CARGILL INC.

CARGILL INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Appel no AP-2012-070

Décision et motifs rendus
le vendredi 23 mai 2014

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 27 mars 2014 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 4 février 2013 aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CARGILL INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre présidant

Gillian Burnett
Gillian Burnett
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 27 mars 2014

Membre du Tribunal : Pasquale Michaele Saroli, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Alexandra Pietrzak

Agent du greffe : Ekaterina Pavlova

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Cargill Inc.

Michael Kaylor

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Andrew Gibbs

TÉMOIN :

Heather Gledhill
Directrice de la conformité en matière de douanes canadiennes
Cargill Inc.

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : secretaire@tcce-citt.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le présent appel a été interjeté par Cargill Inc. (Cargill) le 26 février 2013 aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] à l’égard de la révision d’une décision sur l’origine initialement rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 23 mars 2009.
  2. Les parties conviennent que certaines stéarines de palme raffinées, blanchies et désodorisées (les marchandises en cause) sont correctement classées dans le numéro tarifaire 1517.90.99 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’autres mélanges ou préparations alimentaires de graisses ou d’huiles animales ou végétales[3]. Cependant, Cargill allègue que l’ASFC s’est incorrectement servi de renseignements recueillis à l’occasion d’une demande de décision anticipée sans rapport avec la sienne pour procéder à une révision rétroactive aux termes de l’article 59 de la Loi et à une révision ultérieure aux termes de l’article 60 et conclure ainsi que les marchandises en cause ne sont pas des produits originaires en vertu de l’Accord de libre-échange nord‑américain[4] et qu’elles ne peuvent donc pas bénéficier du tarif préférentiel.
  3. Cargill est l’exportateur attitré. L’importateur attitré est Kraft Canada (Kraft). Kraft n’a pas participé à l’appel dont le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) est saisi.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Kraft a commencé à importer les marchandises en cause en 2008. Au moment de leur importation, Kraft a demandé que les marchandises en cause, qui ont été inscrites comme originaires des États-Unis, bénéficient du tarif préférentiel.
  2. Le 22 décembre 2008, Cargill a demandé une décision anticipée à l’égard de marchandises qui étaient identiques aux marchandises en cause, soutenant qu’elles devaient être classées dans le numéro tarifaire 1507.90.90.
  3. Dans sa décision anticipée rendue le 23 mars 2009, l’ASFC a conclu que ces marchandises étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 1517.90.99 et qu’elles ne pouvaient bénéficier du tarif préférentiel, car elles n’étaient pas originaires des États-Unis.
  4. Le 27 juillet 2009, l’ASFC a envoyé une lettre à Kraft pour l’informer qu’elle procédait à un examen de documents aux termes du paragraphe 42(2) de la Loi afin de vérifier l’origine.
  5. Le ou vers le 14 septembre 2009, Kraft a fourni à l’ASFC les certificats d’origine de ses fournisseurs, y compris ceux de Cargill.
  6. Dans une lettre datée du 15 septembre 2009, l’ASFC a informé Cargill qu’elle vérifiait si les marchandises en cause pouvaient bénéficier du tarif préférentiel aux termes de l’ALÉNA pour l’année civile 2008. Pour l’aider à effectuer cette vérification, l’ASFC a demandé à Cargill de remplir le questionnaire joint à sa lettre et de le lui retourner au plus tard le 30 septembre 2009. L’ASFC a également fourni une copie des certificats d’origine que Cargill avait fournis à l’importateur, qui indiquaient que les marchandises en cause étaient des produits originaires en vertu de l’ALÉNA[5].
  7. Cargill ayant omis de répondre à sa première lettre de vérification[6], l’ASFC lui a envoyé une deuxième lettre le 22 octobre 2009 dans laquelle elle lui demandait à nouveau de répondre au questionnaire joint à sa lettre en lui accordant un nouveau délai, soit jusqu’au 5 novembre 2009.
  8. Ce n’est que le 22 décembre 2009 que Cargill a répondu à la deuxième lettre de l’ASFC.
  9. Le 9 février 2010, l’ASFC a procédé à une révision aux termes de l’article 59 de la Loi et a conclu que les marchandises en cause n’étaient pas des produits originaires en vertu de l’ALÉNA et ne pouvaient donc pas bénéficier du tarif préférentiel.
  10. Le 16 mars 2012, en réponse à une demande de Cargill, le Tribunal a accordé à Cargill une prolongation du délai prévu pour déposer une demande de réexamen aux termes de l’article 60 de la Loi.
  11. Le 16 avril 2012, Cargill a demandé un réexamen aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi.
  12. Le 4 février 2013, l’ASFC a rendu, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, une décision confirmant sa décision antérieure aux termes de l’article 59.
  13. Cargill a déposé le présent appel auprès du Tribunal le 26 février 2013.
  14. Le 30 mai 2013, l’ASFC a déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance de rejet de l’appel au motif qu’il était évident et manifeste que celui-ci n’avait aucune chance de succès.
  15. Le 5 septembre 2013, le Tribunal a rendu sa décision rejetant la requête de l’ASFC.
  16. Le Tribunal a tenu une audience publique le 27 mars 2014 à Ottawa (Ontario). Cargill a fait entendre un seul témoin, Mme Heather Gledhill, directrice chez Cargill de la conformité en matière de douanes canadiennes. L’ASFC n’a fait entendre aucun témoin.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Pour que des marchandises importées bénéficient du tarif préférentiel, l’importateur doit soumettre une justification de l’origine des marchandises. À cet égard, le Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées[7] exige que l’importateur ou le propriétaire des marchandises en cause fournisse un certificat d’origine de ces marchandises.
  2. Lorsqu’une justification de l’origine a été fournie, l’ASFC peut effectuer des vérifications aux termes des articles 42, 42.01 et 42.1 de la Loi. À cet égard, l’alinéa 42.1(1)a) autorise un agent dûment désigné de l’ASFC à vérifier l’origine des marchandises faisant l’objet d’une demande de traitement tarifaire préférentiel aux termes de l’ALÉNA :

