DÉLICES DE LA FORÊT INC.

DÉLICES DE LA FORÊT INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2015-018

Décision et motifs rendus
le jeudi 26 mai 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 16 février 2016, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue le Président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 10 juin 2015, concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

DÉLICES DE LA FORÊT INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Daniel Petit
Daniel Petit
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 16 février 2016

Membre du Tribunal : Daniel Petit, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Anja Grabundzija

Stagiaire en droit : Jessica Spina

Agent du greffe : Ekaterina Pavlova

Agent de soutien du greffe : Bianca Zamor

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Délices de la Forêt Inc.

Marco Ouellet

 

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Maude Breton-Voyer
Lune Arpin

TÉMOIN :

Dre Farah Hosseinian
Professeur agrégé
Université Carleton

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

SURVOL

  1. Le présent appel est interjeté auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) par Délices de la Forêt Inc. (Délices de la Forêt), aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] à l’égard d’une décision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), datée du 10 juin 2015, aux termes du paragraphe 60(4).
  2. Le litige concerne le classement tarifaire d’olives en saumure (les marchandises en cause). Le Tribunal doit déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2005.70.90 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’autres olives, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 2005.70.10 à titre d’olives mûres saumurées, comme le soutient Délices de la Forêt.

MARCHANDISES EN CAUSE

  1. Les marchandises en cause sont des olives vertes et des olives rouges, de la variété Cerignola (ou Bella di Cerignola) produites en Italie. Selon la description fournie par Délices de la Forêt, les olives sont cueillies entre septembre et novembre, lavées et, après une période de fermentation, conservées et importées dans de l’eau saumurée, dans des pots de verre.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Les marchandises en cause ont été importées entre octobre 2010 et avril 2014 et classées dans le numéro tarifaire 2005.70.10.
  2. Le 9 juin 2014, l’ASFC a déterminé que les marchandises en cause devaient être classées dans le numéro tarifaire 2005.70.90.
  3. Le 1er octobre 2014, Délices de la Forêt a demandé, en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi, la révision du classement des marchandises en cause.
  4. Le 10 juin 2015, l’ASFC a maintenu, en vertu du paragraphe 60(4) de la Loi, le classement des marchandises en cause dans le numéro tarifaire 2005.70.90 à titre d’autres olives.
  5. Le 20 août 2015, Délices de la Forêt a interjeté appel de la décision de l’ASFC auprès du Tribunal en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi.
  6. Le Tribunal a tenu une audience publique le 16 février 2016. L’ASFC a proposé la Dre Farah Hosseinian, professeur agrégé à l’université Carleton, à titre de témoin expert en matière de « food science, including food processing » (science alimentaire, y compris la transformation des aliments). Délices de la Forêt n’a pas contesté la compétence de la Dre Hosseinian dans ce domaine lors de l’audience[3] et, compte tenu de la formation et de l’expérience de la Dre Hosseinian, ainsi que de sa volonté et sa capacité de fournir un témoignage juste, objectif et impartial, le Tribunal a qualifié la Dre Hosseinian à titre d’expert en la matière[4]. Délices de la Forêt n’a pas présenté de témoins.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Dans des appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi concernant les questions de classement tarifaire, le Tribunal détermine le classement tarifaire de marchandises conformément aux règles d’interprétation prescrites.
  2. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[5]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres, et les chapitres 1 à 98 contiennent une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires. Le chapitre 99 est divisé en numéros tarifaires seulement.
  3. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[6] et les Règles canadiennes[7] énoncées à l’annexe.
  4. Les Règles générales sont composées de six règles structurées en paliers, de sorte qu’il faut d’abord déterminer si le classement au niveau de la position peut être établi en application de la règle 1, qui prévoit que « [...] le classement [est] déterminé [...] d’après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres [...] ». Si le classement des marchandises ne peut être déterminé conformément à la règle 1, il faut alors tenir compte de la règle 2, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le classement soit établi.
  5. En ce qui concerne les sous-positions, la règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles ci‑dessus [...] » (c’est-à-dire les règles 1 à 5). En ce qui concerne les numéros tarifaires, la règle 1 des Règles canadiennes prévoit que le classement des marchandises est déterminé d’après les termes de ces numéros tarifaires et « [...] des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles générales [...] ».
  6. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[8] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[9], publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[10].

