R. S. ABRAMS

R. S. ABRAMS
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Appel no AP-2016-004

Décision et motifs rendus
le mercredi 21 décembre 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 10 novembre 2016, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue le 28 janvier 2016 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

R. S. ABRAMS Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 10 novembre 2016

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Dustin Kenall

Agent du greffe : Bianca Zamor

PARTICIPANTS :

Appelante

 

R. S. Abrams

 

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Daniel Caron

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Il s’agit d’un appel interjeté par M. R. S. Abrams devant le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] à l’égard d’une décision rendue le 28 janvier 2016 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) conformément au paragraphe 60(4).
  2. La question en litige dans le présent appel consister à déterminer si l’ASFC a correctement classé un couteau (la marchandise en cause) dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’arme prohibée et, par conséquent, à titre de marchandise dont l’importation est interdite au Canada en vertu du paragraphe 136(1).

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Le 23 juillet 2015, l’ASFC a avisé M. Abrams qu’elle détenait la marchandise en cause et a déterminé qu’il s’agissait d’une arme prohibée au sens du numéro tarifaire 9898.00.00[3].
  2. Le 12 août 2015, M. Abrams a contesté cette décision en déposant une demande de révision conformément au paragraphe 60(1) de la Loi; toutefois, le 28 janvier 2016, conformément au paragraphe 60(4), l’ASFC a confirmé sa décision initiale selon laquelle la marchandise en cause était une arme prohibée[4].
  3. M. Abrams a déposé le présent appel devant le Tribunal le 25 avril 2016.
  4. M. Abrams a déposé son mémoire le 15 juin 2016 et l’ASFC a déposé le sien le 15 août 2016.
  5. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[5], décision à laquelle les parties ne se sont pas opposées. L’audience sur pièces a été tenue à Ottawa, en Ontario, le 10 novembre 2016. La marchandise en cause, ainsi que son emballage et une brochure accompagnant la marchandise, a été mise à la disposition du Tribunal et a été examinée physiquement par ce dernier durant l’audience sur pièces.

MARCHANDISE EN CAUSE

  1. La marchandise en cause est un couteau de poche Zero Tolerance, modèle ZT 0300, fabriqué par Kai USA Ltd., faisant affaire sous le nom de Zero Tolerance Knives, une filiale de Kershaw Knives. Le couteau s’ouvre au moyen d’une barre de torsion qui fonctionne essentiellement comme un ressort à la base de la lame. Ce mécanisme fixe initialement la lame en position fermée; toutefois, en appuyant sur la saillie située sur le dos de la lame, l’utilisateur vainc la résistance de la barre de torsion et libère l’énergie emmagasinée dans le mécanisme de tension, déployant ainsi la lame dans une trajectoire de demi-cercle et la propulsant rapidement en position ouverte et fixe[6]. De cette manière, la barre de torsion agit effectivement comme un ressort. Le couteau mesure environ 14 centimètres lorsqu’il est fermé et est muni d’une lame d’environ 9 centimètres de longueur[7].

CADRE LÉGISLATIF

  1. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

    L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

    The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

    [Nos italiques]

  1. Parmi la liste des marchandises prohibées, le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit les « armes prohibées ». Il précise également que l’expression « armes prohibées » s’entend au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel[8], comme suit :

    Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...].

    [...]

    Pour l’application du présent numéro tarifaire :

    [...]

    b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel;

    Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

    . . .

    For the purposes of this tariff item,

    . . .

    (b) ”automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Code criminel;

    [Nos italiques]

  1. Conformément au paragraphe 84(1) du Code criminel, « arme prohibée » s’entend de ce qui suit :

    a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

    b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

    (a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

    (b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon;

  1. En somme, pour déterminer si la marchandise en cause est correctement classée à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et, par conséquent, comme une marchandise dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si elle correspond à la définition d’« arme prohibée » prévue au paragraphe 84(1) du Code criminel.

POSITION DES PARTIES

M. Abrams

  1. M. Abrams fait valoir que la marchandise en cause est un couteau s’ouvrant au moyen d’une barre de torsion qui ne correspond pas à la description des marchandises énumérées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et au paragraphe 84(1) du Code criminel parce que (1) il ne s’ouvre pas automatiquement par gravité ou force centrifuge et (2) il ne s’ouvre pas automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche.
  2. M. Abrams soutient également qu’en concluant que la marchandise en cause est une arme prohibée, l’ASFC a mal appliqué la décision R. Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[9] rendue par le Tribunal et a ignoré l’exception relative au couteau s’ouvrant au moyen d’une barre de torsion (y compris les couteaux Speed-Safe®) prévue dans le Mémorandum D19-13-2[10] de l’ASFC et dans une décision nationale des douanes (numéro SRT 167287).

