LES INDUSTRIES TOUCH INC.

LES INDUSTRIES TOUCH INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2016-016

Décision et motifs rendus
le lundi 27 mars 2017

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 26 janvier 2017 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 28 avril 2016 concernant une demande de révision aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

LES INDUSTRIES TOUCH INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 26 janvier 2017

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Personnel de soutien : Dustin Kenall, conseiller juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Les Industries Touch Inc.

Rajesh Mamtora

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Andrew Cameron

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

  1. Le présent appel a été interjeté auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) par Les Industries Touch Inc. (LIT), aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], contre une révision de classement tarifaire faite par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) datée du 28 avril 2016, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.
  2. Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si des pailles en plastique jetables (les marchandises en cause) sont correctement classées dans le numéro tarifaire 3917.32.90 à titre d’autres tubes et tuyaux non renforcés d’autres matières ni autrement associés à d’autres matières, sans accessoires, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 3917.22.00 à titre de tubes et tuyaux rigides en polymères du propylène, comme le soutient LIT.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Les marchandises en cause ont été importées dans le cadre de multiples transactions entre 2010 et 2011 et classées dans le numéro tarifaire 3917.32.90.
  2. De septembre à décembre 2014, LIT a demandé à ce que les marchandises en cause soient classées dans le numéro tarifaire 3917.22.00 en faisant des demandes de remboursement aux termes de l’alinéa 74(1)e) de la Loi[2]. Dans le cadre de ses révisions, l’ASFC a émis des relevés détaillés de rajustement, aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi, rejetant les demandes de remboursement et conservant le classement initial.
  3. Le 12 mai 2015, LIT a demandé une révision, aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi[3]. Le 28 avril 2016, l’ASFC a émis une décision finale rejetant la demande. 
  4. Le 19 juillet 2016, LIT a interjeté appel de la décision de l’ASFC auprès du Tribunal, aux termes de l’article 67 de la Loi. Le 26 janvier 2017, le Tribunal a tenu une audience publique, à laquelle aucune des parties n’a fait comparaître de témoins.

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

  1. Les marchandises en cause sont des pailles en plastique de différents diamètres faites de polypropylène et mesurant de 15 et 25 cm de long. Les pailles sont commercialisées selon quatre catégories : « cocktail straws », « straight straws », « jumbo straws » et « flexible straws ». Les « flexible straws » sont dotées d’un coude articulé, permettant ainsi l’ajustement de la partie supérieure pour en faciliter l’utilisation[4].

CADRE LÉGISLATIF

  1. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[5]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.
  2. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[6] et les Règles canadiennes[7] énoncées à l’annexe.
  3. Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.
  4. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[8] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[9], publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[10].
  5. Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents. Si les marchandises en cause ne peuvent être classées au niveau de la position par application de la règle 1, le Tribunal doit alors examiner les autres règles[11].
  6. Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle la marchandise en cause doit être classée, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée. La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles [1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».
  7. Enfin, le Tribunal doit déterminer le numéro tarifaire approprié. La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA NOMENCLATURE TARIFAIRE

  1. Les parties sont d’accord que la position appropriée est la position no 39.17. Le classement au niveau de la sous-position repose entièrement sur la question de savoir si les pailles sont « rigides » et doivent par conséquent être classées dans la sous-position no 3917.22, comme le soutient LIT, ou si elles ne sont pas rigides et doivent par conséquent être classées dans la sous-position résiduelle (autres) no 3917.32, comme le soutient l’ASFC. Les parties sont aussi d’accord que le numéro tarifaire pertinent de la sous-position no 3917.22 est le no 3917.22.00 et celui de la sous-position no 3917.32 est le no 3917.32.90.
  2. Les dispositions pertinentes de la nomenclature tarifaire stipulent ce qui suit :

