THE SOURCE (BELL) ELECTRONICS INC.

THE SOURCE (BELL) ELECTRONICS INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Appel no AP-2015-002

Décision et motifs rendus
le mercredi 20 janvier 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 27 octobre 2015, aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 30 janvier 2015, concernant une demande de révision aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

THE SOURCE (BELL) ELECTRONICS INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Peter Burn
Peter Burn
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 27 octobre 2015

Membre du Tribunal : Peter Burn, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Alexandra Pietrzak
Rohan Mathai (stagiaire en droit)

Agent principal du greffe : Lindsay Vincelli

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

The Source (Bell) Electronics Inc.

Michael Sherbo
Andrew Simkins

 

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Sarah Sherhols
Sarah Jiwan

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

RÉSUMÉ

  1. Le présent appel est interjeté par The Source (Bell) Electronics Inc. (The Source) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard d’une décision rendue le 30 janvier 2015 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4).
  2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si deux modèles d’étuis en cuir pour appareils Kindle Touch sont correctement classés dans le numéro tarifaire 4202.91.90 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’autres contenants à surface extérieure en cuir naturel ou en cuir reconstitué, comme l’a déterminé l’ASFC, ou s’ils doivent être classés dans le numéro tarifaire 4205.00.00 à titre d’autres ouvrages en cuir naturel ou reconstitué, comme le soutient The Source.

MARCHANDISES EN CAUSE

  1. Les marchandises en cause sont deux modèles d’étuis[3] en cuir conçus pour le Kindle Touch, appareil portatif utilisé pour lire des livres, des journaux, etc., en version électronique (également connu sous le nom de tablette de lecture)[4]. Les deux modèles des marchandises en cause sont munis d’un plateau intérieur en plastique dans lequel le Kindle Touch est inséré. Le premier modèle est l’étui en cuir pour Kindle Touch (« Kindle Touch Leather Cover »), modèle no 8001916, et le second, l’étui en cuir pour Kindle avec lampe intégrée (« Kindle Leather Cover with Light »), modèle no 2614176[5].
  2. The Source a déposé comme pièces deux exemplaires des marchandises en cause : la pièce A-01, soit l’étui en cuir pour Kindle Touch, et la pièce A-02, soit l’étui en cuir pour Kindle avec lampe intégrée.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Vers le 28 octobre 2013, The Source a demandé que soit rendue une décision anticipée concernant les marchandises en cause, conformément à l’article 43.1 de la Loi. The Source soutenait que les marchandises en cause devaient être classées dans le numéro tarifaire 4205.00.00.
  2. Vers le 16 avril 2014, l’ASFC a rendu une décision anticipée, conformément à l’alinéa 43.1(1)c) de la Loi, dans laquelle elle a déterminé que les marchandises en cause étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 4202.91.90.
  3. Vers le 10 juin 2014, The Source a demandé une révision de la décision anticipée aux termes du paragraphe 60(2) de la Loi.
  4. Le 12 novembre 2014, l’ASFC a rendu une décision provisoire dans laquelle elle a classé les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 4202.91.90.
  5. Le 30 janvier 2015, l’ASFC a rendu une décision définitive, confirmant le classement des marchandises en cause dans le numéro tarifaire 4202.91.90[6].
  6. Le 14 avril 2015, The Source a interjeté le présent appel devant le Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Dans le cadre des appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi concernant les questions de classement tarifaire, le Tribunal établit le classement tarifaire approprié des marchandises en cause conformément aux règles d’interprétation prescrites.
  2. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[7]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires. Les sections et les chapitres peuvent comprendre des notes concernant leur interprétation. Les articles 10 et 11 du Tarif des douanes prescrivent la méthode que le Tribunal doit appliquer pour l’interprétation de l’annexe afin de déterminer le classement tarifaire approprié de marchandises.
  3. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[8] et les Règles canadiennes[9] énoncées à l’annexe.
  4. Les Règles générales sont composées de six règles structurées en paliers, de sorte que si le classement des marchandises ne peut être déterminé conformément à la règle 1, il faut alors tenir compte de la règle 2, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le classement soit établi. Le classement commence donc par l’application de la règle 1, qui prévoit ce qui suit : « [...] le classement [est] déterminé légalement d’après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et Notes, d’après les Règles suivantes. »
  5. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[10] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[11], publiés par l’OMD. Bien que les Avis de classement et les Notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal pour déterminer le classement de marchandises importées, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[12].
  6. Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à déterminer la sous-position et le numéro tarifaire appropriés, par application de la règle 6 des Règles générales dans le cas de la sous-position et des Règles canadiennes dans le cas du numéro tarifaire.

