IKEA SUPPLY AG

IKEA SUPPLY AG
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2013-053

Décision et motifs rendus
le jeudi 18 septembre 2014

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 12 juin 2014 aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 23 septembre 2013 aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

IKEA SUPPLY AG Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Ann Penner
Ann Penner
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 12 juin 2014

Membre du Tribunal : Ann Penner, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Carrie Vanderveen

Stagiaire en droit : Cassandra Baker

Agent du greffe : Ekaterina Pavlova

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

IKEA Supply AG

Jean-Marc Clément

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Agnieszka Zagorska

TÉMOIN :

Anna Furtado
Directrice nationale des ventes
IKEA Canada

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : secretaire@tcce-citt.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

  1. Le présent appel a été interjeté par IKEA Supply AG (IKEA) le 11 décembre 2013, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard d’un réexamen par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada aux termes du paragraphe 60(4).
  2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si des chaises pivotantes KARSTEN (les marchandises en cause) sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9401.30.10 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre de sièges pivotants, ajustables en hauteur, pour usages domestiques, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 9401.30.90 à titre d’autres sièges pivotants, ajustables en hauteur, comme le soutient IKEA.

MARCHANDISES EN CAUSE

  1. Les marchandises en cause sont des chaises pivotantes composées d’un siège en contreplaqué recouvert d’une mousse de polyuréthane et d’un revêtement en polyester/coton, d’un dossier en acier recouvert d’un tissu à mailles en polyester et d’une base en plastique polyamide renforcé en forme d’étoile munie de roulettes[3]. Elles disposent de mécanismes d’ajustement qui permettent de régler leur hauteur et de les faire incliner et pivoter[4].

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Le ou vers le 7 octobre 2010, IKEA a importé les marchandises en cause, qui ont été classées dans le numéro tarifaire 9401.30.10 à titre de sièges pivotants, ajustables en hauteur, pour usages domestiques. Le ou vers le 1er février 2012, IKEA a déposé une demande aux termes de l’alinéa 74(1)e) de la Loi pour que les marchandises en cause soient classées dans le numéro tarifaire 9401.30.90 à titre d’autres sièges pivotants, ajustables en hauteur[5].
  2. Le 28 mai 2012, l’ASFC a révisé le classement des marchandises en cause pour les classer dans le numéro tarifaire 9401.30.10 à titre de sièges pivotants, ajustables en hauteur, pour usages domestiques[6].
  3. Le ou vers le 24 août 2012, IKEA a demandé à l’ASFC de procéder à un réexamen. L’ASFC a procédé à un réexamen et confirmé le classement le 31 juillet 2013. Son réexamen a été réaffirmé le 23 septembre 2013 dans la décision définitive de l’ASFC[7].
  4. Le 11 décembre 2013, IKEA a interjeté appel de la décision définitive de l’ASFC auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal).
  5. Le Tribunal a tenu une audience publique le 12 juin 2014. IKEA a fait entendre un témoin, Mme Anna Furtado, directrice nationale des ventes chez IKEA Canada.

CADRE LÉGISLATIF

  1. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[8]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.
  2. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[9] et les Règles canadiennes[10] énoncées à l’annexe.
  3. Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.
  4. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[11] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[12] publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[13].
  5. Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à déterminer la sous-position et le numéro tarifaire qui conviennent, par application de la règle 6 des Règles générales dans le cas de la sous‑position et des Règles canadiennes dans le cas du numéro tarifaire.

CLASSEMENT TARIFAIRE EN CAUSE

  1. Les numéros tarifaires 9401.30.10 et 9401.30.90 prévoient ce qui suit :

Chapitre 94

MEUBLES; MOBILIER MÉDICO-CHIRURGICAL; ARTICLES DE LITERIE ET SIMILAIRES; APPAREILS D’ÉCLAIRAGE NON DÉNOMMÉS NI COMPRIS AILLEURS; LAMPES-RÉCLAMES, ENSEIGNES LUMINEUSES, PLAQUES INDICATRICES LUMINEUSES ET ARTICLES SIMILAIRES; CONSTRUCTIONS PRÉFABRIQUÉES

[...]

94.01 Sièges (à l’exclusion de ceux du no 94.02), même transformables en lits, et leurs parties.

[...]

