AMD RITMED INC.

AMD RITMED INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appels nos AP-2014-013 et
AP-2014-015

Décision et motifs rendus
le jeudi 24 septembre 2015

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À des appels entendus le 12 mai 2015, aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 21 mai 2014 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

AMD RITMED INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

Les appels sont admis.

Ann Penner
Ann Penner
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 12 mai 2015

Membre du Tribunal : Ann Penner, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Eric Wildhaber
Peter Jarosz

Agent chargé des causes : Cassandra Baker

Agent du greffe : Ekaterina Pavlova

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

AMD Ritmed Inc.

Michael R. Smith
Brenda C. Swick

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Lune Arpin

TÉMOINS :

Ian Levine
Président
AMD Ritmed Inc. & Medicom North America

Dick Erik Zoutman
Chef du personnel
Quinte Health Care

Lydia Renton
Directrice, Hygiène et sécurité au travail
WESA, Division des services professionnels
BluMetric Environmental Inc.

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Les présents appels sont interjetés par AMD Ritmed Inc. (AMD) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard de quatre décisions rendues le 21 mai 2014 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), aux termes du paragraphe 60(4).
  2. Le litige concerne le classement tarifaire de blouses de protection (les marchandises en cause). Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 6210.10.90 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’autres vêtements, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 6210.10.10 à titre de scaphandres de protection devant être utilisés dans l’air empoisonné, comme le soutient AMD.

MARCHANDISES EN CAUSE

  1. Les marchandises en cause sont des blouses de protection conçues pour la protection des patients et des professionnels de la santé. Elles sont à usage unique et jetables, comportent des poignets, des attaches dans le dos et des cordons de serrage pour la taille, le cou et/ou le dos[3].

