J.-F. ALLARD

J.-F. ALLARD
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Appel no AP-2016-052

Décision et motifs rendus
le jeudi 12 octobre 2017

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 14 septembre 2017, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le Président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 22 décembre 2016, concernant une demande de révision aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

J.-F. ALLARD Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Daniel Petit
Daniel Petit
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 14 septembre 2017

Membre du Tribunal : Daniel Petit, membre présidant

Personnel de soutien : Amélie Cournoyer, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

 

J.-F. Allard

 

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Patricia Nobl

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le présent appel a été déposé auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) par M. J.-F. Allard, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard d’une décision rendue le 22 décembre 2016 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4).
  2. Le présent appel concerne le classement tarifaire d’un sac à main doté d’une poignée de type coup-de-poing américain (la marchandise en cause) importée par M. Allard. La question en litige est de déterminer si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’arme prohibée et, par conséquent, de marchandise dont l’importation est interdite au Canada aux termes du paragraphe 136(1).

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Le 4 octobre 2016, l’ASFC a retenu la marchandise en cause aux termes de l’article 101 de la Loi.
  2. Le 20 octobre 2016, aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi, l’ASFC a rendu une décision, classant la marchandise en cause dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée. Ce classement est fondé sur la détermination de l’ASFC selon laquelle la marchandise en cause est une arme prohibée au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel[3].
  3. Le 14 novembre 2016, M. Allard a présenté à l’ASFC une demande de révision du classement tarifaire conformément aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi.
  4. Le 22 décembre 2016, l’ASFC a confirmé, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, que la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée et que son importation au Canada est interdite.
  5. Les 27 février et 16 mars 2017, M. Allard a déposé un avis d’appel de la décision de l’ASFC auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.
  6. Conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4], le Tribunal a statué sur l’appel sur la foi des renseignements versés au dossier. L’appel a été instruit à Ottawa (Ontario) le 14 septembre 2017. La marchandise en cause a été mise à la disposition du Tribunal, qui l’a examinée.

MARCHANDISE EN CAUSE

  1. La marchandise en cause est un sac à main constitué d’une coquille dure recouverte d’un similicuir noir surpiqué en motif de losange. La coquille est bordée d’un fermoir en métal sur lequel est fixée une poignée consistant en une armature métallique comportant quatre trous. Des protubérances décoratives, soit des crânes en métal et un faux diamant, sont placées sur la poignée.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes stipule ce qui suit :

    L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

    The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

    [Nos italiques]

  1. Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[5] ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 prévoit que les « marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent chapitre peuvent être classées dans ladite position si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».
  2. La question de savoir si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 doit donc être tranchée conformément aux dispositions de ce numéro tarifaire et aux dispositions applicables du Code criminel.
  3. La liste des marchandises prohibées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 comprend les « armes prohibées ». Pour l’application du numéro tarifaire 9898.00.00, l’expression « armes prohibées » s’entend au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.
  4. Le paragraphe 84(1) du Code criminel définit le terme « arme prohibée » de la façon suivante, dont seul l’alinéa b) est pertinent :

    a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

    b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

    (a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

    (b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon;

  1. L’article 4 du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction[6] indique que les armes énumérées à la partie 3 de l’annexe sont considérées comme des « armes prohibées » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.
  2. L’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement est rédigé comme suit et qualifie ces marchandises d’armes prohibées :

    L’instrument communément appelé « coup-de-poing américain » et autre instrument semblable consistant en une armature métallique trouée dans laquelle on enfile les doigts.

    The device known as “Brass Knuckles” and any similar device consisting of a band of metal with one or more finger holes designed to fit over the fingers of the hand.

POSITION DES PARTIES

M. Allard

  1. M. Allard soutient que l’interprétation donnée par l’ASFC de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement est absurde puisque plusieurs objets qui ne sont pas des armes, mais qui sont constitués d’une armature métallique trouée dans laquelle on enfile les doigts, devraient être considérés comme des armes prohibées et par le fait même être interdits d’importation.
  2. M. Allard convient que bien que la marchandise en cause ressemble à un coup-de-poing américain, elle n’est pas en soi une arme. Il soutient que le sac à main en cause ne peut causer de blessures puisque s’il est utilisé pour donner un coup de poing, le corps du sac à main empêche de transférer la force d’impact de la paume à la pièce de métal. En outre, il soutient que la personne qui assènera un coup de poing en ayant les doigts insérés dans la partie métallique se brisera la main plutôt que de causer des blessures.
  3. M. Allard souligne également que les trous de la poignée sont petits et que les doigts d’un homme ne peuvent y être enfilés.

ASFC

  1. L’ASFC soutient que la marchandise en cause est un sac à main qui incorpore à titre de poignée un instrument semblable à un coup-de-poing américain et qu’elle remplit les trois conditions prescrites par le Règlement.