42.1(1) L’agent chargé par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, de l’application du présent article ou la personne désignée par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie, pour agir pour le compte d’un tel agent peut, sous réserve des conditions réglementaires :

avérifier l’origine des marchandises faisant l’objet d’une demande de traitement tarifaire préférentiel découlant d’un accord de libre-échange autre que l’ALÉCA :

(i) soit en pénétrant, à toute heure raisonnable, dans un lieu faisant partie d’une catégorie réglementaire

(ii) [...] prévue par règlement [...].

[Nos italiques]

  1. Pour les fins du sous-alinéa 42.1(1)a)(ii) de la Loi et en remplacement d’une visite de vérification aux termes du sous-alinéa 42.1(1)a)(i), l’article 2 du Règlement sur la vérification de l’origine des marchandises (ALÉNA et ALÉCC)[8] prévoit les autres méthodes de vérification de l’origine suivantes :

2. Outre la visite de vérification, l’agent peut effectuer la vérification de l’origine de marchandises par l’examen :

a) d’un questionnaire de vérification rempli, selon le cas :

(i) par l’exportateur ou le producteur des marchandises,

(ii) par le producteur ou le fournisseur d’une matière utilisée dans la production des marchandises;

bde la réponse écrite de l’une des personnes visées à l’alinéa a) à une lettre de vérification;

c) d’autres renseignements reçus de l’une des personnes visées à l’alinéa a).

[Nos italiques]

  1. Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi, un agent désigné de l’ASFC peut déterminer l’origine des marchandises importées au plus tard au moment de leur déclaration à des fins de douanes. Cependant, faute d’une détermination de l’origine aux termes du paragraphe 58(1), le paragraphe 58(2) prévoit que l’origine des marchandises importées est considérée, pour les fins de la Loi, comme ayant été déterminée selon les énonciations portées par l’importateur au moment de leur déclaration.
  2. Lorsqu’une détermination est faite, ou est réputée avoir été faite, aux termes de l’article 58 de la Loi, les paragraphes 59(1) et 59(2) prévoient ce qui suit :

59.(1) L’agent chargé par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, de l’application du présent article peut :

a) dans le cas d’une décision prévue à l’article 57.01 ou d’une détermination prévue à l’article 58, réviser l’origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane des marchandises importées, ou procéder à la révision de la décision sur la conformité des marques de ces marchandises, dans les délais suivants :

(i) dans les quatre années suivant la date de la détermination, d’après les résultats de la vérification ou de l’examen visé à l’article 42, de la vérification prévue à l’article 42.01 ou de la vérification de l’origine prévue à l’article 42.1,

(ii) dans les quatre années suivant la date de la détermination, si le ministre l’estime indiqué;

[...]