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. AMD a importé les marchandises en cause entre le 26 juin et le 23 juillet 2013 et les a classées dans le numéro tarifaire 6210.10.90.
  2. AMD a par la suite demandé que les marchandises en cause soient plutôt classées dans le numéro tarifaire 6210.10.10 et a fait une demande de remboursement, conformément à l’article 74 de la Loi. L’ASFC a accepté ces demandes entre le 30 décembre 2013 et le 31 janvier 2014, conformément à l’article 59.
  3. AMD a par la suite demandé de revenir au classement tarifaire initial des marchandises en cause, soit le numéro tarifaire 6210.10.90. Le 21 mai 2014, l’ASFC a accepté cette demande et a rendu quatre décisions classant les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 6210.10.90, conformément au paragraphe 60(4) de la Loi.
  4. Le 12 juin 2014, AMD a interjeté appel auprès du Tribunal à l’égard de la décision du 21 mai 2014 de l’ASFC (appel no AP-2014-013). Le 24 juillet 2014, AMD a à nouveau interjeté appel à l’égard de trois aspects de la décision du 21 mai 2014 de l’ASFC (appel no AP-2014-015). Le 30 juillet 2014, le Tribunal a décidé la jonction des deux procédures. La date de l’audience a été fixée au 12 mai 2015.
  5. Entre le 30 juillet 2014 et le 12 mai 2015, les parties ont déposé plusieurs requêtes concernant diverses questions liées aux appels.
  6. Le 24 avril 2015, l’ASFC a déposé une requête à l’égard du rapport du témoin expert proposé par AMD, le Dr Dick Erik Zoutman. L’ASFC faisait valoir que le rapport du Dr Zoutman devait être exclu du dossier parce qu’il n’était pas suffisamment détaillé et qu’il n’était pas conforme aux dispositions de l’article 22 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4]. Le Tribunal a rejeté la requête de l’ASFC le 5 mai 2015 après avoir conclu que, même si le témoignage n’est pas aussi détaillé qu’il pourrait l’être, il l’est suffisamment pour permettre à l’ASFC et au Tribunal de se faire une idée précise de ce que le Dr Zoutman veut communiquer.
  7. Le 1er mai 2015, l’ASFC a déposé une autre requête demandant l’ajournement de l’audience, étant donné qu’AMD a déposé les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[5] à titre d’observations additionnelles. Selon l’ASFC, elle ne disposait pas de temps suffisant pour réagir à ce qu’elle considérait être de nouveaux arguments de la part d’AMD. Le 5 mai 2015, le Tribunal a rejeté la requête de l’ASFC, mais a exclu du dossier la lettre explicative qu’AMD avait jointe aux Règles générales, au motif que la lettre explicative contenait de nouveaux arguments.
  8. Le 5 mai 2015, AMD a déposé une requête visant à ce que le « recueil de documents » de l’ASFC soit exclu du dossier. Selon l’AMD, le recueil contenait de nombreux documents additionnels que l’ASFC n’avait pas présentés dans son mémoire original ni dans ses mémoires supplémentaires. Dans une lettre datée du 6 mai 2015, l’ASFC s’est justifiée en citant l’alinéa 34(3)a) des Règles comme lui donnant droit de déposer ces documents pas moins de 10 jours avant l’audience. Le 7 mai 2015, le Tribunal a accueilli le « recueil de documents » de l’ASFC pour assurer l’équité de la procédure et avoir accès aux meilleurs éléments de preuve possible. Cependant, le Tribunal a aussi accordé à AMD la possibilité de déposer des répliques à certains documents qui, de l’avis du Tribunal, auraient dû être déposés plus tôt.
  9. Enfin, le 5 mai 2015, AMD a déposé une requête visant à faire exclure du dossier les pièces physiques déposées par l’ASFC. Le Tribunal a rejeté cette requête, soulignant que les pièces avaient été déposées conformément aux Règles et qu’elles pouvaient par conséquent demeurer au dossier.
  10. Le Tribunal a tenu une audience publique le 12 mai 2015.
  11. AMD a proposé le Dr Zoutman, chef du personnel, Quinte Health Care, comme témoin expert en matière de maladies infectieuses et transmissibles, y compris les infections nosocomiales, l’épidémiologie, les virus, les maladies, les risques pour la santé posés par certaines maladies, l’exposition aux virus et aux pathogènes et leurs modes de transmission, l’utilité et l’utilisation de l’équipement de protection personnelle en milieu hospitalier et la prévention et le contrôle des maladies infectieuses en milieu hospitalier. L’ASFC a convenu de l’expertise du Dr Zoutman dans ce domaine lors de l’audience[6] et, compte tenu de la formation et de l’expérience du Dr Zoutman, le Tribunal a décidé de le reconnaître comme expert en la matière[7].
  12. L’ASFC a proposé Mme Lydia Renton, directrice, Hygiène et sécurité au travail, WESA, Division des services professionnels, BluMetric Environmental Inc., en qualité de témoin expert en matière d’hygiène, de santé et de sécurité au travail, y compris en équipement de protection personnelle. Compte tenu de sa formation et de son expérience, le Tribunal a décidé de reconnaître Mme Renton comme experte dans le domaine proposé[8].
  13. M. Ian Levine, président d’AMD Ritmed Inc. et de Medicom North America, a été appelé comme témoin ordinaire par AMD.
  14. Une fois l’audience terminée, le Tribunal a demandé et reçu des observations sur l’applicabilité d’un autre classement tarifaire, le numéro tarifaire 6217.90.10. Les parties ont déposé leurs observations le 23 juin 2015. Les deux parties soutiennent que le numéro tarifaire 6217.90.10 n’est pas applicable aux marchandises en cause parce qu’il concerne des parties de vêtements, alors que les marchandises en cause sont des vêtements complets en eux-mêmes.

CADRE LÉGISLATIF

  1. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[9]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.
  2. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales et les Règles canadiennes[10] énoncées à l’annexe.
  3. Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.
  4. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[11] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[12], publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[13].
  5. Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents. Si les marchandises en cause ne peuvent être classées au niveau de la position par application de la règle 1, le Tribunal doit alors examiner les autres règles[14].
  6. Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle la marchandise en cause doit être classée, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée[15]. La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié[16].