9401.30 -Sièges pivotants, ajustables en hauteur

9401.30.10 - - -Pour usages domestiques

10 - - - - -En métal

90 - - - - -Autres

9401.30.90 - - -Autres

10 - - - - -En métal

90 - - - - -Autres

  1. Il n’y a aucune note de section ou de chapitre pertinente. Puisque le litige en l’espèce ne concerne que le classement approprié au niveau du numéro tarifaire, l’article 11 du Tarif des douanes ne s’applique pas. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de tenir compte des Avis de classement ni des Notes explicatives de l’OMD.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Les parties conviennent que les marchandises en cause sont correctement classées dans la sous‑position no 9401.30 à titre de sièges pivotants, ajustables en hauteur. Le Tribunal ne voit aucune raison d’en arriver à une autre conclusion. Par conséquent, la seule question en litige entre les parties est celle de savoir si les marchandises en cause sont des sièges pivotants « pour usages domestiques » du numéro tarifaire 9401.30.10, comme l’a déterminé l’ASFC, ou d’« autres » sièges pivotants du numéro tarifaire 9401.30.90, comme le soutient IKEA.
  2. Conformément à la décision du Tribunal dans Alliance Ro-Na Home Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada[14], le critère approprié pour déterminer si les marchandises en cause sont « pour usages domestiques » est de savoir si les marchandises doivent surtout servir à des usages domestiques ou en tant qu’articles de ménage[15]. En effet, le Tribunal a conclu que c’est l’utilisation prévue des marchandises et non celle qui en est fait qui compte, étant donné que l’expression « pour usages domestiques » ne constitue pas une disposition visant l’utilisation finale[16].
  3. Par conséquent, pour qu’IKEA s’acquitte de son fardeau de preuve, elle doit démontrer que les marchandises en cause ne doivent pas surtout servir à des usages domestiques ou en tant qu’articles de ménage. Contrairement aux arguments soulevés par l’ASFC[17], IKEA peut s’acquitter de ce fardeau de preuve de deux façons : elle peut démontrer que les marchandises en cause ont été conçues à la fois pour des usages domestiques et pour d’autres usages ou qu’elles doivent surtout servir à d’autres usages (par exemple des usages professionnels). Le Tribunal n’a jamais accepté comme élément de preuve une simple utilisation occasionnelle ou potentielle dans un cadre autre que domestique pour permettre à une partie requérante de s’acquitter de son fardeau de prouver que les marchandises ne doivent pas surtout servir à des usages domestiques[18].
  4. La question de savoir si les marchandises en cause sont pour usages domestiques est une question mixte de droit et de fait et variera selon les faits de chaque cause[19]. Comme dans des causes antérieures, le Tribunal examinera des facteurs comme la conception, les caractéristiques, la commercialisation et le prix des marchandises en cause pour déterminer leur classement tarifaire approprié[20]. Le Tribunal examinera chacun de ces facteurs séparément.