ASFC

  1. L’ASFC soutient que la marchandise en cause est correctement classée comme une arme prohibée parce que sa lame s’ouvre automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche.
  2. Selon l’ASFC, comme le couteau s’ouvre rapidement, avec très peu de gestes, en position entièrement ouverte et fixe, on peut dire qu’il s’ouvre « automatiquement ».
  3. De plus, l’ASFC fait valoir que le levier sur la lame est un « dispositif » au sens de l’article 84 du Code criminel et au sens ordinaire du terme « dispositif », puisqu’il a été conçu spécifiquement pour déployer la marchandise en cause. Qui plus est, on peut dire que ce dispositif est « […] incorporé ou attaché au manche » puisqu’il traverse le manche lorsque la lame se déploie.
  4. L’ASFC indique également que la marchandise en cause est très similaire aux marchandises en cause dans les décisions Knife & Key Corner Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[11] et R. Christie rendues par le Tribunal, qui ont été considérées comme des armes prohibées et qui, dans le cas de la première décision, concernait un couteau s’ouvrant au moyen d’une barre de torsion.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Les parties conviennent que le mécanisme à déploiement utilisé dans le couteau en cause est le système breveté SpeedSafe[12]. Le terme « SpeedSafe » n’est pas inscrit sur la marchandise en cause, ni sur son emballage, mais le Tribunal a inspecté physiquement le couteau et estime qu’il s’ouvre de la même manière que le couteau SpeedSafe examiné dans la décision Digital Canoe Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[13].
  2. De plus, le matériel publicitaire en ligne analysé dans la décision de révision de l’ASFC confirme que ce même modèle de couteau « […] est muni du système d’ouverture breveté SpeedSafe »[14] [traduction]. La troisième page de la brochure accompagnant la marchandise en cause, que le Tribunal a examinée, décrit les « leviers à déploiement assisté » des couteaux Zero Tolerance et indique qu’il « suffit d’une petite pression sur le bouton ou d’une traction sur le levier. […] Le système à déploiement assisté des couteaux ZT déploie la lame rapidement et facilement et la verrouille en place »[15] [traduction]. Par conséquent, le Tribunal estime que la marchandise en cause est munie du système SpeedSafe, qui est le même mécanisme à déploiement assisté d’une barre de torsion breveté qui a été examiné et décrit par le Tribunal dans la décision Digital Canoe[16].
  3. Après un examen complet, le Tribunal estime que le présent appel concerne le même type de mécanisme à déploiement et les mêmes arguments que le Tribunal a récemment examinés dans la décision Digital Canoe, rendue peu après le dépôt des mémoires des parties en l’espèce. Le Tribunal ne s’écartera normalement pas de ses décisions antérieures, en l’absence de bonnes raisons de le faire, comme lorsque des distinctions factuelles justifient une conclusion différente ou que l’on démontre que la décision antérieure est viciée[17]. En l’espèce, les mémoires des parties soulèvent les mêmes arguments sur les mêmes faits pertinents que ceux déjà examinés dans la décision Digital Canoe. Rien ne nous permet de réexaminer la décision Digital Canoe ou de parvenir à un résultat différent en l’espèce.
  4. Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans la décision Digital Canoe[18], le Tribunal estime que la marchandise en cause s’ouvre « automatiquement » par pression manuelle minimale sur un levier vers un mécanisme de ressort ou de tension incorporé et attaché physiquement au manche. La marchandise en cause correspond donc à la définition d’« arme prohibée ».
  5. En ce qui concerne les autres arguments de M. Abrams, l’appel dans la décision R. Christie portait sur des types de couteaux différents, à savoir un stylet muni d’un système à déploiement assisté différent ainsi qu’une dague à pousser. Le Tribunal convient que, comme cet appel portait sur des marchandises différentes et un mécanisme à déploiement différent, la décision R. Christie ne permettait donc pas de tirer une conclusion quant à savoir si la marchandise en cause était munie du mécanisme breveté SpeedSafe.
  6. Toutefois, le mécanisme à déploiement assisté d’une barre de torsion a été précédemment examiné et considéré comme une arme prohibée par le Tribunal dans la décision Knife & Key[19], sur laquelle s’est fondée à juste titre l’ASFC dans sa décision de réexamen[20]. De plus, le mécanisme précis à déploiement assisté d’une barre de torsion breveté SpeedSafe en l’espèce a également été examiné dans la décision Digital Canoe, que les parties n’ont pas eu la chance d’examiner au moment du dépôt des procédures, ce que le Tribunal reconnaît. Le Tribunal a examiné la marchandise en cause et conclut qu’elle s’ouvre automatiquement de la même manière (prohibée) que le couteau SpeedSafe dans la décision Digital Canoe; par conséquent, l’argument de M. Abrams est théorique.
  7. En ce qui concerne le Mémorandum D19-13-2 de l’ASFC, tel qu’il est indiqué dans la décision Digital Canoe[21], ces énoncés de politique administrative prévoient l’interprétation de la loi par l’ASFC et la façon dont elle prévoit l’appliquer, mais ils n’ont aucune force obligatoire pour le Tribunal, qui doit interpréter la loi indépendamment selon la loi et les règlements applicables; le Tribunal n’est pas lié par les politiques de l’ASFC[22].
  8. Quoi qu’il en soit, l’ASFC a indiqué dans sa décision de réexamen que le Mémorandum D19-13-2 était échu au moment de l’importation, et ce, en raison des décisions R. Christie et Knife & Key, rendues en 2014 et 2015, respectivement, mais qu’il serait bientôt mis à jour[23]. En fait, la dernière version du Mémorandum D19-13-2 a été publiée le 3 novembre 2016 et a été révisée de façon à supprimer l’exception relative aux couteaux s’ouvrant au moyen d’une barre de torsion, conformément aux décisions récentes du Tribunal[24].
  9. Pour les mêmes motifs, la décision nationale des douanes de l’ASFC invoquée par M. Abrams n’est pas utile pour le Tribunal, qui doit déterminer indépendamment la classification tarifaire des marchandises. Qui plus est, les appels interjetés devant le Tribunal en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sont instruits de novo; ainsi, le Tribunal ne serait pas lié par de telles décisions antérieures, même si elles étaient pertinentes[25].
  10. Le Tribunal souligne que l’importation de la marchandise en cause et l’appel subséquent ont eu lieu à un moment où l’interprétation des dispositions législatives relatives aux mécanismes à déploiement assisté d’une barre de torsion était examinée par le Tribunal. M. Abrams est peut-être victime d’un malheureux concours de circonstances, compte tenu de la question connexe dans la décision Digital Canoe. Le Tribunal reconnaît que M. Abrams a invoqué ses arguments de bonne foi, mais ne peut légitimement leur accorder davantage de poids.