DISPOSITIONS EN CAUSE RELATIVES AU CLASSEMENT TARIFAIRE

  1. Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes sont les suivantes :

Section XI

MATIÈRES TEXTILES ET OUVRAGES EN CES MATIÈRES

[...]

Chapitre 62

VÊTEMENTS ET ACCESSOIRES DU VÊTEMENT, AUTRES QU’EN BONNETERIE

[...]

62.10 Vêtements confectionnés en produits des nos 56.02, 56.03, 59.03, 59.06 ou 59.07.

6210.10 -En produits des nos 56.02 ou 56.03

6210.10.10 - - -Scaphandres de protection, devant être utilisés dans l’air empoisonné

6210.10.90 - - -Autres

Section XI

TEXTILES AND TEXTILE ARTICLES

. . .

Chapter 62

ARTICLES OF APPAREL AND CLOTHING ACCESSORIES,
NOT KNITTED OR CROCHETED

. . .

62.10 Garments, made up of fabrics of heading 56.02, 56.03, 59.03, 59.06 or 59.07.

6210.10 -Of fabrics of heading 56.02 or 56.03

6210.10.10 - - -Protective suits, to be employed in a noxious atmosphere

6210.10.90 - - -Other

POSITION DES PARTIES

  1. AMD fait valoir que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 6210.10.10 à titre de scaphandres de protection devant être employés dans l’air empoisonné et s’appuie sur le fait que les marchandises en cause protègent ceux qui les portent en milieu hospitalier. AMD soutient que les principes appliqués dans la décision Kappler Canada Ltd. v. Sous-M.R.N.[17] doivent s’appliquer en l’espèce.
  2. En revanche, l’ASFC fait valoir que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans le numéro tarifaire 6210.10.10 pour les raisons suivantes : 1) elles ne constituent pas des « scaphandres de protection » en elles-mêmes, mais doivent être combinées à d’autres éléments; 2) le milieu hospitalier n’est pas assimilable à de l’air empoisonné.
  3. Les parties ont aussi présenté des arguments détaillés à l’égard de ce qu’ils soutiennent être une question d’interprétation bilingue, à savoir si l’expression « scaphandre de protection » dans la version française du numéro tarifaire 6210.10.10 est plus restrictive que « protective suit » dans la version anglaise. L’ASFC soutient que les versions française et anglaise ont un sens commun, c’est-à-dire que les termes « protective suit » et « scaphandre » signifient tous deux que les marchandises doivent être conçues pour protéger contre la « contamination »[18] [traduction]. AMD s’oppose à l’application du principe du sens commun et affirme que la simple interprétation du texte est plus appropriée pour le numéro tarifaire en question. Selon AMD, il est possible d’utiliser les définitions ordinaires des dictionnaires pour interpréter les différentes parties de la position tarifaire[19].

ANALYSE

  1. Les parties conviennent que la seule question que doit trancher le Tribunal consiste à déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 6210.10.90 à titre d’autres vêtements ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 6210.10.10 à titre de scaphandres de protection devant être utilisés dans l’air empoisonné.
  2. Le Tribunal se penchera sur cette question en trois étapes : 1) il examinera les principes de l’interprétation bilingue pour tenir compte des différences apparentes entre la version française et la version anglaise du numéro tarifaire en question; 2) il examinera la preuve pour déterminer si les marchandises en cause sont des « scaphandres de protection »/« protective suits »; 3) il examinera la preuve pour déterminer si les marchandises en cause sont utilisées dans l’« air empoisonné »/« noxious atmosphere ».