DISPOSITIONS ET NOTES PERTINENTES

  1. Les deux parties conviennent que les marchandises en cause font partie du chapitre 20 de l’annexe du Tarif des douanes. L’ASFC soutient que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2005.70.90, tandis que Délices de la Forêt soutient que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 2005.70.10.
  2. Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes sont les suivantes :

Section IV

PRODUITS DES INDUSTRIES ALIMENTAIRES; BOISSONS,
LIQUIDES ALCOOLIQUES ET VINAIGRES;TABACS
ET SUCCÉDANÉS DE TABAC FABRIQUÉS

[...]

Chapitre 20

PRÉPARATIONS DE LÉGUMES, DE FRUITS
OU D’AUTRES PARTIES DE PLANTES

[...]

20.05 Autres légumes préparés ou conservés autrement qu’au vinaigre ou à l’acide acétique, non congelés autres que les produits du no 20.06.

[...]

2005.70 -Olives

2005.70.10 - - -Olives conservées au gaz sulfureux ou en saumure mais non en pots de verre; Olives mûres saumurées

2005.70.90 - - -Autres

  1. Les notes explicatives pertinentes de la position no 20.05 prévoient ce qui suit :

Parmi les préparations relevant de la présente position, on peut citer :

1) Les olives, rendues consommables par un traitement spécial dans une solution diluée de soude ou une macération prolongée dans l’eau salée. (Les olives simplement conservées provisoirement dans l’eau salée restent classées au no 07.11 – voir la Note explicative de cette position.)

  1. Parallèlement, les notes explicatives suivantes relatives à la position no 07.11 viennent confirmer de façon plus détaillée que les produits relevant du chapitre 20, par opposition à ceux de la position no 07.11, sont des produits directement consommables :

Cette position [07.11] comprend les légumes qui ont subi un traitement ayant uniquement pour effet de les conserver provisoirement pendant le transport et le stockage avant leur utilisation définitive (légumes conservés au moyen de gaz sulfureux ou dans l’eau salée, soufrée ou additionnée d’autres substances, par exemple) pour autant, cependant, qu’ils soient, dans cet état, impropres à l’alimentation.

[...]

Toutefois, relèvent du Chapitre 20 les produits qui, même présentés dans de l’eau salée, ont subi auparavant une préparation spéciale, telle que traitement à la soude, fermentation lactique, en vue de les rendre directement consommables (olives vertes ou confites, choucroute, cornichons, haricots verts, par exemple).

[Nos italiques]

POSITION DES PARTIES

Délices de la Forêt

  1. Délices de la Forêt soumet que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 2005.70.10, puisqu’elles sont mûres et en saumure, tel qu’il est indiqué sur les fiches techniques du fabricant et le schéma du processus de récolte et de préparation des marchandises en cause déposés par Délices de la Forêt[11].
  2. La position principale de Délices de la Forêt est qu’un fruit (c.-à-d. une olive) est mature lorsqu’il a atteint sa croissance optimale. Elle distingue cette situation de celle du fruit qui devient complètement mûr lorsqu’il change de couleur. Essentiellement, selon elle, le fait qu’une olive n’a pas encore changé de couleur et n’a pas atteint son stade de plein mûrissement ne veut pas dire pour autant qu’elle n’est pas mûre, du moment qu’elle ait atteint sa taille optimale[12]. De plus, Délices de la Forêt précise que le Tarif des douanes ne fait aucune mention de la couleur des olives, ni ne parle d’un degré de mûrissement particulier, et souligne qu’il n’est pas approprié d’ajouter des mots à la Loi qui n’ont pas été inclus par le législateur.

