T. LAPLANTE

T. LAPLANTE
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2017-012

Décision et motifs rendus
le vendredi 17 novembre 2017

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 9 novembre 2017, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 14 mars 2017, concernant une demande de réexamen aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

T. LAPLANTE - Appelant

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA - Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Daniel Petit -
Daniel Petit
Membre présidant

Lieu de l’audience : - Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : - le 9 novembre 2017

Membre du Tribunal : - Daniel Petit, membre présidant

Personnel de soutien : - Dustin Kenall, conseiller juridique

PARTICIPANTS :

Appelant

 

T. LaPlante

 

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Nancy Azzi

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le présent appel a été déposé auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard d’une décision rendue le 14 mars 2017 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4).
  2. La question en litige est de déterminer si cinq couteaux pliants Kershaw Skyline, modèle 1760 (les marchandises en cause), sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’arme prohibée et, par conséquent, dont l’importation est interdite au Canada aux termes du paragraphe 136(1).

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Les marchandises en cause sont arrivées au Canada par courrier le ou autour du 29 août 2016 et furent retenus par l’ASFC aux termes de l’article 101 de la Loi.
  2. Le 19 octobre 2016, l’ASFC a informé l’appelant par lettre que les marchandises en cause étaient classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée et que, par conséquent, leur importation au Canada est interdite en vertu du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.
  3. Le 5 décembre 2016, l’ASFC a accusé réception de l’avis de contestation de l’appelant déposé le même jour.
  4. Le 14 mars 2017, l’agente des appels responsable du dossier a informé l’appelant par voie de lettre avoir, au nom du président de l’ASFC, examiné la demande de révision et l’avoir rejetée, concluant après inspection que les couteaux en cause étaient des armes prohibées puisque chacun d’entre eux s’ouvrait automatiquement par force centrifuge au moyen d’un mouvement rapide du poignet.
  5. Le 12 mai 2017, l’appelant a déposé le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.
  6. Le 12 juillet 2017, l’appelant a déposé son mémoire[3].
  7. Le 8 septembre 2017, l’ASFC a déposé son mémoire, dans lequel elle n’appuyait ni ne s’opposait à l’appel, cherchant plutôt à obtenir l’avis du Tribunal sur le critère approprié à appliquer en l’espèce. Dans son mémoire, l’ASFC affirme avoir demandé à l’agente des appels qui a rejeté la demande de révision de manipuler à nouveau chaque couteau « en tentant de faire déployer la lame d’un mouvement du bras et du poignet, mais sans utiliser le flipper de la lame » [traduction]. Bien que l’ASFC n’ait pas expliqué ce qui a motivé les nouveaux essais, elle allègue qu’aucun des couteaux n’est muni d’une barre de torsion pour faciliter l’ouverture, mais qu’ils sont dotés d’un « mécanisme d’ouverture par roulement à billes en cage » qui, au moyen du flipper, facilite l’ouverture des couteaux[4]. Par suite des nouveaux essais, un des couteaux testés « s’est ouvert à maintes reprises avec le mouvement du bras et du poignet [...] [et] [l]es quatre autres couteaux ont fini par s’ouvrir avec le mouvement du bras et du poignet, mais généralement après plus d’une tentative »[5] [traduction]. L’ASFC a indiqué qu’« [a]ucun des couteaux ne s’est ouvert sous l’impulsion d’un simple mouvement brusque du poignet. Ils se sont ouverts d’un mouvement énergique du bras et du poignet »[6] [traduction].
  8. L’ASFC soutient que dans ses décisions, le Tribunal a appliqué le critère du « mouvement brusque du poignet » pour déterminer si un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge, mais que ces décisions n’indiquaient pas « en détail ce qu’exige ledit critère » [traduction]. Compte tenu de ce qui précède, l’ASFC sollicite « l’opinion [du Tribunal], conformément à l’esprit de l’article 70 de la Loi », sur la façon d’appliquer le critère pour déterminer si un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge et indique que, pour établir correctement leur classification, elle s’appuierait sur l’examen des cinq couteaux effectué par le Tribunal en utilisant ce critère.
  9. Le 6 octobre 2017, l’appelant a présenté un mémoire en réponse. L’appelant nie que les marchandises en cause comportent un mécanisme d’ouverture par roulement à billes, affirmant que l’ASFC en a conclu ainsi sur la foi d’une mauvaise interprétation des documents publicitaires en ligne applicables à d’autres modèles de couteaux. L’appelant soutient également que les résultats des nouveaux essais contredisent les conclusions tirées par la même agente des appels dans sa décision de révision du 14 mars 2017. Enfin, l’appelant s’oppose à ce que le Tribunal élargisse son critère, passant d’un « mouvement brusque du poignet » à une « ouverture d’un mouvement du bras et du poignet »[7] [traduction].
  10. Le 25 octobre 2017, sur le fondement de nouvelles questions soulevées par l’ASFC dans son mémoire et conformément à la règle 36 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[8], le Tribunal a ordonné à l’ASFC de déposer d’autres exposés écrits sur les questions suivantes :