Principes de l’interprétation bilingue et numéro tarifaire en cause

  1. Comme indiqué ci-dessus, le Tribunal a entendu et reçu des arguments détaillés des deux parties sur le principe de l’interprétation bilingue des lois et la manière de réconcilier certaines parties des versions française et anglaise du numéro tarifaire 6210.10.90, plus particulièrement les expressions « scaphandres de protection » et « protective suits ».
  2. Lorsqu’il se bute à des différences entre la version française et anglaise du Tarif des douanes, le Tribunal fait appel à la jurisprudence sur les principes et les mécanismes de l’interprétation bilingue, comme le principe du sens commun[20]. Le tribunal se conforme aussi à l’utilisation par les cours de l’approche contextuelle moderne de l’interprétation législative en vertu de laquelle « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[21] [nos italiques].
  3. Le Tribunal estime que, malgré une certaine discordance entre les expressions « scaphandres de protection » et « protective suits », il existe un sens commun aux versions anglaise et française du Tarif des douanes. Ce sens commun est plus clair lorsque les termes en cause sont pris dans le contexte général du numéro tarifaire 6210.10.90, soit le contexte voulant qu’ils soient utilisés dans « l’air empoisonné » (« noxious atmosphere »).
  4. Le contexte permet au Tribunal de trancher les arguments des parties sur les différences apparentes entre la version anglaise et la version française du numéro tarifaire 6210.10.90. Notamment, le Tribunal conclut que le texte français comme le texte anglais supposent que les marchandises en cause possèdent les caractéristiques d’un vêtement spécialisé qui couvre le corps et sert à protéger celui qui le porte dans un environnement potentiellement dangereux ou nocif, comme nous y reviendrons ci-dessous.
  5. Par conséquent, le Tribunal doit comparer les éléments de preuve portant sur les caractéristiques des marchandises en cause au moment de leur importation au Canada avec les descriptions des numéros tarifaires en cause pour déterminer lequel s’applique le mieux en l’espèce.

Les marchandises en cause constituent-elles des « scaphandres de protection »/« protective suits »?