ASFC

  1. L’ASFC maintient que les marchandises en cause ne sont pas mûres à l’importation et qu’elles sont importées dans des pots de verre. Conséquemment, elles sont exclues du numéro tarifaire 2005.70.10 et sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2005.70.90 à titre d’autres olives.
  2. L’ASFC soutient que les marchandises en cause doivent être classées selon la couleur de l’olive car c’est l’élément fondamental qui établit si une olive est « mûre » ou « non mûre ». Puisque les marchandises en cause sont des olives vertes (ou rendues rouges par l’ajout de colorant), elles ne sont pas mûres.
  3. Selon l’ASFC, la croissance de l’olive et son mûrissement font référence à deux choses distinctes. Bien qu’un fruit doive avoir atteint une taille normale avant d’être cueilli, il en va autrement du niveau de mûrissement que le fruit doit atteindre avant d’être considéré comme mûr, selon les catégories généralement reconnues. Enfin, l’ASFC soutient que l’interprétation de l’expression « olives mûres » de Délices de la Forêt enlèverait toute distinction entre les deux types de biens séparés par le point-virgule dans le numéro tarifaire 2005.70.90.

ANALYSE

  1. Dans les appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi, l’appelant a le fardeau de démontrer que l’ASFC a incorrectement classé les marchandises[13]. En l’espèce, il incombe à Délices de la Forêt de démontrer que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 2005.70.10 plutôt que dans le numéro tarifaire 2005.70.90.
  2. Les deux parties s’accordent pour dire que les marchandises en cause peuvent être classées selon les règles 1 et 6 des Règles générales, et la règle 1 des Règles canadiennes[14]. Le Tribunal est du même avis.
  3. Afin de déterminer si les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 2005.70.10 comme le soutient Délices de la Forêt, le Tribunal commencera par examiner 1) l’interprétation appropriée de l’expression « olives mûres » dans le contexte du numéro tarifaire 2005.70.10 et 2) si les marchandises en cause sont, au moment de l’importation, des olives mûres au sens du numéro tarifaire 2005.70.10.

Interprétation de l’expression « olives mûres »

