DIGITAL CANOE INC.

DIGITAL CANOE INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2015-026

Décision et motifs rendus
le lundi 22 août 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 7 juillet 2016, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 16 décembre 2015, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

DIGITAL CANOE INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 7 juillet 2016

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Jessica Spina

Stagiaire en droit : Amélie Cournoyer

Superviseur du greffe : Haley Raynor

Agent du greffe : Sara Pelletier

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Digital Canoe Inc.

Pauline H. Favreau

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Daniel Caron

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Il s’agit d’un appel interjeté par Digital Canoe Inc. (Digital Canoe) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard d’une décision rendue le 16 décembre 2015 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes paragraphe 60(4).
  2. La question en litige consiste à déterminer si le couteau importé par Digital Canoe (la marchandise en cause) est correctement classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] et, donc, à titre de marchandise que l’on ne peut importer au Canada selon le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.
  3. La marchandise en cause est un couteau pliant Kershaw « Burst 1970 » qui utilise le système de déploiement assisté SpeedSafe de Kershaw. Le couteau mesure environ 11,5 centimètres lorsqu’il est plié et est muni d’une lame d’environ 8 centimètres de longueur. La lame se déploie lorsqu’une pression vers le bas est exercée sur une saillie située à l’arrière de la lame (aussi appelée la « colonne vertébrale de la lame » [traduction])[3].

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Digital Canoe a interjeté le présent appel auprès du Tribunal le 11 janvier 2016. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces, conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4]. L’audience a été tenue à Ottawa (Ontario) le 7 juillet 2016. La marchandise en cause a été rendue disponible et examinée de façon exhaustive par le Tribunal pendant l’audience.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Les extraits suivants sont les dispositions réglementaires et législatives pertinentes dans le présent appel.
  2. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

[Nos italiques]

  1. Parmi la liste de marchandises prohibées, le numéro tarifaire 9898.00.00 énumère les « armes prohibées ». Il précise que l’expression « armes prohibées » a la même signification qu’au paragraphe 84(1) du Code criminel[5] :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...].

[...]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...].

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods. . . .

. . .

For the purposes of this tariff item:

. . .

(b) ”automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

[Nos italiques]

  1. Conformément au paragraphe 84(1) du Code criminel, l’expression « arme prohibée » est ainsi définie :

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

(b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon;

  1. En somme, pour déterminer si la marchandise en cause est correctement classée à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et, donc, à titre d’arme que l’on ne peut importer au Canada, le Tribunal doit déterminer si elle répond à la définition d’« arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel.

POSITION DES PARTIES

Digital Canoe

  1. Digital Canoe a fait valoir que la marchandise en cause est un couteau à déploiement assisté qui ne correspond pas à la description d’une arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, parce qu’elle ne se déploie pas automatiquement ni (1) par gravité ou par force centrifuge, ni (2) par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau.
  2. Selon Digital Canoe, la marchandise en cause se déploie en appliquant une pression manuelle sur une saillie qui n’est pas fixée au manche, mais à la lame (décrite par Digital Canoe comme la « colonne vertébrale de la lame »). Digital Canoe a soutenu que le Mémorandum D19-13-2[6] appuie sa position et indique que la marchandise en cause n’est pas visée par la définition d’« arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel.

ASFC

  1. L’ASFC a soutenu que la marchandise en cause est correctement classée à titre d’arme prohibée, parce qu’elle a une lame qui se déploie automatiquement par pression manuelle appliquée sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau.
  2. Selon l’ASFC, la saillie sur la lame est un « dispositif » dans le sens de ce terme à l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, puisqu’elle a été conçue spécifiquement pour déployer la marchandise en cause. De plus, ce dispositif peut être décrit comme « [...] incorporé ou attaché au manche [...] », parce qu’il pénètre et traverse le manche lorsque la lame se déploie.
  3. L’ASFC a fait remarquer que la marchandise en cause est très semblable aux couteaux en question dans les décisions du Tribunal dans Knife & Key Corner Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[7] et R. Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[8]. Dans les deux cas, le Tribunal a établi que les couteaux étaient des armes prohibées selon la définition de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel et a rejeté des arguments semblables à ceux invoqués par Digital Canoe.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Il est bien établi que les appels interjetés auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sont entendus de novo[9]. L’objectif est de déterminer le classement tarifaire correct applicable à la marchandise en cause. Digital Canoe doit prouver que l’ASFC a incorrectement classé la marchandise en cause[10]. En l’espèce, Digital Canoe doit démontrer que la marchandise en cause n’est pas correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00.
  2. Pour déterminer si la marchandise en cause est correctement classée à titre d’« arme prohibée » conformément à l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, le Tribunal déterminera si la lame se déploie automatiquement (1) par gravité ou par force centrifuge ou (2) par pression manuelle appliquée sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau.