  1. Les parties ont déposé en preuve les définitions de dictionnaire suivantes à l’égard de la signification de « scaphandre de protection »/« protective suit » :
  • protective : qui protège[22], qui a pour but de protéger[23] [traduction]
  • suit : ensemble de vêtements ou protection portés à des occasions ou dans des conditions particulières[24]; ensemble de vêtements utilisé pour une occasion ou dans une profession particulière[25] [traduction]
  • scaphandre : vêtement pressurisé et étanche que portent les plongeurs pour travailler sous l’eau et les spationautes à bord de certains vaisseaux spatiaux ou lors de sorties extravéhiculaires[26]
  1. Selon l’ASFC, la traduction anglaise la plus appropriée du mot français « scaphandre » est « diving suit; spacesuit ». Cependant, elle reconnaît en même temps que le terme englobe aussi des vêtements pressurisés (pressurized) et étanches (watertight)[27]. Le Tribunal est du même avis et estime que les termes utilisés dans le numéro tarifaire 6210.10.90 ne comprennent pas uniquement les combinaisons de plongée ou les combinaisons spatiales, mais qu’ils mettent l’accent sur l’aspect protecteur d’un vêtement plutôt que sur la manière dont cette protection est assurée. Ainsi, la nature protectrice d’un « scaphandre de protection »/« protective suit » doit être évaluée au cas par cas selon le type d’environnement en cause et les conditions dans lesquelles le vêtement est porté.
  2. À cet égard, le Tribunal est conscient qu’il existe dans la version française une redondance apparente qui exclut l’interprétation restrictive souhaitée par l’ASFC. De fait, le mot français « scaphandre » évoque nécessairement une forme de protection. Par conséquent, si le mot « scaphandre » avait la signification restreinte que l’ASFC lui prête et se limitait donc aux combinaisons de plongée et aux combinaisons spatiales, les mots « de protection » seraient superflus. Cependant, la version française prend son sens si le mot « scaphandre » est utilisé simplement comme exemple d’un type de vêtement qui couvre et protège une personne dans des conditions ou un environnement particuliers, comme l’évoque l’expression anglaise « protective suit ».
  3. Par conséquent, le Tribunal est d’avis qu’il doit déterminer si les marchandises en cause couvrent et protègent une personne dans des conditions particulières, ce qui en ferait des « scaphandres de protection »/ « protective suits » aux termes du numéro tarifaire 6210.10.90.
  4. Tous les témoins s’accordent sur le fait que les marchandises en cause sont des vêtements conçus et portés d’une manière précise dans un but de protection. Par exemple, dans ses commentaires sur une vidéo au sujet des marchandises en cause, le Dr Zoutman a souligné qu’elles protègent les bras et le corps d’une personne jusqu’à l’endroit où elles sont scellées, à la hauteur du cou, et que les cordons de serrage permettent d’obtenir une couverture optimale[28]. Cet élément est particulièrement évident dans la manière dont les marchandises en cause doivent être enlevées. Le Dr Zoutman a décrit le processus détaillé à suivre pour enlever les marchandises en cause « de manière à les faire glisser du corps vers l’avant pour minimiser le risque d’entrer en contact avec l’extérieur de la blouse, qui a été contaminé »[29] [traduction]. Mme Renton a aussi convenu qu’enlever des marchandises en cause selon la méthode prescrite est un gage additionnel de sécurité[30].
  5. En outre, les deux témoins experts ont affirmé que les marchandises en cause constituent des exemples d’équipement de protection personnelle. Mme Renton a défini un équipement de protection personnelle comme « un vêtement spécial [...] porté [...] en guise de protection contre les matières infectieuses [...], les produits chimiques, les gaz, les vapeurs et autres éléments [...] »[31] [traduction]. Elle a expliqué qu’il existe une grande variété d’équipement de protection personnelle, y compris les marchandises en cause[32]. Le Dr Zoutman a fait référence à des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé selon lesquelles les équipements de protection personnelle, y compris les marchandises en cause, jouent un rôle « crucial » [traduction] pour prévenir la transmission d’infections aux patients, aux visiteurs et aux travailleurs de la santé par le contact ou par voie aérienne[33].
  6. Ainsi, les deux témoins experts s’entendent sur le fait que les marchandises en cause « protègent » [traduction] ceux qui les portent de diverses manières[34]. Le Dr Zoutman a expliqué que les marchandises en cause préviennent la contamination et la contamination croisée entre les patients et les travailleurs de la santé[35]. Même si les marchandises en cause ne sont pas entièrement à l’épreuve des fluides, il soutient qu’ils n’ont pas besoin de l’être dans le milieu hospitalier moyen[36]. Mme Renton était aussi d’avis que les marchandises en cause constituent une barrière qui « protège une partie du corps »[37] [traduction] et offre une protection limitée contre certains dangers, étant donné qu’ils sont faits de matériaux hydrofuges[38].
  7. Cependant, les témoins ont aussi clairement indiqué que les marchandises en cause peuvent offrir une protection additionnelle, ou plus efficace, si elles sont portées en conjonction avec d’autres types d’équipement de protection personnelle, comme des gants, un masque, un couvre-tête et des couvre-chaussures. Par exemple, M. Levine a expliqué que même si les marchandises en question sont vendues individuellement, elles peuvent être utilisées en conjonction avec d’autres produits comme un masque ou des gants[39], selon les besoins particuliers de l’utilisateur.
  8. De même, le Dr Zoutman a souligné que même si les marchandises en cause offrent une certaine protection par elles-mêmes, elles doivent être utilisées avec d’autres types d’équipement de protection personnelle (gants, lunettes de protection, etc.) en vue d’offrir une protection complète aux travailleurs de la santé, selon les risques présentés par certains patients[40]. Mme Renton a aussi indiqué que la protection offerte par les marchandises en cause est limitée aux parties du corps qu’elles recouvrent[41].
  9. En fonction de la preuve, et à la lumière de ce qui suit, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont conformes à la description de « scaphandre de protection » ou de « protective suit » du numéro tarifaire. Lorsqu’ils sont portés comme il se doit et dans certaines conditions, les marchandises en cause offrent une certaine protection, quoique limitée, puisqu’ils couvrent une partie du corps. En ce sens, les marchandises en cause sont comparables à celles dont il était question dans l’affaire Kappler. Même si elles n’offrent pas une protection absolue et universelle, les marchandises en cause offrent bel et bien une protection.

