FEDERAL-MOGUL CANADA LIMITED

FEDERAL-MOGUL CANADA LIMITED
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Appel no AP-2012-034

Décision et motifs rendus
le mardi 10 novembre 2015

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 16 septembre 2015 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada les 21 et 27 juin 2012 concernant des demandes de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

FEDERAL-MOGUL CANADA LIMITED Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Ann Penner
Ann Penner
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 16 septembre 2015

Membre du Tribunal : Ann Penner, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Peter Jarosz
Laura Little

Superviseur du greffe par intérim : Haley Raynor

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Federal-Mogul Canada Limited

Richard A. Wagner

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Andrew Gibbs

TÉMOINS :

Brent Nakonechni
Directeur des ventes
Federal-Mogul Canada Limited

Lynn Mayne
Directrice de l’observation commerciale pour l’Amérique du Nord
Federal-Mogul Corporation

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

  1. Il s’agit d’un appel interjeté par Federal-Mogul Canada Limited (F-MC) le 30 août 2012, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard de décisions concernant des demandes de révision de classement tarifaire rendues les 21 et 27 juin 2012 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), conformément au paragraphe 60(4).
  2. Les marchandises en cause consistent en diverses pièces de rechange pour automobiles, notamment des phares, des pompes à essence et des pièces pour pompes à essence, des roulements à billes, des pièces électriques, des essuie-glaces et des pièces pour essuie-glaces, des pièces de suspension, des pièces de direction, des joints d’étanchéité, des pièces de moteur ainsi que des freins et des pièces pour freins. Les marchandises en cause sont utilisées dans la réparation d’automobiles, de véhicules utilitaires légers et de véhicules commerciaux.
  3. Le Tribunal doit déterminer si les marchandises en cause, en plus d’être classées dans différents numéros tarifaires des chapitres 1 à 97 de l’annexe du Tarif des douanes[2], peuvent aussi être classées dans le numéro tarifaire 9903.00.00 à titre d’articles et matières qui entrent dans le coût de fabrication ou de réparation ou qui servent à la fabrication ou à la réparation de châssis, y compris de pièces et d’accessoires, et par conséquent bénéficier de la franchise de droits.