DISPOSITIONS DE CLASSEMENT PERTINENTES

  1. Les deux parties conviennent que les marchandises en cause font partie du chapitre 42 du Tarif des douanes :

SECTION VIII

PEAUX, CUIRS, PELLETERIES ET OUVRAGES EN CES MATIÈRES;
ARTICLES DE BOURRELLERIE OU DE SELLERIE; ARTICLES DE VOYAGE,
SACS À MAIN ET CONTENANTS SIMILAIRES; OUVRAGES EN BOYAUX

[...]

Chapitre 42

OUVRAGES EN CUIR; ARTICLES DE BOURRELLERIE
OU DE SELLERIE; ARTICLES DE VOYAGE, SACS À MAIN
ET CONTENANTS SIMILAIRES; OUVRAGES EN BOYAUX

  1. L’ASFC soutient que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 4202.91.90, lequel est ainsi libellé :

42.02 Malles, valises et mallettes, y compris les mallettes de toilette et les mallettes porte-documents, serviettes, cartables, étuis à lunettes, étuis pour jumelles, appareils photographiques, caméras, instruments de musique ou armes et contenants similaires; sacs de voyage, sacs isolants pour produits alimentaires et boissons, trousses de toilette, sacs à dos, sacs à main, sacs à provisions, portefeuilles, portemonnaie, porte-cartes, étuis à cigarettes, blagues à tabac, trousses à outils, sacs pour articles de sport, boîtes pour flacons ou bijoux, boîtes à poudre, écrins pour orfèvrerie et contenants similaires, en cuir naturel ou reconstitué, en feuilles de matières plastiques, en matières textiles, en fibre vulcanisée ou en carton, ou recouverts, en totalité ou en majeure partie, de ces mêmes matières ou de papier.

[...]

 -Autres :

4202.91 - -À surface extérieure en cuir naturel ou en cuir reconstitué

[...]

4202.91.90 - - -Autres

  1. Les notes explicatives pertinentes de la position no 42.02 prévoient ce qui suit :

La présente position couvre uniquement les articles énumérés dans le libellé et les contenants similaires.

[...]

Sont exclus de cette position :

[...]

c) Les articles qui, bien que pouvant présenter le caractère de contenants, ne sont pas semblables à ceux repris dans le libellé, tels que liseuses, couvre-livres, chemises à dossier (fardes), pochettes protège-documents, sous-main, cadres pour photographies, bonbonnières, pots à tabac, cendriers, flacons, en céramique, en verre, etc., et qui sont gainés en totalité ou en majeure partie. Ces articles relèvent du no 42.05 s’ils sont fabriqués (ou gainés) en cuir naturel ou reconstitué ou d’autres Chapitres s’ils sont fabriqués (ou gainés) en d’autres matières.

  1. Les notes explicatives des sous‑positions no 4202.11, no 4202.21, no 4202.31 et no 4202.91 prévoient ce qui suit :

Aux fins des sous-positions ci-dessus, l’expression à surface extérieure en cuir naturel couvre également les produits recouverts d’une fine couche de matières plastiques ou de caoutchouc synthétique, non perceptible à l’œil nu (généralement d’une épaisseur inférieure à 0,15 mm) qui protège la surface en cuir, abstraction faite des changements de couleur ou de l’éclat.

