J. CHEESE INC.

J. CHEESE INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Appel no AP-2015-011

Décision et motifs rendus
le mardi 13 septembre 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu du 3 au 5 mai 2016, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 9 juillet 2015 concernant une demande de révision d’une décision anticipée concernant un classement tarifaire aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

J. CHEESE INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Jean Bédard
Jean Bédard
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l’audience : du 3 au 5 mai 2016

Membre du Tribunal : Jean Bédard, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Elysia Van Zeyl

Superviseur du greffe : Haley Raynor

Agent de soutien du greffe : Sara Pelletier

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

J. Cheese Inc.

Richard A. Wagner
Erin Brown
Donald Kubesh

 

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Helene Robertson
Julie Greenspoon

 

Partie intervenante

Conseillers/représentants

Producteurs laitiers du Canada

David K. Wilson
Christopher J. Hutchison
Benjamin Grant
Marlow Wilson

TÉMOINS :

David Tyers
Conseiller
J. Cheese Inc.

Keith Mussar, Ph.D.
Conseiller principal
Keith Mussar & Associates, Agri-Food Consultants

Bruce Robitaille, C.C.C.
Chef de cuisine et directeur du service des aliments et boissons
Ottawa Hunt & Golf Club, Limited

Michael Hickey
Expert-conseil de l’industrie alimentaire
Michael Hickey Associates, Food Technical Consultancy

Jacques Goulet
Ancien professeur et chercheur
Université Laval

John Leveris
Directeur adjoint du développement des marchés pour le secteur des services alimentaires
Producteurs laitiers du Canada

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

  1. Le présent appel est interjeté par J. Cheese Inc. (JCI), aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’encontre d’une décision en date du 9 juillet 2015 rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4).
  2.  La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause doivent être considérées comme de la fondue au fromage relevant du numéro tarifaire 2106.90.41.10 de l’annexe du Tarif des douanes[2] comme l’allègue JCI, ou si elles doivent être considérées comme du fromage râpé ou en poudre relevant du numéro tarifaire 0406.20.91 (dans les limites de l’engagement d’accès) ou du numéro tarifaire 0406.20.92 (au-dessus de l’engagement d’accès) comme l’a déterminé l’ASFC. À titre subsidiaire, l’ASFC fait valoir que les marchandises en cause doivent être considérées comme des préparations contenant 50 p. 100 ou plus en poids de contenu laitier relevant du numéro tarifaire 2106.90.93 (dans les limites de l’engagement d’accès) ou du numéro tarifaire 2106.90.94 (au-dessus de l’engagement d’accès).
  3. Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont du fromage râpé ou en poudre relevant du numéro tarifaire 0406.20.91 (dans les limites de l’engagement d’accès) ou du numéro tarifaire 0406.20.92 (au-dessus de l’engagement d’accès).

VUE D’ENSEMBLE

  1. JCI soutient que les marchandises en cause sont de la fondue au fromage et qu’elles doivent être classées dans la position no 21.06; or, la position no 21.06 est une position résiduelle. Par conséquent, le Tribunal doit d’abord examiner si les marchandises en cause sont comprises dans une autre position de la nomenclature tarifaire. Le Tribunal commencera donc son analyse par l’examen de la position no 04.06.
  2. La question essentielle du présent appel est celle de savoir si certains procédés de fabrication et la présence de certains ingrédients donnent lieu à un produit qui n’a pas le caractère du fromage, de telle sorte que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la position no 04.06 à titre de fromage.
  3. La réglementation nationale, qui définit les exigences de composition pour certaines variétés de fromage, est le seul élément qui pourrait amener le Tribunal à conclure que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la position no 04.06. En raison des ingrédients additionnels qu’elles contiennent, les marchandises en cause ne correspondent exactement à aucune des catégories assujetties à des exigences de composition. Toutefois, il ne s’ensuit pas automatiquement que les marchandises en cause n’ont pas le caractère du fromage parce qu’elles ne satisfont pas à ces exigences de composition.
  4. La réglementation nationale n’est pas la seule source sur laquelle le Tribunal s’est fondé pour rendre sa décision. Il a pris en considération le Codex Alimentarius, qui s’impose comme un incontournable, étant donné son acceptation internationale, et qui contribue à uniformiser l’interprétation du tarif douanier harmonisé, et il a tenu compte des opinions d’experts de l’industrie laitière, des points de vue d’intervenants de l’industrie figurant dans certaines lettres échangées avec JCI et les utilisations des marchandises en cause.
  5. À la lumière de ces facteurs, il y a raisonnablement lieu de penser que les marchandises en cause sont un fromage commercial produit par un fabricant spécialisé. Les procédés de fabrication et les ingrédients additionnels qu’elles contiennent font sans doute en sorte que le fromage convient mieux pour certaines utilisations alimentaires; toutefois, en définitive, les marchandises en cause sont bel et bien du fromage.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Le 1er septembre 2011, JCI a présenté une demande de décision anticipée portant sur le classement tarifaire des marchandises en cause décrites comme de la fondue au fromage.
  2. Le 18 novembre 2011, l’ASFC a rendu une décision anticipée dans laquelle elle a classé les marchandises en cause dans le numéro de classement 2106.90.41.10 à titre de fondue au fromage.
  3. Le 18 février 2014, l’ASFC a obtenu un échantillon des marchandises décrites comme de la garniture à pizza de marque J. Cheese au moment de l’importation. Les marchandises ont été classées par l’importateur dans le numéro tarifaire 2106.90.41. Les documents d’importation citaient la décision anticipée no 253056, qui avait été rendue relativement à la fondue au fromage. L’ASFC a entrepris d’effectuer une vérification de l’observation commerciale fondée sur son analyse de l’échantillon en laboratoire.
  4. Dans une lettre datée du 18 septembre 2014, l’ASFC a informé JCI qu’elle avait commis une erreur dans sa décision anticipée portant sur les marchandises en cause. L’ASFC a conclu que les marchandises en cause auraient dû être considérées comme du fromage râpé ou en poudre relevant du numéro tarifaire 0406.20.91 (dans les limites de l’engagement d’accès) ou du numéro tarifaire 0406.20.92 (au-dessus de l’engagement d’accès), selon que JCI détenait ou non un permis d’importation valide.
  5.  Le 18 mars 2015, l’ASFC a fait parvenir son rapport de vérification final de l’observation commerciale à JCI, accompagné d’une lettre dans laquelle elle confirmait que la décision anticipée initialement rendue serait annulée le 16 juin 2015. À cette date, la décision anticipée serait remplacée par la nouvelle décision classant les marchandises en cause dans la catégorie des fromages râpés ou en poudre relevant du numéro tarifaire 0406.20.91.90 (dans les limites de l’engagement d’accès) ou du numéro tarifaire 0406.20.92.00 (au-dessus de l’engagement d’accès).
  6.  Le 18 avril 2015, JCI a demandé une révision.
  7. Le 9 juillet 2015, l’ASFC a confirmé sa décision anticipée.
  8. Le 15 juillet 2015, JCI a interjeté appel de la décision de l’ASFC auprès du Tribunal.
  9. Le 17 décembre 2015, les Producteurs laitiers du Canada (PLC) ont demandé à intervenir dans le présent appel. Après examen des observations des parties, le Tribunal a accordé au PLC le statut de partie intervenante le 5 janvier 2016.
  10. Le Tribunal a tenu une audience du 3 au 5 mai 2016. Les six personnes suivantes ont témoigné à l’audience :
  • M. David Tyers, conseiller auprès de JCI;
  • M. Bruce Robitaille, chef de cuisine et directeur du service des aliments et boissons à l’Ottawa Hunt & Golf Club, qui possède plus de 30 ans d’expérience à titre de chef et de chef de cuisine;
  • M. Keith Mussar, Ph. D., conseiller principal chez Keith Mussar & Associates, conseillers en agroalimentaire, titulaire d’un doctorat en chimie des protéines de l’Université de Waterloo et actuellement professeur à la School of Health Sciences (École des sciences de la santé) du Humber College;
  • M. Jacques Goulet, ancien professeur et chercheur de l’Université Laval, titulaire d’un baccalauréat en science et technologie alimentaires, et d’un doctorat en microbiologie appliquée de l’Université McGill;
  • M. Michael Hickey, expert-conseil de l’industrie alimentaire titulaire d’un baccalauréat en science laitière de l’University College Cork, ayant effectué deux ans de recherche universitaire supérieure en microbiologie laitière et travaillé pendant 28 ans pour un important producteur laitier, et délégué du Irish National Committee to the International Dairy Federation (Comité national irlandais de la Fédération internationale du lait), dont le rôle est de donner des conseils techniques au Codex Committee on Milk and Milk Products (Comité du Codex sur le lait et les produits laitiers);
  • M. John Leveris, directeur adjoint du développement des marchés pour le secteur des services alimentaires pour le PLC.
  1.  À l’audience, le Tribunal a reconnu comme témoins experts M. Robitaille, M. Mussar, M. Goulet et M. Hickey.
  2. Lors de l’audience, JCI a relaté les faits survenus entre elle et l’ASCF qui ont mené au dépôt du présent appel; le Tribunal tient toutefois à préciser à ce sujet que les appels interjetés aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sont entendus de novo devant le Tribunal[3]. Par conséquent, ce qui a pu se produire antérieurement entre les parties n’a aucune incidence sur l’exercice de classement tarifaire du Tribunal.