Les marchandises en cause sont-elles utilisées dans l’« air empoisonné »/« noxious atmosphere »

  1. Ayant déterminé que les marchandises en cause constituent des « scaphandres de protection »/ « protective suits », le Tribunal se penchera maintenant sur la question de savoir si elles sont utilisées dans l’« air empoisonné »/« noxious atmosphere ».
  2. Les parties ont déposé les définitions de dictionnaire suivantes en vue de préciser la signification des expressions « air empoisonné » et « noxious atmosphere » :
  • noxious : dangereux, nuisible (vapeurs nocives)[42]; synonymes : empoisonné, mauvais, toxique, néfaste[43] [traduction]
  • atmosphere : l’air dans un lieu particulier, en particulier s’il est déplaisant[44] [traduction]
  • empoisonner : faire mourir, ou mettre en danger de mort, en faisant absorber du poison[45]
  1. En combinant ces définitions, l’ASFC fait valoir que la meilleure traduction de l’expression « air empoisonné » est « air that is poisonous and could be fatal » (air empoisonné qui peut être mortel)[46], alors que, selon AMD, la meilleure traduction est « poisonous air » (air empoisonné)[47].
  2. Selon les trois témoins, les marchandises en cause sont conçues pour être portées dans un environnement précis, c’est-à-dire en milieu hospitalier, et sont donc destinées à cet usage.
  3. Selon M. Levine, les marchandises en cause respectent les lignes directrices établies par l’Agence de la santé publique du Canada pour prévenir la transmission des infections dans les milieux de soins de santé[48]. Elles sont conçues et mises en marché à l’intention particulière des hôpitaux canadiens[49]. Selon le Dr Zoutman, les blouses du même type que les marchandises en cause sont couramment utilisées dans son hôpital et sont conservées, avec d’autres équipements de protection personnelle, « près de la porte de chambre de chaque patient, sans exception »[50] [traduction]. Selon Mme Renton, tous les types d’équipements de protection personnelle sont utilisés dans des endroits particuliers ou dans un but particulier. Elle appuie l’opinion selon laquelle les blouses du même type que les marchandises en cause sont utilisées en milieu hospitalier[51].
  4. Selon le Dr Zoutman, les hôpitaux sont des endroits « dangereux »[52] [traduction], compte tenu de la façon dont des infections graves peuvent être transmises entre les patients et les travailleurs de la santé par voir aérienne ou par contact. Il a présenté des rapports et des témoignages confirmant que de nombreuses infections graves, voire potentiellement mortelles (méningite, grippe, bactérie carnivore, virus respiratoire syncytial, tuberculose, etc.)[53], sont présentes dans les hôpitaux.
  5. Le Dr Zoutman a expliqué aussi que les infections sont transmises par des gouttelettes dans l’air lorsqu’un patient éternue ou tousse. Les gouttelettes peuvent transmettre l’infection par voie aérienne si elles sont inhalées par une autre personne (par exemple un travailleur de la santé) ou par le contact si elles se déposent sur les vêtements d’une personne[54]. Mme Renton a convenu que certaines infections peuvent être transmises par l’air ou par le contact et mettre la santé des personnes en danger.
  6. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclu que le milieu hospitalier est conforme à la signification du terme « air empoisonné » tel que défini par les parties dans les deux langues, étant donné que les infections peuvent être transmises par voie aérienne et peuvent mettre en danger la vie ou la santé. Par ailleurs, comme les éléments de preuve confirment que les marchandises en cause sont destinées à être utilisées dans les hôpitaux (donc dans l’air empoisonné), elles sont conformes à la description du numéro tarifaire 6210.10.10 (« devant être utilisés dans l’air empoisonné »).