(2) L’agent qui procède à la décision ou à la détermination en vertu des paragraphes 57.01(1) ou 58(1) respectivement ou à la révision ou au réexamen en vertu du paragraphe (1) donne sans délai avis de ses conclusions, motifs à l’appui, aux personnes visées par règlement.

[Nos italiques]

  1. L’article 60 de la Loi permet ensuite à une personne de demander le réexamen de la révision de l’origine conformément à l’article 59.
  2. Enfin, le paragraphe 67(1) de la Loi prévoit un recours devant le Tribunal à l’encontre des décisions de l’ASFC rendues conformément à l’article 60.

ANALYSE

  1. Il n’est pas contesté et le Tribunal admet que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 1517.90.99 à titre d’autres mélanges ou préparations alimentaires de graisses ou d’huiles animales ou végétales.
  2. La seule question dont le Tribunal est saisi consiste à déterminer si les marchandises en cause sont des produits originaires en vertu de l’ALÉNA et, par conséquent, si elles peuvent bénéficier du tarif préférentiel.
  3. À cet égard, Cargill reconnaît qu’elle n’a soumis aucun élément de preuve convaincant indiquant que les marchandises en cause sont originaires du territoire d’un pays membre de l’ALÉNA[9]. Elle soutient toutefois qu’aucun élément de preuve n’est nécessaire dans les circonstances de l’espèce :

M. KAYLOR : [...] la différence entre l’appelante et l’intimée en l’espèce semble se résumer à ceci : l’intimée affirme que l’appelante n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que les marchandises en cause peuvent bénéficier du tarif d’origine de l’ALÉNA pour l’année civile 2008, ce qui est vrai selon le dossier, mais il n’y a aucun élément de preuve convaincant à cet effet.

L’appelante, quant à elle, affirme qu’une telle preuve n’est pas nécessaire. La raison [...] est que [...] les décisions de refus de traitement tarifaire en vertu de [l’article] 59 et de l’article 60 qui ont été rendues contre l’importateur des marchandises en cause, Kraft Canada, sont invalides, car les procédures appropriées énoncées dans la loi applicable n’ont pas été suivies[10].

[Nos italiques, traduction]

  1. Le raisonnement de Cargill, tel que le Tribunal le comprend et comme le conseiller juridique de Cargill l’a confirmé[11], est essentiellement le suivant : une décision anticipée d’origine s’applique uniquement de façon prospective aux importations faites après la date de la décision anticipée[12]. Par conséquent, l’ASFC ne peut invoquer une décision anticipée pour réviser l’origine de marchandises qui ont été importées avant que la décision anticipée soit rendue[13]. En se fondant sur une décision anticipée rendue après l’importation des marchandises en cause pour révoquer leur statut de produits originaires en vertu de l’ALÉNA, l’ASFC a entravé sa discrétion et a omis d’exercer véritablement son pouvoir décisionnel aux termes de l’article 59 de la Loi. Il en résulte que la révision de l’origine aux termes de l’article 59 est invalide[14].
  2. Cargill soutient également que l’invalidité de la révision de l’origine faite par l’ASFC aux termes de l’article 59 de la Loi a ensuite invalidé son réexamen aux termes du paragraphe 60(4) (qui maintenait prétendument la révision faite aux termes de l’article 59). Puisque les décisions de l’ASFC aux termes des articles 59 et 60 sont invalides, Cargill est d’avis que la détermination aux termes du paragraphe 58(2), selon lequel l’origine des marchandises est réputée être celle qui est déclarée par l’importateur au moment de l’importation, est forcément rétablie[15]. Par conséquent, « [...] l’appelante n’est pas tenue de justifier l’origine ou le classement tarifaire des marchandises en cause autrement qu’en produisant des copies des documents de déclaration de l’origine (B3) à l’entrée »[16] [traduction]. De plus, l’ASFC a dépassé le délai statutaire pour effectuer une vérification aux termes de l’article 42.1 afin de remédier à la situation[17].
  3. Le paragraphe 152(3) de la Loi prévoit ce qui suit :

[...] dans toute procédure engagée sous le régime de la présente loi, la charge de la preuve incombe, non à Sa Majesté, mais à l’autre partie à la procédure ou à l’inculpé pour toute question relative, pour ce qui est de marchandises 

aà leur [...] origine;

[...]