CADRE LÉGISLATIF

  1. La nomenclature tarifaire est exposée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[4]. L’annexe du Tarif des douanes est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.
  2. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[5] et les Règles canadiennes[6] énoncées à l’annexe.
  3. Les règles 1 à 5 des Règles générales sont structurées en palier. La règle 1 prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.
  4. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[7] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[8], publiés par l’OMD. Bien que les Avis de classement et les Notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[9].
  5. Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées au niveau de la position conformément à la règle 1 des Règles générales selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents. Si les marchandises en cause ne peuvent être classées au niveau de la position par application de la règle 1, le Tribunal doit alors examiner les autres règles[10]. L’étape suivante consiste à répéter l’analyse pour déterminer la sous-position[11] et le numéro tarifaire appropriés[12].

DISPOSITIONS DE CLASSEMENT PERTINENTES

  1.  La position no 04.06 prévoit ce qui suit :

Section I

ANIMAUX VIVANTS ET PRODUITS DU RÈGNE ANIMAL

[...] 

Chapitre 4

LAIT ET PRODUITS DE LA LAITERIE; ŒUFS D’OISEAUX; MIEL NATUREL; PRODUITS COMESTIBLES D’ORIGINE ANIMALE, NON DÉNOMMÉS NI COMPRIS AILLEURS

04.06 Fromages et caillebotte.

[...] 

0406.20 -Fromages râpés ou en poudre, de tous types

[...] 

- - -Autres :

0406.20.91 - - - -Dans les limites de l’engagement d’accès

[...] 

0406.20.92 - - - -Au-dessus de l’engagement d’accès

  1. Les notes explicatives pertinentes du chapitre 4 prévoient ce qui suit :

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

Ce chapitre comprend :

I. Les produits laitiers :

A) Le lait, à savoir, le lait complet et le lait partiellement ou complètement écrémé.

B) La crème.

C) Le babeurre, le lait et la crème caillés, le yoghourt, le képhir et autres laits et crèmes fermentés ou acidifiés.

D) Le lactosérum.

E) Les produits à base de constituants naturels du lait, non dénommés ni compris ailleurs.

F) Le beurre et les autres matières grasses provenant du lait; les pâtes à tartiner laitières.

G) Le fromage et la caillebotte.

[...] 

Sont également exclus du Chapitre, notamment, les produits suivants :

a) Les préparations alimentaires à base de produits laitiers (notamment du no 19.01).

  1. Les notes explicatives pertinentes de la position no 04.06 prévoient ce qui suit :

Cette position comprend tous les genres de fromages :

1) Le fromage frais (y compris le fromage fabriqué à partir de lactosérum ou de babeurre) et la caillebotte. Le fromage frais est un fromage qui n’a subi aucun mûrissement (affinage) et qui est prêt à être consommé peu de temps après sa fabrication (Ricotta, Broccio, [fromage cottage, fromage à la crème], Mozzarella, par exemple).

2) Les fromages râpés ou en poudre.

3) Les fromages fondus. Il s’agit de produits obtenus par découpage, broyage et fusion à l’aide de chaleur et d’agents émulsifiants ou acidifiants (y compris les sels de fonte), d’une ou plusieurs espèces de fromages et d’un ou plusieurs des produits ci-après : crème et autres produits de la laiterie, sel, épices, aromatisants, colorants et eau.

4) Les fromages à pâte persillée et autres fromages présentant des marbrures obtenues en utilisant du Penicillium roqueforti.

5) Les fromages à pâte molle (Camembert, Brie, etc.).

6) Les fromages à pâte demi-dure ou à pâte dure (Cheddar, Gouda, Gruyère, Parmesan, etc.).

[...] 

La présence, dans les fromages, de viande, de poissons, de crustacés, d’aromates, d’épices, de légumes, de fruits, de vitamines, de lait écrémé en poudre, etc., n’a pas pour effet d’en modifier le régime, pour autant que le produit conserve son caractère de fromage.

Les fromages qui sont enrobés de pâte ou de chapelure (panés), même précuits, restent compris dans la présente position, pour autant qu’ils conservent leur caractère de fromage.

  1. La position no 21.06 prévoit ce qui suit :

Section IV

PRODUITS DES INDUSTRIES ALIMENTAIRES; BOISSONS, LIQUIDES ALCOOLIQUES ET VINAIGRES; TABACS ET SUCCÉDANÉS DE TABAC FABRIQUÉS

[...] 

Chapitre 21

PRÉPARATIONS ALIMENTAIRES DIVERSES

[...] 

21.06  Préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs.

[...] 

2106.90  -Autres

- - -Fondue au fromage;

Maïs à éclater, préparé et empaqueté pour four à micro-ondes;

Hydrolysats de protéines :

2106.90.41 - - - -Fondue au fromage;

Maïs à éclater, préparé et empaqueté pour four à micro-ondes

[...] 

- - -Autres :

[...] 

2106.90.93 - - - -Contenant 50 % ou plus en poids de contenu laitier, dans les limites de
         l’engagement d’accès

2106.90.94 - - - -Contenant 50 % ou plus en poids de contenu laitier, au-dessus des limites de
         l’engagement d’accès

  1. Les notes explicatives de la position no 21.06 prévoient ce qui suit :

À condition qu’elles ne soient pas reprises dans d’autres positions de la Nomenclature, la présente position comprend :

A) Les préparations destinées à être utilisées, soit en l’état, soit après traitement (cuisson, dissolution ou ébullition dans l’eau ou le lait, etc.), dans l’alimentation humaine.

B) Les préparations composées entièrement ou partiellement de substances alimentaires, entrant dans la préparation de boissons ou d’aliments pour la consommation humaine. Sont notamment classées ici celles consistant en mélanges de produits chimiques (acides organiques, sels de calcium, etc.) et de substances alimentaires (farines, sucres, poudre de lait, par exemple), destinées à être incorporées dans des préparations alimentaires, soit comme composants de ces préparations, soit pour améliorer certaines de leurs caractéristiques (présentation, conservation, etc.) [...].

