A. COWAN

A. COWAN
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2016-046

Décision et motifs rendus
le mardi 22 août 2017

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 6 juin 2017 en vertu paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 4 novembre 2016 concernant une demande de révision aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

A. COWAN Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 6 juin 2017

Membres du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Personnel de soutien : Alexandra Pietrzak, conseillère juridique
Peter Jarosz, conseiller juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

A. Cowan

Alex Cowan

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Mary Roberts

 

Intervenant

Conseiller/représentant

Kai USA-Ltd.

Takashi Hashimoto

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Il s’agit d’un appel interjeté auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] contre une décision rendue le 4 novembre 2016 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), en application du paragraphe 60(4).
  2. Le litige concerne le classement tarifaire de deux couteaux à ouverture assistée Kershaw 1670PURBDZ (les marchandises en cause) importés par M. Cowan. Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’armes prohibées et si, par conséquent, leur importation au Canada est interdite aux termes du paragraphe 136(1).
  3. L’ASFC a informé le Tribunal qu’elle n’a pas l’intention de contester cet appel, et a demandé au Tribunal de rendre une ordonnance déclarant que les marchandises en cause ne sont pas prohibées.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Les marchandises en cause sont arrivées au Canada par la poste le ou vers le 20 juin 2016, et ont été confisquées par l’ASFC au Centre de traitement du courrier international, aux termes de l’article 101 de la Loi.
  2. Le 15 septembre 2016, M. Cowan a écrit à l’ASFC pour demander la révision de la décision de l’ASFC selon laquelle les marchandises sont des dispositifs prohibés du numéro tarifaire 9898.00.00 dont l’importation au Canada est par conséquent interdite.
  3. Le 21 septembre 2016, l’ASFC a pris acte de la demande de M. Cowan.
  4. Le 4 novembre 2016, l’ASFC a rendu une décision, aux termes de l’article 60 de la Loi, confirmant le classement des marchandises en cause dans le numéro tarifaire 9898.00.00.
  5. Le 3 février 2017, M. Cowan a déposé une lettre auprès du Tribunal l’informant de son intention d’interjeter appel à l’égard d’une décision rendue par le président de l’ASFC en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi.
  6. Le 3 février 2017, le Tribunal a demandé à M. Cowan de déposer des renseignements supplémentaires.
  7. Le 15 février 2017, M. Cowan a déposé les renseignements supplémentaires demandé par le Tribunal.
  8. Le 2 mars 2017, l’ASFC a écrit au Tribunal pour l’aviser qu’elle n’avait pas l’intention de contester cet appel, et a demandé au Tribunal de rendre une ordonnance déclarant que les marchandises en cause ne sont pas prohibées.
  9. Le 23 mars 2017, le Tribunal a demandé aux parties de déposer des observations expliquant pourquoi elles croient que les marchandises en cause ne sont pas prohibées, plus précisément compte tenu des décisions rendues récemment pas le Tribunal. Comme les deux parties prétendaient que les marchandises n’étaient pas prohibées, le Tribunal a demandé que les parties déposent des observations conjointes si possible. Le 18 avril 2017, l’ASFC a déposé des observations conjointes à la fois en son nom et au nom de M. Cowan (les parties).
  10. Le 25 mai 2017, le Tribunal a reçu les observations de Kai-USA Ltd. (Kai) à l’appui de l’appel.
  11. Le 1er juin 2017, après avoir sollicité les commentaires des parties, le Tribunal a accordé à Kai le statut d’intervenant dans le présent appel.
  12. Le Tribunal a décidé de juger l’affaire sur pièces conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[3]. L’instruction de l’appel a eu lieu le 6 juin 2017 à Ottawa. Les marchandises en cause ont été mises à la disposition du Tribunal, qui les a examinées.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

    L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

    The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

    [Nos italiques]

  1. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit ce qui suit :

    Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...].

    Pour l’application du présent numéro tarifaire :

    [...]

    b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...].

    Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

    For the purposes of this tariff item:

    ...