    Section VII

    MATIÈRES PLASTIQUES ET OUVRAGES EN CES MATIÈRES;
    CAOUTCHOUC ET OUVRAGES EN CAOUTCHOUC

    Chapitre 39

    MATIÈRES PLASTIQUES ET OUVRAGES EN CES MATIÈRES

    39.17 Tubes et tuyaux et leurs accessoires (joints, coudes, raccords, par exemple), en matières plastiques.

     -Tubes et tuyaux rigides :

    3917.22.00 - -En polymères du propylène

     -Autres tubes et tuyaux :

    3917.32 - -Autres, non renforcés d'autres matières ni autrement associés à d'autres matières, sans accessoires

    3917.32.90 - - -Autres

  3. Il n’y a aucune note de section ou de chapitre qui soit pertinente, ni de notes explicatives ou d’avis de classement. Il n’y a non plus aucune décision antérieure du Tribunal ayant trait au classement tarifaire de pailles.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

  1. Avant et au cours de l’audience, un certain nombre de questions ont été soulevées sur lesquelles le Tribunal souhaite se pencher, car elles concernent la nature même des éléments de preuve déposés auprès du Tribunal dans le cadre d’appels ayant trait aux douanes.
  2. Premièrement, dans son mémoire, LIT conteste la validité et l’application de l’avis des douanes CN-447 émis par l’ASFC en 2002 (avis des douanes) quant aux marchandises en cause. Dans ses décisions, l’ASFC s’est fondée sur cet avis des douanes pour ce qui est du « test de flexion » qu’elle leur a fait subir afin de déterminer si les pailles étaient rigides. Le test prévoit qu’un tube ou un tuyau n’est pas considéré comme rigide s’il peut être plié manuellement de manière à former un angle de 90º sans subir de dommage[12]. L’ASFC a conclu que les pailles avaient réussi le test puisque, « lorsqu’elles sont pliées à un angle de 90º, des plis ou des gondolements apparaissent, mais aucune rupture, fente ou fissure n’est apparente »[13] [traduction].
  3. LIT soutient que cet avis des douanes n’est pas valide et qu’il est constitutif d’un abus de pouvoir, et que la décision de l’ASFC, étant fondée sur cet avis des douanes, est « viciée, erronée et arbitraire » [traduction] parce que l’avis des douanes n’est pas disponible sur le site Web de l’ASFC, que les courtiers en douane n’ont aucun moyen de le trouver (bien que LIT l’ait apparemment trouvé puisqu’il est inclus dans son mémoire) et qu’il ne fait partie d’aucun mémorandum D.
  4. LIT soutient de plus que le test de flexion énoncé dans l’avis des douanes n’est pas suffisamment détaillé car il ne spécifie pas combien de fois un article doit être plié, combien de temps un article doit être maintenu plié, que le test doit être effectué par un expert technique et que les pailles soient remplies d’eau après le test pour voir si elles sont perforées. LIT se plaint également que l’ASFC n’a pas indiqué la longueur des pailles utilisées pour chaque test, la façon dont elle a mesuré l’angle de 90º, quelle était la température exacte des locaux où les essais ont été effectués, et qu’elle a omis d’inclure la reproduction d’un schéma auquel le test fait référence.
  5. Enfin, LIT soutient que l’ASFC a mal appliqué l’avis des douanes, qui inclut aussi un test d’enroulement pour déterminer la flexibilité, que les pailles auraient échoué (démontrant ainsi leur rigidité).
  6. Ces arguments, qui constituent une part importante du mémoire de LIT, dénotent à la base une mauvaise compréhension du rôle du Tribunal en lui demandant essentiellement de procéder à un contrôle judiciaire des décisions de l’ASFC et des documents administratifs sur lesquels elle se fonde pour des raisons de principes élémentaires du droit et de raisonnabilité. Le Tribunal n’est pas une cour de révision qui examine le processus décisionnel de l’ASFC. Dans les affaires dont le Tribunal est saisi, une partie qui conteste une décision de l’ASFC interjette un appel de novo dans lequel il incombe à l’appelante de prouver qu’il est plus probable qu’improbable que le classement tarifaire qu’elle propose soit approprié[14]. L’appelante ne s’acquittera pas de cette charge en prouvant que la décision de l’ASFC est mal fondée ou que la mise à l’essai des marchandises a été mal exécutée – l’appelante doit prendre l’initiative de prouver que le classement qu’elle propose est approprié. L’appelante doit donc fournir au Tribunal des éléments de preuve factuels et/ou ayant trait à la jurisprudence, la doctrine ou la législation applicable établissant que les critères appropriés sont ceux qu’elle propose et que les marchandises en cause satisfont à ces critères.