  1. The Source soutient que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 4205.00.00, qui est ainsi libellé :

4205.00.00 Autres ouvrages en cuir naturel ou reconstitué.

  1. La version anglaise des notes explicatives pertinentes de la position no 42.05 prévoient ce qui suit :

This heading covers those articles of leather or composition leather which do not fall in the preceding headings of this Chapter or in other Chapters of the Nomenclature.

[...] 

It also includes the following articles:

Luggage labels; razor strops; [...] reading-covers for books; blotting pads; leather or goatskin water bottles and other containers (including those wholly or mainly covered with leather or composition leather) not being similar to those specified in heading 42.02 [...].

  1. Parmi ses documents supplémentaires, The Source a déposé la version française des notes explicatives susmentionnées, lesquelles sont ainsi libellées :

La présente position englobe les articles en cuir naturel ou reconstitué qui ne relèvent pas des positions précédentes du présent Chapitre ou d’autres Chapitres de la Nomenclature.

[...]

Sont également inclus les articles suivants :

Les porte-adresses, les cuirs à rasoirs, . . . les liseuses et couvre-livres, les sous-main, les gourdes, les outres et autres contenants, y compris ceux gainés en totalité ou en majeure partie de cuir naturel ou reconstitué, non semblables à ceux repris au no 42.02 . . . .

POSITION DES PARTIES

The Source

  1. The Source soutient que l’ASFC a reconnu que les marchandises en cause sont des étuis en cuir. De ce fait, The Source fait valoir que les marchandises en cause sont expressément exclues de la position no 42.02 en raison des notes explicatives connexes qui excluent « [...] liseuses, couvre-livres, chemises à dossier (fardes) [...] etc. [...] ». The Source affirme donc que l’ASFC a commis une erreur en concluant que les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 42.02.
  2. À l’appui de son argument selon lequel les marchandises en cause sont des étuis pour tablettes de lecture, The Source soutient que l’ASFC a eu tort de conclure que la note c) des notes explicatives de la position no 42.02 exclut seulement les liseuses (« book covers »). The Source fait valoir que la note c) ne présente pas une liste exhaustive et souligne l’emploi d’expressions comme « tels que » et « etc. » qui indiquent que la liste ne se limite pas qu’aux liseuses[13]. Par ailleurs, d’après The Source, en tenant compte du sens courant du libellé du tarif et de l’évolution au fil du temps de son interprétation, il est clair qu’une tablette de lecture constitue en fait un livre. Ainsi, The Source affirme que l’ASFC a commis une erreur en ne considérant pas la tablette de lecture comme un livre et, par conséquent, en concluant que les étuis pour tablettes de lecture ne s’apparentent pas aux liseuses et ne sont pas exclus de la position no 42.02.
  3. À l’audience, The Source a ajouté que la version française des notes explicatives de la position no 42.02 appuie sa position selon laquelle les marchandises en cause doivent être classées dans la position no 42.05. Plus précisément, The Source soutient que les termes « liseuses et couvre-livres » (« reading‑covers for books » dans la version anglaise), qui figurent dans la liste des articles visés par la position no 42.05, devraient plutôt être formulés ainsi dans la version anglaise : « e-readers and book covers ». Ainsi, The Source affirme que les marchandises en cause figurent expressément dans la liste de la position no 42.05.
  4. Selon The Source, les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la position no 42.02, puisqu’il s’agit d’étuis (« covers ») et non de contenants : l’expression « contenants similaires » qui figure à la position no 42.02 ne peut donc pas englober ces marchandises. À l’appui de cette position, The Source renvoie aux dépliants publicitaires portant sur les marchandises en cause qui décrivent ces dernières comme des « étuis » (« covers »). De plus, The Source cite la décision Home Depot of Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[14], dans laquelle le Tribunal a conclu que la caractéristique commune des marchandises de la position no 42.02 est « [...] qu’elles sont conçues pour ranger ou transporter des objets »[15]. D’après les observations formulées par The Source, étant donné que les marchandises en cause ne sont d’aucune façon conçues pour ranger ou transporter des tablettes de lecture, elle conclut que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la position no 42.02.
  5. Enfin, The Source soutient que la règle 5 des Règles générales expose une liste des mêmes types de marchandises que celles qui figurent à la position no 42.02 (soit les étuis pour appareils photographiques, pour instruments de musique, pour armes) et s’applique donc à la position no 42.02. The Source affirme que les marchandises pour lesquelles les étuis visés à la règle 5 ont été conçus ne demeurent pas physiquement dans les étuis en question au moment de leur utilisation. Selon The Source, ces étuis servent tout simplement à ranger les marchandises lorsqu’elles ne sont pas utilisées. The Source soutient que les marchandises en cause ne peuvent pas être classées dans la position no 42.02 puisqu’elles sont conçues pour demeurer sur la tablette de lecture lorsque cette dernière est utilisée.