Conception et caractéristiques

  1. L’ASFC s’est appuyée sur les différences entre les chaises « approuvées pour usage professionnel » et les marchandises en cause pour soutenir que les marchandises en cause doivent surtout servir à des usages « domestiques »[21]. Plus particulièrement, elle souligne que les marchandises en cause ne sont pas spécialement conçues pour des périodes d’utilisation prolongées, qu’elles ne sont pas conformes à certaines normes industrielles élevées[22] en que ce qui a trait à l’ergonomie, à la stabilité, à la résistance, à la durabilité et aux dimensions et qu’elles ne sont pas vendues avec une garantie de 10 ans contre les vices de matériaux et de qualité d’exécution, et en conclut que les marchandises en cause doivent surtout servir à des usages domestiques par opposition à d’« autres » usages (professionnels) connexes[23]. De plus, l’ASFC allègue que, puisque les marchandises en cause ne sont assorties que de deux mécanismes de réglage, elles peuvent être distinguées des modèles « approuvés pour usage professionnel », qui ont plusieurs fonctions de réglage[24].
  2. IKEA soutient que les marchandises en cause ont été intentionnellement conçues comme « chaises de bureau » pouvant servir tant dans un cadre domestique que dans un autre cadre[25]. IKEA souligne plusieurs caractéristiques physiques qui, selon elle, démontrent que les marchandises en cause ont été conçues pour répondre aux besoins de clients dans un milieu professionnel. Elles comprennent un mécanisme de réglage rapide de la hauteur, un mécanisme d’inclinaison avec contrôle de la tension, des roulettes et un dossier recouvert d’un tissu à mailles[26]. De plus, elle souligne que les chaises ayant ces caractéristiques intentionnelles, bien qu’elles ne soient pas nécessaires, peuvent également servir dans un cadre domestique[27].
  3. Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve démontrent qu’IKEA a intentionnellement conçu les marchandises en cause surtout comme « chaises de bureau », au-delà de toute autre considération. Par conséquent, leurs caractéristiques et leur conception intentionnelles permettent aux clients d’IKEA de s’en servir pour plusieurs usages, tant dans un cadre domestique que professionnel (par exemple pour travailler à un ordinateur, écrire des notes, s’asseoir à une table de conférence, faire des devoirs, etc.)[28]. Mme Furtado a déclaré que les roulettes et le mécanisme de réglage de la hauteur étaient des caractéristiques absolument essentielles d’une chaise utilisée pour accomplir diverses tâches dans un bureau[29]. Les roulettes permettent de déplacer facilement la chaise tout en effectuant diverses tâches à un bureau ou d’une pièce à l’autre[30], et le mécanisme de réglage de la hauteur permet à différentes personnes d’utiliser la chaise dans un cadre professionnel[31].
  4. En outre, même si les marchandises en cause ne sont pas conçues pour des périodes d’utilisation prolongées et ne sont pas conformes aux mêmes normes industrielles que certaines autres « chaises de bureau » d’IKEA, le Tribunal est d’avis qu’elles ont été conçues pour plus qu’une simple utilisation « accessoire » ou « occasionnelle » dans un cadre professionnel. Certaines caractéristiques, comme le mécanisme d’inclinaison et le dossier recouvert d’un tissu à mailles, ont été incluses pour rendre les chaises plus confortables lors de périodes d’utilisation prolongées, car elles permettent à l’utilisateur de s’étirer et de chasser la fatigue liée à la position assise et offrent une meilleure aération[32].
  5. Le Tribunal admet également le témoignage de Mme Furtado selon lequel la clientèle d’affaires d’IKEA n’est pas au courant et ne se préoccupe pas du fait que les marchandises en cause ne respectent pas certaines normes industrielles[33]. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que l’absence de conformité à certaines normes industrielles ne prouve aucunement que les marchandises en cause doivent surtout servir à des usages domestiques, comme le soutient l’ASFC.
  6. Pour ces motifs, le Tribunal est d’avis que la conception et les caractéristiques des marchandises en cause indiquent qu’elles peuvent être utilisées tant dans un cadre domestique que dans un autre cadre. En outre, les éléments de preuve portent le Tribunal à conclure que leurs caractéristiques ont été consciemment et intentionnellement conçues pour bien plus que les seuls usages domestiques. En fait, leurs caractéristiques et leur conception portent le Tribunal à estimer qu’il pourrait même aller plus loin dans cette direction, c’est‑à-dire qu’IKEA a peut-être conçu les marchandises en cause de manière à répondre aux besoins de sa clientèle d’affaires d’abord et à ceux de sa clientèle « domestique » ensuite.