(1) - à savoir si l’ASFC est d’avis que le flipper des couteaux en cause fonctionne au moyen d’un système de roulement à billes en cage comme « dispositif » d’ouverture pour l’application de la définition d’« arme prohibée »;

(2) - à savoir s’il existe des éléments de preuve démontrant que le modèle précis (Kershaw Skyline) des couteaux en cause en l’espèce comporte le « mécanisme d’ouverture par roulement à billes », comme il est indiqué au paragraphe 14 du mémoire de l’intimé;

(3) - à savoir s’il existe des éléments de preuve, autres que ceux figurant sur la copie papier des documents publicitaires du site Web, laquelle se trouve à la page 41, onglet 5, de l’index des annexes du mémoire de l’intimé, démontrant que le système de roulement à billes fonctionne comme dispositif d’ouverture assistée[9].

  1. Le 27 octobre 2017, l’ASFC a répondu aux exposés demandés par le Tribunal. Elle a indiqué ne pas être d’avis que le système de roulement à billes agit comme dispositif et que la seule question qui se pose est celle de savoir si les marchandises en cause peuvent s’ouvrir par force centrifuge sans qu’il ne soit nécessaire de manipuler le flipper. Elle a également affirmé qu’elle n’a pas démonté les couteaux pour confirmer qu’ils comportent le système de roulement à billes puisque cela aurait pu avoir une incidence sur le mécanisme d’ouverture, mais elle a affirmé que rien n’indique que les documents de publicité en ligne concernant le système de roulement à billes ne s’appliquent pas à tous les couteaux à ouverture manuelle fabriqués par Kai USA-Ltd. Elle confirme qu’il n’y a aucune autre preuve au dossier qui indique que les marchandises en cause comportent le système de roulement à billes[10].
  2. Le 1er novembre 2017, l’appelant a déposé une réponse. L’appelant a fait remarquer que l’ASFC a combiné deux ensembles différents de documents dans l’onglet 5 de son mémoire. Les trois premières pages sont les documents de commercialisation applicables au modèle précis (Skyline) des marchandises en cause. La dernière page énumère les caractéristiques techniques du modèle et ne mentionne pas particulièrement le « mécanisme d’ouverture par roulement à billes KVT ». Le reste de l’onglet 5 est une copie papier de la totalité des 23 pages que l’on retrouve à l’onglet « Technologie » au bas du site Web général de Kai USA-Ltd., qui ne font pas partie de la page destinée aux modèles Skyline. Ces pages énumèrent toutes les technologies de tous les modèles de couteaux fabriqués par Kai USA-Ltd. L’appelant conteste également la déclaration de l’ASFC selon laquelle il n’y a aucune preuve démontrant que les marchandises en cause ne comportent pas le système de roulement à billes, en faisant référence à son mémoire déposé en réponse où des photographies d’un couteau Skyline, modèle 1760, démonté, étaient jointes, sur lesquelles aucun système de roulement à billes n’était visible[11].
  3. Le 9 novembre 2017, le Tribunal a instruit l’appel sur la foi des renseignements au dossier (audience sur pièces), conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[12]. Les marchandises en cause ont été mises à la disposition du Tribunal et examinées par ce dernier au cours de l’audience sur pièces.