ASFC

  1. L’ASFC soutient qu’il incombe à The Source de démontrer que le classement tarifaire établi par l’ASFC est inexact. Selon elle, The Source ne s’est pas acquittée de son fardeau en l’espèce.
  2. L’ASFC fait valoir que, de prime abord, les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 42.02, puisqu’elles constituent un « contenant similaire » « [...] spécialement conç[u] ou aménag[é] à l’intérieur pour recevoir une marchandise en particulier [...] et servant à contenir, à protéger et à transporter cette marchandise »[16]. Plus particulièrement, l’ASFC affirme que les marchandises en cause sont conçues, de par leur taille et leur aménagement, pour contenir un Kindle Touch et servent à protéger et à transporter cet appareil. Pour appuyer sa position, l’ASFC renvoie au site Web de The Source, où les marchandises en cause sont désignées à la fois comme des étuis ou des étuis folios (« covers » et « cases » en anglais) et décrites comme étant idéales pour « [...] protéger votre livre électronique préféré [...] » et « [...] parfaite[s] pour la lecture dans les environnements où la luminosité est faible [...] »[17].
  3. L’ASFC avance que le Tribunal a déjà affirmé que la caractéristique principale des marchandises classées dans la position no 42.02 est qu’elles sont spécialement conçues et aménagées à l’intérieur pour contenir, transporter ou protéger des objets précis. L’ASFC fait valoir que la question de savoir si un article est un « contenant similaire » n’est pas un critère strict et que les marchandises en cause satisfont tout de même au critère, car elles sont spécialement conçues pour contenir un Kindle Touch et pour le protéger « pendant les déplacements »[18] [traduction].
  4. En réponse à la position adoptée par The Source, l’ASFC maintient que la position no 42.05 n’est pas applicable, car le terme « étuis » (« covers ») ne décrit pas complètement les marchandises en cause. Si un étui est défini comme « [...] quelque chose qui couvre ou qui protège [...] » [traduction], l’ASFC avance que le fait que les marchandises en cause sont spécialement conçues et aménagées à l’intérieur pour contenir un Kindle Touch ne constitue pas une caractéristique d’un étui[19]. L’ASFC soutient plutôt qu’une telle caractéristique s’applique précisément aux étuis visés à la position no 42.02.

ANALYSE

Question préliminaire

  1. À l’audience, The Source a contesté l’argument formulé par l’ASFC dans sa plaidoirie selon lequel le Kindle Touch n’est pas un livre. Selon The Source, l’ASFC n’avait pas fait état de cet argument dans son mémoire, de sorte que The Source ne connaissait pas pleinement les éléments de preuve à réfuter à l’audience. The Source estime que l’ASFC a manqué à l’équité procédurale en soulevant ce nouvel argument à l’audience.
  2. Le Tribunal souligne que l’ASFC avait fait valoir cette position dans sa décision écrite du 12 novembre 2014[20]. Qui plus est, l’ASFC n’est jamais revenue sur cette affirmation. Le Tribunal conclut donc qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que l’ASFC maintienne sa position et qu’elle fasse valoir cet argument à l’audience. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’ASFC n’a pas manqué à l’équité procédurale en soutenant que le Kindle Touch n’était pas à juste titre considéré comme un livre.