  1. Comme indiqué plus haut, le numéro tarifaire 2005.70.10 se lit comme suit : « Olives conservées au gaz sulfureux ou en saumure mais non en pots de verre; Olives mûres saumurées ». À cet égard, les parties sont d’accord que l’emploi du point-virgule dans le numéro tarifaire a l’effet grammatical de créer des descriptions de produits indépendantes.
  2. Ainsi, les parties sont d’accord, et le Tribunal accepte cette position, que les « [o]lives conservées au gaz sulfureux ou en saumure mais non en pots de verre » sont des produits distincts des « [o]lives mûres saumurées » décrites dans la deuxième partie du libellé du numéro tarifaire[15]. En l’espèce, le Tribunal tire les deux inférences suivantes de cette proposition : 1) que les « [o]lives mûres saumurées » de la deuxième partie du libellé du numéro tarifaire 2005.70.10 ne sont pas restreintes à celles qui ne sont pas importées en pots de verre ; 2) que les olives « mûres » de la deuxième partie du libellé du numéro tarifaire sont qualitativement différentes des olives de la première partie du libellé du numéro tarifaire qui ne sont pas décrites comme « mûres ».
  3. Puisque les marchandises en cause ont été importées dans des pots de verre, elles ne sont pas visées par la première partie du libellé du numéro tarifaire. Les parties sont d’accord sur ce point. De plus, il n’est pas contesté que les marchandises en cause sont saumurées.
  4. La question clé du présent appel consiste donc à déterminer ce que signifie l’expression « [o]lives mûres » dans le contexte du numéro tarifaire 2005.70.10. Délices de la Forêt soutient qu’une olive mûre est une olive qui a atteint sa croissance optimale, sans nécessairement être complètement mûre ou avoir changé de couleur.
  5. Le Tribunal est d’avis que l’interprétation de l’expression « olives mûres » avancée par Délices de la Forêt n’est pas appuyée par la prépondérance des éléments de preuve, ni par le contexte du numéro tarifaire 2005.70.10. Sur la foi des éléments de preuve, le Tribunal en vient plutôt à la conclusion qu’une olive mûre est une olive ayant été cueillie à complète maturité ou à presque pleine maturité, ce qui est généralement dénoté aisément par la couleur caractéristique noire de l’olive.
  6. Le Tribunal constate tout d’abord, en se fondant sur des définitions générales de dictionnaires usuels, qu’une olive mûre semble être une olive de couleur noire et que l’adjectif « mûr » évoque un fruit qui a atteint son plein ou complet développement. L’ASFC s’est appuyée sur la définition suivante du mot « mûr » : « [...] 1. Qui a atteint son plein développement, en parlant d’un fruit, d’une graine (► maturation, maturité). Un fruit bien mûr, pas assez mûr (► vert), trop mûr (► avancé, blet) [...] ■ CONTR. Vert, Immature [...] »[16]. Délices de la Forêt a fait référence à une définition selon laquelle « mûr » « [...] [s]e dit d’un fruit, d’une graine complètement développés, prêts à être récoltés »[17]. L’ASFC a également fait référence à une définition courante du mot « olive » comme « [...] [f]ruit de l’olivier, drupe globuleuse et oblongue, de couleur verdâtre puis noirâtre à maturité, à peau lisse, dont on extrait de l’huile»[18].
  7. De plus, le Tribunal retient le témoignage clair, cohérent et non contredit de la Dre Hosseinian, selon lequel une olive mûre est une olive qui a atteint son stade de mûrissement complet et non pas simplement sa taille optimale. La Dre Hosseinian a bien expliqué comment les propriétés de l’olive changent durant son mûrissement sur l’arbre, par exemple en ce qui a trait à la consistance de sa chair, à son goût ou au contenu en huile. Surtout, elle a témoigné qu’un marqueur fondamental et aisément observé du mûrissement de l’olive est la couleur, qui est caractéristique à chaque stade de mûrissement particulier du fruit.
  8. Ainsi, la Dre Hosseinian a fait référence, dans son rapport et pendant l’audience, aux trois types d’olives suivants établis selon le degré de mûrissement, qui sont généralement retenus dans le domaine des « food science » (science alimentaire): a) olives vertes, non-mûres; b) olives semi-mûres (de couleur tournante, violacée); c) olives noires, mûres[19]. La Dre Hosseinian a expliqué que les trois types d’olives sont commercialisés, les olives vertes étant les plus fréquentes dans le commerce en raison notamment de leur meilleure résistance aux meurtrissures.
  9. Le témoignage expert de la Dre Hosseinian était entre autre appuyé sur des documents émanant d’organismes internationaux spécialisés, notamment le Conseil oléicole international et le Codex Alimentarius[20]. La Dre Hosseinian a témoigné qu’il s’agissait de « [...] two solid, strong references that scientists use for classification of olives » (deux références solides, fortes utilisées par les scientifiques pour le classement des olives) fondées sur des résultats obtenus globalement[21].
  10. À cet égard, la « Norme commerciale applicable aux olives de table » produite par le Conseil oléicole international classe les olives de table en fonction de leur degré de maturité, dans l’un des types suivants : « a) Olives vertes : fruits récoltées au cours du cycle de maturation, avant la véraison, au moment où ils ont atteint leur taille normale »; « b) Olives tournantes : fruits récoltés avant complète maturité, à la véraison »; « c) Olives noires : fruits récoltés au moment où ils ont atteint leur complète maturité, ou peu avant »[22]. Le Codex Alimentarius retient les mêmes catégories[23]. Par ailleurs, un glossaire du Conseil oléicole international inclut notamment une entrée pour le terme « olives mûres », défini comme l’« [é]tape finale de la maturation des olives qui présentent une coloration noirâtre sur la peau et la pulpe »[24].