  7. Ce dernier point concerne directement la deuxième question soulevée à l’audience. Dans sa plaidoirie, LIT a porté à l’attention du Tribunal les spécifications des marchandises en cause, indiquant qu’elles contiennent environ « 10 % de CaCO3 »[15] [traduction]. LIT a affirmé qu’il s’agit d’un produit chimique utilisé comme agent de renforcement afin d’accroître la rigidité d’un produit; toutefois, LIT n’a fait comparaître aucun témoin ni fourni d’éléments de preuve documentaires à l’appui de cette proposition. Au lieu de cela, le conseiller de LIT a tout simplement affirmé qu’il était de « notoriété publique » [traduction] que le CaCO3 (du carbonate de calcium) est utilisé pour rigidifier le plastique. En somme, LIT demande au Tribunal d’accepter en quelque sorte comme connaissance d’office un fait scientifique considéré comme incontestable sans fournir de preuve à l’appui.
  8. La connaissance d’office permet d’admettre « (1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; (2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable »[16].
  9. Que CaCO3 soit la formule chimique du carbonate de calcium est un fait que le Tribunal peut raisonnablement accepter comme connaissance d’office, étant donné qu’il s’agit d’un fait non controversé facilement vérifiable en consultant un dictionnaire.
  10. Toutefois, le fait que le CaCO3 soit utilisé comme agent de renforcement du plastique et qu’il ait été effectivement utilisé dans les marchandises en cause pour les rendre rigides ne peut être considéré par le Tribunal comme une connaissance d’office. Cette proposition particulière concernant les marchandises en cause ne constitue pas un fait non controversé, ni un fait qui peut être vérifié en consultant un ouvrage de référence dont l’exactitude est indiscutable.
  11. Cette opinion avancée par le conseiller peut être exacte, et si LIT avait déposé des éléments de preuve à cet effet elle aurait peut être pu obtenir l’assentiment de l’ASFC, mais que le Tribunal accepte cette affirmation comme un fait sans preuve à l’appui, autre que l’affirmation du conseiller qu’il s’agit d’une évidence, serait injuste à l’égard de l’ASFC, qui n’a pas été avisée qu’un tel fait allait être allégué et qui est contraire au principe que le fardeau de la preuve incombe à l’appelante. Une telle faille dans la présentation de la preuve ne peut être remédiée en demandant tout bonnement au Tribunal d’accepter comme connaissance d’office des faits qui ne sont pas étayés de façon satisfaisante.
  12. Par ailleurs, le Tribunal a été confronté à la particularité qu’aucune des parties n’a déposé d’éléments de preuve scientifiques ou de nature technique qui auraient pu l’aider dans son évaluation des caractéristiques particulières des marchandises en cause. Outre l’affirmation que les marchandises en cause sont des pailles en plastique, il n’a pas été demandé au Tribunal d’examiner des éléments de preuve plus tangibles qui auraient pu l’aider à exercer son mandat en l’espèce. On lui a plutôt présenté les pailles en cause et invité à les manipuler afin de découvrir leurs caractéristiques. Après cet exercice, les parties ont en somme invité le Tribunal à se référer à des définitions de dictionnaire. Tel a été l’essentiel du présent dossier. Cette façon élémentaire de procéder a peut-être découlé de la simplicité des marchandises en cause, ou est plutôt la conséquence d’autres raisons dont le Tribunal n’est pas au courant. Quoi qu’il en soit, il en est ainsi des circonstances dans lesquelles le Tribunal a été invité à se prononcer sur le classement tarifaire des marchandises en cause.
  13. À ce titre, le Tribunal a examiné les marchandises en cause de manière aussi exhaustive qu’il le pouvait, en les manipulant, en les courbant, en les pliant, en les incurvant et en les déformant à plusieurs reprises afin d’évaluer de la meilleure façon possible leurs caractéristiques.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Le présent appel soulève pour la première fois la question de la signification du terme « rigide » au regard de la loi tel qu’utilisé dans la position no 39.17 dans l’expression « tubes et tuyaux rigides ». Le terme « rigide » n’est pas défini dans l’annexe, et il n’y a aucune note explicative ni avis de classement à cet effet. Par conséquent, la signification de ce terme eu égard au classement tarifaire est une question d’interprétation législative, qui requiert de prendre en considération la signification ordinaire du terme ou celle donnée dans les dictionnaires et le contexte législatif[17].
