G. BRADFORD

G. BRADFORD
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Appel no AP-2015-031

Décision et motifs rendus
le lundi 12 septembre 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 30 août 2016, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 8 janvier 2016, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

G. BRADFORD Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 30 août 2016

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Elysia Van Zeyl

Agent du greffe : Sara Pelletier

Agent de soutien du greffe : Chelsea McKiver

PARTICIPANTS :

Appelante

 

G. Bradford

 

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Mary Roberts

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. Le présent appel est interjeté auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] à l’égard d’une décision rendue le 8 janvier 2016 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes duparagraphe 60(4).
  2. La question en litige dans le présent appel consiste à détermine si un couteau (la marchandise en cause) importé par M. G. Bradford est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’arme prohibée et donc à titre de marchandise dont l’importation est interdite au Canada aux termes du paragraphe 136(1).

MARCHANDISE EN CAUSE

  1. M. Bradford, un collectionneur de couteaux et d’épées, a décrit la marchandise en cause comme un couteau de la U.S. Navy Seals, utilisé à l’époque de la guerre du Vietnam, de 1962 à 1972. L’ASFC l’a décrite comme un « couteau-baïonnette avec coup-de-poing américain » [traduction].
  2. La marchandise en cause a un fourreau de couleur vert olive et mesure 298 mm de longueur, dont la lame mesure 170 mm. Il comprend une lame fixe et un manche en métal. Le garde-main comprend deux ouvertures ou trous en forme de « B ». Le premier trou le plus près de la lame est circulaire et on peut y enfiler un doigt. Le deuxième trou, plus long et de forme oblongue et comportant des repose-doigts moulés, est conçu pour que l’on puisse y enfiler les trois autres doigts. L’arête extérieure du garde-main est ondulée et comporte quatre pointes ou saillies distinctes.
  3. La marchandise en cause comprend également une ouverture ronde horizontale en haut du manche, conçue pour y placer le canon d’une arme, ainsi qu’un mécanisme de fermeture dans sa garde, ce pourquoi elle a été décrite comme une baïonnette. M. Bradford la décrit comme un modèle expérimental testé par les forces américaines à l’époque de la guerre du Vietnam et utilisé par les Navy Seals. En fin de compte, le modèle n’a pas été conservé comme un équipement du service actif.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. M. Bradford a acheté la marchandise en cause en mai 2013, ainsi que deux autres couteaux qui ne font pas l’objet du présent appel, d’une compagnie de vente aux enchères aux États-Unis.
  2. Le 2 juillet 2013, au moment de l’importation au Canada, un agent de l’ASFC au Centre de traitement du courrier international de Toronto a déterminé que la marchandise en cause était prohibée et l’a saisie conformément à l’article 110 de la Loi sur les douanes.
  3. Le 20 août 2013, M. Bradford a présenté une demande au ministre de la Sécurité publique aux termes du paragraphe 129(1) de la Loi l’enjoignant de rendre une décision sur la saisie. La décision ministérielle qui confirmait la saisie a été rendue le 14 mai 2014, aux termes de l’article 131. Dans cette même décision, le ministre de la Sécurité publique a annulé la mesure de contrôle d’application prise contre M. Bradford, concluant que ce dernier n’avait pas contrevenu à l’article 7.1, qui exige que les renseignements fournis aux agents des douanes pour l’exécution de leurs fonctions soient « [...] véridiques, exacts et complets ».
  4. Par une lettre datée du 16 septembre 2015, l’ASFC a informé M. Bradford que la marchandise en cause serait renvoyée pour examen et révision du classement tarifaire.
  5. Le 28 septembre 2015, conformément au paragraphe 58(1) de la Loi, l’ASFC a rendu sa décision dans laquelle elle classait la marchandise en cause à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00. Ce classement était fondé sur la décision de l’ASFC selon laquelle la marchandise en cause consistait en un couteau avec manche constitué d’un coup-de-poing américain.
  6. Le 2 novembre 2015, aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi, M. Bradford a demandé le réexamen de la décision de l’ASFC.
  7. Le 8 janvier 2016, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, l’ASFC a confirmé la décision initiale concernant le classement tarifaire de la marchandise en cause.
  8. Le 26 janvier 2016, M. Bradford a interjeté le présent appel. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[3]. L’audience a eu lieu le 30 août 2016.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes est rédigé comme suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

[Nos italiques]

  1. Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[4] ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 prévoit que les « marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent chapitre peuvent être classées dans ladite position si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».
  2. La question de savoir si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 doit donc être tranchée conformément aux dispositions de ce numéro tarifaire et aux dispositions applicables du Code criminel[5].
  3. La liste des marchandises prohibées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 comprend les « armes prohibées ». Pour l’application du numéro tarifaire 9898.00.00, l’expression « armes prohibées » s’entend au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.
  4. Le paragraphe 84(1) du Code criminel définit le terme « arme prohibée » de la façon suivante, dont seul l’alinéa b) est pertinent :

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

(b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon . . . .

  1. L’article 4 du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction[6] indique que les armes énumérées à la partie 3 de l’annexe de ce règlement sont considérées comme des « armes prohibées » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.
  2. L’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement désignant certaines armes comme étant prohibées est rédigé comme suit et qualifie ces marchandises d’armes prohibées :

L’instrument communément appelé « coup‑de‑poing américain » et autre instrument semblable consistant en une armature métallique trouée dans laquelle on enfile les doigts.

The device known as “Brass Knuckles” and any similar device consisting of a band of metal with one or more finger holes designed to fit over the fingers of the hand.

POSITION DES PARTIES

  1. M. Bradford fait valoir que la marchandise en cause ne peut être qualifiée de coup-de-poing américain. En fait, il décrit la marchandise en cause comme étant une baïonnette ou un couteau de combat. Il indique que le manche de la marchandise en cause ne constitue pas un coup-de-poing américain parce qu’un coup-de-poing américain a un espace ou des espaces prévus pour y enfiler les doigts, de sorte que l’arme puisse tenir en place sur les doigts. Il affirme que la marchandise en cause ne possède pas cette particularité puisque, bien que le manche ait des trous, ces trous ne permettent pas à la marchandise en cause de demeurer en place sur les doigts. Il fait également valoir que le Code criminel ne prohibe pas expressément une baïonnette avec coup-de-poing américain, puisqu’une telle arme n’existe pas.
  2. L’ASFC reconnaît que la marchandise en cause ne serait pas considérée comme une arme prohibée si ce n’était du manche, qui, selon elle, correspond à la définition de coup-de-poing américain. L’ASFC soutient que, pour être considérée comme un coup-de-poing américain, la marchandise en cause doit répondre à trois critères énumérés à l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement désignant certaines armes comme étant prohibées. Plus particulièrement, la marchandise en cause 1) doit consister en une armature métallique 2) trouée 3) dans laquelle on enfile les doigts. L’ASFC indique que la marchandise en cause répond à ces trois critères.

ANALYSE

  1. Il appert clairement que le garde-main du couteau consiste en une armature métallique.
  2. Il appert aussi clairement que le garde-main comporte deux trous où on enfile les doigts pour agripper le couteau. Les trous portent des empreintes où les doigts sont appuyés sur le manche, ainsi que des nodules extérieurs (où seraient placées les jointures de la main) conçus pour infliger des dommages supplémentaires en cas d’impact.
  3. Le litige entre les parties repose en la question de savoir si la marchandise en cause est conçue pour qu’on y enfile les doigts. M. Bradford fait valoir que la marchandise n’est pas ajustée aux doigts, puisque le plus grand trou est conçu pour qu’un plongeur en scaphandre puisse y enfiler son gant, mais est trop grand pour qu’une personne puisse y enfiler ses doigts nus[7]. À l’opposé, l’ASFC indique que le mot « fit » (ajuster) fait référence au caractère approprié à un usage ou à la conception et ne devrait pas être interprété comme exigeant que la marchandise soit « parfaitement ajustée » aux doigts.
  4. Le Canadian Oxford Dictionary définit le terme « fit » de la façon suivante :

adjectif [...] 1 a bien adapté ou arrangé

[...]

verbe [...] être de la bonne forme et de la bonne dimension[8]

[Traduction]

  1. De même, le Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary définit le terme « fit » de la façon suivante :

adj. [...] adapté à une fin ou à une conception

[...]

vb. [...] être approprié ou [...] s’harmoniser avec [...] être conforme à une forme ou à une dimension en particulier; aussi : accueillir <la voiture peut-elle accueillir tout le monde?>[9]

[Traduction]