[Nos italiques]

  1. Puisque le présent appel est une procédure aux termes de l’article 67 de la Loi relativement à l’origine des marchandises en cause, le fardeau d’établir que la décision de l’ASFC aux termes du paragraphe 60(4) est invalide incombe à Cargill.

Limites de la compétence du Tribunal

  1. Les pouvoirs du Tribunal proviennent de sa loi habilitante, la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[18], qui prévoit ce qui suit :

16. Le Tribunal a pour mission :

[...]

c) de connaître de tout appel pouvant y être interjeté en vertu de toute autre loi fédérale ou de ses règlements et des questions connexes;

[...].

[Nos italiques]

  1. À cet égard, et comme mentionné précédemment, le paragraphe 67(1) de la Loi prévoit expressément un recours devant le Tribunal à l’encontre des décisions de l’ASFC rendues aux termes du paragraphe 60(4).
  2. Les appels interjetés devant le Tribunal sont une procédure de novo[19]. À ce sujet, le paragraphe 67(3) de la Loi prévoit que, dans les appels aux termes du paragraphe 67(1), le Tribunal « peut statuer sur l’appel [...] selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration [...] ».
  3. Afin de définir les paramètres des pouvoirs du Tribunal aux termes de l’article 67 de la Loi, il faut tenir compte du cadre législatif général dans lequel cette disposition trouve application. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[20] :

Les décideurs administratifs exercent leurs pouvoirs dans le cadre de régimes législatifs qui sont eux‑mêmes délimités. Ils ne peuvent exercer de pouvoirs qui ne leur sont pas expressément conférés. S’ils agissent sans autorisation légale, ils portent atteinte au principe de la primauté du droit[21].

  1. En résumé, « [l]’interprétation de ces pouvoirs doit être juste [...] »[22], car le Tribunal ne peut s’arroger une compétence que sa loi habilitante ne lui confère pas.
  2. En examinant le cadre législatif de la Loi, le Tribunal constate que la structure séquentielle des dispositions sur la détermination, la révision et l’appel est circonscrite par quatre clauses privatives distinctes, soit :
  • en ce qui a trait à la détermination de l’origine aux termes du paragraphe 58(1) et à la détermination présumée de l’origine aux termes du paragraphe 58(2), le paragraphe 58(3) prévoit que « [l]a détermination faite en vertu du présent article n’est susceptible de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues aux articles 59 à 61 »;
  • en ce qui a trait à la révision d’une détermination de l’origine aux termes du paragraphe 59(1) ou d’une détermination présumée de l’origine aux termes de l’article 58, le paragraphe 59(6) prévoit que « [l]a révision ou le réexamen fait en vertu du présent article ne sont pas susceptibles de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’invention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 59(1) ou aux articles 60 et 61 »;
  • en ce qui a trait à la révision ou au réexamen de l’origine aux termes des articles 60 ou 61, l’article 62 prévoit que « [l]a révision ou le réexamen prévu aux articles 60 ou 61 n’est susceptible de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 67 »;
  • en ce qui a trait aux appels interjetés devant le Tribunal aux termes de l’article 67, le paragraphe 67(3) prévoit que le Tribunal peut statuer « [...] par ordonnance, constatation ou déclaration, celles-ci n’étant susceptibles de recours, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 68 »[23].
  1. Par conséquent, le Tribunal est d’accord avec l’assertion de l’ASFC selon laquelle le pouvoir du Tribunal dans le cadre d’un appel interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi se limite à accorder des mesures de redressement à l’égard des décisions rendues aux termes de l’article 60 par le biais des ordonnances, constatations et déclarations que le Tribunal a le pouvoir de faire ou rendre aux termes du paragraphe 67(3), qui ne vont pas jusqu’à restreindre, interdire, annuler ou rejeter les révisions faites aux termes du paragraphe 59(1)[24].
  2. Cela dit, bien que le Tribunal ne puisse invalider une révision faite aux termes de l’article 59 de la Loi, il peut examiner la validité des motifs invoqués au soutien de celle-ci dans la mesure où ces motifs sous‑tendent la décision rendue aux termes de l’article 60, ce qui est, bien entendu, l’objet prévu d’un appel interjeté aux termes du paragraphe 67(1). Lorsque le Tribunal considère que les motifs à l’appui d’une révision faite aux termes de l’article 59 sont invalides, il peut, dans le contexte de son examen de novo de la question de l’origine aux termes de l’article 67, rendre la décision de détermination qui s’impose.