Commercialisation

  1. L’ASFC soutient que la manière dont les documents de commercialisation d’IKEA décrivent et regroupent les marchandises en cause appuie sa position selon laquelle elles doivent surtout servir à des usages domestiques[34]. Ces documents affirment que les marchandises en cause sont « approuvées pour usage domestique » [traduction], que leur utilisation est « optimale à la maison » [traduction] et qu’elles sont « sûres, stables et confortables » [traduction], au lieu d’être « approuvées pour usage professionnel » [traduction] respectant des « normes strictes en matière d’ergonomie, de stabilité, de solidité et de durabilité » [traduction] et pouvant « supporter un travail de bureau à plein temps sur de nombreuses années »[35] [traduction]. Les documents de commercialisation classent également les marchandises en cause avec les chaises pour usage domestique plutôt qu’avec les chaises pour usage professionnel. Par exemple, dans le guide d’achat de chaises de bureau 2009-2010 d’IKEA, les marchandises en cause figuraient dans la section « approuvées pour usage domestique »[36], mais ne figuraient pas dans la section « approuvées pour usage professionnel » ni dans la section « Inspiration, meubles de bureau » [traduction] du site Web d’IKEA[37].
  2. IKEA s’est opposée aux arguments de l’ASFC en soutenant que son site Web et ses catalogues étaient conçus pour faire la promotion des marchandises en cause tant auprès des utilisateurs domestiques que les autres utilisateurs[38]. À titre d’exemple, IKEA renvoie à la section « Bureau » [traduction] 2009-2010 de son site Web, où les marchandises en cause étaient incluses dans la gamme complète des « chaises de bureau » offertes. De plus, IKEA souligne que les marchandises en cause étaient présentées comme « le summum des chaises de bureau » [traduction] de cette année-là[39].
  3. Le Tribunal ne peut accepter l’argument de l’ASFC selon lequel la manière dont les documents de commercialisation d’IKEA décrivent et regroupent les marchandises en cause prouve qu’elles doivent surtout servir à des usages domestiques. Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve démontrent clairement qu’IKEA a fait la promotion des marchandises en cause tant auprès de la clientèle domestique que professionnelle en utilisant des descriptions, des caractéristiques et d’autres moyens pour susciter l’intérêt du plus large éventail possible de clients à l’égard de ses produits.
  4. Comme Mme Furtado l’a expliqué, IKEA tente d’attirer un plus grand nombre de clients professionnels et, par conséquent, a élaboré ses documents de commercialisation de façon à répondre aux besoins de ses clients domestiques et de ses clients professionnels[40]. La section « Pour entreprises » du site Web d’IKEA, par exemple, a été conçue pour promouvoir la gamme complète des chaises de bureau, y compris les marchandises en cause, auprès d’une vaste gamme de clients professionnels, et a même présenté les marchandises en cause comme « le summum des chaises de bureau », comme indiqué ci-dessus[41]. Le catalogue d’IKEA, qui présente toute sa gamme de chaises de bureau, y compris les marchandises en cause lorsqu’elles étaient vendues par IKEA, est utilisé pour susciter l’intérêt d’une clientèle « domestique » à l’égard de ses produits[42]. Les présentoirs d’IKEA sont utilisés pour promouvoir les marchandises en cause auprès de clients domestiques et professionnels lorsqu’ils entrent dans les magasins d’IKEA[43].
  5. Le Tribunal est d’avis que l’utilisation de ces divers moyens pour promouvoir les mêmes chaises de bureau, y compris les marchandises en cause, auprès de clients domestiques et professionnels appuie la déclaration de Mme Furtado selon laquelle IKEA souhaitait « [...] clairement démontrer qu’à n’importe quel niveau de prix, vous pouvez choisir la chaise que vous désirez et celle-ci conviendra autant dans un cadre professionnel qu’à la maison »[44] [traduction]. Elle a expliqué qu’il n’avait jamais été prévu que les usages « domestiques » [traduction] et les usages « professionnels » [traduction] s’excluent mutuellement et que l’utilisation d’expressions comme « approuvées pour usage professionnel » et « approuvées pour usage domestique » ne servait qu’à attirer une plus grande clientèle[45].
  6. Enfin, bien que cela ne soit pas déterminant[46], le Tribunal admet la déclaration de Mme Furtado selon laquelle les ventes des marchandises en cause se divisent également entre clients domestiques et clients professionnels[47]. Cela indique que les clients professionnels d’IKEA n’ont pas hésité à acheter les marchandises en cause malgré le fait que les documents de commercialisation d’IKEA mettent l’accent sur leur usage domestique. Plus particulièrement, cela appuie la conclusion du Tribunal selon laquelle la commercialisation d’IKEA vise tant les clients domestiques que les clients d’affaires et, par conséquent, sa conclusion selon laquelle les marchandises en cause sont correctement classées comme étant pour d’« autres » usages, plutôt que « pour usages domestiques ».