  11. Délices de la Forêt n’a pas présenté de témoignage d’expert ou autre pour contredire celui de la Dre Hosseinian ou autrement venir appuyer sa position. De plus, si Délices de la Forêt a déposé des documents de divers extraits de sites Web, tels que le site Wikipédia, le Tribunal questionne la crédibilité de plusieurs de ces sources et ne leur accorde que très peu de poids.
  12. Le Tribunal a examiné attentivement l’argument de Délices de la Forêt voulant qu’en parlant d’olives mûres, l’industrie des olives ne distingue pas selon la couleur ou le degré de maturité et que c’est le terme de l’industrie que le législateur a voulu utiliser dans le numéro tarifaire 2005.70.10 plutôt que des termes scientifiques. Notamment, Délices de la Forêt a fait remarquer qu’à un endroit, le Codex Alimentarius mentionne une catégorie d’olives dites « olives vertes mûres »[25] et que l’expression « green ripe » (vertes mûres) se retrouve à quelques autres passages de la littérature scientifique appuyant le rapport de la Dre Hosseinian. La Dre Hosseinian a expliqué à l’audience que la terminologie « green ripe » peut être utilisée dans l’industrie alimentaire, par les gens d’affaires, pour se référer aux olives de taille normale, appropriée pour la récolte, mais qu’il ne s’agit pas d’olives mûres sur une base scientifique[26].
  13. Délices de la Forêt y voit un argument au soutien de sa position selon laquelle une olive est considérée mûre à partir du moment où elle a atteint une taille optimale[27]. Le Tribunal comprend, à partir des arguments avancés par Délices de la Forêt, que la taille optimale se réfère, selon elle, au stade où l’olive a atteint son plein volume[28], qui, selon le témoignage de la Dre Hosseinian, est le stade auquel les olives vertes deviennent normalement prêtes pour la récolte pour les préparations d’olives de table vertes[29].
  14. L’argument de Délices de la Forêt ne peut être retenu dans le cas présent. Le Tribunal accepte la proposition générale selon laquelle il est possible, en théorie, que le Tarif des douanes puisse être élaboré par référence aux pratiques d’une industrie particulière, qui ne reflètent peut-être pas des définitions scientifiques des marchandises de cette industrie. Toutefois, Délices de la Forêt n’a pas apporté d’éléments de preuve d’expert pour montrer de façon claire un usage ou une terminologie au sein de l’industrie concernant le mûrissement des olives. La Dre Hosseinian n’a pas été qualifiée d’expert dans l’industrie des olives. De plus, les éléments de preuve testimoniaux et documentaires devant le Tribunal sur lesquels s’est appuyée Délices de la Forêt concernent l’expression précise des olives « green ripe ». Par opposition, le Tribunal fait remarquer que le numéro tarifaire 2005.70.10 se réfère à des olives mûres, non pas à des olives vertes mûres (green ripe)[30].
  15. Ensuite, la position selon laquelle une olive de taille optimale est une olive mûre ne s’harmonise pas avec le contexte du numéro tarifaire 2005.70.10. Eu égard aux éléments de preuve au dossier, cette interprétation enlèverait à toutes fins pratiques l’utilité de la distinction entre les olives mûres de la deuxième partie du libellé du numéro tarifaire et les olives de la première partie du libellé du numéro tarifaire, qui ne sont pas qualifiées par cet adjectif. La distinction entre les deux descriptions de produits dans le numéro tarifaire est pourtant constatée par l’usage du point-virgule, ce qui a été reconnu en l’espèce par les deux parties, et le fait que le législateur a choisi d’inclure le mot « mûres » dans une seule des deux descriptions de produits. Or, si le mot « mûres » se réfère à toute olive cueillie à partir du moment où elle a atteint une croissance la rendant prête pour la cueillette, toutes les olives de table commercialisées dans le cours normal des activités pourraient être qualifiées de « mûres ». En effet, Délices de la Forêt n’a pas suggéré que des olives cueillies avant même d’avoir atteint une taille optimale, propice pour la cueillette sont commercialisées ou importées dans le cours normal des activités, ni n’a déposé d’éléments de preuve à cet effet. Au contraire, les éléments de preuve au dossier n’appuient pas cette proposition[31].
  16. De plus, retenir l’interprétation de Délices de la Forêt rendrait sans effet la première partie du libellé du numéro tarifaire 2005.70.10, laquelle exclut expressément certaines olives saumurées en pots de verre. En effet, selon l’interprétation de Délices de la Forêt, toutes les olives saumurées pourraient être qualifiées d’olives mûres saumurées et classées dans la deuxième partie du libellé du numéro tarifaire 2005.70.10, sans égard au type de contenant dans lequel elles sont importées. Ceci rendrait redondante la description de la première partie du libellé du numéro tarifaire 2005.70.10, « [o]lives conservées [...] en saumure mais non en pots de verre ». Délices de la Forêt n’a fourni aucune explication convaincante de la cohérence de sa position avec le libellé du numéro tarifaire 2005.70.10, lu dans son ensemble[32].
  17. En somme, la prépondérance des éléments de preuve établit qu’une olive mûre est celle qui a atteint sa complète maturité (ou presque), ce qui est indiqué notamment par sa couleur noire ou noirâtre. En effet, les éléments de preuve établissent que la couleur est un critère fondamental pour distinguer une olive mûre d’une olive qui ne l’est pas. Cette interprétation est également cohérente dans le contexte du numéro tarifaire 2005.70.10 et représente un critère clair et pratique pour l’application de l’annexe du Tarif des douanes.