REMARQUE À PROPOS DES DÉSIGNATIONS DE CONFIDENTIALITÉ

  1. Le Tribunal s’efforce de verser le plus d’information possible au dossier non confidentiel des instances dont il est saisi. Toutefois, il pourrait arriver que la divulgation de certains renseignements ait une incidence financière négative sur une partie. Pour cette raison, le Tribunal permet aux parties de désigner certains renseignements comme confidentiels. Ainsi qu’il est mentionné dans une lettre datée du 15 décembre 2015 envoyée aux parties, le Tribunal vise à assurer un juste équilibre entre la protection des renseignements commerciaux de nature délicate et son obligation de s’acquitter de ses responsabilités législatives de manière équitable, informelle et transparente.
  2. En l’espèce, JCI estime que la formulation des marchandises en cause et certains procédés de fabrication exclusifs sont confidentiels.
  3. Compte tenu du caractère confidentiel de ces renseignements, le Tribunal a tout mis en œuvre pour documenter les motifs non confidentiels de sa décision. Afin d’assurer la transparence de ses motifs tout en maintenant un degré de confidentialité adéquat, le Tribunal a rendu une version non confidentielle des motifs, dans laquelle certains renseignements confidentiels sont omis, et une version confidentielle accessible uniquement aux parties dûment autorisées à consulter le dossier confidentiel en l’espèce. Dans la mesure du possible, l’information confidentielle figure dans les notes de bas de page.

POSITION DES PARTIES

Arguments de JCI

  1. JCI soutient que les marchandises en cause sont considérées comme de la fondue au fromage et doivent être classées dans le numéro tarifaire 2106.90.41.10[13].
  2. Selon JCI, même si les marchandises en cause contiennent plusieurs types de fromage, elles sont transformées à l’échelle moléculaire en un produit différent du fromage lors du procédé de fabrication en raison de l’ajout de plusieurs ingrédients.
  3. JCI fait valoir que le classement à titre de fondue au fromage est approprié, car les marchandises en cause et la fondue au fromage ont certaines caractéristiques en commun, notamment l’ajout d’amidon et d’épices. Elle affirme que la fondue au fromage contient souvent du vin et du kirsch, mais qu’un produit qui n’en contient pas peut tout de même être considéré comme de la fondue au fromage. À l’appui de sa position, JCI fait état de plusieurs recettes de fondue au fromage extraites du site Web du PLC. JCI a également fourni une vidéo dans laquelle M. Robitaille montre comment, grâce à l’ajout de liquide, les marchandises en cause peuvent être transformées en un produit de fromage fondu dans lequel on trempe des morceaux de pain, ce qui est semblable à ce que M. Tyers décrit comme de la fondue traditionnelle[14].

Arguments de l’ASFC

  1. L’ASFC fait observer que le numéro tarifaire proposé par JCI est un numéro tarifaire résiduel, soit un numéro sous lequel ne sont classées que les marchandises « non dénommées ni comprises ailleurs ». Par conséquent, l’ASFC soutient que le Tribunal doit commencer son analyse en examinant si les marchandises en cause sont dénommées ou comprises ailleurs dans la nomenclature.
  2. L’analyse de l’ASFC porte d’abord sur les termes de la position no 04.06 et, en particulier, sur les notes explicatives de cette position. L’ASFC avance que les notes explicatives sont importantes surtout parce qu’elles comprennent une liste non exhaustive d’ingrédients qui peuvent entrer dans la composition du fromage (compte tenu de l’utilisation de la locution « etc. ») sans modifier le classement tarifaire applicable, dans la mesure où les marchandises conservent le caractère de fromage. Selon l’ASFC, le fait que les marchandises en cause contiennent des additifs qui ne sont pas prévus dans le Règlement sur les produits laitiers[15] n’a aucune incidence sur leur classement tarifaire.
  3. L’ASFC incite le Tribunal à prendre en considération ce qui suit pour déterminer si les marchandises en cause ont le caractère de fromage : la nature du produit, les ingrédients qui le composent, l’utilisation qui en est faite normalement, la façon dont le produit est caractérisé par l’industrie et l’opinion généralement répandue quant à la nature du produit ou ce qu’il est censé être.
  4. L’ASFC admet que les ingrédients ajoutés au mélange initial de fromage, qui représentent environ 1 p. 100 en poids du contenu des marchandises en cause, peuvent améliorer l’utilisation de celles-ci dans certaines circonstances; elle soutient cependant que ces ingrédients additionnels n’ont aucune incidence sur le caractère général des marchandises en cause.
  5. L’AFSC allègue que les marchandises en cause ne correspondent pas à ce que l’on entend communément par de la fondue au fromage parce qu’elles ne contiennent aucun liquide, qu’il s’agisse d’alcool ou d’autre chose.
  6. À titre subsidiaire, si le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne conservent pas leur caractère de fromage, l’ASFC avance que les numéros tarifaires appropriés sont 2106.90.93 et 2106.90.94, lesquels comprennent les marchandises contenant plus de 50 p. 100 en poids de contenu laitier, dans les limites ou au-dessus des limites de l’engagement d’accès.

Arguments du PLC

  1. Le PLC affirme que les marchandises en cause doivent être considérées comme du fromage et classées dans la position no 04.06. Les observations du PLC reposent sur la façon dont le producteur et le transformateur qui râpe le fromage décrivent le produit de JCI, sur la comparaison entre l’utilisation qui est normalement faite du fromage et celle qui est faite du produit de JCI et entre les procédés de fabrication du fromage et les procédés de fabrication des marchandises en cause, ainsi que sur certaines normes internationales ayant trait au fromage tirées du Codex Alimentarius.
  2. Le PLC incite le Tribunal de tenir compte du Codex Alimentarius, lequel est conforme aux normes internationales harmonisées sur les aliments et comprend des normes applicables à divers types de fromage. Le PLC reconnaît que ces normes, dont certaines autorisent l’utilisation d’amidon comme agent antiagglomérant, ne sont pas déterminantes. Néanmoins, le PLC affirme que les normes du Codex Alimentarius témoignent d’une utilisation et d’une terminologie acceptées à l’échelle internationale.
  3. En ce qui concerne la nature, la composition, l’utilisation, la commercialisation et la distribution du produit de JCI, le PLC a porté à l’attention du Tribunal la documentation dans laquelle le fabricant et le transformateur qui râpe le fromage décrivent tous deux le produit comme du fromage ou du fromage râpé. Le PLC fait également valoir que l’emballage fait état de l’utilisation prévue et de l’utilisation effective des marchandises en cause en mentionnant qu’il s’agit de fromage pour garniture à pizza, et non de fondue au fromage. Le PLC fait observer que le produit de JCI est utilisé sur la pizza de la même façon que le fromage râpé et qu’il a une durée de conservation semblable à celui-ci. De plus, le PLC affirme que la présence d’amidon et de cellulose est courante dans le fromage râpé, particulièrement dans l’industrie de la pizza aux États-Unis, car ces ingrédients sont acceptés comme agents antiagglomérants.
  4. Enfin, le PLC affirme que le classement du produit à titre de fondue au fromage permet aux importateurs de contourner le système de gestion de l’offre des produits laitiers du Canada.