Prix

  1. L’ASFC fait remarquer que lorsque les marchandises en cause étaient encore en vente, leur prix était inférieur à celui de la plupart des chaises IKEA « approuvées pour usage professionnel ». Par exemple, elle souligne qu’IKEA vendait les marchandises en cause au prix de 99,99 $, soit un prix correspondant davantage aux prix de sa gamme de chaises « pour usage domestique » (c’est-à-dire entre 29,99 $ et 299,99 $). En revanche, l’ASFC indique que les chaises « approuvées pour usage professionnel » coûtent beaucoup plus cher, soit entre 249,99 $ et 499,99 $. Par conséquent, l’ASFC soutient que les écarts de prix confirment que les marchandises en cause doivent être classées comme étant « pour usages domestiques »[48].
  2. IKEA soutient que le prix n’indique pas si une chaise de bureau a été conçue principalement pour des usages domestiques plutôt que pour d’autres usages. Elle allègue plutôt que le prix ne fait qu’indiquer où une chaise de bureau particulière se situe sur l’échelle de prix d’un détaillant et ses caractéristiques[49].
  3. Le Tribunal est d’accord avec IKEA. Les clients choisissent d’acheter des chaises de bureau en fonction de divers critères, notamment leurs préférences, leur budget et leurs besoins[50]. Ainsi, en concluant que les marchandises en cause doivent surtout servir à des usages domestiques simplement en raison du fait qu’elles coûtent moins cher que les chaises « approuvées pour usage professionnel », l’ASFC ne tient pas compte du fait que plusieurs entreprises choisissent de dépenser moins pour leur mobilier de bureau. En outre, la conclusion de l’ASFC ne tient pas compte de la possibilité que certains clients « domestiques » puissent choisir de dépenser davantage pour une « chaise de bureau » que des clients professionnels en raison de leur budget et pour combler leurs désirs et leurs besoins particuliers.
  4. À cet égard, le Tribunal admet le témoignage de Mme Furtado selon lequel la clientèle de petites entreprises d’IKEA dispose d’un plus petit « porte-monnaie » [traduction] pour acheter des chaises de bureau et que leur principale préoccupation est « la meilleure valeur pour leur argent »[51] [traduction]. Il admet également le témoignage de Mme Furtado selon lequel IKEA a intentionnellement conçu les marchandises en cause comme chaises de bureau de « gamme moyenne » [traduction] (c’est-à-dire de moins de 100 $) possédant moins de fonctions qu’une chaise de bureau plus chère afin de répondre aux besoins et aux budgets de ses clients professionnels et pour s’assurer qu’IKEA demeure concurrentielle avec son principal compétiteur, Bureau en Gros[52].
  5. Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve démontrent qu’IKEA n’a pas conçu les marchandises en cause principalement pour des usages domestiques. Il confirme plutôt qu’IKEA a intentionnellement établit le prix des marchandises en cause dans le but d’attirer une portion des clientèles professionnelles et domestiques afin de pouvoir demeurer concurrentielle face à son rival le plus important sur le marché.

Résumé

  1. En résumé, le Tribunal conclut qu’IKEA s’est acquittée de son fardeau de preuve. La conception et les caractéristiques intentionnelles, la commercialisation et le prix des marchandises en cause confirment qu’IKEA ne les a pas conçues principalement pour des usages domestiques. Même si elles peuvent effectivement être utilisées dans un cadre domestique (et qu’elles le sont), un fait qu’IKEA a confirmé, les marchandises en cause sont conçues comme « chaises de bureau » et répondent de manière équivalente aux besoins et aux demandes de ses clients dans une vaste de gamme d’utilisation professionnelle et/ou domestique.
  2. Par conséquent, le Tribunal conclut que les faits de l’espèce sont très différents de ceux dans Kwality, nonobstant les arguments contraires de l’ASFC[53]. Dans Kwality, l’appelante agissait à titre d’« intermédiaire » entre les fabricants et les plus importants grossistes. Par conséquent, elle n’a pas été en mesure de démontrer l’intention sous-tendant la conception et la commercialisation des marchandises dans cette cause ni leur destination ultime[54]. En revanche, en tant que concepteur, fabricant et détaillant des marchandises en cause, IKEA a clairement démontré l’intention de concevoir et de commercialiser les marchandises tant pour les clients domestiques que pour les autres clients. À titre de détaillant des marchandises en cause, IKEA a également fourni des éléments de preuve concernant leur destination ultime. En outre, les marchandises dans Kwality étaient différentes des marchandises en cause. Dans Kwality, les marchandises comprenaient des sofas, des causeuses et des chaises, qui sont tous considérés comme étant utilisés dans un cadre domestique. En revanche, les marchandises en cause sont des chaises de bureau, intentionnellement conçues et équipées comme telles pour permettre aux clients d’IKEA d’effectuer leur travail tant dans un cadre professionnel que domestique.