RÉSUMÉ

  1. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal juge que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 6210.10.10 à titre de scaphandres de protection devant être utilisés dans l’air empoisonné.

DÉCISION

  1. Les appels sont admis.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     Pièce AP-2014-013-12A, onglet 2, vol. 1.

[4].     D.O.R.S./91-499 [Règles].

[5].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[6].     Transcription de l’audience publique, 12 mai 2015, aux pp. 38-39.

[7].     Ibid. à la p. 50.

[8].     Ibid. à la p. 141.

[9].     Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[10].   L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[11].   Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003.

[12].   Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012.

[13].   Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, où la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. Le Tribunal est d’avis que cette interprétation s’applique également aux avis de classement

[14].   Les règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position.

[15].   La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles ci-dessus [c’est-à-dire les règles 1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[16].   La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

[17].   (26 octobre 1995), AP-94-232 (TCCE) [Kappler]. Dans cette décision, le Tribunal a conclu que des combinaisons utilisées par les personnes procédant au désamiantage étaient des scaphandres de protection devant être utilisés dans l’air empoisonné.

[18].   Transcription de l’audience publique, 12 mai 2015, aux pp. 235-236.

[19].   Pièce AP-2014-013-12A au par. 62, vol. 1.

[20].   Voir par exemple Great West Van Conversions Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 novembre 2011), AP-2010-037 (TCCE) au par. 50.

[21].   Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837 (CSC) au par. 21; Canada Trustco Mortgage Co. c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54 (CanLII) au par. 10; R. c. Steele, 3 R.C.S. 138, 2014 CSC 61 (CanLII) au par. 23; BalanceCo; Emco Electric International - Electrical Resource International c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (25 juin 2009), AP-2008-010 (TCCE) au par. 29.

[22].   Pièce AP-2014-013-12A au par. 62, vol. 1.

[23].   Pièce AP-2014-013-19A au par. 23, vol. 1B.

[24].   Pièce AP-2014-013-12A au par. 62, vol. 1.

[25].   Pièce AP-2014-013-19A au par. 23, vol. 1B.

[26].   Ibid. au par. 24; pièce AP-2014-013-22A au par. 7, vol. 1B.

[27].   Pièce AP-2014-013-19A aux par. 25-26, vol. 1B.

[28].   Transcription de l’audience publique, 12 mai 2015, aux pp. 85-86.

[29].   Ibid. à la p. 89.

[30].   Ibid. à la p. 191.

[31].   Ibid. aux pp. 142-143.

[32].   Ibid. aux pp. 143-144, 148, 180, 198.

[33].   Ibid. à la p. 53.

[34].   Ibid. aux pp. 116, 185.

[35].   Ibid. à la p. 92.

[36].   Ibid. à la p. 113.

[37].   Ibid. à la p. 149.

[38].   Ibid. aux pp. 183, 185, 198; pièce AP-2014-013-36A, onglet A à la p. 4, vol. 1E.

[39].   Transcription de l’audience publique, 12 mai 2015, aux pp. 30-31.

[40].   Ibid. aux pp. 116-118.

[41].   Ibid. à la p. 157.

[42].   Pièce AP-2014-013-19A au par. 33, vol. 1B.

[43].   Pièce AP-2014-013-22A au par. 17, vol. 1B.

[44].   Pièce AP-2014-013-19A au par. 33, vol. 1B.

[45].   Ibid. au par. 34.

[46].   Ibid.

[47].   Pièce AP-2014-013-22A au par. 13, vol. 1B.

[48].   Transcription de l’audience publique, 12 mai 2015, à la p. 23.

[49].   Ibid. aux pp. 31, 35.

[50].   Ibid. à la p. 91.

[51].   Ibid. aux pp. 147, 190, 198.

[52].   Ibid. à la p. 54.

[53].   Ibid. aux pp. 63-64, 70, 78.

[54].   Ibid. aux pp. 56-59; pièce AP-2014-013-35A, onglet 8, vol. 1E.