CONTEXTE

  1. Les marchandises en cause ont été importées au Canada du 1er janvier 2009 au 21 septembre 2011.
  2. Le 20 septembre 2010, l’ASFC a informé F-MC qu’elle effectuait une vérification de l’observation commerciale conformément à l’article 42 de la Loi[3].
  3. Le 15 juin 2011, l’ASFC a rendu sa décision définitive au terme de la vérification de l’observation commerciale, conformément à l’article 59 de la Loi. Elle a conclu que les marchandises en cause importées du 1er janvier au 31 décembre 2009 ne pouvaient bénéficier de la franchise de droits prévue au titre du numéro tarifaire 9903.00.00. L’ASFC a donc demandé à F-MC d’effectuer des corrections pour toutes les transactions concernant ces marchandises ayant eu lieu entre le 1er janvier 2009 et le 15 juin 2011[4].
  4. Le 19 juin et le 24 octobre 2011, F-MC a présenté des demandes de révision, conformément à l’article 60 de la Loi, au regard des transactions visées par la décision rendue par l’ASFC au terme de la vérification de l’observation commerciale.
  5. Le 20 avril 2012, l’ASFC a rendu des décisions provisoires rejetant les demandes de révision de F‑MC. Les 21 et 27 juin 2012, l’ASFC a rendu des décisions définitives confirmant ses décisions provisoires et indiquant que des sommes étaient dues.
  6. F-MC a déposé le présent appel auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) le 30 août 2012.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Le 25 avril 2013, à la demande de F-MC, et avec l’accord des parties, le Tribunal a consenti à suspendre la procédure en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale à la suite de l’appel interjeté à l’endroit de la décision du Tribunal dans Marmen Énergie Inc. et Marmen Inc. c Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[5], où il était aussi question du numéro tarifaire 9903.00.00.
  2. Le 7 mai 2014, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans Marmen Énergie Inc. c. Canada (Agence des services frontaliers)[6], renvoyant l’affaire au Tribunal. Le Tribunal n’a pas encore rendu sa décision.
  3. Le 2 juillet 2014, le Tribunal a consulté les parties quant à la poursuite de la procédure étant donné la décision de la Cour d’appel fédérale. Le 16 juillet 2014, F-MC a indiqué qu’elle souhaitait que l’appel aille de l’avant. Le Tribunal a donc fixé l’audience au 12 février 2015.
  4. Le 26 novembre 2014, l’ASFC a demandé l’autorisation de modifier son mémoire et de déposer des documents supplémentaires ou de la jurisprudence, le cas échéant, étant donné le temps écoulé depuis le dépôt initial des documents et compte tenu de la décision de la Cour d’appel fédérale. F-MC s’y est partiellement opposée, faisant valoir que, puisque l’ASFC avait consenti à la suspension de la procédure, le temps écoulé ne constituait pas une raison valable pour modifier son mémoire, et que les seules modifications autorisées devaient être celles ayant trait à la décision de la Cour d’appel fédérale.
  5. Le 8 décembre 2014, le Tribunal a accueilli la demande de l’ASFC et a invité les deux parties à réviser leurs mémoires et à déposer des documents supplémentaires ou de la jurisprudence. L’ASFC a déposé un mémoire révisé et des documents supplémentaires le 9 janvier 2015.
  6. Le 9 janvier 2015, F-MC a demandé plus de temps pour déposer un mémoire révisé et, par conséquent, le report de l’audience. L’ASFC s’est opposée à la demande de F-MC.
  7. Le 14 janvier 2015, le Tribunal a accueilli la demande de F-MC et a reporté la date de l’audience au 31 mars 2015. Le 13 février 2015, F-MC a déposé un mémoire substantiellement révisé de même que des documents supplémentaires.
  8. Le 19 mars 2015, le nouveau conseiller juridique de F-MC a demandé que l’audience soit reportée au mois de juin 2015. Le 24 mars 2015, le Tribunal a accueilli cette demande et a fixé la nouvelle date de l’audience au 25 juin 2015.
  9. Le 6 mai 2015, l’ASFC a demandé un nouveau report de l’audience. Le 8 mai 2015, le Tribunal a accueilli la demande de l’ASFC et a fixé la nouvelle date de l’audience au 10 juillet 2015.
  10. Le 15 juin 2015, le Tribunal a demandé aux parties de déposer des observations concernant l’applicabilité d’autres dispositions tarifaires, c’est-à-dire les numéros tarifaires 9961.00.00, 9962.00.00 et 9963.00.00. En réponse, les parties ont demandé le report de l’audience afin d’avoir plus de temps pour préparer les observations demandées. Le Tribunal a accueilli cette demande et a fixé la date de l’audience au 16 septembre 2015. F-MC a déposé les observations demandées et soutient que ces autres dispositions tarifaires ne sont pas applicables[7].
  11. Dix jours avant l’audience, F-MC a demandé l’autorisation de verser de nouvelles pièces au dossier. L’ASFC s’y est opposée, au motif que les pièces n’étaient pas pertinentes et qu’elles auraient dû être déposées en même temps que le mémoire de F-MC. Le Tribunal a autorisé l’ajout des pièces au dossier, soulignant que F-MC avait retenu les services d’un nouveau conseiller juridique qui n’était apparemment pas au courant de l’existence de ces documents lorsque l’ancien conseiller juridique de F-MC avait déposé le mémoire.
  12. L’audience a eu lieu le 15 septembre 2015. F-MC a fait entendre deux témoins : M. Brent Nakonechni, directeur des ventes chez F-MC, et Mme Lynn Mayne, directrice de l’observation commerciale pour l’Amérique du Nord, Federal-Mogul Corporation. L’ASFC n’a fait entendre aucun témoin.