Classement tarifaire

  1. Comme les deux parties le soulignent, la position no 42.05 est une position résiduelle. Le Tribunal convient donc qu’il doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 42.02[21]. Le Tribunal n’examinera si les marchandises en cause doivent ou non être classées dans la position no 42.05 que s’il est convaincu qu’elles ne sont pas correctement classées dans la position no 42.02.
  2. Les termes de la position no 42.02 et les notes explicatives connexes établissent clairement que la position ne couvre que les articles qui y sont expressément nommés et les « contenants similaires ». Comme les marchandises en cause ne sont pas précisément nommées dans la position no 42.02, elles ne peuvent y être classées que si elles sont considérées comme des « contenants » qui sont « similaires » aux articles expressément nommés dans la position.
  3. Comme le Tribunal l’a déjà affirmé, le critère à utiliser pour évaluer la similarité n’est pas rigoureux. En fait, pour être considérées comme similaires, les marchandises doivent avoir en commun d’importantes caractéristiques, mais il ne faudrait pas pour autant confondre l’exigence de la similarité avec l’exigence selon laquelle les marchandises doivent être identiques[22]. Le Tribunal doit d’abord établir les caractéristiques communes des contenants énumérés à la position no 42.02 et examiner ensuite si les marchandises en cause possèdent aussi ces caractéristiques communes.
  4. Comme les parties l’ont fait remarquer à l’audience, la position no 42.02 est divisée en deux parties distinctes par un point-virgule[23]. Le Tribunal a déjà conclu que la présence du point-virgule dénote en fait l’existence de deux listes distinctes dans la position no 42.02[24]. Dans la mesure où les marchandises en cause sont considérées comme similaires aux articles nommés précisément dans la première ou la seconde partie de l’énumération de la position, elles peuvent être classées dans la position no 42.02. Plus précisément, l’ASFC affirme que les marchandises en cause sont similaires aux marchandises nommées dans la première partie de l’énumération de la position, soit : « [m]alles, valises et mallettes, y compris les mallettes de toilette et les mallettes porte-documents, serviettes, cartables, étuis à lunettes, étuis pour jumelles, appareils photographiques, caméras, instruments de musique ou armes [...] ».
  5. Selon The Source, l’une des caractéristiques de toutes les marchandises énumérées est la présence de poignées pour le transport; or, le Tribunal conclut que cette caractéristique n’est pas commune à l’ensemble des marchandises. Plus précisément, les étuis à lunettes ne correspondent pas à cette description, car ils ne sont pas normalement dotés de poignées pour le transport. Par conséquent, le Tribunal conclut que les poignées pour le transport ne sont pas des caractéristiques communes à toutes les marchandises énumérées dans la première partie de la position no 42.02.
  6. The Source ajoute que la règle 5 des Règles générales, interprétée conjointement avec la position no 42.02, permet de conclure qu’une autre caractéristique est que les marchandises servent à des fins d’entreposage lorsque les marchandises qu’elles recouvrent ou contiennent ne sont pas utilisées. Toutefois, la règle 5 prévoit ce qui suit :

Outre les dispositions qui précèdent, les Règles suivantes sont applicables aux marchandises reprises ci-après :

  1. Les étuis pour appareils photographiques, pour instruments de musique, pour armes, pour instruments de dessin, les écrins et les contenants similaires, spécialement aménagés pour recevoir un article déterminé ou un assortiment, susceptibles d’un usage prolongé et présentés avec les articles auxquels ils sont destinés, sont classés avec ces articles lorsqu’ils sont du type normalement vendu avec ceux-ci. Cette Règle ne concerne pas, toutefois, les contenants qui confèrent à l’ensemble son caractère essentiel.

