D. JOSEFOWICH

D. JOSEFOWICH
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Appel no AP-2015-010

Décision et motifs rendus
le lundi 9 mai 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 25 janvier 2016, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 17 avril 2015, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

D. JOSEFOWICH Appelant

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : 25 janvier 2016

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Rebecca Marshall-Pritchard

Agent principal du greffe : Julie Lescom

PARTICIPANTS :

Appelant

 

D. Josefowich

 

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Youri Tessier-Stall

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Le présent appel a été déposé auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) par M. D. Josefowich, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard d’une décision rendue le 17 avril 2015 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), aux termes du paragraphe 60(4).
  2. Le litige concerne le classement tarifaire d’un « G&P Laser Product SP System, M11A1 Steel Conversion Kit, article no GP766 »[2] (la marchandise en cause). Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si l’ASFC a correctement classé la marchandise en cause dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[3] à titre d’arme à feu prohibée et, par conséquent, à titre de marchandise dont l’importation est interdite au Canada, aux termes du paragraphe 136(1).
  3. L’ASFC a confisqué la marchandise en cause au moment de son importation le 26 septembre 2014. Le 8 octobre 2014, M. Josefowich a demandé une révision du classement tarifaire de la marchandise en cause. Aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, l’ASFC a confirmé que la marchandise en cause était correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme à feu prohibée et que son importation au Canada était par conséquent interdite.
  4. Le 22 juin 2015, M. Josefowich a déposé le présent appel auprès du Tribunal.
  5. Le Tribunal a tenu une audience le 25 janvier 2016, conformément à l’article 25 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4].
  6. Le 26 août 2015, M. Josefowich a demandé que son avis d’appel soit considéré comme son mémoire. L’ASFC a déposé son mémoire en réponse le 23 octobre 2015. L’ASFC a aussi déposé un rapport préparé par M. F. A. William Etter, technicien en chef des armes à feu, Services spécialisés de soutien en matière d’armes à feu, Direction des services d’enquête et d’application de la loi en matière d’armes à feu, Gendarmerie royale du Canada, et a demandé au Tribunal à ce que M. Etter soit reconnu comme expert en matière d’identification et de classification d’armes à feu. Les compétences de M. Etter à ce titre n’ont pas été mises en question par M. Josefowich. Le Tribunal a reconnu M. Etter comme expert en matière d’identification et de classification d’armes à feu.
  7. À l’audience, M. Etter a fait référence à un rapport d’expert ayant trait à la marchandise en cause. Au début de son témoignage, il a été révélé que le rapport de M. Etter ne porte pas précisément sur la marchandise en cause; il porte plutôt sur une marchandise identique importée à un autre moment par une autre personne. Le Tribunal avait des réserves concernant cette divergence, mais après avoir été rassuré par M. Etter que la marchandise qui fait l’objet du rapport est en tout point identique à la marchandise en cause et après avoir obtenu le consentement de M. Josefowich, le Tribunal a convenu que le rapport était néanmoins digne de foi et utile en l’espèce. Bien qu’il ait été préférable que le rapport de M. Etter porte sur la marchandise en cause, les conclusions du rapport sont applicables à la marchandise en cause mutatis mutandis.

MARCHANDISE EN CAUSE

  1. La marchandise en cause comprend 1) une boîte de culasse en métal, 2) une crosse repliable en métal, 3) un percuteur en métal et 4) un cache-flamme en métal. La marchandise en cause comprend aussi un « Madbull XG02 Propane Adapter “MADGAO-0002” »[5]. La poignée est en métal et en caoutchouc. De toutes les pièces de la marchandise en cause, c’est la boîte de culasse qui semble être au cœur du litige.
  2. L’ASFC a déposé les deux pièces suivantes à des fins de comparaison : la marchandise en cause (y compris la boîte de culasse en métal) et un authentique pistolet-mitrailleur semi-automatique Ingram SM11A1 (SM11A1).
  3. M. Josefowich a pour sa part déposé une seule pièce : son propre pistolet Airsoft. Il a importé la marchandise en cause afin de modifier son pistolet Airsoft pour qu’il ressemble à un SM11A1. À l’audience, M. Josefowich a montré au Tribunal comment la marchandise en cause est conçue pour être compatible avec un pistolet Airsoft pour le modifier afin qu’il ressemble à un SM11A1, mais avec les mécanismes internes d’un pistolet Airsoft à propulsion au propane.
  4. À l’audience, le Tribunal a soigneusement examiné les trois pièces et a eu l’occasion des manipuler, de les comparer et de constater comment chacune fonctionne.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Des extraits des dispositions législatives et réglementaires pertinentes dans le cadre du présent appel sont présentés ci-dessous.
  2. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes stipule ce qui suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

  1. Le numéro tarifaire 9898.00.00 stipule ce qui suit :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...].

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

For the purposes of this tariff item:

. . .