Question de procédure à l’égard de la déclaration écrite sous serment de Mme Mayne

  1. Dans son mémoire, F-MC a présenté une déclaration écrite sous serment de la part de Mme Mayne[8]. Celle-ci soutient que le service à la clientèle de l’ASFC lui a affirmé à plusieurs reprises qu’il était acceptable de classer les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 9903.00.00, comme le confirment les relevés détaillés de rajustement précédemment produits par l’ASFC.
  2. L’ASFC a demandé au Tribunal de retirer du dossier la déclaration sous serment de Mme Mayne. Selon l’ASFC, toute information erronée qui aurait pu être donnée à F-MC par l’ASFC n’est pas pertinente en l’espèce. Subsidiairement, l’ASFC a demandé l’autorisation de contre-interroger Mme Mayne.
  3. Comme il était prévu que Mme Mayne comparaisse à l’audience, le Tribunal a avisé les parties dans une lettre datée du 14 septembre 2015 qu’il laisserait la déclaration sous serment de Mme Mayne au dossier. Cependant, le Tribunal a aussi invité les parties à se concentrer sur les faits et les arguments se rapportant à la classification correcte des marchandises en cause plutôt que sur des affirmations que l’ASFC aurait on non précédemment faites.

CADRE LÉGISLATIF

Tarif des douanes

  1. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[9]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.
  2. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[10] et les Règles canadiennes[11] énoncées à l’annexe.
  3. Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.
  4. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[12] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[13], publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[14].
  5. Le chapitre 99 du Tarif des douanes, qui comprend le numéro tarifaire 9903.00.00, prévoit des dispositions de classement spéciales qui permettent que des marchandises soient importées au Canada en franchise de droits. Puisque aucune des positions du chapitre 99 n’est subdivisée au niveau des sous‑positions ou des numéros tarifaires, il suffit que le Tribunal tienne compte, dans la mesure nécessaire, des règles 1 à 5 des Règles générales pour déterminer si des marchandises peuvent être classées dans ce chapitre[15]. De plus, puisque le Système harmonisé réserve le chapitre 99 à des fins de classement spécial (c’est-à-dire à l’usage exclusif de pays pris individuellement), il n’y a pas d’avis de classement ni de notes explicatives à prendre en compte.

Loi sur les langues officielles

  1. L’article 13 de la Loi sur les langues officielles[16] dispose que les versions anglaise et française des lois fédérales, dont le Tarif des douanes, ont également force de loi.
  2. Lorsqu’il se bute à des différences entre les versions française et anglaise du Tarif des douanes, le Tribunal fait appel à la jurisprudence sur les principes et les mécanismes de l’interprétation bilingue, comme le principe du sens commun[17]. Le Tribunal se conforme aussi à l’utilisation par les cours de l’approche moderne d’interprétation contextuelle des textes législatifs, selon laquelle « [i]l faut [interpréter] les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[18] [nos italiques]. Cette question est abordée plus en détail ci‑après.

Dispositions en cause relatives au classement tarifaire

  1. Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes, soit le numéro tarifaire 9903.00.00 en anglais et en français, sont les suivantes :

Articles et matières qui entrent dans le coût de fabrication ou de réparation des produits suivants, et articles devant servir dans ce qui suit [la clause introductive] :

[...]

Tracteurs actionnés par un moteur à combustion interne, sauf les chariots-tracteurs des types utilisés dans les gares, les tracteurs routiers pour semi-remorques et les tracteurs des types débusqueurs de billes, et godets, bennes, bennes‑preneuses, pelles, grappins, pinces, lames de bouteurs (bulldozers) ou de bouteurs biais (angledozers), scarificateurs, pneumatiques et chambres à air étant utilisés conjointement avec ces tracteurs et pour usage dans la ferme [le sous-alinéa relatif aux tracteurs]; châssis équipés de leur moteur pour ces tracteurs, cabines pour ces tracteurs, et parties et accessoires pour ces tracteurs, autres que pare-chocs et leurs parties, ceintures de sécurité et amortisseurs de suspension [le sous-alinéa relatif aux châssis];

[...]

Articles and materials that enter into the cost of manufacture or repair of the following, and articles for use in the following [the introductory clause]:

. . . 

Tractors powered by an internal combustion engine, not including tractors of the type used on railway station platforms, road tractors for semi‑trailers or tractors of a kind for hauling logs (log skidders), and buckets, shovels, grabs, grips, bulldozer or angledozer blades, scarifiers, pneumatic tires and inner tubes for use therewith and for use on the farm [the tractor subclause]; chassis fitted with engines therefor, cabs therefor, and parts and accessories thereof, other than bumpers and bumper parts, safety seat belts and suspension shock-absorbers [the chassis subclause];

. . . 