La marchandise en cause se déploie‑t‑elle automatiquement par gravité ou par force centrifuge?

  1. Aucune partie n’a allégué que la marchandise en cause se déploie automatiquement par gravité ou par force centrifuge. De fait, Digital Canoe a argumenté contre une telle constatation. Après l’examen de la marchandise en cause, et compte tenu de la position des parties à ce sujet, le Tribunal conclut qu’il n’a pas à essayer de déterminer la validité de ces arguments, puisque la question de savoir si la marchandise en cause se déploie par gravité ou par force centrifuge n’est pas l’objet du litige.

La marchandise en cause se déploie‑t‑elle automatiquement par pression manuelle appliquée sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau?

  1. L’ASFC a soutenu que la saillie était un « dispositif » au sens de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel. Pour appuyer son argumentation, l’ASFC a fait remarquer que le mot « dispositif » était défini dans le Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary[11] comme étant « [...] f : une pièce d’équipement ou un mécanisme conçu pour être utilisé à une fin particulière ou pour réaliser une fonction spéciale [...] » [traduction]. Pour sa part, Digital Canoe a soutenu que la marchandise en cause ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 84(1)a), car, que ce soit un dispositif ou non, la saillie se trouve sur la lame du couteau et non sur/dans le manche.
  2. Le Tribunal a examiné la marchandise en cause et note que le couteau comporte un ressort/mécanisme de mise sous tension conçu pour garder la lame non déployée sur un côté de son plan de pression et fournir une tension constante, ce qui donne une impulsion à un déploiement actif de la lame une fois que les forces d’inertie ont été surmontées. Ce mécanisme permet un déploiement rapide de la lame à l’aide d’un nodule elliptique asymétrique à la base de celle-ci, qui demeure en contact avec le mécanisme en tout temps. Une fois que la résistance de repos initiale de la lame est surmontée (par activation par pression de la saillie à l’arrière du manche), l’interaction du nodule asymétrique et du mécanisme propulse la lame vers l’extérieur jusque dans une position déployée.
  3. Ce mécanisme se trouve dans le manche de la marchandise en cause et, donc, répond à cet élément de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, puisqu’il s’agit d’un couteau qui contient un « [...] ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche [...] ». Il est donc inutile que le Tribunal détermine, dans le contexte de cet appel, si la saillie se trouve sur la lame ou dans la lame, et si la saillie peut être classée comme un « dispositif » au titre de l’alinéa 84(1)a).