  2. LIT invoque les définitions de dictionnaire du terme « rigid » (rigide) comme signifiant « non flexible » [traduction] ou « ne se modifiant pas ou ne s’ajustant pas à des conditions différentes ou problématiques » [traduction] et celles du terme « flexible » (flexible) (qui ne figurent pas dans son mémoire) comme signifiant « capable d’être modifié ou ajusté en fonction de besoins particuliers ou variés » afin d’incorporer une exigence fonctionnelle au terme « rigide »[18]. LIT soutient que les pailles en plastique, bien qu’elles puissent manifestement être facilement courbées manuellement, sont néanmoins rigides parce qu’une fois pliées, elles ne peuvent plus servir à aspirer un liquide, ce à quoi elles sont censées servir. LIT soutient également que le gondolement résultant du pliage des pailles est une sorte de « dommage » permanent. À ce titre, LIT souligne l’innovation que constitue les pailles dotées d’un coude articulé comme preuve que les pailles droites (straight straws) ne sont pas flexibles. Enfin, LIT a aussi déposé un article d’une page datant de 2009 portant sur la fabrication de produits chimiques dans lequel le prolypropylène est décrit comme ayant les caractéristiques de la « rigidité ». 
  3. L’ASFC soutient que les marchandises en cause sont correctement décrites comme étant rigides. Elle cite diverses définitions de dictionnaire des termes « rigid » (rigide), « flexible » (flexible), « bend » (courber), « break » (briser) et « pliable » (pliable), qui essentiellement indiquent, selon elle, que pour être flexible, un article doit pouvoir être plié facilement et à plusieurs reprises sans se briser.
  4. L’ASFC soutient que les marchandises en cause répondent toutes sans équivoque à cette définition – elles peuvent être pliées plusieurs fois sans subir de dommage permanent qui les empêcherait d’accomplir leur fonction. Elles peuvent être utilisées même si elles sont partiellement courbées ou incurvées, ce qui ne fait que diminuer le passage du liquide sans le bloquer.
  5. L’ASFC soutient que LIT ne cite aucune jurisprudence, doctrine ou législation à l’appui de sa proposition que le terme « rigide » se rapporte à des articles qui ne peuvent être utilisés convenablement lorsqu’ils sont pliés. Selon l’ASFC, les définitions que propose LIT ne conviennent pas car elles proviennent d’un site Web gratuit nommé FreeDictionary.com, sur lequel figure un avertissement selon lequel son contenu ne doit pas être considéré comme complet et à jour ou être utilisé à des fins juridictionnelles. L’ASFC soutient que les définitions du site FreeDictionary.com que LIT a choisies sont tendancieuses parce qu’elles ne constituent pas le sens premier du terme « rigid », mais sont des définitions au sens figuré ayant davantage trait à des états d’esprit plutôt qu’à des caractéristiques d’objets.
  6. L’ASFC fait aussi remarquer que d’adopter la définition de LIT priverait la sous-position « autres tubes et tuyaux » de son sens, étant donné que la plupart de ces marchandises (non rigides) devraient être classées dans la sous-position « tubes et tuyaux rigides ». À titre d’exemple, l’ASFC fait valoir que, selon la définition de LIT, un tuyau d’arrosage ne serait pas considéré comme flexible étant donné que, lorsqu’il est entortillé ou plié, l’eau ne peut s’écouler.
  7. Le Tribunal conclut que l’interprétation de l’ASFC du terme « rigide » convient davantage à la nomenclature du tarif et reflète plus adéquatement les définitions courantes qui s’appliquent à des objets. Les définitions de « rigid », dans leur ensemble, appuient l’interprétation du terme comme signifiant ne peut être plié sans se briser. La première définition de « rigid » dans le Canadian Oxford Dictionary[19] est la suivante : « non flexible; qui ne peut être plié (un cadre rigide) » [traduction]; la première définition de « flexible » est la suivante : « qui peut être plié sans se briser; pliable; flexible » [traduction]; la première définition de « bend » est la suivante : « forcer (particulièrement quelque chose de droit) à prendre une forme courbée ou angulaire » [traduction]; et la première définition de « break » est la suivante : « mettre en morceaux par choc ou pression; fracasser; fracturer » [traduction][20].
  8. Le Tribunal est par conséquent en présence de deux concepts opposés : celui de « flexible », « qui peut être plié sans se briser », et celui de « rigide », défini en opposition avec le précédent, « non flexible; qui ne peut être plié ».