[Nos italiques]

  1. Comme il est décrit ci‑dessus, la règle 5 des Règles générales s’applique aux étuis et aux contenants qui sont présentés et vendus avec les articles qu’ils contiennent. Cette règle ne s’applique pas à tous les types de contenants de façon générale.
  2. The Source reconnaît que les marchandises en cause sont présentées et vendues indépendamment de la tablette de lecture qu’ils recouvrent ou contiennent[25]. Pour cette raison, le Tribunal conclut qu’elles ne sont pas visées par la règle 5 des Règles générales; par conséquent, il ne convient pas d’appliquer la règle 5 lors du classement des marchandises en cause.
  3. Dans Curve, le Tribunal a conclu qu’une caractéristique importante des étuis à lunettes, étuis pour jumelles, appareils photographiques, caméras, instruments de musique ou armes expressément désignés dans la première partie de la position no 42.02 est qu’ils sont tous conçus ou aménagés à l’intérieur pour recevoir l’article qu’ils visent à contenir et à transporter[26]. À la lumière de la conclusion tirée dans Curve, et compte tenu des marchandises énumérées à la position no 42.02, le Tribunal est d’avis que ces marchandises ont toutes en commun les caractéristiques importantes d’être spécialement conçues ou aménagées à l’intérieur pour recevoir des marchandises en particulier (par exemple des appareils photographiques, des instruments de musique) et qu’elles servent à contenir, à protéger et à transporter ces marchandises.
  4. En l’espèce, les parties conviennent que les marchandises en cause sont conçues pour recevoir le Kindle Touch en guise d’étuis[27]. Il s’agit d’un fait confirmé par la documentation sur le produit et par l’examen physique des marchandises en cause[28]. Le Tribunal conclut donc que les marchandises en cause sont spécialement conçues ou aménagées à l’intérieur pour contenir des marchandises en particulier, soit les tablettes de lecture Kindle Touch, conformément aux exigences prévues à la position no 42.02.
  5. De façon similaire, selon la description figurant dans la documentation sur le produit, les marchandises en cause sont « [...] parfaites pour protéger votre Kindle Touch lors de vos déplacements »[29] [nos italiques, traduction] et permettent de protéger le Kindle Touch « [...] des chocs et des égratignures, et contre les objets se trouvant dans votre porte-documents, votre sac à main ou votre sac [...] »[30] [traduction]. Le Tribunal est convaincu que la documentation sur le produit, combinée à un examen des marchandises en cause, démontre que les marchandises en cause sont conçues non seulement pour contenir et protéger le Kindle Touch, mais aussi pour le transporter. En effet, les marchandises en cause sont conçues pour contenir et protéger le Kindle Touch, mais d’une façon qui permet de le ranger dans un autre étui ou un autre sac. Par conséquent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ont d’importantes caractéristiques en commun avec les marchandises énumérées à la première partie de la position no 42.02.
  6. Le Tribunal conclut en outre que l’exclusion prévue dans les notes explicatives de la position no 42.02 ne s’applique pas, car les marchandises en cause ne sont pas des « couvre-livres ». Le Canadian Oxford Dictionary définit le terme anglais « book » (« livre ») comme étant « [a] written or printed work consisting of pages glued or sewn together along one side and bound in covers »[31] (« ouvrage écrit ou imprimé constitué d’un assemblage de pages collées ou cousues sur un bord et reliées dans une couverture »). En revanche, le terme anglais « e-book » (« livre électronique ») est défini comme « [a]n electronic version of a printed book which can be read on a computer or a specifically designed handheld device »[32] (« version électronique d’un livre imprimé qui peut être lue sur un ordinateur ou sur un appareil portatif spécialement conçu à cette fin »).
  7. Comme le montrent les définitions reproduites ci‑dessus, même si un livre et un livre électronique peuvent servir la même fonction qui consiste à permettre à une personne de lire un contenu écrit, ils constituent deux objets différents. Plus particulièrement, rien ne donne à penser qu’un livre électronique, en tant qu’appareil électronique, est constitué de pages collées ou cousues ensemble. De façon similaire, si le contenu d’un livre peut être lu sur un appareil électronique, un livre demeure, dans sa forme physique, un objet distinct d’un appareil électronique portatif de lecture.
  8. Puisque le Kindle Touch ne peut être correctement désigné comme un livre, les marchandises en cause, soit des étuis pour appareils Kindle Touch, ne peuvent être considérées comme des couvre‑livres. La disposition d’exclusion prévue dans les notes explicatives de la position no 42.02 ne s’applique donc pas.
  9. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont expressément décrites dans la position no 42.02 et qu’elles sont donc correctement classées dans cette position en application de la règle 1 des Règles générales.