COMMENTAIRES PRÉLIMINAIRES

Les marchandises en cause ne sont pas de la fondue au fromage

  1. Le Tribunal entend d’abord trancher l’un des principaux arguments de JCI, soit l’allégation selon laquelle les marchandises en cause sont de la fondue au fromage. Étant donné que le Tribunal doit classer les marchandises en conformité avec les Règles générales et que, comme il est expliqué ci-après, les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 04.06 aux termes de la règle 1, il n’est pas strictement nécessaire de déterminer si les marchandises en cause sont une préparation de fondue au fromage ou une préparation d’un autre type. Toutefois, au bénéfice des parties, particulièrement de JCI, le Tribunal tient à formuler quelques observations à cet égard.
  2. Les témoins ont consacré beaucoup de temps à l’audience sur la question de savoir si les marchandises en cause sont de la fondue au fromage. En outre, les arguments et les observations présentés par JCI portent en bonne partie sur cette question.
  3. Au cours de l’audience, M. Tyers a expliqué qu’il avait conçu ce produit pour JCI au retour d’un voyage en Europe où il avait remarqué un produit de fromage râpé, décrit comme de la fondue au fromage, en vente dans les épiceries européennes[16]. Avant d’élaborer un produit similaire inspiré de cette idée, JCI a demandé à l’ASFC de rendre une décision anticipée. Dans cette demande, JCI a décrit le produit comme « une préparation alimentaire appelée fondue au fromage, sans alcool ajouté [...] »[17] [traduction]. Selon JCI, la préparation de fondue au fromage peut être utilisée pour garnir les nachos, les sandwichs, les pommes de terre farcies, la pizza, les frites et les ailes de poulet, et elle est destinée à la vente aux restaurants ou dans les commerces de détail[18].
  4. Dans les documents de douane de JCI, différents noms sont utilisés pour désigner les marchandises en cause : « Three Cheese Melt » (mélange de trois fromages à gratiner), « Te-Mex Topping » (garniture tex-mex) et « J. Cheeses Pizza Topping » (garniture à pizza J. Cheeses)[19]. Ces noms n’indiquent pas clairement que le produit est destiné à être utilisé comme fondue au fromage; ce fait n’est toutefois pas déterminant. Ces divers noms indiquent cependant que le produit peut avoir plusieurs utilisations. Le facteur le plus important en l’espèce est ce que les marchandises contiennent, ou plutôt ce qu’elles ne contiennent pas.
  5. M. Robitaille et M. Goulet ont tous deux affirmé qu’une fondue au fromage doit contenir les quatre éléments suivants : 1) du fromage, 2) un liquide, 3) de l’amidon et 4) un assaisonnement[20]. D’après ces témoignages et d’autres témoignages présentés au Tribunal, comme nous le verrons plus loin, ce qui importe le plus aux fins du présent appel est que la fondue au fromage doit contenir un liquide.
  6. JCI a fait état de deux produits de marque « Kingsey » et « Perron » qui, selon ses allégations, sont semblables aux marchandises en cause. Les produits Kingsey et Perron sont du fromage râpé auquel certains autres ingrédients sont ajoutés et qui sont vendus comme des préparations ou des mélanges de fondue au fromage. L’ajout d’un liquide est nécessaire dans les deux cas pour obtenir une fondue au fromage. En effet, dans ses démonstrations enregistrées sur vidéo, M. Robitaille a ajouté du liquide à ces produits et à celui de JCI pour obtenir une fondue au fromage[21].
  7. Le fait qu’une fondue doit contenir un liquide concorde avec un avis de classement de l’OMD publié dans les Avis de classement. Selon la description figurant dans l’avis de classement de l’OMD, la fondue au fromage est une préparation alimentaire constituée de « fromage mélangé à du vin blanc, de l’amidon, de l’eau, du kirsch et un émulsifiant »[22]. Le Tribunal souligne que certains produits sur le marché semblent concorder avec l’avis de classement de l’OMD, dont un produit « Fromalp ». Selon la liste d’ingrédients de celui-ci, le produit contient du fromage suisse, du vin blanc, de l’eau, de l’amidon de pomme de terre, du phosphate de sodium, du sel, du kirsch, de la gomme de caroube et des épices[23].
  8. La question de savoir si le liquide dans la fondue au fromage doit être de l’alcool ou s’il peut être un liquide non alcoolisé, soulevée par JCI, n’est pas pertinente aux fins du présent appel puisque les marchandises en cause ne contiennent aucun liquide.
  9. Le Tribunal doit déterminer le classement tarifaire des marchandises en cause d’après leur état au moment de leur importation[24], et non selon ce qui pourrait y être ajouté ou la façon dont elles pourraient être transformées. Comme elles ne contiennent pas l’un des quatre éléments essentiels de la fondue au fromage, soit le liquide, les marchandises en cause ne sont pas de la fondue au fromage au moment de leur importation. Ainsi que le Tribunal l’a énoncé dans Outdoor Gear Canada c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[25], un article non fini ou incomplet doit être reconnaissable ou identifiable en tant que l’article complet ou fini que la partie affirme qu’il est. En l’espèce, les marchandises en cause ne sont pas reconnaissables comme de la fondue non finie ou incomplète. De plus, comme JCI n’a présenté aucun élément de preuve crédible indiquant que les marchandises en cause ont déjà été commercialisées, vendues ou utilisées comme de la fondue au fromage, malgré le témoignage de M. Tyers sur les intentions initiales de l’entreprise, l’argument selon lequel les marchandises en cause sont des préparations de fondue au fromage non finies ne repose sur aucun fondement probant.
  10. En outre, la comparaison des marchandises en cause et des produits Kingsey et Perron est de peu d’utilité au Tribunal. JCI a essentiellement demandé au Tribunal de considérer les produits Kingsey et Perron comme de la fondue au fromage et de conclure que le produit de JCI fait partie de la même catégorie parce que les trois présentent des caractéristiques physiques similaires[26]. Les produits sont effectivement similaires. Toutefois, ce fait à lui seul n’aide en rien le Tribunal à déterminer le classement tarifaire approprié, d’autant moins qu’aucun d’eux ne contient de liquide, l’un des éléments de la fondue. De plus, aucun élément de preuve n’indique comment ces marchandises similaires sont classées dans la nomenclature, dans la mesure où elles sont importées.

Incidence des contingents tarifaires sur l’exercice de classement tarifaire du Tribunal

  1. Le PLC incite le Tribunal à tenir compte du contexte stratégique général dans lequel a été interjeté le présent appel, en particulier le système canadien de contingents tarifaires visant les produits laitiers.
  2. Pour situer le contexte, chaque membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a négocié des droits lui permettant de limiter l’accès à ses marchés au moyen de mesures tarifaires applicables aux marchandises importées, et y a souscrit. Au Canada, le législateur a inscrit les droits et les engagements au titre de l’OMC dans le Tarif des douanes et dans un système de contingents tarifaires. L’incidence du système canadien de gestion de l’offre a aussi été un élément clé dans de nombreuses négociations bilatérales et multilatérales de libre-échange.
  3. Comme le PLC le souligne dans ses observations finales, l’un des principaux éléments du cycle Uruguay était l’exigence pour les membres de l’OMC de convertir plusieurs barrières non tarifaires, dont les quotas d’importation, en équivalents tarifaires. Par conséquent, les contingents tarifaires figurent dans le Tarif des douanes en tant que droits de douane proprement dits. L’article 4.2 de l’Accord sur l’Agriculture[27] l’énonce clairement en interdisant aux pays membres d’appliquer des mesures du type de celles qui ont dû être converties en « droits de douane proprement dits »[28].
  4. À cette fin, le Canada a mis en place un système de permis pour les produits visés par le système de gestion de l’offre. Par exemple, l’article 143 de la Liste des marchandises d’importation contrôlée comprend le fromage râpé ou en poudre de tous types, sous réserve de certaines exceptions limitées. Dans le cas de ces marchandises, si un importateur demande et obtient un permis d’importation, le produit peut être importé au taux qui se situe « dans les limites de l’engagement d’accès » fixé dans le Tarif des douanes. S’il n’a pas de permis d’importation, l’importateur est tenu de payer le taux de droit qui se situe « au-dessus de l’engagement d’accès », lequel est beaucoup plus élevé.
  5. Bien que le Tribunal comprenne les préoccupations soulevées par le PLC à l’égard du contournement, le Tribunal est d’avis que l’existence d’un contingent tarifaire ne doit pas influer sur son processus d’interprétation et de classement. Certes, les droits de douane peuvent être beaucoup plus élevés pour les produits soumis à la gestion de l’offre, mais le Tribunal s’acquitte de son exercice de classement tarifaire de la même façon que dans toute autre situation, soit en conformité avec les Règles générales.
  6. Il relève de la responsabilité du gouvernement d’assurer que les marchandises destinées à être visées par un contingent tarifaire soient adéquatement désignées dans les dispositions du Tarif des douanes. Si, en raison de l’évolution du marché ou de la technologie, par exemple, des marchandises devant être visées par un contingent tarifaire ne figurent pas dans les dispositions du Tarif des douanes, le gouvernement peut y remédier, comme il l’a déjà fait au moins une fois dans le passé dans le cas de produits liés au fromage[29].

