originaire d'un pays de l'ALÉNA et que, par conséquent, elles peuvent bénéficier des avantages du TÉU.

53. Par conséquent, l'appel est admis.


1 . L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

2 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

3 . Pièce AP-2013-003-04A, vol. 1A, onglet 1.

4 . Ibid., onglet 2 à la p. 24.

5 . Ibid., onglet 2 aux pp. 21-23.

6 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A, onglet 4.

7 . Ibid., onglet 5.

8 . Pièce AP-2013-003-04A, vol. 1A aux par. 11-13.

9 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A au par. 11.

10 . Pièce AP-2013-003-14, vol. 1B.

11 . D.O.R.S./91-499 [Règles du TCCE].

12 . Pièce AP-2013-003-15, vol. 1B.

13 . L.C. 1997, ch. 36.

14 . D.O.R.S./94-14 [Règlement].

15 . Pièce AP-2013-003-04A, vol. 1A au par. 21; pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A aux par. 30, 41-43.

16 . Ibid. au par. 29; pièce AP-2013-003-04A, vol. 1A au par. 15.

17 . Pièce AP-2013-003-04A, vol. 1A au par. 19.

18 . Ibid. aux par. 23, 28-29.

19 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A au par. 33.

20 . Ibid. au par. 45.

21 . Ibid. au par. 48; Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, à la p. 95.

22 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A aux par. 51-52.

23 . Ibid. aux par. 53-56.

24 . (11 février 2009), AP-2007-017 (TCCE) [North American Tea & Coffee].

25 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A au par. 58.

26 . Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012 [Notes explicatives].

27 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A aux par. 36-37, 47.

28 . Ibid. au par. 62.

29 . Ibid.

30 . Ibid. au par. 63; Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, à la p. 101.

31 . Ibid. à la p. 89.

32 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A aux par. 51-52; Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, à la p. 91.

33 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A aux par. 48, 56; Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, à la p. 93.

34 . Par exemple, la congélation d'une préparation de fruits, de noix ou de légumes peut la conserver mais ne la transforme pas d'aucune manière.

35 . Shorter Oxford English Dictionary, 5e éd., s.v. « merely ».

36 . Pièce AP-2013-003-04A, vol. 1A au par. 12; pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A aux par. 9-10, 35.

37 . Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, à la p. 8.

38 . Pièce AP-2013-003-12A, vol. 1B, onglet 2.

39 . Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, aux pp. 22-23.

40 . Pièce AP-2013-003-12A, vol. 1B, onglet 2.

41 . Shorter Oxford English Dictionary, 5e éd., s.v. « incidental ».

42 . Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, à la p. 9.

43 . Ibid. à la p. 18.

44 . Ibid. à la p. 16.

45 . Pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A à la p. 56.

46 . Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, à la p. 92.

47 . Ibid. à la p. 95; pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A aux par. 36-47.

48 . 2004 CAF 131 (CanLII) au par. 13.

49 . Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, aux pp. 93-94; pièce AP-2013-003-08A, vol. 1A au par. 58.

50 . Transcription de l'audience publique, vol. 1, 24 octobre 2013, à la p. 101.