ANALYSE

  1. Aux termes de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement, pour être considérée comme un instrument semblable à un coup-de-poing américain, la marchandise en cause doit satisfaire à trois critères : elle doit 1) être constituée d’une armature métallique 2) être trouée et 3) être conçue pour y enfiler les doigts.
  2. Le Tribunal prend note que les parties conviennent que la marchandise en cause remplit les deux premières conditions. Le Tribunal conclut d’ailleurs sans difficulté que la poignée du sac à main est composée d’une armature métallique comportant quatre trous.
  3. Toutefois, M. Allard conteste la troisième condition, soit que l’instrument est conçu pour y enfiler les doigts.
  4. Tout d’abord, M. Allard soutient que les trous de la poignée ne sont pas assez gros pour que des doigts d’hommes y soient enfilés. Or, il ressort clairement de l’examen que le Tribunal a effectué de la marchandise en cause que des doigts de femmes peuvent être enfilés dans les trous de l’armature métallique.
  5. Le Tribunal souligne que rien dans la définition réglementaire ou autre législation applicable ne semble exclure de la portée de la prohibition un coup-de-poing américain ou instrument semblable ayant été conçu pour des petites mains, par exemple celles d’une femme ou d’un enfant. Le Tribunal souligne par ailleurs qu’il ne connaît aucune définition précise de ce que sont des « doigts d’hommes »; en effet, il existe toutes sortes de grandeurs ou de tailles de doigts, peu importe le sexe ou l’âge d’une personne.
  6. De façon similaire, le Tribunal a déterminé dans l’affaire R. Christie[7] qu’un couteau constituait un instrument semblable à un coup-de-poing américain bien que trois des quatre trous du couteau en cause ne semblaient pas conçus pour y enfiler un doigt en raison de leur taille. Un seul trou dans lequel un doigt peut y être enfilé a été jugé suffisant pour satisfaire aux exigences de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement. De plus, comme l’a souligné le Tribunal dans l’affaire G. Bradford, la variabilité basée sur l’usager ne devrait avoir aucune incidence sur le classement tarifaire de la marchandise en cause[8].
  7. Par conséquent, le Tribunal convient avec l’ASFC que la marchandise en cause remplit la troisième condition pour être considérée comme un instrument semblable à l’instrument communément appelé « coup-de-poing américain », c’est-à-dire qu’elle est conçue pour y enfiler les doigts.
  8. Ensuite, M. Allard soutient que l’application stricte des trois conditions réglementaires est absurde puisqu’elle résulterait à ce que tout objet non dangereux remplissant ces trois conditions devrait être interdit d’importation, comme une bague, un manche de pelle à neige, un ciseau, un cadenas, etc.
  9. À cet égard, le Tribunal s’entend avec l’ASFC sur le fait que, selon l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement, la marchandise doit également être un instrument semblable à l’instrument communément appelé « coup-de-poing américain », ce qui n’est pas le cas d’un ciseau ou d’un cadenas, par exemple.
  10. D’ailleurs, le Tribunal souligne que M. Allard admet que la marchandise en cause ressemble à un coup-de-poing américain[9].
  11. Finalement, M. Allard soutient que la marchandise ne peut être considérée comme un coup‑de‑poing américain puisqu’elle ne « rencontre par les caractéristiques essentielles et les propriétés intrinsèques de l’arme prohibée connue sur le nom de coup-de-poing américain »[10]. M. Allard soutient que, pour être considérée comme tel, la pièce de métal doit devenir un prolongement des excroissances des articulations osseuses et doit s’appuyer dans la paume de la main. Il suggère ensuite que la marchandise en cause ne remplit pas ces critères.
  12. Le Tribunal remarque que les seuls éléments de preuve présentés au soutien de cette prétention sont des photos d’instruments communément appelés « coup-de-poing américain »[11]. Ceci constitue une preuve insuffisante pour que M. Allard s’acquitte du fardeau de la preuve qui lui incombe en l’espèce[12]. De plus, les conditions additionnelles proposées par M. Allard ne figurent dans aucun texte législatif ou réglementaire applicable et M. Allard n’a pas convaincu le Tribunal que l’instrument communément appelé « coup‑de‑poing américain » ou autre instrument semblable comprend de tels critères plus précis.
  13. En somme, M. Allard n’a pas démontré que la marchandise en cause n’est pas correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00. Les éléments de preuve démontrent plutôt que la marchandise en cause satisfait aux trois éléments constitutifs de l’instrument communément appelé « coup-de-poing américain » ou autre instrument semblable.

CONCLUSION

  1. Étant donné que la marchandise en cause remplit les conditions énoncées à l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement, le Tribunal conclut qu’il s’agit d’une arme prohibée au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel. Par conséquent, la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00, de sorte que son importation au Canada est interdite aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

DÉCISION

  1. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     L.R.C. (1985), ch. C-46.

[4].     D.O.R.S./91-499.

[5].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[6].     D.O.R.S./98-462 [Règlement].

[7].     R. Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 janvier 2014), AP-2012-072 (TCCE) au par. 30.

[8].     G. Bradford c. Président de l’Agence des Services Frontaliers du Canada (12 septembre 2016), AP-2015-031 (TCCE) au para. 28.

[9].     Pièce AP-2016-052-07 aux par. 9, 12, vol. 1.

[10].   Pièce AP-2016-052-07 au par. 8, vol. 1.

[11].   Pièce AP-2016-052-07, annexe II.

[12].   Selon le paragraphe 152(3) de la Loi et l’article 12 du Tarif des douanes, le fardeau de démontrer que le classement de la marchandise en cause est incorrect et que, par conséquent, il ne s’agit pas d’une arme prohibée, incombe à l’appelant. Voir Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII) au par. 21.