ANALYSE

Normes de preuve

  1. Conformément au paragraphe 152(3) de la Loi, JCI a le fardeau de démontrer que l’ASFC a eu tort de déterminer que les marchandises en cause doivent être considérées comme des « fromages râpés ou en poudre » relevant du numéro tarifaire 0406.20.91 (dans les limites de l’engagement d’accès) ou du numéro tarifaire 0406.20.92 (au-dessus de l’engagement d’accès), ou subsidiairement comme des préparations « [c]ontenant 50 % ou plus en poids de contenu laitier » relevant du numéro tarifaire 2106.90.93 (dans les limites de l’engagement d’accès) ou du numéro tarifaire 2106.90.94 (au-dessus de l’engagement d’accès)[30]. Puisque les droits applicables aux marchandises importées dépendent du classement tarifaire de celles-ci, le classement tarifaire est une question « relative » au paiement des droits sur les marchandises, au sens de l’alinéa 152(3)c).

Nature résiduelle de la position no 21.06

  1. Après avoir examiné les dispositions tarifaires visées dans le présent appel, le Tribunal conclut que la règle 1 des Règles générales s’applique. Dans le cadre d’une analyse relevant de la règle 1, le classement est déterminé d’après les termes de la nomenclature tarifaire (en l’espèce, les termes des positions en question).
  2. Les termes contestés de la nomenclature tarifaire permettent de trancher le présent appel sans que le recours à une autre règle ne soit nécessaire. En l’espèce, puisque l’un des deux numéros tarifaires est résiduel (« Autres »), le recours à toute autre règle que la règle 1 des Règles générales n’est pas nécessaire.
  3. La position no 21.06 ne comprend que les préparations « non dénommées ni comprises ailleurs ». Par conséquent, avant d’examiner si les marchandises en cause sont des préparations qui relèvent de la position no 21.06, le Tribunal doit d’abord s’assurer que les marchandises en cause ne sont pas comprises ailleurs dans le Tarif des douanes.
  4. La position no 04.06 constitue donc le point de départ approprié pour l’analyse du Tribunal. Conformément à la règle 1 des Règles générales, pour déterminer si les marchandises en cause relèvent de la position no 04.06, le Tribunal examinera les termes utilisés dans cette position, laquelle indique qu’elle comprend les « [f]romages et caillebotte ».

Incidence des notes explicatives, de la réglementation nationale et du Codex Alimentarius

  1. Les notes explicatives de la position no 04.06 indiquent que la position comprend « tous les genres de fromage », notamment les « [f]romages râpés ou en poudre ». Les notes explicatives ajoutent que « la présence, dans les fromages, de viande, de poissons, de crustacés, d’aromates, d’épices, de légumes, de fruits, de vitamines, de lait écrémé en poudre, etc., n’a pas pour effet d’en modifier le régime, pour autant que le produit conserve son caractère de fromage ». Il ne fait aucun doute que les marchandises en cause sont râpées; toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il s’agit de fromage ou si elles conservent leur caractère de fromage.
  2. Dans Suzuki, la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes et indiqué qu’il exige que les Notes explicatives soient respectées à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire.
  3. Selon JCI, la présence même du Règlement sur les aliments et drogues[31] et du Règlement sur les produits laitiers[32] (collectivement, la réglementation nationale) constitue un motif valable de déroger aux notes explicatives. Ces règlements énoncent les normes de composition auxquelles les produits laitiers doivent se conformer pour pouvoir être vendus sous cette désignation au Canada. Le problème en l’espèce tient au fait que, selon les notes explicatives, les fromages peuvent contenir une gamme d’ingrédients plus vaste que celle qu’autorise la réglementation nationale. JCI exhorte le Tribunal à suivre la norme la plus restrictive; en d’autres termes, JCI est d’avis que si le produit ne satisfait pas aux normes de composition énoncées dans la réglementation nationale, le produit ne doit pas être considéré comme du « fromage » aux fins du classement tarifaire.
  4. Cet argument n’est certes pas sans attrait. Il semble plutôt contre-intuitif d’exiger qu’un produit soit considéré comme du fromage aux fins du classement tarifaire, alors que, lorsqu’il est offert en vente au Canada, il ne peut être étiqueté ou commercialisé sous cette désignation, ni être considéré comme une variété de fromage parce que le produit ne satisfait pas aux exigences de composition prévues dans la réglementation nationale.
  5. Toutefois, le Tribunal ne souscrit pas à l’argument selon lequel la présence d’une réglementation nationale, en soi, constitue un motif valable de déroger aux notes explicatives. Selon le Tribunal, Suzuki indique que le Tribunal ne doit déroger aux notes explicatives que dans des circonstances exceptionnelles. Compte tenu, plus particulièrement, de la mission de l’OMD, laquelle comprend l’harmonisation internationale des régimes douaniers, il n’est pas opportun de simplement écarter les notes explicatives. De plus, comme la Cour d’appel fédérale le souligne également dans Suzuki, le Tribunal « n’est pas autorisé à rédiger de nouveau ou à laisser de côté ces notes en définissant de nouveau leurs termes »[33].
  6. Le PLC fait valoir, et le Tribunal souscrit à cet avis, que l’argument selon lequel la réglementation nationale régit le classement tarifaire n’est pas compatible avec le caractère international de l’harmonisation du régime tarifaire. Le Tribunal doit plutôt se soucier de parvenir à un classement qui soit compatible avec le caractère international du système harmonisé. Par conséquent, en l’absence d’une directive expresse ou implicite dans le Tarif des douanes enjoignant au Tribunal de déroger aux notes explicatives et d’appliquer la réglementation nationale, le Tribunal est tenu de faire l’exercice de classement tarifaire de la manière habituelle, en se fondant sur les indications qui figurent dans les notes explicatives. Bien que le Tribunal puisse considérer que la réglementation nationale l’éclaire dans son exercice de classement tarifaire dans la mesure où celle-ci est pertinente et utile, surtout pour comprendre les aspects techniques ou industriels[34], elle n’est pas concluante et ne supplante pas les autres sources qui peuvent le guider dans sa décision. Sinon, les États pourraient facilement désinternationaliser et dénormaliser le tarif en adoptant des normes de composition nationales.
  7. Ainsi que le Tribunal l’a fait remarquer dans Excelsior Foods Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du Revenu du Canada[35], bien que ces textes d’encadrement puissent être valables pour établir des catégories au sein de l’industrie des aliments en ce qui a trait à la composition et à la qualité des produits alimentaires, le Tribunal est lié par les termes du Tarif des douanes. Par conséquent, les normes établies par d’autres cadres réglementaires, l’utilisation courante dans l’industrie, etc., peuvent éclairer le Tribunal, mais elles doivent nécessairement être considérées comme secondaires par rapport aux termes du Tarif des douanes.
  8. Le Codex Alimentarius, établi par la Commission du Codex Alimentarius, peut constituer une autre source de référence. La raison d’être de cette commission est de développer des normes alimentaires internationales harmonisées pour protéger la santé des consommateurs et pour promouvoir des pratiques commerciales équitables dans le commerce des aliments[36]. Bien que les États membres ne soient pas liés par les normes du Codex Alimentarius, celles-ci servent souvent (mais ce n’est pas toujours le cas) de fondement aux lois nationales.
  9. Comme nous le verrons plus en détail ci-après, le Codex Alimentarius donne certaines indications au Tribunal pour lui permettre d’analyser la principale question qui se pose en l’espèce, soit celle de savoir si les marchandises en cause sont du fromage ou si elles présentent le caractère du fromage. Si les marchandises en cause sont du fromage ou si elles présentent le caractère du fromage, elles sont correctement classées dans la position no 04.06. Par contre, si elles n’ont pas le caractère du fromage, selon leur composition, leur processus de fabrication ou d’autres critères, le Tribunal se demandera si elles peuvent être classées dans la position no 21.06 à titre de préparations.