  9. Tel qu’indiqué ci-dessus, le Tribunal ainsi que les parties ont pu examiner les marchandises en cause à l’audience. Les parties et le Tribunal les ont examinées de concert et ont convenu qu’elles pouvaient aisément être pliées manuellement pour former un arc ou (plus encore) pour former un angle[21]. Cela a plissé (un peu) le plastique et, après les avoir pliées plusieurs fois, leur résistance était quelque peu amoindrie; néanmoins, les marchandises en cause ont toujours repris leur forme droite et ferme originale, et il n’y avait aucune perforation ni brisure apparente[22].
  10. Le conseiller de LIT a suggéré qu’il faudrait s’assurer qu’il n’y ait pas de micro-perforations en aspirant de l’air ou du liquide dans les pailles. Le conseiller n’a toutefois fourni aucune preuve de l’existence de micro-perforations au Tribunal, ce qui n’était qu’une supposition.
  11. La définition de LIT requiert de la part du Tribunal de solliciter la nomenclature du tarif de façon à conférer une fonctionnalité, un usage ou un aspect utilitaire au terme « rigide » qui n’est pas appuyé par le sens premier des définitions de dictionnaire concernant les objets (plutôt que les états d’esprit) ou par la nomenclature correspondant au niveau d’analyse du présent exercice de classement tarifaire, c’est-à-dire la règle 1 des Règles générales et les Règles canadiennes.
  12. Rien dans la nomenclature ne suggère que pour être considéré comme flexible un tube doit être entièrement fonctionnel une fois plié (à savoir qu’un gaz ou qu’un liquide puisse continuer d’y circuler), ou qu’une telle fonctionnalité doit être évaluée en le pliant à un angle de 90º ou plus plutôt que d’être courbé dans une moindre mesure (condition dans laquelle les pailles seraient encore fonctionnelles). En effet, la deuxième définition de « break » (briser) dans le Canadian Oxford Dictionary[23] est la suivante : « rendre ou devenir inopérant, particulièrement à cause d’un dommage (le grille-pain est brisé) »[24] [traduction]. Tel qu’indiqué ci-dessus, les marchandises en cause reprennent leur forme droite originale et demeurent fonctionnelles même après avoir été pliées plusieurs fois.
  13. De plus, le fait que certaines des marchandises en cause soient dotées d’un coude articulé permettant de manipuler la partie supérieure de la paille n’implique pas nécessairement que le reste de la paille soit rigide (nécessitant par conséquent une articulation). Une telle articulation les rend plus utiles et certainement plus flexibles (à l’endroit même du coude articulé) que les autres pailles, mais cela ne signifie pas que les pailles droites soient rigides en tant que tel. Les pailles sont assurément suffisamment fermes pour se maintenir droites, au contraire d’un tuyau d’arrosage qui, par exemple, peut être enroulé, mais les définitions de dictionnaire qui ont été fournies démontrent que le terme « rigide » signifie plus que simplement ferme – il signifie plutôt qu’un article ne peut être plié sans se briser; les marchandises en cause peuvent aisément être courbées, pliées et déformées sans se briser.
  14. Le Tribunal conclut aussi que LIT fonde ses arguments sur des définitions inapplicables du terme « rigide ». LIT s’appuie sur des définitions au sens figuré de « rigide » qui ont trait à des états d’esprit ou au caractère d’une personne, et non sur le sens premier du terme qui concerne les objets. La définition proposée par LIT (« qui ne change pas ou ne s’ajuste pas à des conditions différentes ou face à un problème » [traduction]) est, de plus, la troisième définition, où l’exemple suivant est donné : « un penseur rigide; une hiérarchie rigide » [traduction][25]. Une telle définition a trait à un état d’esprit, non à des propriétés physiques. Elle ne convient donc pas dans les circonstances actuelles.
  15. En revanche, et en accord avec les définitions citées par l’ASFC, toutes les définitions au sens premier des termes avancées par LIT font référence à la flexibilité et au fait d’être ou non pliable (« non flexible ou pliable »; « ne peut être courbé »; « ne peut être courbé ou déformé; non flexible » [traductions]) et à des objets (« un matériau rigide »; « un morceau de plastique rigide »; « une bande de métal rigide » [traductions])[26].
  16. Étant donné que les marchandises en cause sont facilement pliables sans qu’elles ne se brisent et que, par conséquent, elles ne sont pas rigides, elles sont donc correctement classées dans le numéro tarifaire 3917.32.90 à titre d’autres tubes et tuyaux non renforcés d’autres matières ni autrement associés à d’autres matières, sans accessoires.