CONCLUSION

  1. Le Tribunal conclut que la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée, conformément aux exigences de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, puisque la marchandise en cause s’ouvre automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche.

DÉCISION

  1. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.
 

[1].      L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].      L.C. 1997, ch. 36.

[3].      Pièce AP-2016-004-07A, onglet 1, vol. 1.

[4].      Ibid., onglets 2, 3.

[5].      D.O.R.S./91-499.

[6].      Pièce AP-2016-004-05A à la p. 5, vol. 1.

[7].      Pièce AP-2016-004-B-01, vol. 1.

[8].      L.R.C. (1985), ch. C-46.

[9].      (15 janvier 2014), AP-2012-072 (TCCE) [R. Christie].

[10].    (23 janvier 2013), « Importation et exportation d’armes à feu, d’armes et de dispositifs ».

[11].    (14 septembre 2015), AP-2014-030 (TCCE) [Knife & Key].

[12].    Pièce AP-2016-004-05A à la p. 5, vol. 1; pièce AP-2016-004-07A, onglet 3 à la p. 24, vol. 1.

[13].    (22 août 2016), AP-2015-026 (TCCE) [Digital Canoe].

[14].    Pièce AP-2016-004-07A, onglet 3 aux pp. 30-31, vol. 1.

[15].    Pièce AP-2016-004-B-01, vol. 1.

[16].    Aux par. 19, 20.

[17].    Canada (Attorney General) c. Bri-Chem Supply Ltd., 2016 FCA 257 (CanLII) aux par. 44-48.

[18].    Aux par. 20-24.

[19].    Knife & Key aux par. 34-45.

[20].    Pièce AP-2016-004-07A, onglet 3 à la p. 24, vol. 1.

[21].    Au par. 25.

[22].    Digital Canoe au par. 25; Knife & Key aux par. 26-27; La Sagesse de l’Eau c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 novembre 2012), AP-2011-040 et AP-2011-041 (TCCE) au par. 56.

[23].    Pièce AP-2016-004-07A, onglet 3 à la p. 24, vol. 1.

[25].    Cargill Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2012-070 (TCCE) au par. 36; Toyota Tsusho America, Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 avril 2011), AP-2010-063 (TCCE) au par. 8; Smith c. Minister of National Revenue, [1965] SCR 582, 1965 CanLII 59 (CSC); Canada (Ministre du Revenu national) c. Rollins Machinery Ltd., 1999 CanLII 8763 (CAF).