Le chapitre 4 n’est pas limité aux ingrédients laitiers « de base »

  1. Le Tribunal ne souscrit pas à l’argument de JCI selon lequel le chapitre 4 est réservé aux produits laitiers « de base » les plus élémentaires. Il est vrai en général que les marchandises ou les produits les plus sophistiqués et les plus complexes (comme des instruments de précision) se trouvent plus loin dans la nomenclature tarifaire que les marchandises ou produits qui constituent des besoins plus essentiels (par exemple les aliments) ou des matières premières (par exemple les minerais). Toutefois, il est inexact de conclure, en se fondant sur cette généralisation, que les produits de base sont les seuls qui sont censés être visés dans les premiers chapitres.
  2. Dans Producteurs laitiers du Canada c. Canada (Sous-ministre du revenu national – M.R.N.), le Tribunal a affirmé que les marchandises visées au chapitre 4 ont largement le caractère de produits laitiers de base[37]. Cette remarque ne doit pas être interprétée comme étant une règle catégorique selon laquelle le chapitre 4 ne contient que les produits laitiers les plus simples, ni ne doit être utilisée de manière à abréger l’exercice de classement tarifaire du Tribunal.
  3. En fait, la remarque faite par le Tribunal dans Producteurs laitiers signifie que certaines marchandises visées au chapitre 4 ne sont pas des produits laitiers de base, mais qu’elles sont visées par le chapitre 4 dans la mesure où elles ont largement le caractère de produits laitiers de base. Fait plus important, elle signifie que le degré de transformation, s’il en est, est une considération importante. Lorsqu’on l’interprète à la lumière des notes explicatives, il est bien évident qu’un produit laitier peut subir un certain degré de transformation tout en conservant le caractère d’un produit laitier (en l’espèce, du fromage). Un tel produit aurait encore largement le caractère d’un produit laitier de base.

Les marchandises peuvent-elles être classées dans la position no 04.06?

  1. Comme indiqué ci-dessus, le Tribunal doit déterminer si les marchandises en cause sont du fromage, et également si elles conservent leur caractère de fromage, conformément aux notes explicatives.
  2. L’Oxford Advanced Learner’s Dictionary définit le terme « cheese » (fromage) comme un « aliment obtenu à partir de lait caillé pressé, de consistance ferme et élastique ou molle et semi-liquide; fromage râpé [...] »[38] [traduction].
  3. L’International Dictionary for Food and Cooking décrit le fromage comme suit :

1 Un dérivé solide du lait obtenu par la coagulation de la plupart des protéines (caséine) du lait menant au caillage et par l’égouttage de l’eau constitutive du lait (lactosérum). Le processus allie plusieurs des procédés suivants : retrait ou ajout de la crème, acidification du lait résultant de l’action de lactobacilles, chauffage ou ébullition du lait, coagulation de la teneur en protéines sous l’action de la présure ou d’un autre coagulant, émiettage du caillé et égouttage du lactosérum, salage du caillé, chauffage du caillé, broyage du caillé, ajout de cultures de microorganismes, pressage du caillé pour l’obtention d’une pâte, perçage et affinage de la pâte. Le type de fromage dépend de la source du lait, du traitement, du volume d’eau retirée du caillé, de la matière grasse butyrique qui reste dans le caillé, des microorganismes qui se développent à l’intérieur ou en surface ainsi que la durée et les conditions de l’affinage[39].

[Italiques dans l’original, traduction]