(b) ”automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

  1. Par conséquent, afin de déterminer si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le Tribunal doit d’abord déterminer si la marchandise en cause correspond à la définition d’« arme à feu prohibée », en ce sens qu’elle peut servir de carcasse ou de boîte de culasse pour un SM11A1, ou, subsidiairement, à la définition de « dispositif prohibé », en ce sens qu’elle est une réplique aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel[6].
  2. Le paragraphe 84(1) du Code criminel prévoit qu’une arme à feu prohibée doit satisfaire à certaines exigences en matière de longueur de canon ou de grosseur de cartouche qu’elle est conçue pour tirer. Sont comprises les armes à feu automatiques et toute arme à feu désignée comme telle par règlement. Le paragraphe 84(1) stipule ce qui suit :

arme à feu prohibée

[...]

d) arme à feu désignée comme telle par règlement.

prohibited firearm means

. . . 

(d) any firearm that is prescribed to be a prohibited firearm . . . .

  1. Le paragraphe 84(1) du Code criminel stipule qu’un dispositif prohibé comprend, entre autres, une réplique, qui est définie comme suit :

réplique Tout objet, qui n’est pas une arme à feu, conçu de façon à en avoir l’apparence exacte – ou à la reproduire le plus fidèlement possible – ou auquel on a voulu donner cette apparence. La présente définition exclut tout objet conçu de façon à avoir l’apparence exacte d’une arme à feu historique – ou à la reproduire le plus fidèlement possible – ou auquel on a voulu donner cette apparence.

replica firearm means any device that is designed or intended to exactly resemble, or to resemble with near precision, a firearm, and that itself is not a firearm, but does not include any such device that is designed or intended to exactly resemble, or to resemble with near precision, an antique firearm . . . .

  1. L’article 2 du Code criminel définit « armes à feu » de la façon suivante :

arme à feu Toute arme susceptible, grâce à un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile, d’infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne, y compris une carcasse ou une boîte de culasse d’une telle arme ainsi que toute chose pouvant être modifiée pour être utilisée comme telle.

firearm means a barrelled weapon from which any shot, bullet or other projectile can be discharged and that is capable of causing serious bodily injury or death to a person, and includes any frame or receiver of such a barrelled weapon and anything that can be adapted for use as a firearm . . . .

  1. Le paragraphe 84(1) du Code criminel définit « arme à feu historique » de la façon suivante :

arme à feu historique Toute arme à feu fabriquée avant 1898 qui n’a pas été conçue ni modifiée pour l’utilisation de munitions à percussion annulaire ou centrale ou toute arme à feu désignée comme telle par règlement.

antique firearm means

(a) any firearm manufactured before 1898 that was not designed to discharge rim-fire or centre-fire ammunition and that has not been redesigned to discharge such ammunition, or

(b) any firearm that is prescribed to be an antique firearm . . . .

  1. Les armes à feu qui figurent dans la partie 1 de l’annexe du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction[7], dont les suivantes qui figurent au paragraphe 61, sont des armes prohibées aux fins de l’alinéa d) de la définition d’« arme à feu prohibée » énoncée au paragraphe 84(1) du Code criminel :

Les armes à feu des modèles communément appelés pistolets Ingram M10 et M11, ainsi que les armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications, y compris les pistolets Cobray M10 et M11, les pistolets RPB M10, M11, SM10 et SM11 et les pistolets SWD M10, M11, SM10 et SM11.

The firearms of the designs commonly known as the Ingram M10 and M11 pistols, and any variants or modified versions of them, including the Cobray M10 and M11 pistols, the RPB M10, M11, SM10 and SM11 pistols and the SWD M10, M11, SM10 and SM11 pistols.