Décision aux termes de l’article 60

  1. Comme souligné précédemment, l’article 60 de la Loi prévoit expressément qu’une personne peut demander le réexamen d’une révision de l’origine faite aux termes de l’article 59 :

60.(1) Toute personne avisée en application du paragraphe 59(2) peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de l’avis et après avoir versé tous droits et intérêts dus sur des marchandises ou avoir donné la garantie, jugée satisfaisante par le ministre, du versement du montant de ces droits et intérêts, demander la révision ou le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane, ou d’une décision sur la conformité des marques.

[...]

(4) Sur réception de la demande prévue au présent article, le président procède sans délai à l’une des interventions suivantes :

a) la révision ou le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane;

[...]

(5) Le président donne avis au demandeur, sans délai, de la décision qu’il a prise en application du paragraphe (4), motifs à l’appui.

[Nos italiques]

  1. Le 16 avril 2012, Cargill a demandé un tel réexamen de la détermination de l’origine faite aux termes de l’article 59. Cette demande a donné lieu à la décision de l’ASFC du 4 février 2013, rendue aux termes de l’article 60, dans laquelle l’ASFC a conclu que « [...] la décision rendue aux termes de l’article 59 demeurera inchangée »[25] [traduction].
  2. Le Tribunal constate que l’ASFC indique dans sa lettre du 10 février 2010 communiquant sa décision aux termes de l’article 59 que les marchandises en cause ont « [d]éjà fait l’objet d’une décision »[26] [traduction], faisant vraisemblablement référence à sa décision anticipée sur l’origine fournie à Cargill à l’égard de marchandises essentiellement identiques aux marchandises en cause. En résumé, il semble que l’ASFC se soit appuyée sur la décision anticipée pour rendre sa décision aux termes de l’article 59 selon laquelle les marchandises en cause ne sont pas des produits originaires et que, par conséquent, elles ne peuvent bénéficier du tarif préférentiel en vertu de l’ALÉNA.
  3. Cargill a raison d’affirmer qu’une décision anticipée sur l’origine s’applique prospectivement aux importations faites après la date de la décision. À cet égard, l’alinéa 43.1(1)a) de la Loi prévoit ce qui suit :

43.1(1) L’agent chargé par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, de l’application du présent article est tenu [...] de rendre, avant l’importation de marchandises, une décision anticipée :

asur l’origine des marchandises et l’application à leur égard du traitement tarifaire préférentiel découlant d’un accord de libre-échange;

[Nos italiques]

  1. Étant donné que, en vertu de la loi, les décisions anticipées s’appliquent uniquement de façon prospective et étant donné que la décision anticipée en cause a été rendue après l’importation des marchandises en cause, cette décision ne pouvait constituer un motif valable à l’appui de la prétendue révision de l’origine de ces marchandises faite aux termes de l’article 59.
  2. Il s’ensuit, par implication nécessaire, que la décision de l’ASFC aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, selon laquelle « [...] la décision rendue aux termes de l’article 59 demeurera inchangée »[27] [traduction], était elle-même fondamentalement viciée.

Détermination de novo de l’origine

  1. Comme expliqué ci-dessus, les appels devant le Tribunal sont une procédure de novo[28]. Par conséquent, le Tribunal est autorisé à examiner tous les éléments de preuve versés au dossier afin de rendre la bonne décision.
  2. Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve indiquent que les marchandises en cause ne donnent pas droit, en fait ou en droit, au bénéfice du tarif préférentiel à titre de produits originaires en vertu de l’ALÉNA. Les considérations motivant cette conclusion sont examinées ci-dessous.