  1. La façon dont le coup-de-poing américain devrait s’ajuster (parfaitement ou pas) aux doigts n’est pas précisée dans le Règlement désignant certaines armes comme étant prohibées. Toutefois, le Tribunal convient avec l’ASFC que le terme « fit », tel qu’il est utilisé dans la définition du terme coup-de-poing américain, fait référence au caractère approprié à un usage précis ou à un concept plus général d’ajustement. Le terme n’exige pas, comme le prétend M. Bradford, que la marchandise en cause soit moulée exactement selon la dimension et la forme des doigts d’une personne. En effet, qu’un item s’ajuste parfaitement ou non sur les doigts d’une personne variera en grande partie selon la taille de la personne et, plus particulièrement, selon la taille de ses mains. Il faudra peut-être davantage d’espace si l’instrument doit être utilisé par une personne qui porte un gant épais, comme celui porté par un plongeur en scaphandre[10]. Évidemment, cette variabilité basée sur l’usager ne devrait pas avoir une incidence sur le classement tarifaire de la marchandise en cause.
  2. La décision du Tribunal dans R. Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[11] portait sur une marchandise semblable à bon nombre d’égards à la marchandise en cause. Dans cette affaire, il ressortait clairement de l’inspection visuelle que le Tribunal a effectuée du couteau Claw que le trou dans le manche était conçu pour y enfiler un doigt, dont deux nodules faisaient saillie, comme une jointure de doigt, au-dessus de ce trou pour la prise. Bien qu’il semble que les trois autres trous dans le couteau Claw n’étaient pas conçus pour y enfiler les doigts, en raison de leur taille, le Tribunal a conclu qu’il suffisait d’un trou dans lequel on enfile un doigt pour satisfaire aux exigences de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement désignant certaines armes comme étant prohibées.
  3. De même, il ressort clairement de l’inspection visuelle que le Tribunal a effectuée de la marchandise en cause que le garde-main de la marchandise en cause est un coup-de-poing américain, répondant ainsi aux trois critères de la définition. Il est constitué d’une armature métallique, trouée, précisément conçue pour y enfiler les doigts; sa conception est plutôt simple et évidente.
  4. Le Tribunal a également remarqué la présence de quatre pointes ou saillies au-dessus de chaque jointure de la main, lorsque l’on agrippe le manche du couteau. Comme l’a indiqué l’ASFC, il appert clairement que ces pointes étaient conçues pour infliger des blessures. Le Tribunal reconnaît que ces pointes ne font pas partie de la définition de « coup-de-poing américain » prévue à l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement désignant certaines armes comme étant prohibées, même si elles correspondent à la conception commune que l’on a du « coup-de-poing américain ». Le Tribunal n’a pas eu besoin de prendre cet élément en considération puisqu’en l’espèce, il était déjà satisfait aux trois éléments constitutifs de la définition de « coup-de-poing américain » dans le Règlement désignant certaines armes comme étant prohibées.
  5. Enfin, M. Bradford soutient que le garde-main de la marchandise en cause n’est pas différent de celui que l’on retrouve sur une épée ou une autre arme blanche (fournissant des photos à l’appui[12]), qui ne serait pas forcément considérée comme prohibée dans la loi. Compte tenu de la définition prévue à l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement désignant certaines armes comme étant prohibées, il faut établir une distinction importante entre la marchandise en cause et les armes blanches auxquelles M. Bradford fait allusion. Les illustrations fournies ne montrent pas des marchandises qui satisfont au critère à trois volets de la définition de « coup-de-poing américain », contrairement, tel qu’indiqué ci-dessus, à la marchandise en cause. Par conséquent, ces marchandises ne peuvent être comparées puisque leurs particularités ne sont pas comparables.
  6. En ce qui concerne l’affirmation de M. Bradford selon laquelle il est possible de se procurer des couteaux similaires à la marchandise en cause dans des centres commerciaux et des marchés aux puces au Canada, le Tribunal renvoie à sa décision Romain L. Klaasen c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[13], où il a affirmé qu’« [...] il n’est pas pertinent que toute expédition antérieure [...] n’ait pas été interceptée par l’ASFC ou par ses prédécesseurs. Que l’ASFC prenne ou non une mesure administrative ne peut changer la loi ». L’ASFC ne conteste pas l’affirmation de M. Bradford selon laquelle il est possible de se procurer des marchandises semblables à la marchandise en cause au Canada. Comme l’a expliqué le Tribunal dans ses décisions antérieures, cette dichotomie sur le marché peut naturellement porter à confusion pour le public en général.
  7. Le Tribunal compatit avec M. Bradford, qui semble avoir acheté la marchandise en cause sans tout à fait connaître les incidences juridiques qu’une telle importation pouvait entraîner. Toutefois, le Tribunal doit appliquer la loi telle qu’elle est rédigée et n’est pas habilité à dispenser des mesures en équité dans un tel cas[14].

DÉCISION

  1. L’appel est rejeté.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].      L.C. 1997, ch. 36.

[3].      D.O.R.S./91-499.

[4].      L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[5].      L.R.C. (1985), ch. C-46.

[6].      D.O.R.S./98-462 [Règlement désignant certaines armes comme étant prohibées].

[7].      Pièce AP-2015-031-08 à la p. 1, vol. 1.

[8].      Deuxième éd., s.v. « fit ».

[9].      Onzième éd., s.v. « fit ».

[10].    Pièce AP-2015-031-08 à la p. 1, vol. 1.

[11].    (15 janvier 2014), AP-2012-072 (TCCE).

[12].    Pièce AP-2015-031-08B (protégée), vol. 2.

[13].    (18 octobre 2005), AP-2004-007 (TCCE) au par. 7.

[14].    Wayne Erikson c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (3 janvier 2002), AP-2000-059 (TCCE) à la p. 3.