POSITION DES PARTIES

M. Josefowich

  1. M. Josefowich soutient que la marchandise en cause n’est pas une boîte de culasse, puisqu’elle n’est pas munie d’une culasse, d’une gâchette, d’un canon et d’un élévateur faisant en sorte qu’elle puisse tirer des projectiles. Selon M. Josefowich, il s’agit avant tout d’une pièce qui ne possède pas en soi les mécanismes pour en faire une arme à feu fonctionnelle. De plus, M. Josefowich soutient qu’il a importé la marchandise en cause pour donner une apparence plus réaliste à son pistolet Airsoft et qu’il n’a aucune intention de l’utiliser à des fins criminelles[8]. M. Josefowich soutient également que des répliques d’armes à feu similaires à la marchandise en cause sont actuellement vendues légalement par divers détaillants au Canada. Il avance que certaines de ces répliques en vente au Canada ressemblent encore plus à de véritables armes à feu que la marchandise en cause, étant donné qu’elles sont entièrement faites de métal et qu’elles ne sont pas munies d’un embout rouge. Enfin, M. Josefowich soutient que ces répliques en vente au Canada sont plus dangereuses que la marchandise en cause.

ASFC

  1. Pour sa part, l’ASFC soutient que la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 98.98.00.00 à titre d’arme à feu prohibée aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel parce que le SM11A1 y est expressément désigné et qu’il s’agit donc d’une arme à feu prohibée aux termes de l’article 61 de la partie 1 de l’annexe du Règlement désignant des armes à feu comme étant prohibées[9].
  2. L’ASFC s’appuie sur la conclusion du rapport de M. Etter selon laquelle la marchandise en cause constitue en soi une arme à feu, car elle est pleinement fonctionnelle et interchangeable avec la boîte de culasse d’un SM11A1[10]. Plus particulièrement, M. Etter affirme dans son rapport que, « [m]ême [...] sans une gâchette ou un chargeur [...] cette arme à feu peut être utilisée comme une arme à feu à coup unique (slam firing) en introduisant une cartouche dans la chambre et en actionnant manuellement la culasse »[11] [traduction]. M. Etter poursuit en affirmant dans son rapport que « [l]a gâchette d’un G&P Airsoft provenant d’un G&P M11A1 en plastique fonctionnera pour une durée indéterminée jusqu’à ce que le bloc de culasse en métal finisse par fendre la gâchette en plastique et que l’arme à feu cesse de fonctionner »[12] [traduction].
  3. De plus, M. Etter affirme dans son rapport que « la gamme entière d’armes à feu dans lesquelles cette carcasse ou boîte de culasse peut être utilisée [...] sont prohibées aux termes de l’article 61 du Règlement désignant des armes à feu comme étant prohibées »[13] [traduction]. À ce titre, l’ASFC soutient que, parce que la définition d’arme à feu de l’article 2 du Code criminel comprend une boîte de culasse, la marchandise en cause est donc une arme à feu prohibée[14].
  4. Enfin, à l’audience, M. Etter a démontré, en manipulant la marchandise en cause et le SM11A1, que la partie antérieure de l’arme à feu (qui comprend le canon, l’élévateur et la culasse) ne constitue pas en soi ce que la Gendarmerie royale du Canada considère comme une arme à feu, mais plutôt la carcasse ou la boîte de culasse de l’arme à feu, décrite comme la partie inférieure de la marchandise en cause[15]. Il a poursuivi en séparant la culasse de la partie inférieure du SM11A1 et en expliquant le rôle central de support de la partie antérieure que joue la boîte de culasse. M. Etter a insisté sur le fait que la carcasse ou la boîte de culasse est considérée comme une arme à feu en soi parce que n’importe quel canon et élévateur appropriés peuvent y être fixés. Il a aussi expliqué que c’est la carcasse ou la boîte de culasse qui contient la gâchette qui actionne l’élévateur[16].
  5. Subsidiairement, l’ASFC soutient que, si le Tribunal conclut que la marchandise en cause n’est pas une arme à feu prohibée, celle-ci doit être classée à titre de réplique et, par conséquent, à titre de dispositif prohibé conçu de façon à avoir l’apparence exacte ou à reproduire le plus fidèlement possible une véritable arme à feu, à savoir un SM11A1.
  6. En ce qui concerne l’allégation de M. Josefowich, l’ASFC soutient qu’il incombe à ce dernier de démontrer que le classement de la marchandise en cause est incorrect, ce qui, selon elle, M. Josefowich n’a pas fait.
  7. Le Tribunal fait remarquer que M. Josefowich n’était pas représenté par un conseiller juridique à l’audience et qu’ainsi une plus grande latitude lui a été accordée afin qu’il comprenne bien les arguments de l’ASFC et qu’il puisse faire valoir son point de vue.