Défaut de Cargill de soumettre des éléments de preuve de l’origine dans le cadre de l’ALÉNA

  1. Comme mentionné précédemment, Cargill n’allègue pas que les marchandises en cause sont effectivement originaires du territoire d’un pays membre de l’ALÉNA et n’a soumis aucun élément de preuve le démontrant. En effet, lorsqu’elle s’est fait demander à l’audience si des éléments de preuve démontrant que les marchandises en cause pouvaient bénéficier du tarif préférentiel avaient été fournis par Cargill à l’ASFC pendant la vérification ou la révision aux termes de l’article 60, Mme Gledhill a reconnu qu’aucun élément de preuve n’avait été fourni[29].

Réponse de Cargill aux lettres de vérification de l’ASFC

  1. Comme mentionné précédemment, l’alinéa 42.1(1)a) de la Loi autorise un agent dûment désigné de l’ASFC à effectuer une vérification de l’origine des marchandises pour lesquelles un traitement tarifaire préférentiel est demandé aux termes de l’ALÉNA.
  2. À cet égard, l’article 2 du Règlement sur la vérification de l’origine des marchandises (ALÉNA et ALÉCC) prévoit ce qui suit :

2. Outre la visite de vérification, l’agent peut effectuer la vérification de l’origine de marchandises par l’examen :

a) d’un questionnaire de vérification rempli, selon le cas :

(i) par l’exportateur ou le producteur des marchandises,

(ii) par le producteur ou le fournisseur d’une matière utilisée dans la production des marchandises;

bde la réponse écrite de l’une des personnes visées à l’alinéa a) à une lettre de vérification;

c) d’autres renseignements reçus de l’une des personnes visées à l’alinéa a).

[Nos italiques]

  1. Dans une lettre datée du 15 septembre 2009, l’ASFC a informé Cargill qu’elle vérifiait si les marchandises en cause pouvaient bénéficier du tarif préférentiel en vertu de l’ALÉNA pour l’année civile 2008. Pour l’aider à effectuer cette vérification, l’ASFC a demandé à Cargill de remplir le questionnaire joint à sa lettre (soit une « Fiche de renseignements visant à déterminer l’origine en vertu de l’ALÉNA » [traduction]) et de le lui retourner au plus tard le 30 septembre 2009. L’ASFC a également fourni une copie du certificat d’origine que Cargill avait fourni à l’importateur, qui indiquait que les marchandises en cause étaient des produits originaires en vertu de l’ALÉNA[30].
  2. Cargill ayant omis de répondre à sa première lettre de vérification, l’ASFC lui a envoyé une deuxième lettre le 22 octobre 2009, dans laquelle elle demandait à nouveau à Cargill de remplir la fiche de renseignements jointe à sa lettre en lui accordant un nouveau délai, soit jusqu’au 5 novembre 2009.
  3. Ce n’est que le 22 décembre 2009 que Cargill a répondu à la deuxième lettre de l’ASFC. Dans sa réponse, Cargill n’a pas allégué que les marchandises en cause étaient originaires du territoire d’un pays membre de l’ALÉNA et n’a soumis aucun élément de preuve le démontrant. Au contraire, elle a admis que « [...] [les marchandises en cause] sont classées dans le numéro tarifaire 1517.90.99.00 et ne remplissent pas les conditions requises pour l’ALÉNA selon le classement tarifaire anticipé et la décision en vertu de l’ALÉNA SRT 235526 datée du 23 mars 2009 (copie ci-jointe) » [traduction], ajoutant, à ce sujet, que « [l]e certificat que vous révisez est inexact [...] » [traduction][31].
  4. De l’avis du Tribunal, bien que la prétendue révision de l’origine des marchandises en cause faite par l’ASFC aux termes de l’article 59 de la Loi semble avoir été fondée sur la décision anticipée ultérieure, Cargill a explicitement reconnu dans sa réponse à la deuxième lettre de vérification de l’ASFC que les marchandises en cause ne sont pas des produits originaires en vertu de l’ALÉNA et que le certificat d’origine qui avait été délivré relativement à ces marchandises était inexact. Que Cargill reconnaisse ce fait en faisant explicitement référence à la décision anticipée, qui était jointe à sa lettre et en faisait partie, constitue une reconnaissance implicite de sa part que les marchandises en cause étaient, pour les fins de détermination de l’origine, de même description que les autres marchandises auxquelles la décision anticipée s’appliquait et que l’application du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA)[32] aux marchandises en cause mènerait inévitablement à un résultat en accord avec la décision anticipée en ce qui a trait à l’origine.
  5. Le Tribunal est d’avis que l’ASFC, en rendant sa décision aux termes de l’article 59, était parfaitement en droit, conformément à l’alinéa 2b) du Règlement sur la vérification de l’origine des marchandises (ALÉNA et ALÉCC), de se fonder sur la reconnaissance du statut non originaire des marchandises en cause que contenait la réponse du 22 décembre 2009 de Cargill à la lettre de vérification de l’ASFC. Que cette reconnaissance ait été fondée sur la nature identique des marchandises en cause à d’autres marchandises, dont l’origine et le traitement tarifaire avaient déjà fait l’objet d’une décision à l’occasion d’une décision anticipée ultérieure, ne remet pas en cause, de l’avis du Tribunal, la pertinence de la reconnaissance ni le droit de l’ASFC de s’appuyer sur celle-ci.