Se déploie automatiquement par pression manuelle

  1. Comme l’a fait valoir l’ASFC, le Tribunal a conclu précédemment que l’on peut dire qu’un couteau se déploie « automatiquement » lorsqu’il se déploie par suite d’une « manipulation minimale »[12].
  2. À partir de son examen de la marchandise en cause, le Tribunal conclut que la lame se déploie automatiquement et rapidement par pression manuelle minimale appliquée indirectement sur le ressort par la saillie à l’arrière de la lame. Des extraits de la documentation portant sur le produit inclus dans l’avis de détention préparé par l’ASFC confirment les observations du Tribunal et indiquent que « Speedsafe déploie le couteau rapidement et facilement, et la lame se verrouille en position »[13] [traduction].
  3. Comme le Tribunal l’a déjà conclu, le libellé de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel n’exige pas qu’une pression manuelle soit appliquée directement sur un ressort, car il fait référence à un « [...] ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche [...] ». Logiquement, si un ressort est entièrement contenu « dans » le manche, une pression manuelle ne peut y être appliquée directement. De plus, le Tribunal a souligné précédemment que les exigences de l’alinéa 84(1)a) pourraient être satisfaites lorsqu’un ressort dans le manche est attaché à un « poussoir » sur lequel l’utilisateur peut pousser pour enclencher le mécanisme à déploiement assisté, car on pourrait dire dans un tel cas qu’une pression manuelle a été appliquée indirectement à un ressort dans le sens de l’alinéa 84(1)a)[14].
  4. Dans le présent cas, l’utilisateur applique une pression manuelle sur la saillie, située sur la lame, ce qui permet de surmonter la résistance initiale du ressort situé dans le manche. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la marchandise en cause se déploie « automatiquement » par une pression manuelle indirecte appliquée à un ressort au moyen de la saillie.
  5. Enfin, en ce qui concerne l’argument de Digital Canoe selon lequel les couteaux à déploiement assisté par barre de torsion, comme la marchandise en cause, ne sont pas prohibés conformément au Mémorandum D19-13-2, il est bien établi par la jurisprudence du Tribunal que les Mémorandums D sont des énoncés de politique administrative qui ne sont pas obligatoires pour le Tribunal. Ces mémorandums énoncent l’interprétation de la loi par l’ASFC, mais il incombe au Tribunal d’interpréter et d’appliquer la loi pertinente dans chaque appel dont il est saisi. La tâche du Tribunal en l’espèce consiste uniquement à déterminer si la marchandise en cause correspond à la définition d’« arme prohibée » du Code criminel, peu importe le contenu du Mémorandum D19-13-2.

Conclusion

  1. Le Tribunal constate que la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée, conformément aux exigences de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, puisque la marchandise en cause se déploie automatiquement par pression manuelle exercée sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau.

DÉCISION

  1. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].      L.C. 1997, ch. 36.

[3].      Pièce AP-2015-026-06A, onglet 6, vol. 1; pièce AP-2015-026-04A, onglet P, vol. 1.

[4].      D.O.R.S./91-499.

[5].      L.R.C. (1985), ch. C-46.

[6].      « Importation et exportation d’armes à feu, d’autres armes et de dispositifs » (23 juin 2009).

[7].      (14 septembre 2015), AP-2014-030 (TCCE) [Knife & Key].

[8].      (15 janvier 2014), AP-2012-072 (TCCE).

[9].      Cargill Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2012-070 (TCCE) au par. 36; Toyota Tsusho America, Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 avril 2011), AP-2010-063 (TCCE) au par. 8; Smith v. Minister of National Revenue, [1965] SCR 582, 1965 CanLII 59 (SCC); Canada (Ministre du revenu national) c. Rollins Machinery Ltd., 1999 CanLII 8763 (CAF).

[10].    À cet égard, le paragraphe 152(3) de la Loi prévoit ce qui suit : « [...] dans toute procédure engagée sous le régime de la présente loi, la charge de la preuve incombe, non à Sa Majesté, mais à l’autre partie à la procédure [...] pour toute question relative, pour ce qui est de marchandises [...] c) au paiement des droits afférents [...] » Le présent appel a été interjeté aux termes du paragraphe 67(1). À cause du fait que la responsabilité du paiement des droits de marchandises importées dépend de leur classement tarifaire, le classement tarifaire est une question se rapportant au paiement des droits des marchandises au titre de l’alinéa 152(3)c). Comme les conditions de l’alinéa 152(3)c) ont été respectées, Digital Canoe a donc le fardeau de la preuve. Voir par exemple Costco Wholesale Canada Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2011-033 (TCCE) au par. 25; Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner 2012 CAF 81 (CanLII).

[11].    Onzième édition, voir « device ».

[12].    La Sagesse de l’Eau c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 novembre 2012), AP-2011-040 et AP-2011-041 (TCCE) au par. 52 [La Sagesse de l’Eau]; Knife & Key au par. 34.

[13].    Pièce AP-2015-026-06A à la p. 23, vol. 1.

[14].    La Sagesse de l’Eau au par. 44.