ANALYSE

La marchandise en cause est-elle une arme à feu prohibée?

  1. Il est bien établi que les appels auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi constituent des analyses de novo[17]. Il s’agit pour le Tribunal de déterminer le classement tarifaire approprié pour la marchandise en cause. Le Tribunal peut accepter de nouveaux éléments de preuve et de nouveaux arguments; toutefois, cela ne modifie en rien le fait que le Tribunal « n’est pas un tribunal d’équité et qu’il doit appliquer la loi telle qu’elle est rédigée »[18]. De plus, dans le présent contexte, il incombe à M. Josefowich de démontrer que la décision de l’ASFC en ce qui concerne le classement tarifaire de la marchandise en cause est pour une raison ou une autre incorrect[19].
  2. Le Tribunal se penchera d’abord sur la question de savoir si la marchandise en cause est une arme à feu prohibée.
  3. L’ASFC soutient, en s’appuyant sur le rapport d’expert de M. Etter, que la marchandise en cause, bien qu’elle soit conçue pour être utilisée avec un pistolet Airsoft, est en soi une arme à feu parce que sa carcasse ou boîte de culasse est entièrement fonctionnelle et peut être utilisée dans des pistolets MAC, COBRAY, INGRAM, RPB et SWD modèle M11-A1. L’ASFC soutient aussi que la marchandise en cause est en soi une arme à feu parce que, avec l’ajout d’autres pièces, elle pourrait tirer un coup de feu (slam-fire) : le percuteur fixé sur la culasse peut être manuellement activé pour frapper une cartouche introduite dans la chambre qui fait feu. Cette séquence d’évènements n’a pas été testée par l’expert et a trait plutôt à sa compréhension du fonctionnement d’un SM11A1, particulièrement en ce qui concerne le percuteur fixe présent sur la culasse. En fait, M. Etter a affirmé qu’il serait réticent à tenter cette manœuvre avec la marchandise en cause pour des raisons de sécurité[20].
  4. La position de l’ASFC et de M. Etter est problématique car elle présume que les pièces de la partie antérieure d’un SM11A1, c’est-à-dire le canon, l’élévateur, la boîte de culasse ainsi que la culasse et le percuteur, seraient d’une manière ou d’une autre disponibles séparément et pourraient être fixées à la marchandise en cause pour tirer un coup de feu (slam-fire). La marchandise en cause, même si le Tribunal reconnaissait qu’il s’agit bien d’une boîte de culasse et la qualifiait ainsi, ne comprend pas toutes ces pièces; essentiellement, il manque la moitié de l’arme à feu. Cela rend le débat sur cette question plutôt hypothétique.
  5. Après avoir examiné le SM11A1 et la marchandise en cause, le Tribunal a constaté que la marchandise en cause ne comprend pas de gâchette, celle-ci faisant partie intégrante d’une véritable boîte de culasse d’un SM11A1. Dans le cas de la véritable arme à feu, la gâchette est à la fois soudée et physiquement incorporée à la boîte de culasse elle-même; ce mécanisme de gâchette et ses composants, le cas échéant, sont entièrement absents de la marchandise en cause.