Les marchandises en cause ne sont pas des « olives mûres » du numéro tarifaire 2005.70.10

  1. Le Tribunal doit maintenant déterminer si les marchandises en cause sont des olives mûres au sens du numéro tarifaire 2005.70.10.
  2. Les marchandises en cause sont des olives vertes et des olives rouges. Le Tribunal accepte le témoignage expert non contredit de la Dre Hosseinian et les éléments de preuve documentaires lesquels indiquent que les olives rouges sont des olives vertes rendues rouges par l’ajout d’un colorant[33]. La Dre Hosseinian a témoigné abondamment que les marchandises en cause ne sont pas des olives mûres[34].
  3. En somme, étant donné l’interprétation appropriée du numéro tarifaire 2005.70.10, le Tribunal détermine que les marchandises en cause, étant des olives vertes et des olives vertes colorées rouges, ne sont pas des « olives mûres » et ne peuvent pas être classées dans le numéro tarifaire 2005.70.10 à titre d’« olives mûres saumurées ».
  4. Puisque les marchandises en cause ne peuvent être classées dans le numéro tarifaire 2005.70.10, le Tribunal détermine, en application des règles 1 et 6 des Règles générales et de la règle 1 des Règles canadiennes, qu’elles sont classées correctement dans le numéro tarifaire 2005.70.90 à titre d’autres olives.

DÉCISION

  1. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].      L.C. 1997, ch. 36.

[3].      Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 17-18.

[4].      Ibid. à la p. 18.

[5].      Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[6].      L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[7].      L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[8].      Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003. Aucun avis de classement ne s’applique en l’espèce.

[9].      Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012.

[10].    Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, où la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire.

[11].    Pièce AP-2015-018-04, onglets 2, 3, vol. 1.

[12].    Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 115-116, 122.

[13].    À cet égard, le paragraphe 152(3) de la Loi prévoit ce qui suit : « [...] dans toute procédure engagée sous le régime de la présente loi, la charge de la preuve incombe, non à Sa Majesté, mais à l’autre partie à la procédure [...] pour toute question relative, pour ce qui est de marchandises : [...] c) au paiement des droits afférents [...] ». Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1). Puisque l’exigibilité des droits sur des marchandises importées dépend du classement tarifaire de celles-ci, le classement tarifaire est une question « relative » au paiement des droits sur les marchandises, au sens de l’alinéa 152(3)c). Les conditions de l’alinéa 152(3)c) ayant été remplies, le fardeau de la preuve incombe donc à Délices de la Forêt. Voir par exemple Costco Wholesale Canada Ltd. (faisant affaires au Québec sous le nom Les entrepôts Costco) c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2011-033 (TCCE) au par. 25; Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII).