MARCHANDISES EN CAUSE

  1. Les marchandises en cause sont cinq couteaux pliants Kershaw Skyline, modèle 1760, fabriqués aux États-Unis par Kai USA-Ltd[13]. Ils pèsent chacun 70,9 grammes et sont munis d’un flipper, d’un verrou linéaire, d’une agrafe de poche, d’un manche fait de fibre de verre tissée imprégnée de résine époxy ainsi que d’une lame en acier de 7,9 cm[14].

CADRE LÉGISLATIF

  1. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite. –

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

[Nos italiques]

  1. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit ce qui suit :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...]. –

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

[...] - . . .

Pour l’application du présent numéro tarifaire : -

For the purposes of this tariff item,

[...] - . . .

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel;  -

(b) “automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Code criminel;

[Nos italiques]

  1. Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[15] ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 de l’annexe du Tarif des douanes prévoit que « [l]es marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».
  2. Selon le Tarif des douanes, un « dispositif prohibé » comprend tout article défini comme « dispositif prohibé » au paragraphe 84(1) du Code criminel[16].
  3. Conformément au paragraphe 84(1) du Code criminel, « arme prohibée » s’entend de ce qui suit :

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement. –

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

(b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon;

  1. En somme, pour déterminer si la marchandise en cause est correctement classée à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et, par conséquent, comme une marchandise dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si elle correspond à la définition ci-dessus du paragraphe 84(1) du Code criminel.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Comme l’ASFC a reconnu qu’elle ne prétend pas que les marchandises en cause s’ouvrent automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche des couteaux, le Tribunal estime que la question de savoir si les marchandises en cause comportent un système de roulement à billes est théorique[17].
  2. Par conséquent, le présent appel soulève uniquement deux questions :
  1.  Comment le critère pour déterminer si un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge devrait-il être appliqué?
  2.  Sur le fondement de ce critère et des propres observations du Tribunal à l’égard des marchandises en cause, les cinq couteaux doivent-ils être classés comme des armes prohibées?

Le critère juridique pour déterminer si un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge

  1. L’ASFC soutient que le critère devrait être reformulé de façon à se demander si le couteau s’ouvre complètement « d’un mouvement du bras et du poignet, ce qui pourrait nécessiter certaines habiletés et manipulations si l’on applique la force d’une personne normale »[18] [traduction]. À l’appui, elle fait observer que l’objectif de la disposition portant sur les armes prohibées applicable aux couteaux est de rendre illégal le couteau qui peut être transporté ou tenu caché dans la main et ouvert automatiquement par force centrifuge, permettant à la personne qui le transporte de l’utiliser comme une arme[19]. Elle souligne que rien dans le Code criminel n’indique la force nécessaire pour ouvrir le couteau[20]. Elle s’appuie principalement sur l’arrêt R. c. Vaughan, dans lequel la Cour suprême du Canada a confirmé la décision de la Cour d’appel du Québec dans une poursuite criminelle, selon laquelle un couteau est une arme prohibée lorsque la force d’une personne normale y est appliquée, même si certaines habiletés et manipulations sont requises pour ouvrir la lame[21]. L’ASFC indique que le Tribunal a conclu, en citant l’arrêt Vaughan dans la décision La Sagesse de l’Eau, qu’un couteau s’ouvre « automatiquement » même si des manipulations supplémentaires sont nécessaires[22].
  2. L’appelant s’oppose à l’élargissement du critère au-delà de la description actuelle du « mouvement brusque du poignet », faisant valoir que les tribunaux n’ont pas adopté un critère plus large, que ce critère plus large n’est pas nécessaire et, quoi qu’il en soit, que le critère proposé par l’ASFC est mal défini.
  3. Le Tribunal n’est pas d’accord pour dire que le critère pour déterminer si un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge doit être révisé ou précisé davantage à ce stade-ci. Le Tribunal a conclu à maintes reprises qu’un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge lorsqu’« un simple mouvement brusque vers l’extérieur du poignet libère la lame du manche et l’éjecte complètement et l’amène en position verrouillée »[23]. Il a également conclu à maintes reprises, en conformité avec l’arrêt Vaughan, qu’un couteau peut s’ouvrir automatiquement par force centrifuge même si l’ouverture nécessite une certaine manipulation ou certaines habiletés[24]. Enfin, le Tribunal a reconnu que la décision quant à savoir si un couteau constitue une arme prohibée ne devrait pas être axée sur les caractéristiques facilement ajustables d’un couteau (comme le serrement d’une vis pivot) lorsque la conception d’un modèle dans son ensemble permet généralement à ce couteau de s’ouvrir par force centrifuge[25].
  4. L’ASFC a demandé au Tribunal de préciser la force, les parties du corps, les habiletés et le nombre de mouvements requis dans l’application d’un tel critère, mais le Tribunal estime que cet exercice est inutile, et peut-être contre-productif. Le critère actuel a suffi pendant plus de vingt ans, sans que la preuve ne démontre que les importateurs ou les agents de l’ASFC aient de la difficulté à l’appliquer[26]. Ces gradations et distinctions subtiles du critère que l’ASFC propose dans son mémoire sont tirées du contexte criminel, où elles découlent de l’exigence d’établir la mens rea et du fardeau d’établir la preuve hors de tout doute raisonnable. Aucune de ces notions n’est utile pour déterminer si un couteau est une arme prohibée dans le but d’interdire son importation dans une procédure (non-criminelle) en droit administratif.

La question de savoir si les marchandises en cause s’ouvrent automatiquement par force centrifuge

  1. Le Tribunal a examiné de près et testé les marchandises en cause à l’audience sur pièces. Dans cet exercice, le Tribunal a examiné le matériel d’emballage et les instructions et a ouvert et fermé les couteaux de façon répétée. Lorsqu’ils sont complètement fermés, les couteaux ont tendance à rester fermés et ne s’ouvrent pas automatiquement d’un simple mouvement brusque du poignet. Toutefois, ils s’ouvrent automatiquement lorsque le mouvement brusque du poignet est accompagné de manipulations minimales du flipper ou d’autres parties non tranchantes de la lame, comme l’onglet, à l’aide du pouce, pour vaincre la résistance initiale. En fait, les instructions indiquent comment ouvrir la lame sans utiliser le flipper, ce qui exige uniquement que l’utilisateur « pousse doucement vers l’extérieur sur le goujon de pouce » [traduction], faisant référence à la partie de la lame qui se trouve directement sous le pouce lorsqu’on le tient en position fermée[27].
  2. Lorsque la lame est à peine entrouverte, elle s’ouvre facilement et rapidement et se verrouille en position complètement ouverte d’un simple « léger mouvement du poignet », comme les instructions le confirment elles-mêmes[28]. Tout cela peut être exécuté d’un seul mouvement simultané du poignet, du pouce et de l’index, à l’aide d’une seule main.
  3. Le Tribunal a jugé dans des décisions antérieures qu’un couteau peut s’ouvrir automatiquement par force centrifuge même s’il requiert une certaine manipulation préliminaire ou simultanée d’un flipper ou d’une partie de la lame[29]. Dans des décisions récentes, il a également conclu qu’un couteau peut constituer une arme prohibée si le flipper fonctionne en combinaison avec un dispositif, comme une barre de torsion, pour permettre au couteau de s’ouvrir automatiquement[30]. Comme nous l’avons déjà dit, un tel dispositif (de la forme d’un système de roulement à billes en cage) ne se trouve pas dans ces couteaux. Toutefois, le Tribunal n’a jamais conclu, et le paragraphe 84(1) du Code criminel ne prévoit pas, qu’un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge uniquement lorsqu’aucune manipulation d’une quelconque partie du couteau n’est requise. La rapidité et la facilité avec lesquelles les marchandises en cause s’ouvrent ne sont en aucun cas inférieures à celles d’autres couteaux dont la lame n’est pas verrouillée. Le Tribunal ne croit pas que le législateur aurait voulu, ou que le libellé de la loi commande, que le premier soit traité différemment du second.