[Nos italiques]

POSITION DES PARTIES

Position de F-MC

  1. F-MC fait valoir que l’interprétation pure et simple du numéro tarifaire 9903.00.00 appuie l’inclusion des marchandises en cause dans la catégorie des châssis automobiles. Selon elle, les marchandises en cause sont des « articles et matières qui entrent dans le coût de fabrication ou de réparation » des articles énoncés au sous-alinéa relatif aux châssis ou des « articles devant servir » dans ceux-ci, et qu’elles doivent par conséquent être classées dans ce numéro tarifaire, comme l’a fait l’ASFC en réponse aux différentes demandes de rajustement soumises par F-MC entre 2005 et 2011.
  2. F-MC soutient en outre que le sous-alinéa relatif aux châssis ne se limite pas aux véhicules agricoles, étant donné que les trois parties pertinentes du numéro tarifaire 9903.00.00 (c’est-à-dire la clause introductive, le sous-alinéa relatif aux tracteurs et le sous-alinéa relatif aux châssis) sont séparées par des points-virgules. Selon elle, les points-virgules donnent à chaque partie un sens distinct. Par conséquent, le sous-alinéa relatif aux châssis n’a pas de lien avec le précédent sous-alinéa relatif aux tracteurs, parce que ceux-ci sont séparés par un point-virgule[19].
  3. De même, F-MC fait valoir que le numéro tarifaire 9903.00.00 ne se limite pas aux utilisations agricoles, étant donné l’inclusion d’autres articles tels que les « machines à remplir les bouteilles, devant être utilisées dans l’industrie des boissons » et les « éoliennes », et à la lumière de son interprétation de la décision de la Cour d’appel fédérale[20]. F-MC soutient que le législateur n’avait pas l’intention de restreindre les marchandises énumérées au numéro tarifaire 9903.00.00 aux « articles pour usage agricole, pour usage agro‑industriel ou pour usage à la ferme »[21] [traduction].
  4. F-MC allègue que les versions française et anglaise du numéro tarifaire 9903.00.00 sont incompatibles, même si la version française du sous-alinéa relatif aux châssis précise expressément qu’il est question de châssis « pour ces tracteurs »[22]. En outre, F-MC soutient que les expressions « pour ces tracteurs » et « therefor » n’ont pas de sens commun et que, par conséquent, les règles générales pour l’interprétation des lois doivent être appliquées. Elle allègue qu’il y a incohérence fondamentale entre les deux versions, et que si une version est jugée avoir un sens plus restrictif que l’autre, on ne doit pas nécessairement y accorder plus de poids si cela est incompatible avec l’intention du législateur[23].
  5. À l’audience, F-MC a soutenu que les divergences entre les versions française et anglaise et entre les versions officielle et en ligne de l’annexe du Tarif des douanes sont attribuables à des erreurs de rédaction dans la version officielle et que l’ASFC, dans la version en ligne, a voulu clarifier les dispositions[24].