Application de la sous-position 4202.91

  1. Le Tribunal doit ensuite déterminer quelle est la sous-position qui s’applique aux marchandises en cause. La position no 42.02 renferme les quatre sous-positions de premier niveau (à un tiret) suivantes :

-Malles, valises et mallettes, y compris les mallettes de toilette et mallettes porte-documents, serviettes, cartables et contenants similaires :

[...]

-Sacs à main, même à bandoulière, y compris ceux sans poignée :

[...]

-Articles de poche ou de sac à main :

[...]

-Autres :

  1. Les articles expressément nommés dans la première des quatre sous-positions de premier niveau ne semblent pas spécialement conçus ou aménagés à l’intérieur pour recevoir des marchandises en particulier comme les marchandises en cause. Ils semblent plutôt conçus pour recevoir des quantités variables d’articles ou des articles de tailles diverses, comme des vêtements, des classeurs et des documents. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que les marchandises en cause ne peuvent pas être classées dans la première des quatre sous-positions de premier niveau, car elles ne sont ni nommées dans la liste d’articles ni similaires à ces articles.
  2. Les marchandises en cause ne sont pas des sacs à main et ne peuvent donc pas être classées dans la deuxième des quatre sous-positions de premier niveau.
  3. En ce qui concerne la troisième des quatre sous-positions de premier niveau (« Articles of a kind normally carried in the pocket or in the handbag »), le terme anglais « kind » (« type ») est défini comme « [...] a class or type of people or things having similar characteristics [...] »[33] (« une catégorie ou un type de personnes ou de choses ayant des caractéristiques communes »), et « normally » (« normalement ») est défini comme « [...] in a normal manner; in the usual way. 2 as a rule [...] »[34] (« de façon normale; de façon habituelle. 2 suivant la norme »). Compte tenu de leur taille, il est peu probable que les marchandises soient transportées dans une poche, à l’exception d’une poche de complet. De plus, comme le confirment la description du produit et l’examen des marchandises en cause, celles-ci peuvent certes être transportées dans un sac à main, mais pas uniquement. En effet, les marchandises en cause sont conçues pour être transportées dans des sacs à main, des mallettes et d’autres sacs[35]. Pour cette raison, le Tribunal conclut que la troisième sous-position de premier niveau est trop restrictive pour décrire les marchandises en cause.
  4. La sous-position « Autres » est une sous-position résiduelle de premier niveau qui englobe trois sous-positions de deuxième niveau (à deux tirets), soit no 4202.91, no 4202.92 et no 4202.93. Pour pouvoir être classées dans la première des sous-positions de deuxième niveau (4202.91), les marchandises doivent être « [à] surface extérieure en cuir naturel ou en cuir reconstitué ». Les notes explicatives de la position no 42.02 permettent de penser que les marchandises correspondent aux termes de la définition de la sous‑position no 4202.91 dès lors qu’elles ont une surface extérieure en cuir, peu importe qu’il s’agisse d’un cuir recouvert de matières plastiques, de caoutchouc synthétique, etc., ou traité avec des matières plastiques ou du caoutchouc synthétique[36]. L’extérieur des marchandises en cause est composé de cuir; par conséquent, les marchandises en cause correspondent aux termes « [à] surface extérieure en cuir naturel ou en cuir reconstitué ». Le Tribunal conclut donc que les marchandises en cause sont correctement classées dans la sous-position no 4202.91.