DÉCISION

  1. Par conséquent, compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, le Tribunal conclut que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 9401.30.90 à titre d’autres sièges pivotants.
  2. L’appel est admis.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     Pièce AP-2013-053-07A au par. 16, vol. 1; pièce AP-2013-053-09A, onglet 2, vol. 1A.

[4].     Pièce AP-2013-053-07A au par. 17, vol. 1.

[5].     Ibid. aux par. 3-4.

[6].     Ibid. au par. 5.

[7].     Ibid. aux par. 6-9.

[8].     Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[9].     L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[10].   L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[11].   Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003 [Avis de classement].

[12].   Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012 [Notes explicatives].

[13].   Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux paras. 13, 17, où la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. Le Tribunal est d’avis que cette interprétation s’applique également aux avis de classement.

[14].   (25 mai 2004), AP-2003-020 (TCCE).

[15].   Ibid. au par. 10.

[16].   6572243 Canada Ltd. s/n Kwality Imports c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (3 août 2012), AP-2010-068 (TCCE) [Kwality] au par. 47.

[17].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, aux pp. 85-86; pièce AP-2013-053-07A, onglet 2, vol. 1.

[18].   Kwality au par. 45.

[19].   Ibid. au par. 47.

[20].   Ibid.; Curry’s Art Stores c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (29 avril 2013), AP‑2012‑031 (TCCE) au par. 42.

[21].   Pièce AP-2013-053-09A aux par. 22-31, vol. 1A.

[22].   L’ASFC soutient que les marchandises en cause ne sont pas conformes à la norme britannique EN 1335-Test methods for office furniture including swivel chairs ou à la norme américaine ANSI/BIFMA X5.1-2002 Standards for Professional Office Use.

[23].   Pièce AP-2013-053-09A aux par. 23-29, 39, vol. 1A; Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, aux pp. 38-39, 47.

[24].   Pièce AP-2013-053-09A au par. 31, vol. 1A; Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, à la p. 90.

[25].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, aux pp. 72-73.

[26].   Pièce AP-2013-053-07A aux par. 48, 79, vol. 1.

[27].   Ibid. au par. 48.

[28].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, aux pp. 27, 59.

[29].   Ibid. aux pp. 21-22.

[30].   Ibid. à la p. 22.

[31].   Pièce AP-2013-053-07A au par. 49, vol. 1.

[32].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, à la p. 22; pièce AP-2013-053-07A au par. 77, vol. 1.

[33].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, aux pp. 29, 58.

[34]    Pièce AP-2013-053-09A aux par. 32-33, 91, vol. 1A.

[35].   Ibid. aux par. 22-23.

[36].   Ibid. au par. 30, vol. 1A; pièce AP-2013-053-09A, onglet 7 à la p. 56, vol. 1A.

[37].   Pièce AP-2013-053-09A au par. 34, vol. 1A; pièce AP-2013-053-07A, onglet 7, vol. 1.

[38].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, à la p. 74; pièce AP-2013-053-07A aux pp. 58-60, vol. 1.

[39].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, aux pp. 17-18, 25-26, 74-75.

[40].   Ibid. aux pp. 10-11.

[41].   Ibid. aux pp. 25-26.

[42].   Ibid.

[43].   Ibid. aux pp. 25-26, 60.

[44].   Ibid. à la p. 67.

[45].   Ibid. à la p. 65.

[46].   Kwality au par. 43.

[47].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, à la p. 58.

[48].   Pièce AP-2013-053-09A aux par. 40-41, vol. 1A.

[49].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, à la p. 32; pièce AP-2013-053-07A aux par. 56-57, vol. 1.

[50].   Transcription de l’audience publique, 12 juin 2014, aux pp. 28-29.

[51].   Ibid. aux pp. 13, 25, 28.

[52].   Ibid. aux pp. 24-25, 30.

[53].   Pièce AP-2013-053-09A aux par. 43-44, vol. 1A.

[54].   Kwality aux par. 48, 55, 65.