  6. Cela signifie, par conséquent, que la gâchette n’est ni mobile ni interchangeable avec un autre SM11A1. Même après la démonstration de M. Etter, il est difficile de voir comment une gâchette pourrait d’une manière ou d’une autre être fixée à la marchandise en cause pour la rendre soit compatible avec une boîte de culasse ou la rendre fonctionnelle pour en faire une arme à feu en état de marche. Des soudures spécialisées sont nettement visibles sur la gâchette du véritable SM11A1, à laquelle sont incorporées des plaques de métal pliées en usine qui semblent avoir été insérées mécaniquement dans la carcasse elle-même. À ce titre, il est clair pour le Tribunal que le procédé pour fixer une telle gâchette à la marchandise en cause nécessiterait de l’équipement spécialisé et une expertise certaine qui, de prime abord, relève plutôt d’un fabricant d’armes à feu. Dans son rapport, M. Etter n’a pas parlé de façon déterminante de l’ajout ou de l’interchangeabilité potentielle d’une telle gâchette ni n’a fait de commentaires ou émis de conclusion sur les caractéristiques très évidentes de la gâchette décrite ci‑dessus.
  7. Il est aussi clair pour le Tribunal, d’après la démonstration de M. Etter, que le chargeur d’un SM11A1 ne peut fonctionner avec la marchandise en cause. Cela signifie que la marchandise en cause ne peut pas facilement être transformée en un SM11A1 entièrement fonctionnel. En ce qui concerne l’argument de M. Etter selon lequel un utilisateur pourrait modifier l’ouverture du chargeur avec un outil Dremel ou une lime pour que le chargeur puisse intégrer des cartouches de calibre .380 d’un M11A1 ou d’un SM11A1[21], celui-ci a reconnu que, même si un chargeur pouvait y être inséré, le mécanisme nécessaire pour retenir celui-ci en place et alimenter les cartouches est absent, ce qui rend l’exercice futile[22]. Ce mécanisme de rétention fait d’ailleurs partie intégrante du mécanisme de la gâchette, qui, tel que mentionné précédemment, ne fait pas partie de la marchandise en cause.
  8. Il est bien établi que le classement tarifaire doit être déterminé en fonction d’un examen des marchandises dans l’état où elles sont présentées au moment de leur importation. L’utilisation prévue par l’importateur, y compris toutes les modifications que les marchandises en cause pourraient subir, n’est pas toujours sous la maîtrise de l’ASFC et, en l’espèce, n’est pas pertinente en ce qui concerne le Tarif des douanes[23]. Les éléments de preuve démontrent que, au moment de l’importation, la marchandise en cause, bien que d’une apparence frappante, a été clairement conçue en tant que pièce pour modifier un pistolet Airsoft, qui n’est pas une arme à feu aux termes du Code criminel et/ou des lois connexes. De façon indépendante et tout aussi importante, la marchandise en cause ne présente pas les caractéristiques requises d’une arme à feu et, plus particulièrement, celles nécessaires pour qu’elle soit associée à un SM11A1 prohibé ou à une catégorie d’armes à feu connexes. À ce titre, le Tribunal n’est pas convaincu que la marchandise en cause est une arme à feu. Le fait qu’on peut concevoir qu’elle puisse, entre autres, tirer un coup unique (slam-fire) après l’inclusion et l’assemblage d’une multitude de pièces manquantes n’enlève rien à cette conclusion.
  9. Par conséquent, le Tribunal est convaincu que la marchandise en cause n’est pas une arme à feu prohibée.