Position de l’ASFC

  1. L’ASFC soutient que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans le numéro tarifaire 9903.00.00 puisqu’aucun élément de preuve au dossier n’établit que ces marchandises ont un usage agricole.
  2. L’ASFC allègue que le critère de l’usage agricole relatif au numéro tarifaire 9903.00.00 est confirmé par les autres articles qui y figurent, ainsi que par l’historique législatif[25]. Selon elle, cette interprétation retenue par le Tribunal dans Marmen s’applique toujours, même après la décision de la Cour d’appel fédérale[26].
  3. L’ASFC fait également valoir que le sous-alinéa relatif aux châssis concerne uniquement les tracteurs agricoles. Selon elle, le sens ordinaire à donner aux termes « thereof » et « therefor » dans la version anglaise lie le sous-alinéa relatif aux châssis au sous-alinéa relatif aux tracteurs. De plus, selon l’ASFC, le fait que la version française fasse expressément référence à « ces tracteurs » étaye d’autant plus sa position[27].
  4. En effet, selon l’ASFC, les termes « therefor » et « thereof » dans la version anglaise (définis comme signifiant for that et of that, respectivement) font sans équivoque référence à l’expression « ces tracteurs » dans la version française[28]. Ainsi, la seule différence entre les versions anglaise et française réside dans la structure, la clarté et la portée des termes : là où la version anglaise fait appel à des adverbes génériques, la version française utilise des locutions adverbiales spécifiques.
  5. Subsidiairement, l’ASFC soutient que si l’on considère que la version anglaise est ambiguë, cette ambiguïté est dissipée par la version française, qui est plus restrictive, et qui précise ainsi le sens de la version anglaise. Selon elle, les deux versions sont compatibles, et il y a lieu de conclure que le sens commun qui s’en dégage est que les marchandises doivent être utilisées avec des tracteurs.
  6. De plus, dans ses observations écrites, l’ASFC fait valoir que F-MC n’a pas établi que les marchandises en cause « entrent dans le coût de fabrication ou de réparation » de châssis ou dans des « articles devant servir dans » ceux-ci et que, par conséquent, elles ne peuvent être classées dans le numéro tarifaire 9903.00.00.

ANALYSE

  1. Les parties conviennent que la seule question devant être tranchée en l’espèce est celle de savoir si les marchandises en cause peuvent bénéficier d’une franchise de droits conformément au numéro tarifaire 9903.00.00. Les parties conviennent également que, pour trancher cette question, le Tribunal doit uniquement se demander si les marchandises peuvent bénéficier d’un tel traitement en vertu du sous-alinéa relatif aux châssis.
  2. L’analyse du Tribunal visera donc à déterminer si le sous-alinéa relatif aux châssis se limite aux marchandises devant être utilisées dans des tracteurs, à la lumière des versions française et anglaise du numéro tarifaire 9903.00.00.

Le sous-alinéa relatif aux châssis se limite-t-il aux marchandises devant être utilisées dans des tracteurs?