    (b) “automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

    [Nos italiques]

  1. Afin de permettre le classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[4] ne s’appliquent pas. En outre, la note 1 du chapitre 98 de l’annexe du Tarif des douanes prévoit que « [l]es marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».
  2. Selon le Tarif des douanes, un « dispositif prohibé » comprend tout article défini comme « dispositif prohibé » au paragraphe 84(1) du Code criminel[5].
  3. Le paragraphe 84(1) du Code criminel comprend ce qui suit :

    arme prohibée

    a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

    b) toute arme – qui n’est pas une arme à feu – désignée comme telle par règlement.

    Prohibited weapon means

    (a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

    (b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon;

  1. Ainsi, pour déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées à titre d’armes prohibées du numéro tarifaire 9898.00.00 et si à ce titre leur importation est donc interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si les marchandises satisfont à la définition donnée au paragraphe 84(1) du Code criminel.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Le Tribunal a déterminé dans les affaires antérieures Digital Canoe et Abrams que « la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée, conformément aux exigences de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, puisque la marchandise en cause s’ouvre automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche »[6].
  2. Cependant, les parties distinguer les marchandises en l’espèce, qui utilisent une barre de torsion et un ergot, de celles qui ont été considérées comme des dispositifs prohibés (qui utilisaient plutôt un bouton et un ressort) en faisant référence au mécanisme au moyen duquel la lame est ouverte. Kai soutient que « [l]a barre de torsion diffère considérablement des autres mécanismes d’ouverture mentionnés dans le Code criminel, car elle maintient effectivement la lame en position fermée » [traduction].
  3. Les parties prétendent conjointement que dans les affaires Digital Canoe et Abrams les couteaux

    avaient une saillie sur le dos de la lame ou un « flipper » qui traverse le manche lorsque la lame se déploie. En revanche, les couteaux en cause dans la présente instance n’ont qu’un ergot sur la lame, qui ne traverse pas le manche lorsque la lame se déploie[7].

    [Traduction]

    Les parties soutiennent conjointement que c’est ce « slider » ou « flipper » parfois situé à l’intérieur du manche qui sous-tend les décisions antérieures du Tribunal concluant que le système d’ouverture SpeedSafe est un « dispositif » qui est prohibé au sens de l’article pertinent du Code criminel.

  1. En revanche, les éléments de preuve indiquent que les marchandises en cause ne portent qu’un ergot situé sur la lame elle-même, et non sur le manche[8]. Les parties allèguent conjointement que l’ergot ne traverse pas le manche lorsque le couteau se déploie[9].
  2. La position des parties quant à la nature des marchandises en cause est appuyée par les éléments de preuve et les arguments présentés par Kai. Kai affirme que les marchandises en cause ne répondent pas à la définition d’un « dispositif incorporé ou fixé au manche du couteau ».
  3. Kai prétend qu’il y a une différence de fonctionnement entre un couteau qui s’ouvre à l’aide d’un bouton et d’un ressort et un couteau qui se déploie au moyen d’un ergot et d’une barre de torsion. Kai soutient que « [l]a lame d’un couteau qui utilise un mécanisme d’ouverture à l’aide d’un ressort et d’un bouton est constamment sous pression d’ouvrir, et le bouton libère l’énergie générée par le ressort enroulé »[10] [traduction]. En revanche, Kai affirme qu’une barre de torsion fonctionne comme une « béquille sur une bicyclette; il existe un obstacle au verrouillage qu’il faut surmonter avant qu’elle ne s’étende pleinement de la position ouverte à la position fermée. [...] [E]lle maintient la lame en position fermée »[11] [traduction].
  4. Kai soutient que, tandis qu’un mécanisme à ressort ne fonctionne que pour ouvrir le couteau, une barre de torsion comme celle en l’espèce « maintient la lame fermée jusqu’à ce que l’ergot soit engagé, à tel point que la même énergie qui la maintient fermée aidera à l’ouvrir » [traduction].
  5. Les éléments de preuve déposés par les parties indiquent également que, contrairement aux marchandises dans les affaires Digital Canoe et Abrams, il est possible de contrôler la vitesse à laquelle la lame des marchandises en cause s’ouvre ou de n’ouvrir la lame que partiellement en exerçant une pression continue sur l’ergot.
  6. Dans leurs observations conjointes, les parties prétendent que les marchandises en cause ne sont pas prohibées aux termes de la politique de l’ASFC dans le Mémorandum D19-13-2, qui a été mis à jour en novembre 2016 pour supprimer l’exception relative aux couteaux s’ouvrant au moyen d’une barre de torsion. La partie pertinente du Mémorandum prévoit ce qui suit :

    a) Couteau à ouverture automatique (à cran d’arrêt) – Couteau à ouverture automatique qui est doté d’une lame qui s’ouvre automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort, un levier ou un autre mécanisme incorporé ou attaché au manche du couteau, notamment dans le cas des couteaux dotés d’un bouton, d’un ressort, d’un levier ou d’un autre mécanisme situé dans le dos du manche et attaché dans la partie interne de la lame.