Certificat d’origine inexact de Cargill

  1. Une condition préalable pour que des marchandises importées puissent bénéficier du tarif préférentiel en vertu de l’ALÉNA est la justification de l’origine. À cet égard, le paragraphe 35.1(1) de la Loi prévoit que « [...] l’origine de toutes les marchandises importées est justifiée en la forme [...] avec les renseignements, déclarations et justificatifs [...] » de l’importateur ou du propriétaire des marchandises.
  2. Le paragraphe 6(1) du Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées[33] prévoit plus précisément ce qui suit : « [...] lorsque le bénéfice du traitement tarifaire préférentiel de l’ALÉNA [...] est demandé pour des marchandises, leur importateur ou leur propriétaire doit fournir à l’agent, à titre de justification de l’origine pour l’application de l’article 35.1 de la Loi [sur les douanes] [...] un certificat d’origine de ces marchandises [...]. »
  3. Le certificat d’origine du 29 avril 2008 visant les marchandises en cause, attesté par un représentant autorisé de Cargill, indiquait les États-Unis comme pays d’origine[34].
  4. Selon l’article 40 de la Loi, les importateurs, ou toute personne qui « [...] fait importer des marchandises en vue de leur vente [...] », sont tenus de conserver les documents relatifs à ces marchandises, tandis que les articles 40 et 43 exigent que ces documents soient communiqués ou fournis à l’ASFC à sa demande.
  5. À cet égard, le certificat d’origine de Cargill visant les marchandises en cause comportait les engagements suivants :

JE CONVIENS DE CONSERVER ET DE PRODUIRE SUR DEMANDE LES DOCUMENTS NÉCESSAIRES À L’APPUI DU CERTIFICAT ET D’INFORMER, PAR ÉCRIT, TOUTE PERSONNE À QUI IL A ÉTÉ REMIS, DES CHANGEMENTS QUI POURRAIENT INFLUER SUR SON EXACTITUDE OU SA VALIDITÉ[35].

  1. Dans sa plaidoirie devant le Tribunal, le conseiller juridique de Cargill a admis l’existence de ces engagements. Cargill a également reconnu que l’ASFC aurait pu révoquer le traitement tarifaire préférentiel en vertu de l’ALÉNA simplement en raison d’un manquement à ces obligations[36].
  2. À cet égard, Mme Gledhill a déclaré que Cargill n’avait fourni aucun document ni aucun autre élément de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle les marchandises en cause étaient originaires des États-Unis et qu’elle n’avait pas non plus examiné les données sur l’importation des marchandises ni n’en avait connaissance[37]. De l’avis du Tribunal, cette absence de connaissance ne libère pas Cargill de son obligation de corriger immédiatement les erreurs relatives à l’origine puisque l’ASFC est en droit de présumer qu’un dirigeant attestant l’origine de marchandises dans le cadre de l’ALÉNA s’est dûment renseigné et atteste leur origine en vertu d’une connaissance réelle.
  3. Ayant examiné les éléments de preuve au dossier dans le cadre de son examen de novo de la question, le Tribunal conclut qu’il n’y a aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle les marchandises en cause sont des produits originaires en vertu de l’ALÉNA. En effet, Cargill a) a admis qu’elle n’a pas allégué que les marchandises en cause étaient originaires du territoire d’un pays membre de l’ALÉNA et n’a soumis aucun élément de preuve le démontrant, b) a reconnu, dans sa lettre du 22 décembre 2009 à l’ASFC, que les marchandises en cause, qui étaient identiques à celles qui étaient visées par la décision anticipée ultérieure, ne pouvaient bénéficier du tarif préférentiel en vertu de l’ALÉNA et c) a admis que le certificat d’origine délivré relativement aux marchandises était inexact, bien que l’erreur n’ait jamais été signalée.