  1. Comme mentionné précédemment, le Tribunal a entendu et reçu des observations détaillées de la part des deux parties concernant la concordance des versions anglaise et française du sous-alinéa relatif aux châssis, étant donné que la version française du numéro tarifaire 9903.00.00 fait explicitement référence aux tracteurs (« châssis équipés de leur moteur pour ces tracteurs », « parties et accessoires pour ces tracteurs »), tandis que la version anglaise ne fait pas référence aux tracteurs, ayant plutôt retenu les termes « therefor » et « thereof ».
  2. En particulier, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les termes anglais « therefor » et « thereof » font référence au sous-alinéa relatif aux châssis ou au sous-alinéa relatif aux tracteurs. Pour trancher cette question, les deux parties font appel aux principes généraux d’interprétation des lois afin de déterminer si le sous-alinéa relatif aux châssis se limite aux marchandises devant être utilisées avec les tracteurs et, de façon plus générale, si le numéro tarifaire 9903.00.00 est assorti d’une exigence d’utilisation agricole qui restreint la portée des marchandises visées par le sous-alinéa relatif aux châssis.
  3. Le Tribunal est d’avis que la divergence des versions française et anglaise du sous-alinéa relatif aux châssis peut être conciliée en inscrivant le sous-alinéa relatif aux châssis dans le contexte plus large du numéro tarifaire 9903.00.00 et, en particulier, de sa structure grammaticale.
  4. Par le passé, le Tribunal a conclu qu’un point-virgule « sépare deux dénominations individuelles et distinctes »[29], à l’instar de ce que fait valoir F-MC, comme mentionné précédemment. Cela dit, le Tribunal tient également compte de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Wolseley Engineered Pipe Group c. Canada (Agence des services frontaliers)[30], selon laquelle le point-virgule ne saurait être considéré comme une pause définitive lorsqu’il sépare deux phrases dont l’une qualifie ou modifie l’autre[31].
  5. Dans le numéro tarifaire 9903.00.00, le point-virgule ne constitue pas une pause définitive. Le Tribunal est plutôt d’avis que la structure du numéro tarifaire doit plutôt être vue comme une série d’alinéas et de sous-alinéas ponctuée par des points-virgules, par souci de cohérence avec son contexte législatif et sa structure grammaticale.
  6. D’ailleurs, les deux parties conviennent que la clause introductive s’applique à tous les éléments séparés par un point-virgule, d’un bout à l’autre du sous-alinéa relatif aux tracteurs et du sous-alinéa relatif aux châssis[32]. Ainsi, les points-virgules ne sauraient être considérés comme des pauses définitives, c’est-à-dire comme des points, contrairement à ce qu’affirme F-MC dans ses observations écrites[33]. Si le point-virgule qui sépare le sous-alinéa relatif aux tracteurs et le sous-alinéa relatif aux châssis devait être considéré comme une pause définitive, alors la clause introductive s’appliquerait uniquement au sous-alinéa relatif aux tracteurs, et non au sous-alinéa relatif aux châssis.
  7. En ce qui a trait au sous-alinéa relatif aux tracteurs et au sous-alinéa relatif aux châssis, le recours à l’article « ces » dans la version française du sous-alinéa relatif aux châssis indique que ce sous-alinéa n’est pas indépendant et qu’il ne peut être interprété qu’à la lumière de ce qui précède. Les adverbes « thereof » et « therefor », dans la version anglaise, peuvent avoir différents sens et peuvent être interprétés comme faisant référence soit au « chassis » (châssis), dans le sous-alinéa relatif aux châssis, soit au « tractor » (tracteur), dans le sous-alinéa relatif aux tracteurs. Étant donné cette ambiguïté, le Tribunal accorde plus de poids à l’interprétation qui correspond à la version française, soit que les termes « thereof » et « therefor », dans la version anglaise, et l’expression « ces tracteurs » lient entre eux le sous-alinéa relatif aux châssis et le sous‑alinéa relatif aux tracteurs. Le fait qu’un point-virgule sépare le sous-alinéa relatif aux châssis du reste de la disposition ne change rien à ce lien.
  8. Si l’on transpose cette analyse aux marchandises en cause, F-MC dit très clairement que celles-ci n’ont qu’une fonction, soit la réparation d’automobiles. En outre, F-MC affirme clairement que les marchandises en cause sont fabriquées, mises en marché et vendues uniquement à cette fin. Par exemple, M. Nakonechni a affirmé que les marchandises en cause peuvent uniquement servir en tant que pièces de rechange pour automobiles et pour camions. De même, les documents relatifs aux produits, joints au mémoire de F-MC, mentionnent à plusieurs reprises que F-MC fournit des pièces de rechange pour automobiles et pour camions de poids léger et moyen.
  9. Par conséquent, à la lumière de ce qui précède et compte tenu de la preuve, le Tribunal conclut que les marchandises en cause servent à la réparation d’automobiles et de camions, et non à la réparation de tracteurs. Elles ne peuvent donc pas être classées dans le numéro tarifaire 9903.00.00.

Divergences entre le Tarif des douanes figurant sur le site Web de l’ASFC et celui publié dans la Gazette du Canada