DÉCISION

  1. Le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées, conformément aux exigences de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, puisque les marchandises en cause s’ouvrent automatiquement par force centrifuge.
  2. Par conséquent, l’appel est rejeté.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     Pièce AP-2017-012-04, vol. 1.

[4].     Pièce AP-2017-012-06A aux par. 14-15, vol. 1.

[5].     Ibid. aux par. 17-19.

[6].     Ibid. au par. 20.

[7].     Pièce AP-2017-012-09, vol. 1.

[8].     D.O.R.S./91-499 [Règles].

[9].     Pièce AP-2017-012-12, vol. 1.

[10].   Pièce AP-2017-012-13, vol. 1.

[11].   Pièce AP-2017-012-14, vol. 1.

[12].   D.O.R.S./91-499.

[13].   Pièce AP-2017-012-06A, onglet 5, vol. 1.

[14].   Ibid., onglet 5 à la p. 21.

[15].   L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[16].   L.R.C. (1985), ch. C-46.

[17].   Dans la mesure où la question pourrait être pertinente, le Tribunal estime que l’ASFC n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que les marchandises en question comportent un mécanisme d’ouverture par roulement à billes. Comme nous l’avons déjà indiqué, le seul élément de preuve présenté est la copie papier des documents publicitaires en ligne. Toutefois, cette copie papier n’est pas associée au modèle Skyline de couteaux et, contrairement aux affirmations de l’ASFC, rien ne démontre que cette technologie est incorporée dans tous les modèles de couteaux à ouverture manuelle fabriqués par le fabricant. En particulier, les pages portant sur les caractéristiques techniques du modèle Skyline ne l’indiquent pas, et aucun système de roulement à billes ne figure sur les photographies du couteau démonté présentées par l’appelant (que l’ASFC n’a pas contestées).

[18].   Pièce AP-2017-012-06A au par. 41, vol. 1.

[19].   R. v. Richard, [1981] N.B.J. No. 274 (C.A.N.-B.) au par. 7; R. v. Archer, [1983] O.J. No. 92 (C.A. Ont.) au par. 7.

[20].   R. c. Vaughan, [1990] R.J.Q. 2064 (C.A.Q.) au par. 19.

[21].   R. c. Vaughan, [1991] 3 R.C.S. 691 (C.S.C.) [Vaughan].

[22].   La Sagesse de l’Eau c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 novembre 2012), AP‑2011‑040 et AP-2011-041 (TCCE) [La Sagesse de l’Eau] aux par. 46 et 50.

[23].   R. Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 janvier 2014), AP-2012-072 (TCCE) au par. 25.

[24].   Voir Digital Canoe Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 juillet 2006), AP‑2004‑047 (TCCE) [Digital Canoe] aux par. 12-15. Voir également La Sagesse de l’Eau au par. 46 (« la nécessité d’un minimum de manipulations n’enlève pas forcément le caractère automatique de l’ouverture de la lame »).

[25].   Kenneth Lee c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 juillet 2006), AP-2003-054 (TCCE) au par. 12.

[26].   Voir R. Gustas c. Sous-M.R.N. (14 janvier 1997), AP-96-006 (TCCE).

[27].   Pièce AP-2017-012-B-01.

[28].   Ibid. Dans les instructions, le conseil suivant est donné sous la rubrique « Ouvrir un Kershaw pliant à ouverture manuelle » [traduction] : « Si vous avez de la difficulté à sortir complètement la lame du manche, ajoutez un léger mouvement du poignet » [traduction].

[29].   Digital Canoe aux par. 13-15.

[30].   R.S. Abrams c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (21 décembre 2016), AP-2016-004 (TCCE) aux par. 21-22.