CONCLUSION

  1. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne sont pas des produits originaires en vertu de l’ALÉNA et que, par conséquent, elles ne peuvent bénéficier du tarif préférentiel en vertu de l’ALÉNA.
  2. La décision de l’ASFC aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi est annulée et est remplacée par la constatation du Tribunal, aux termes du paragraphe 67(3), selon laquelle les marchandises en cause ne sont pas des produits originaires en vertu de l’ALÉNA et que, par conséquent, elles ne peuvent bénéficier du tarif préférentiel en vertu de l’ALÉNA.

DÉCISION

  1. L’appel est rejeté.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     Dans son mémoire, l’ASFC a correctement indiqué le numéro tarifaire 1517.90.99, mais a inclus par erreur une description erronée des marchandises.

[4].     Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[5].     Pièce AP-2012-070-21A, onglet B-7, vol. 1A.

[6].     Mme Heather Gledhill a déclaré que la lettre a été envoyée aux installations de Cargill aux États-Unis et qu’elle ne l’a donc reçue qu’après l’échéance qui y était indiquée. Voir Transcription de l’audience publique, 27 mars 2014, aux pp. 18-19.

[7].     D.O.R.S./98-52.

[8].     D.O.R.S./97-333.

[9].     Transcription de l’audience publique, 27 mars 2014, aux pp. 23-24, 28, 35-36.

[10].   Ibid. aux pp. 37-38.

[11].   Ibid. aux pp. 61-62.

[12].   Pièce AP-2012-070-04A au par. 17, vol. 1.

[13].   Ibid. au par. 20.

[14].   Ibid. au par. 32.

[15].   Pièce AP-2012-070-12 au par. 24, vol. 1A.

[16].   Ibid. au par. 25.

[17].   Ibid. au par. 12.

[18].   L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

[19].   Toyota Tsusho America, Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 avril 2011), AP‑2010-063 (TCCE) au par. 8.

[20].   [2008] 1 R.C.S. 190.

[21].   Ibid. au par. 29.

[22].   Ibid. au par. 59.

[23].   Le paragraphe 68(2) de la Loi prévoit ce qui suit : « La Cour d’appel fédérale peut statuer sur le recours, selon la nature de l’espèce, par ordonnance ou constatation, ou renvoyer l’affaire au Tribunal canadien du commerce extérieur pour une nouvelle audience.”

[24].   Pièce AP-2012-070-21A, onglet A au par. 70, vol. 1A.

[25].   Ibid., onglet B-15.

[26].   Pièce AP-2012-070-04A, onglet 4, vol. 1.

[27].   Pièce AP-2012-070-21A, onglet 15, vol. 1A.

[28].   Toyota Tsusho America, Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 avril 2011), AP‑2010-063 (TCCE) au par. 8.

[29].   Transcription de l’audience publique, 27 mars 2014, aux pp. 23-24, 28, 35-36.

[30].   Pièce AP-2012-070-21A, onglet B-7, vol. 1A.

[31].   Ibid., onglet B-1.

[32].   D.O.R.S./94-14.

[33].   D.O.R.S./98-52.

[34].   Pièce AP-2012-070-21A, onglet B-6, vol. 1A.

[35].   Ibid.

[36].   Transcription de l’audience publique, 27 mars 2014, aux pp. 98-99.

[37].   Ibid. aux pp. 23-24, 28, 32, 35-36.