  1. Incidemment, le Tribunal souhaite revenir sur une question soulevée dans le cadre du présent appel, soit des différences manifestes entre la version de l’annexe du Tarif des douanes (et, en particulier, du numéro tarifaire 9903.00.00) figurant sur le site Web de l’ASFC, d’une part, et la version officielle publiée en 1997 dans la Gazette du Canada, y compris ses modifications, d’autre part[34]. Cette question est d’autant plus importante et pertinente dans une ère où le gouvernement mise sur la diffusion en ligne des renseignements et des documents et où les entreprises se tournent vers les sources d’information en ligne pour se renseigner sur des questions comme le classement tarifaire, comme l’ont souligné les conseillers juridiques des deux parties dans leur plaidoirie[35].
  2. En l’espèce, le témoignage et la preuve documentaire démontrent que F-MC s’est fondée sur une version codifiée du Tarif des douanes (et du numéro tarifaire 9903.00.00) – une version codifiée non officielle que l’ASFC publie sur son site Web à différents moment de l’année[36].
  3. Il ressort également du témoignage et de la preuve que la version codifiée du Tarif des douanes publiée sur le site Web de l’ASFC a changé pendant l’instruction de l’appel. En particulier, dans différentes versions en ligne du numéro tarifaire 9903.00.00, le sous-alinéa relatif aux châssis est séparé du reste de la disposition et figure sur des lignes distinctes plus ou moins espacées[37]. En outre, le premier mot du sous-alinéa relatif aux châssis apparaît en lettres majuscules dans certaines versions, mais pas toutes[38]. À l’opposé, le numéro tarifaire 9903.00.00 constitue invariablement un « bloc » de texte dans la version officielle du Tarif des douanes, qui est publiée dans la Gazette du Canada et dans laquelle les lettres majuscules sont utilisées seulement pour le premier mot du sous-alinéa relatif aux tracteurs. Autrement dit, le premier mot du sous‑alinéa relatif aux châssis n’est jamais en lettres majuscules dans la version officielle[39].
  4. Le Tribunal est d’avis que ces différences sont malheureuses, car elles pouvaient amener le lecteur de la version en ligne de l’annexe du Tarif des douanes à conclure que le sous-alinéa relatif aux châssis est entièrement distinct du sous-alinéa relatif aux tracteurs aux fins du classement tarifaire.
  5. Néanmoins, il est de jurisprudence constante que les déclarations inexactes (de vive voix et par écrit) de l’ASFC ou d’autres ministères ne sont pas pertinentes dans des cas comme celui-ci[40]. Les erreurs typographiques[41] ou les problèmes d’espacement dans la version codifiée du numéro tarifaire 9903.00.00 présentée par l’ASFC sont de simples questions administratives, voire des erreurs introduites lors du téléchargement des documents sur Internet. Le Tribunal n’a pas compétence pour accorder une réparation, parce qu’il n’est pas un tribunal d’équité. Toute préoccupation liée à une iniquité perçue ne change rien au fait que le Tarif des douanes publié dans la Gazette du Canada est le texte faisant autorité pour la prise de décisions.
  6. Cela dit, par souci d’accessibilité, d’équité et de transparence, le Tribunal enjoint l’ASFC à porter une attention particulière au moment où le texte du Tarif des douanes est codifié et affiché sur son site Web, étant donné la mesure dans laquelle les versions électroniques des documents sont utilisées par les intéressés.

RÉSUMÉ

  1. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne peuvent faire l’objet des dispositions de classement spéciales du numéro tarifaire 9903.00.00.

DÉCISION

  1. L’appel est rejeté.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     Pièce AP-2012-034-07A au par. 6, vol. 1.

[4].     Ibid. au par. 6; pièce AP-2012-034-27A, onglet 20, vol. 1E.

[5].     (14 décembre 2012), AP-2011-057 et AP-2011-058 (TCCE) [Marmen].

[6].     2014 CAF 118 (CanLII).

[7].     L’ASFC a avisé le Tribunal qu’elle ne déposerait pas d’observations additionnelles.

[8].     Pièce AP-2012-034-07B, onglet 4, vol. 1A.

[9].     Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[10].   L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[11].   L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[12].   Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003.

[13].   Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012.

[14].   Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, où la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. Le Tribunal est d’avis que cette interprétation s’applique également aux avis de classement.

[15].   La note 1 du chapitre 99 précise toutefois que la règle de spécificité énoncée à la règle 3a) des Règles générales ne s’applique pas aux dispositions du chapitre 99, ce qui reflète le fait que le classement dans les chapitres 1 à 97 et le classement dans le chapitre 99 ne sont pas mutuellement exclusifs.

[16].   L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.).

[17].   Great West Van Conversions Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 novembre 2011), AP‑2010-037 (TCCE) au par. 50.

[18].   Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837 (CSC) au par. 21; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] R.C.S. 601, 2005 CSC 54 (CanLII) au par. 10; R. c. Steele, [2014] 3 R.C.S 138, 2014 CSC 61 (CanLII) au par. 23; BalanceCo c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (3 mai 2013), AP-2012-036 (TCCE) au par. 36, confirmé dans Balanceco Canada c. Canada (Agence des Services Frontaliers), 2014 CAF 132 (CanLII); EMCO Electric International – Electrical Resource International c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (25 juin 2009), AP-2008-010 (TCCE) au par. 29.