    Nota : Un couteau doté d’un bouton ou d’une protubérance sur la lame, séparé du manche (ne saillant pas du manche lorsque le couteau est fermé ou plié), et qui s’ouvre automatiquement par l’application d’une pression sur la protubérance ne correspond généralement pas à la définition d’une arme prohibée et n’est donc pas visé par le numéro tarifaire 9898.00.00. Toutefois, si un couteau de ce type s’ouvre aussi par gravité ou par l’application de force centrifuge seulement, il se peut tout de même qu’il soit jugé comme étant prohibé. L’utilisation abusive de ce couteau peut néanmoins être punissable en vertu d’autres lois[12].

    [Nos italiques]

  1. Enfin, les parties citent une décision non publiée de la Cour supérieure de l’Ontario[13] dans laquelle la Cour a conclu que des couteaux à ouverture assistée, qui peuvent être ouverts en exerçant une pression sur un ressort métallique, ne répondaient pas à la définition d’une arme prohibée, car

    la lame ne s’ouvre pas automatiquement par gravité ou force centrifuge. La pression manuelle est exercée sur un dispositif sur la lame ou incorporé à la lame. La pression manuelle n’est pas exercée sur un dispositif à l’intérieur du manche ou sur le manche. La pression n’est pas non plus exercée sur un ressort. En fait, la pression est libérée du ressort dans ces dispositifs lorsqu’ils sont utilisés[14].

    [Traduction]

  1. Après avoir examiné tous les éléments de preuve et les plaidoiries conjointes, le Tribunal conclut que les marchandises en cause doivent être distinguées de celles dans Digital Canoe et Abrams. Elles ne répondent pas à la définition de dispositif prohibé prévue par le Code criminel, car l’ergot se trouve dans le présent cas sur la lame et non à l’intérieur du manche ou sur le manche lui-même. Le ressort n’est pas conçu pour activer un mécanisme d’ouverture, mais aide à un déploiement contrôlé de la lame par l’utilisateur. Pour tous ces motifs et étant donné l’absence d’opposition de l’intimé et de la position conjointe des parties, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne sont pas des dispositifs prohibés et que, par conséquent, elles ne doivent pas être classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00.
  2. Le Tribunal par la présente accueille l’appel.
 

[1].    L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     D.O.R.S./91-499.

[4].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[5].     L.R.C. 1985, c.C-46.

[6].     Digital Canoe Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (22 août, 2016), AP-2015-026 (TCCE); R. S. Abrams c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (21 décembre 2016), AP-2016-004 (TCCE).

[7].     Pièce AP-2016-046-07A au par. 5, vol. 1.

[8].     Pièce AP-2016-046-07A au par. 5, vol. 1.

[9].     Pièce AP-2016-046-07A au par. 5, vol. 1.

[10].   Pièce AP-2016-046-10 à la p. 2, vol. 1.

[11].   Pièce AP-2016-046-10 à la p. 2, vol. 1.

[12].   Le Tribunal souligne que, bien qu’il puisse tenir compte de ce qui est stipulé dans le Mémorandum D19-13-2, il n’est pas lié par ce document. En fait, dans des causes précédentes concernant des couteaux à ouverture automatique, le Tribunal a affirmé qu’il n’était pas obligé de se conformer au Mémorandum D19-13-2 : La Sagesse de l’Eau c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 novembre 2012), AP-2011-040 et AP-2011-041 (TCCE) aux par. 29, 56.

[13].   The Queen v. Hero Army Surplus (28 juin 2007), Case No. 06-04612-00 (Ontario Superior Court of Justice). Une copie de cette cause n’a pas été fournie au Tribunal.

[14].   Pièce AP-2016-046-07A au par. 7, vol. 1.