  1. Il est évident que le principal ingrédient qui compose les marchandises en cause est du fromage[40], puisque cet ingrédient compte pour approximativement 99 p. 100 des marchandises finies[41]. Selon le rapport de laboratoire de l’ASFC, dans lequel il a été déterminé que les marchandises en cause sont composées d’eau dans une proportion de 50 p. 100, de matières grasses (laitières) dans une proportion de 26 p. 100, de protéines (principalement de la caséine) dans une proportion de 23 p. 100, les marchandises en cause sont composées presque entièrement de fromage[42]. Le rapport de laboratoire décrit les marchandises en cause comme des « filaments blanchâtres d’une matière qui a l’apparence et l’odeur du fromage, comportant une très faible quantité de petites taches noires et rouges, emballés dans un sac de plastique »[43] [traduction].
  2. Les marchandises en cause ont l’apparence et l’odeur du fromage râpé et sont presque entièrement composées de fromage.
  3. JCI soutient que les marchandises en cause ne sont pas du fromage puisque les ingrédients du fromage sont soumis à des procédés[44] de transformation moléculaire qui fait en sorte que le produit final est différent du fromage. JCI fait valoir qu’il y a aussi un autre procédé qui modifie les marchandises en cause pour en faire un produit différent du fromage consistant en l’ajout de certains autres ingrédients (par exemple la cellulose, ████████████████████, des épices, █████████, ██████████ et la natamycine) après avoir été râpé. Elle affirme que, comme le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers n’autorisent pas la présence de certains autres ingrédients, notamment l’amidon et ███████, le produit obtenu ne peut être considéré comme du fromage. Pour les motifs énoncés ci-après, le Tribunal est d’avis que le résultat de ces procédés consiste en un produit qui, essentiellement, est du fromage.
  4. S’appuyant sur le rapport d’expert de M. Mussar, JCI soutient que les marchandises en cause se distinguent du fromage à l’échelle moléculaire. Dans son rapport, M. Mussar explique les résultats de la procédure de micrographie électronique à cryobalayage utilisée par un professeur de l’Université de Guelph (lequel n’a pas comparu devant le Tribunal dans la présente instance) afin de comparer la composition moléculaire des marchandises en cause, d’une part, avec du fromage à pizza mozzarella et du fromage fondu, d’autre part[45]. Selon la conclusion de ce test, dans le cadre duquel ont été examinés la taille, la forme et l’alignement des globules de graisse, la microstructure des marchandises en cause est semblable au fromage à pizza mozzarella partiellement écrémé de marque Saputo (« Saputo Part Skim Pizza Mozzarella Cheese ») et nettement différente du fromage cheddar fondu de marque Armstrong (« Armstrong Process Cheddar Cheese »)[46].
  5. Même si les marchandises en cause ont effectivement été modifiées à l’échelle moléculaire en raison des procédés de fabrication auxquels elles ont été soumises, le test dont JCI fait état ne démontre pas qu’elles se distinguent du fromage. Selon le Tribunal, le test confirme que, malgré les procédés de fabrication de JCI, les marchandises en cause ont des caractéristiques semblables à la mozzarella commerciale[47]. En outre, la question de savoir si les marchandises en cause ressemblent davantage à la mozzarella commerciale qu’aux fromages fondus n’est pas pertinente; aux fins du classement tarifaire, il s’agit de fromage dans les deux cas.
  6. De plus, le Tribunal estime que le procédé de fabrication décrit par JCI, malgré son caractère novateur et exclusif, est essentiellement celui d’un fabricant spécialisé de fromage commercial. Il reflète les modifications qui ont été apportées au procédé traditionnel de fabrication de fromage à pâte filée, auquel certains ingrédients sont ajoutés, et il est conçu pour produire des fromages comportant de meilleures propriétés (par exemple l’extensibilité du fromage et sa capacité à fondre)[48]. Ces caractéristiques rendent les marchandises en cause plus aptes à certaines utilisations, comme sur la pizza, mais n’en font pas quelque chose différent du fromage.
  7. Pour ce qui est de l’ajout d’ingrédients après que le fromage a été râpé, les notes explicatives de la position no 04.06 prévoient clairement la situation très courante dans laquelle des ingrédients ou additifs sont incorporés au fromage sans en modifier le caractère de fromage. Un certain nombre de ces ingrédients autorisés sont expressément énoncés dans les notes explicatives, plus particulièrement la viande, le poisson, les crustacés, les aromates, les épices, les légumes, les fruits, les vitamines et le lait écrémé en poudre. Cette liste n’est pas exhaustive, comme le démontre l’utilisation de la locution « etc. » en fin de liste.
  8. JCI soutient que l’ajout de l’amidon après que le fromage a été râpé en fait une préparation au fromage et non un fromage, puisque l’amidon n’est pas un additif autorisé dans la réglementation nationale. JCI fait remarquer que l’amidon n’est pas mentionné dans les notes explicatives, et il n’a pas non plus de caractéristique en commun avec les autres exemples indiqués dans les notes explicatives, notamment la contribution à la saveur ou à la valeur nutritive du fromage.
  9. Le Tribunal ne croit pas que les notes explicatives doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive comme le soutient JCI. Selon une interprétation restrictive, les autres ingrédients, par exemple la cellulose, qui figurent dans des produits qui sont clairement du fromage conformément au Codex Alimentarius et à la réglementation nationale, feraient en sorte que le produit soit considéré comme autre chose que du fromage aux fins du classement tarifaire. À cet égard, le Tribunal fait observer que la cellulose est une substance autorisée dans le Codex Alimentarius[49] et dans la réglementation nationale[50] pour le fromage râpé. Selon les éléments de preuve, la cellulose est généralement ajoutée au fromage râpé à titre d’antiagglomérant, en d’autres termes, pour faire en sorte que les filaments de fromage ne collent pas ensemble[51]. Cependant, la cellulose n’a aucun effet sur la saveur du fromage râpé ni sur la valeur nutritive.
  10. La natamycine est un autre ingrédient clairement autorisé dans le Codex Alimentarius et dans la réglementation nationale relativement à un certain nombre de fromages, mais s’il fallait interpréter les notes explicatives de la manière proposée par JCI, elle ne serait pas visée par la locution « etc. » parce qu’elle est un agent anti-moisissure, et non un ingrédient qui contribue à la saveur ou à la valeur nutritive du fromage.
  11. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal donne en l’espèce une interprétation libérale aux notes explicatives. En théorie, il pourrait certes y avoir une certaine limite à la nature des ingrédients que peut contenir le fromage pour qu’il conserve son caractère de fromage, mais les ingrédients visés en l’espèce ne permettent pas d’atteindre cette limite.
  12. Cette interprétation, fondée sur le point de vue dominant des spécialistes des produits laitiers, va dans le même sens que le témoignage d’expert livré par M. Goulet relativement aux caractéristiques du fromage. Selon M. Goulet, le fait d’incorporer, en petites quantités, divers ingrédients laitiers ou non laitiers dans la masse de caillé ne change ni la nature ni les attributs du fromage qui en résulte, et il a cité en exemple le fromage cheddar coloré ou au porto ainsi que les fromages qui contiennent des aromates, du poivre ou d’autres assaisonnements ou qui sont fumés[52]. Selon son avis d’expert, il en va de même pour les ajouts censés améliorer certaines propriétés du fromage. Il en a cité deux en exemple : la cellulose, un agent antiagglomérant; ainsi que les sels de fonte et les émulsifiants, qui sont utilisés dans les fromages fondus. En général, ces types d’ajouts ne constituent qu’une petite quantité de la masse totale et figurent à la fin de la liste des ingrédients énumérés sur l’étiquette[53]. Dans son témoignage, M. Goulet a expliqué comment ces types de fromage – qu’il a appelés des produits « particulaires » [traduction] – ont été jugés dans le cadre de concours de fromages, plus particulièrement dans le cadre de la « compétition du Grand Prix des fromages canadiens »[54].
  13. Puisque les marchandises en cause contiennent de l’amidon, elles ne satisfont pas aux normes de composition prescrites pour certaines variétés de fromage dans la réglementation nationale; cependant, selon le Tribunal, cela ne signifie pas que les marchandises ne sont pas considérées comme du fromage aux fins du classement tarifaire. Le Tribunal constate que l’utilisation d’amidon est autorisée dans plusieurs normes différentes du Codex Alimentarius applicables aux fromages. Plus particulièrement, les normes énoncées dans le Codex Alimentarius pour au moins deux variétés de fromage[55] autorisent l’utilisation d’amidon comme agent antiagglomérant pour le traitement de la surface des fromages découpés, en tranches et râpés de ces variétés, pour autant qu’il ne soit ajouté que dans les quantités nécessaires telles que prévues par les « bonnes pratiques de fabrication »[56]. Le Codex Alimentarius autorise également l’utilisation d’amidon en tant que stabilisant dans les fromages non affinés[57].
  14. Bien que l’amidon dans les marchandises en cause ne soit pas utilisé comme antiagglomérant[58], le Tribunal est d’avis que la fonction remplie par un seul ingrédient, incorporé dans les marchandises en cause en quantité relativement minime, ne modifie pas le caractère des marchandises dans leur ensemble.
  15. De plus, l’ajout d’un autre produit non autorisé par la réglementation nationale[59] ne modifie pas le caractère des marchandises en cause au point qu’elles ne soient plus considérées comme du fromage. Les éléments de preuve indiquent que cet ingrédient est ajouté pour remplir une fonction dans les marchandises en cause[60]. En outre, même si le Tribunal acceptait l’interprétation stricte des notes explicatives proposée par JCI, il peut raisonnablement être affirmé que cet ingrédient contribue à la saveur du produit.
  16. Le Tribunal constate que bon nombre des facteurs examinés dans Confiserie Regal Inc. c. Sous-ministre du Revenu national[61] sont pertinents en l’espèce, soit l’apparence, la meilleure utilisation, la commercialisation et la distribution des marchandises en cause.
  17. Les marchandises en cause ressemblent à du fromage râpé et, tel qu’indiqué ci-dessus, elles sont composées presque entièrement de fromage. Comme en fait état le rapport de laboratoire de l’ASFC, les marchandises en cause ont aussi une odeur de fromage[62].
  18. M. Tyers a affirmé que de multiples utilisations sont prévues pour les marchandises en cause – notamment pour garnir les nachos, les sandwichs, les burritos, les pommes de terre farcies, la pizza, les frites et les ailes de poulet[63]. Le Tribunal fait toutefois observer qu’au moment où les marchandises en cause ont été importées par JCI, elles étaient surtout utilisées comme garniture de pizza[64]. Selon le Tribunal, l’utilisation prévue des marchandises en cause est la même que pour le fromage et, lorsque vendues au Canada, elles sont effectivement utilisées comme du fromage.
  19. Comme indiqué ci-dessus, les marchandises en cause sont commercialisées sous plusieurs noms, notamment « Three Cheese Melt », « Tex-Mex Topping » et « J. Cheese Pizza Topping »[65]. Certes, le premier de ces noms donne à penser que le produit est du fromage, mais les deux autres sont moins explicites.
  20. Les déclarations du fabricant des marchandises en cause et du transformateur qui les râpe démontrent que l’industrie considère que ces marchandises sont du fromage[66].
  21. Les caractéristiques des marchandises en cause (notamment leur apparence et leur odeur), leur utilisation, leur commercialisation et leur distribution donnent à penser qu’elles sont du fromage.
  22. Après avoir examiné tous les faits et tous les éléments de preuve en l’espèce, le Tribunal conclut que les marchandises en cause conservent leur caractère de fromage.
  23. Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont du fromage râpé relevant du numéro tarifaire 0406.20.91 (dans les limites de l’engagement d’accès) ou du numéro tarifaire 0406.20.92 (au-dessus de l’engagement d’accès).