[19].   Pièce AP-2012-034-07A au par. 28, vol. 1.

[20].   Ibid. au par. 25.

[21].   Pièce AP-2012-034-32A au par. 61, vol. 1F.

[22].   Pièce AP-2012-034-07A au par. 34, vol. 1.

[23].   Ibid. au par. 41. Voir Bicyclettes (11 mars 2004), MP-2003-001 (TCCE), où le Tribunal a conclu à une incohérence entre les termes, en ce sens que la version française de la Loi sur les mesures spéciales d’importation enjoint le Tribunal à traiter un seul élément pour rendre une décision (« importateur »), alors que la version anglaise l’enjoint à traiter deux éléments (« importer » [importateur] et « in Canada » [au Canada]). Le Tribunal a conclu que le sens devait être compatible avec l’intention du législateur, ce qui appuyait l’inclusion de « au Canada ».

[24].   Transcription de l’audience publique, 16 septembre 2015, à la p. 56.

[25].   Pièce AP-2012-034-27A aux par. 43-55, vol. 1E.

[26].   L’ASFC soutient que la décision de la Cour d’appel fédérale permet cette interprétation du numéro tarifaire 9903.00.00 pour autant que le Tribunal fournisse une explication à cet égard. Transcription de l’audience publique, 16 septembre 2015, à la p. 78.

[27].   Pièce AP-2012-034-27A aux par. 16-29, vol. 1E.

[28].   Ibid. aux par. 24-26.

[29].   Bauer Nike Hockey Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 mai 2006), AP-2005-019 (TCCE); Costco Wholesale Canada Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (29 juillet 2013), AP‑2012-041 et AP-2012-042 (TCCE) au par. 45.

[30].   Wolseley Engineered Pipe Group c. Canada (Agence des services frontaliers), 2011 CAF 138 (CanLII) aux par. 15-18.

[31].   Boss Lubricants c. Sous-M.R.N. (3 septembre 1997), AP-95-276 et AP-95-307 (TCCE) à la p. 3, où le Tribunal a convenu que le point-virgule peut avoir différentes fonctions, selon le contexte législatif et la structure grammaticale.

[32].   Transcription de l’audience publique, 16 septembre 2015, aux pp. 50-51, 79.

[33].   Pièce AP-2012-034-32A au par. 47, vol. 1F.

[34].   Transcription de l’audience publique, 16 septembre 2015, aux pp. 31-33, 36-37; pièce AP-2012-034-07B, onglets 2-3, vol. 1A; pièce AP-2012-034-07C, onglets 29-30, vol. 1B.

[35].   Transcription de l’audience publique, 16 septembre 2015 aux pp. 54, 62, 92.

[36].   Voir par exemple le Tarif des douanes de 2015, http://cbsa-asfc.gc.ca/trade-commerce/tariff-tarif/2015/menu-fra.html.

[37].   Pièce AP-2012-034-07C aux pp. 407 (version du 1er juillet 2005), 413 (version du 1er août 2009), 422 (version du 1er octobre 2012), vol. 1B.

[38].   Pièce AP-2012-034-07C à la p. 418 (version du 1er janvier 2012), vol. 1B.

[39].   Pièce AP-2012-034-09 aux pp. 36-37, vol. 1C.

[40].   Volpak Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (20 janvier 2015), AP-2012-029 (TCCE) au par. 87; Richards Packaging Inc. et Duopac Packaging Inc. c. Sous-M.R.N. (10 février 1999), AP-98-007 et AP-98-010 (TCCE) aux pp. 5-6; Jockey Canada Company c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (20 décembre 2012), AP-2011-008 (TCCE) au par. 292; G. Theriault c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 mars 2013), AP-2012-013 (TCCE) au par. 35.

[41].   Voir par exemple la version anglaise en ligne du 1er juillet 2005 du numéro tarifaire 9903.000, où on peut lire « Binder ot [sic] baler twine » [nos italiques], laquelle erreur a été corrigée dans les versions subséquentes. Pièce AP-2012-034-07C à la p. 406, vol. 1B.