La marchandise en cause est-elle un dispositif prohibé?

  1. Après avoir conclu que la marchandise en cause n’est pas une arme à feu prohibée, le Tribunal se penchera maintenant sur l’argument subsidiaire de l’ASFC selon lequel la marchandise en cause est une réplique.
  2. Tel qu’énoncé au paragraphe 84(1) du Code criminel, afin d’être considérée comme une réplique, une marchandise doit satisfaire aux trois conditions suivantes : 1) elle doit être conçue de façon à avoir l’apparence exacte ou à reproduire le plus fidèlement possible une arme à feu, 2) elle ne doit pas être en soi une arme à feu et 3) elle ne doit pas être conçue de façon à avoir l’apparence exacte d’une arme à feu historique ou à la reproduire le plus fidèlement possible.
  3. Puisque le Tribunal a déjà conclu que la marchandise en cause n’est pas en soi une arme à feu, elle satisfait donc à la deuxième condition de la définition de « réplique » en l’espèce.
  4. Le Tribunal doit donc examiner la première et la troisième conditions de la définition de « réplique ». En ce qui concerne la troisième condition, il est clair que la marchandise en cause n’est pas une réplique puisqu’elle n’a pas été fabriquée avant 1898, l’année après laquelle les armes ne sont plus considérées comme des armes à feu historique aux termes du Code criminel. En fait, les éléments de preuve indiquent que la gamme M11/SM11A1 d’armes à feu a été fabriquée dans les années 60 par Ingram et dans les années 70 par la Military Armament Corporation[24].
  5. En ce qui concerne la première condition, le Tribunal n’a aucune difficulté à conclure que la marchandise en cause a été conçue de façon à avoir l’apparence exacte ou à reproduire le plus fidèlement possible une arme à feu qui n’est pas une arme à feu historique. Effectivement, M. Josefowich n’a pas contesté la conclusion ou les éléments de preuve déposés par l’ASFC à cet égard.
  6. Tel que mentionné ci-dessus, le Tribunal a soigneusement examiné la marchandise en cause et le SM11A1 déposée par l’ASFC, de façon individuelle et comparativement côte à côte. Le Tribunal a aussi tenu compte du rapport d’expert de M. Etter. Le Tribunal a été en mesure d’établir que la marchandise en cause peut facilement être prise pour un pistolet-mitrailleur Ingram SM11A1. Malgré des différences vraiment mineures et qui ne sont pas facilement discernables, l’apparence de la marchandise en cause et du SM11A1 qu’elle imite est presque identique. Il est manifeste, suite à cette comparaison, que la marchandise en cause a été fabriquée pour ressembler parfaitement à un SM11A1.
  7. Le Tribunal constate que les caractéristiques de la marchandise en cause (dimensions, construction, matériaux ainsi que l’apparence générale, dont l’emplacement de la mire, des boutons et du levier) sont quasi identiques à un SM11A1. La manutention de la marchandise en cause et du SM11A1 est en général identique, et il n’y a pas de différence perceptible en ce qui concerne le poids. De plus, le logo COBRAY apparaît sur le coté droit de la carcasse ou du boîtier de culasse de la marchandise en cause. Ce marquage indique que la marchandise en cause a été conçue pour imiter parfaitement un SM11A1, ou même qu’elle a pu être fabriquée par un fabriquant d’armes lui-même, mais sans contenir les mécanismes qui en ferait une arme à feu en vertu de la législation applicable. À cet égard, le Tribunal reconnaît que, aux fins de l’application du numéro tarifaire 9898.00.00, la marchandise en cause, une fois assemblée, satisfait aux conditions d’une réplique d’arme à feu.
  8. En ce qui concerne l’affirmation de M. Josefowich qu’il est un citoyen respectueux de la loi et qu’il n’a aucune intention criminelle, le Tribunal est d’avis que cela n’est pas pertinent en ce qui concerne le classement tarifaire approprié de la marchandise en cause[25]. Le Tribunal croit sincèrement M. Josefowich selon qui la marchandise en cause est seulement conçue pour donner l’apparence d’un SM11A1 à un pistolet Airsoft. Mais c’est justement de quoi il s’agit. La marchandise en cause est si parfaite qu’elle engage la définition de « réplique » du Code criminel.
  9. En ce qui concerne les arguments de M. Josefowich selon lesquels des répliques qui sont identiques ou similaires à la marchandise en cause sont disponibles chez des détaillants au Canada, le Tribunal renvoie à sa décision dans Romain L. Klaasen c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[26], dans laquelle il a affirmé qu’« il n’est pas pertinent que toute expédition antérieure [...] n’ait pas été interceptée par l’ASFC ou par ses prédécesseurs. Que l’ASFC prenne ou non une mesure administrative ne peut pas changer la loi[27]. » L’ASFC ne conteste pas l’argument de M. Josefowich selon lequel des marchandises similaires à la marchandise en cause peuvent être achetées au Canada; ce « deux poids deux mesures » propage sur le marché une confusion inconfortable pour le grand public. D’une part, des marchandises similaires sont facilement disponibles chez de nombreux grands détaillants, alors que, d’autre part, l’ASFC plaide des causes comme celle-ci contre des importateurs individuels, bien qu’en vertu d’un argument subsidiaire. Cette situation offre peu de gouverne aux citoyens.
  10. Toutefois, comme le Tribunal l’a régulièrement affirmé par le passé, il doit appliquer la loi telle qu’elle est. Par conséquent, comme le Tribunal a conclu que la marchandise en cause est un dispositif prohibé aux termes du Règlement désignant des armes à feu comme étant prohibées dont l’importation au Canada est interdite, la disponibilité de marchandises similaires au Canada n’étant pas pertinente en l’espèce, de façon malencontreuse pour M. Josefowich[28].
  11. Étant donné que la marchandise en cause satisfait aux trois conditions énoncées au paragraphe 84(1) du Code criminel pour être désignée comme une « réplique », le Tribunal ne peut que conclure qu’il s’agit d’un dispositif prohibé. Par conséquent, la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et son importation au Canada est interdite aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

DÉCISION

  1. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].      Pièce AP-2015-010-06A, onglet 1 au par. 2, vol. 1.