DÉCISION

  1. L’appel est rejeté.

[1].      L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].      L.C. 1997, ch. 36.

[3].      Toyota Tsusho America Inc. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CF 78 au par. 24.

[4].      Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[5].      L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[6].      L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[7].      Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003 [Avis de classement].

[8].      Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012 [Notes explicatives].

[9].      Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) [Suzuki] aux par. 13, 17, où la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les Notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. Le Tribunal est d’avis que cette interprétation s’applique également aux Avis de classement.

[10].    Les règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position. Dans Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada) c. Agri Pack, 2005 CAF 414 (CanLII), la Cour d’appel fédérale a affirmé, au par. 14, que « [l]es Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé (les Règles générales) sont structurées en cascade. Si et seulement si le classement d’un article donné ne peut pas être déterminé conformément à la Règle 1, il faut alors appliquer la Règle 2 et ainsi de suite » [nos italiques].

[11].    La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles ci-dessus [c’est-à-dire les règles 1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[12].    La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les Avis de classement et les Notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

[13].    Les deux derniers chiffres du numéro de classement proposé par JCI sont appelés « suffixe statistique ». Il n’est pas nécessaire que le Tribunal se prononce sur le suffixe statistique, car il est bien établi que les numéros de classement à 10 chiffres n’ont aucune incidence sur le classement tarifaire, lequel doit toujours se faire en conformité avec les articles 10 et 11 du Tarif des douanes. Voir North American Tea & Coffee Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (11 février 2009), AP-2007-017 (TCCE) au par. 43.

[14].    Transcription de l’audience publique, vol. 1, 3 mai 2016, à la p. 72.

[15].    D.O.R.S./79-840.

[16].    Transcription de l’audience publique, vol. 1, 3 mai 2016, aux pp. 10-11.

[17].    Pièce AP-2015-011-18 à la p. 23, vol. 1D.

[18].    Ibid.

[19].    Pièce AP-2015-011-42A, onglet A à la p. 1, onglet C à la p. 5, vol. 1H; Transcription de l’audience publique, vol. 1, 3 mai 2016, aux pp. 48-50.

[20].    Transcription de l’audience publique, vol. 2, 4 mai 2016, aux pp. 137, 267.

[21].    Pièce AP-2015-011-35, annexe C, vol. 1H.

[22].    Pièce AP-2015-011-27A, onglet 27, vol. 1E.

[23].    Pièce AP-2015-011-47B, onglet 2 à la p. 5, vol. 1J.

[24].    L. Lavoie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (6 septembre 2013), AP-2012-055 (TCCE) au par. 28, note 14 citant Deputy M.N.R.C.E. v. MacMillan & Bloedel (Alberni) Ltd., 1965 CanLII 82 (SCC), [1965] S.C.R. 366 à la p. 371.

[25].    (21 novembre 2011), AP-2010-060 (TCCE) au par. 41.

[26].    À cet égard, le Tribunal souligne que les produits Kingsey et Perron sont désignés sur l’emballage comme des préparations ou des mélanges pour fondue au fromage et qu’ils ne sont pas commercialisés comme de la fondue au fromage proprement dite.

[28].    Pièce AP-2015-011-49, vol. 1K.

[29].    Pièce AP-2015-011-28C à la p. 269, vol. 1F.

[30].    Costco Wholesale Canada Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2011-033 (TCCE) au par. 25; Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII); Jakks Pacific Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 mars 2016), AP-2015-012 (TCCE) au par. 33.

[31].    C.R.C., ch. 870.

[32].    D.O.R.S./79-840.

[33].    Suzuki au par. 17.

[34].    North American Tea & Coffee Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (11 février 2009), AP-2007-017 (TCCE) au par. 36.

[35].    (23 septembre 2004), AP-2002-113 (TCCE).

[36].    Pièce AP-2015-011-47B, onglet 4, vol. 1J.

[37].    [1999] T.C.C.E. no 25 [Producteurs laitiers] au par. 73, décision citée dans la pièce AP-2015-011-04C, onglet 5, vol. 1A.

[38].    Pièce AP-2015-011-27A, onglet 7, vol. 1E.

[39].    Pièce AP-2015-011-28C, onglet 22, vol. 1F.

[40].    Pièce AP-2015-011-27B (protégée), onglet 2 à la p. 11, vol. 2C; Transcription de l’audience à huis clos, vol. 1, 3 mai 2016, à la p. 3. Les trois premiers ingrédients qui figurent sur l’étiquette des marchandises en cause, et qui sont énumérés sur l’emballage et décrits par M. Tyers, sont ████████████████, ████████████ et ██████████████.

[41].    Pièce AP-2015-011-27A, onglet 3, vol. 1E.

[42].    Ibid.

[43].    Ibid.

[44].    ██████████████████████████████████████████████████.

[45].    Pièce AP-2015-011-34A, onglet 2, vol. 1H.

[46].    Ibid. au par. 32.

[47].    Ibid. au par. 32b).

[48].   Pièce AP-2015-011-36B, onglet 9, vol. 1H; pièce AP-2015-011-36C aux pp. 3, 6, vol. 1H; pièce AP-2015-011-37C aux pp. 6-7, vol. 1H; Transcription de l’audience à huis clos, vol. 2, 4 mai 2016, aux pp. 61-62; Transcription de l’audience publique, vol. 2, 4 mai 2016, à la p. 253.

[49].    Pièce AP-2015-011-36B, onglet 3, vol. 1H; pièce AP-2015-011-36C à la p. 5, vol. 1H.

[50].    Pièce AP-2015-011-04C, onglet 7 à la p. 121, vol. 1A.

[51].    Pièce AP-2015-011-27A, onglet 8 à la p. 3, vol. 1E.

[52].    Pièce AP-2015-011-37C à la p. 3, vol. 1H.

[53].    Ibid.

[54].    Transcription de l’audience publique, vol. 2, 4 mai 2016, aux pp. 249-250.

[55].    À savoir ███████████████████████████████████████.

[56].    Pièce AP-2015-011-36B, onglets 3, 4, vol. 1H.

[57].    Pièce AP-2015-011-28C, onglet 17, vol. 1F; Transcription de l’audience publique, vol. 2, 4 mai 2016, aux pp. 203-204.

[58].    ████████████████ par exemple. Pièce AP-2015-011-18A (protégée) au par. 53, vol. 2B.

[59].    À savoir ███████████████.

[60].    Plus précisément, ██████████████████████████████.

[61].    (25 juin 1999), AP-98-043, AP-98-044, AP-98-051 (TCCE).

[62].    Pièce AP-2015-011-27A, onglet 3 à la p. 2, vol. 1E.

[63].    Transcription de l’audience publique, vol. 1, 3 mai 2016, aux pp. 12, 23.

[64].    En effet, M. Tyers reconnaît que, durant cette période, █████████████████████████. Transcription de l’audience à huis clos, vol. 1, 3 mai 2016, à la p. 22.

[65].    Pièce AP-2015-011-42A, onglet A à la p. 1, onglet C à la p. 5, vol. 1H; Transcription de l’audience publique, vol. 1, 3 mai 2016, aux pp. 48-50.

[66].    Pièce AP-2015-011-18A (protégée), onglet E aux pp. 76, 78, vol. 2B; Transcription de l’audience à huis clos, vol. 1, 3 mai 2016, aux pp. 24-25.