[14].    Pièce AP-2015-018-04 au par. 28, vol. 1; pièce AP-2015-018-06A au par. 18, vol. 1A.

[15].    Pièce AP-2015-018-04 au par. 29, vol. 1; pièce AP-2015-018-06A au par. 69, vol. 1A; Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, à la p. 127. Le Tribunal a déjà reconnu qu’un tel emploi du point-virgule peut avoir l’effet grammatical de créer des descriptions de produits indépendantes. Voir par exemple Costco Wholesale Canada Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (29 juillet 2013), AP‑2012‑041 et AP-2012-042 (TCCE) à la p. 45; Boss Lubricants c. Sous-M.R.N. (3 septembre 1997), AP‑95‑276 et AP-95-307 (TCCE); La Société Canadian Tire Limitée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 novembre 2011), AP-2010-069 (TCCE) au par. 40, note 31.

[16].    Pièce AP-2015-018-06A, onglet 9, vol. 1A.

[17].    Pièce AP-2015-018-04, onglet 10, vol. 1.

[18].    Pièce AP-2015-018-06A, onglet 8, vol. 1A.

[19].    Pièce AP-2015-018-012A, à la p. 4, vol. 1B; Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 20-24.

[20].    L’énoncé de la mission du Conseil oléicole international le décrit comme le « [...] seul organisme international au monde qui soit consacré à l’huile d’olive et aux olives de table [...] institué [...] en 1959 sous les auspices des Nations Unies », ses membres comptant les principaux pays producteurs et exportateurs d’huile d’olive et d’olives de table. Il veille entre autres à « [e]ncourager l’expansion du commerce international de l’huile d’olive et des olives de table, mettre au point et actualiser des normes commerciales applicables aux produits oléicoles et améliorer la qualité ». Pièce AP-2015-018-06A, onglet 11, vol. 1A. Quant au Codex Alimentarius, dont le Canada est membre depuis sa création en 1963, il vise à garantir des normes alimentaires contribuant à la sécurité, à la qualité et « [...] aux pratiques loyales du commerce international des denrées alimentaires ». Pièce AP-2015-018-06A, onglet 17, vol. 1A.

[21].    Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, à la p. 22.

[22].    Pièce AP-2015-018-06A, onglet 10, vol. 1A.

[23].    Ibid., onglet 18.

[24].    Ibid., onglet 13.

[25].    Ibid., onglet 18; pièce AP-2015-018-15B, onglet 2, vol. 1C.

[26].    Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 29-35, 72-73.

[27].    Ibid. aux pp. 112-114.

[28].    Pièce AP-2015-018-04 aux par. 34-35, 48-49, vol. 1; Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 121-122.

[29].    Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 19-20, 30-32, 55, 72, 78, 106-107.

[30].    Concernant la catégorie des « olives vertes mûres », comme l’a de plus expliqué la Dre Hosseinian, les marchandises en cause ne correspondent pas à cette catégorie selon la description apparaissant dans le Codex Alimentarius, qui se réfère aux « [o]lives dont la couleur varie du jaune verdâtre à d’autres teintes de vert et qui [peuvent] être tachetées », pièce AP-2015-018-06A, onglet 18, vol. 1A. Les marchandises en cause sont plutôt d’un vert foncé (ou rendues rouges par l’ajout d’un colorant). Sur la foi de ces éléments de preuve, il n’est donc pas clair que la catégorie des olives vertes mûres ou « green ripe » concerne directement les marchandises en cause. Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 30-31, 74, 82.

[31].    Selon le témoignage expert, un fruit trop petit n’est pas prêt pour la récolte, soit pour la production d’olives de table ou celle d’huile d’olive. Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 19-20. De même, le Conseil oléicole international et le Codex Alimentarius ne recensent pas de catégorie d’olives de table cueillies avant même d’avoir atteint une taille normale.

[32].    Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, aux pp. 124-127.

[33].    Ibid. aux pp. 38-41; pièce AP-2015-018-04, onglets 2, 3, 4, vol. 1.

[34].    Transcription de l’audience publique, 16 février 2016, à la p. 62.