Application du numéro tarifaire 4202.91.90

  1. La sous-position no 4202.91 comprend trois numéros tarifaires : 4202.91.10, 4202.91.20 et 4202.91.90. Les marchandises ne peuvent pas être classées dans le numéro tarifaire 4202.91.10 parce qu’elles ne sont pas des étuis conçus pour des cloches d’église ou des sacs de golf. Les marchandises en cause ne peuvent pas non plus être classées dans le numéro tarifaire 4202.91.20 parce qu’elles ne sont pas des sacs à outils, des havresacs ou des sacs à dos. Comme les marchandises en cause ne peuvent pas être classées dans les deux premiers numéros tarifaires, elles sont classées dans le numéro tarifaire 4202.91.90 à titre d’autres contenants, à surface extérieure en cuir naturel ou en cuir reconstitué.
  2. Le Tribunal conclut que, comme les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 42.02, elles sont exclues de la position no 42.05.

CONCLUSION

  1. En raison des motifs exposés ci-dessus, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 4202.91.90 à titre d’autres contenants, à surface extérieure en cuir naturel ou en cuir reconstitué.

DÉCISION

  1. L’appel est rejeté.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].      L.C. 1997, ch. 36.

[3].      Les marchandises en cause sont des étuis, appelés « covers » par The Source et « cases » par l’ASFC en anglais. En français, un seul terme a été retenu dans le présent document, à savoir « étuis ». Pièce AP-2015-002-04 au par. 7, vol. 1; pièce AP-2015-002-08A au par. 1, vol. 1.

[4].      Pièce AP-2015-002-04 au par. 7, vol. 1.

[5].      Pièce AP-2015-002-08A, onglet 3, vol. 1.

[6].      Pièce AP-2015-002-08A, vol. 1, onglet 2.

[7].      Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[8].      L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[9].      L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[10].    Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003 [Avis de classement].

[11].    Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012 [Notes explicatives].

[12].    Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, où la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les Notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. Le Tribunal est d’avis que cette interprétation s’applique également aux Avis de classement.

[13].    Pièce AP-2015-002-04 au par. 30, vol. 1.

[14].    (28 avril 2014), AP-2013-032 (TCCE).

[15].    Ibid. au par. 50.

[16].    Pièce AP-2015-002-08A au par. 26, vol. 1, citant Curve Distribution Services Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 juin 2012), AP-2011-023 (TCCE) [Curve] au par. 35.

[17].    Pièce AP-2015-002-08A au par. 36, vol. 1.

[18].    Transcription de l’audience publique, 27 octobre 2015, à la p. 49.

[19].    Pièce AP-2015-002-08A au par. 60, vol. 1.

[20].    Pièce AP-2015-002-04, onglet 2 à la p. 16, vol. 1.

[21].    Ibid. au par. 16; pièce AP-2015-002-08A au par. 17, vol. 1.

[22].    Ivan Hoza c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (6 janvier 2010), AP-2009-002 (TCCE) à la p. 5; Rui Royal International Corp. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 mars 2011), AP-2010-003 (TCCE) au par. 82.

[23].    Transcription de l’audience publique, 27 octobre 2015, aux pp. 18, 37.

[24].    Curve au par. 32.

[25].    Transcription de l’audience publique, 27 octobre 2015, à la p. 67.

[26].    Curve au par. 35.

[27].    Pièce AP-2015-002-04 au par. 7, vol. 1; pièce AP-2015-002-08A aux par. 4-5, vol. 1.

[28].    Pièce AP-2015-002-04 à la p. 12, vol. 1.

[29].    Ibid.

[30].    Ibid. à la p. 13.

[31].    Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., s.v. « book ».

[32].    Ibid., s.v. « e-book ».

[33].    Concise Oxford Dictionary, 10e éd., s.v. « kind ».

[34].    Ibid., 10e éd., s.v. « normally ».

[35].    Pièce AP-2015-002-04 à la p. 13, vol. 1.

[36].    Les notes explicatives des sous-positions no 4202.11, no 4202.21, no 4202.31 et no 4202.91 sont énoncées comme suit :

Aux fins des sous-positions ci-dessus, l’expression à surface extérieure en cuir naturel couvre également les produits recouverts d’une fine couche de matières plastiques ou de caoutchouc synthétique, non perceptible à l’œil nu (généralement d’une épaisseur inférieure à 0,15 mm) qui protège la surface en cuir, abstraction faite des changements de couleur ou de l’éclat.