[3].      L.C. 1997, ch. 36.

[4].      D.O.R.S./91-499.

[5].      Pièce AP-2015-010-06A, onglet 1 au par. 2, vol. 1.

[6].      L.R.C. (1985), ch. C-46.

[7].      D.O.R.S./98-462 [Règlement désignant des armes à feu comme étant prohibées].

[8].      Transcription de l’audience publique, vol. 1, 25 janvier 2016, aux pp. 70, 83.

[9].      Pièce AP-2015-010-06A, onglet 8 à la p. 47, vol. 1. L’ASFC a déposé à titre de comparaison un pistolet Ingram SM11A1, sur lequel porte son rapport d’expert. L’ASFC a aussi déposé de la documentation expliquant que Ingram a été vendue à la Military Armament Corporation (MAC) au début des années 70, qui a ensuite vendu les droits de fabrication des pistolets M10 et M11 à RPB Industries Inc. plus tard au cours de la même décennie. Le Tribunal prend acte que le SM11A1 figure sur la liste des armes à feu énoncées à l’article 61 du Règlement désignant des armes à feu comme étant prohibées.

[10].    Pièce AP-2015-010-06A, onglet 3, vol. 1.

[11].    Pièce AP-2015-010-06A, onglet 3 à la p. 4, vol. 1. Il convient de noter ici que la « chambre » dont il est question dans le rapport ne fait pas partie de la marchandise en cause et que la conclusion à laquelle est arrivé M. Etter repose sur le postulat que quelqu’un puisse trouver une chambre, un canon et un élévateur et de les fixer sur la marchandise en cause avant de pouvoir tirer un coup de feu (slam fire).

[12].    Pièce AP-2015-010-06A, onglet 3 à la p. 5, vol. 1.

[13].    Ibid., onglet 1 au par. 22.

[14].    Ibid.

[15].    Transcription de l’audience publique, 25 janvier 2016, à la p. 25.

[16].    Ibid. à la p. 26. Il convient de noter ici, tel qu’il sera expliqué ci-dessous, que la marchandise en cause ne comprend pas de gâchette.

[17].    Cargill Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2012-070 (TCCE) au par. 36; Toyota Tsusho America Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 avril 2011), AP-2010-063 (TCCE) au par. 8; Smith v. Minister of National Revenue, [1965] S.C.R. 582, 1965 CanLII 59 (SCC); Canada (Ministre du revenu national) c. Rollins Machinery Ltd., 1999 CanLII 8763 (CAF).

[18].    Jockey Canada Company c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (20 décembre 2012), AP‑2011‑008 (TCCE) au par. 292.

[19].    Alinéa 153(3)d) de la Loi; Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF81 (CanLII) au par. 21.

[20].    Transcription de l’audience publique, 25 janvier 2016, à la p. 61.

[21].    Pièce AP-2015-010-06A, onglet 3 à la p. 23, vol. 1.

[22].    Transcription de l’audience publique, 25 janvier 2016, aux pp. 35-36.

[23].    Cela exclut bien entendu les dispositifs qui peuvent facilement être modifiés, au moment de leur importation, pour en faire des dispositifs prohibés. Voir par exemple Disco-Tech Industries, Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (7 juillet 2011), AP-2009-081 (TCCE) au par. 57.

[24].    Pièce AP-2015-010-06A, onglet 8 à la p. 47, vol. 1.

[25].    Scott Arthur c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 janvier 2008), AP-2006-052 (TCCE).

[26].    (18 octobre 2005), AP-2004-007 (TCCE).

[27].    Ibid. au par. 7.

[28].    Voir par exemple D. Morgan c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (4 décembre 2014), AP‑2014‑006 (TCCE) au par. 21; KA Wong c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 juillet 2006), AP-2005-036 (TCCE) au par. 18; Wayne Ericksen c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu (3 janvier 2002), AP-2000-059 (TCCE).