DÉCISION

  1. L’appel est rejeté.
 

[1].       L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].       Pièce AP-2016-002-04A, annexe 2-8, vol. 1.

[3].       Pièce AP-2016-002-04A, annexe 2-8, onglet 3, vol. 1.

[4].       Pièce AP-2016-016-04A, onglet 7, vol. 1.

[5].      Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[6].      L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[7].      L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[8].      Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003.

[9].      Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012.

[10].    Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, où la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. Le Tribunal est d’avis que cette interprétation s’applique également aux avis de classement.

[11].    Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII) au par. 21.

[12].     Pièce AP-2016-016-04A, onglet 13, vol. 1. 

[13].     Pièce AP-2016-016-04A, onglet 4 à la p. 99, vol. 1. 

[14].     Loi sur les douanes, paragraphe 152(3); Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII) aux par. 21-22.

[15].     Pièce AP-2016-016-04A, onglet 7, vol. 1.

[16].     Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ishaq, 2015 CAF 151 (CanLII) au par. 20.

[17].     HBC Imports (Zellers Inc.) c. Canada (Agence des services frontaliers), 2013 CAF 167 (CanLII) au par. 30.

[18].     Pièce AP-2016-016-04A à la p. 8, vol. 1.

[19].    Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., s.v. « rigid ».

[20].     Pièce AP-2016-016-06A, onglet 11, vol. 1.

[21].     Transcription de l’audience publique, 26 janvier 2017, aux pp. 18-19, 30-37.

[22].     Ibid.

[23].    Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., s.v. « break ».

[24].     Pièce AP-2016-016-06A, onglet 11, vol. 1.

[25].     Pièce AP-2016-016-06A, onglet 11, vol. 1.

[26].     Pièce AP-2016-016-04A, onglet 17, vol. 1.