ARTCRAFT COMPANY INC.

ARTCRAFT COMPANY INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2017-016

Décision et motifs rendus
le jeudi 8 mars 2018

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À un appel entendu le 11 janvier 2018 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 13 avril 2017 concernant des demandes de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

ARTCRAFT COMPANY INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Ann Penner
Ann Penner
Membre présidant

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : le 11 janvier 2018

Membres du Tribunal : Ann Penner, membre présidant

Personnel de soutien : Rebecca Marshall-Pritchard, conseillère juridique
Dustin Kenall, conseiller juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Artcraft Company Inc.

Leigh Somerville Taylor

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Kevin Palframan

TÉMOIN :

Saul Rabinowitz
Directeur
Artcraft Company Inc.

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

  1. Le présent appel a été interjeté par Artcraft Company Inc. (Artcraft) devant le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], contre des décisions rendues le 13 avril 2017 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), aux termes du paragraphe 60(4), à la suite de demandes de révision de classement tarifaire.
  2. Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si divers styles de chaussures (les marchandises en cause) en éthylène vinyle acétate (EVA) sont des « chaussures étanches » de la position no 64.01 ou si elles doivent être classées dans la position no 64.02 à titre d’autres chaussures à semelles extérieures et dessus en matière plastique, comme l’a déterminé l’ASFC.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Les marchandises en cause, importées de 2011 à 2013, ont été classées dans le numéro tarifaire 6401.99.11 à titre de sandales uniquement de caoutchouc.
  2. Le 1er novembre 2013, l’ASFC a remis à Artcraft son rapport final de vérification ayant trait au classement tarifaire de certains styles de chaussures (dont les marchandises en cause), indiquant qu’elles relevaient du numéro tarifaire 6402.99.90 à titre d’autres chaussures à semelles extérieures et dessus en caoutchouc ou en matière plastique.
  3. Le 19 novembre 2015, après avoir reçu des demandes de rajustement d’Artcraft, l’ASFC a rendu ses décisions, aux termes de l’alinéa 59(1)(b) de la Loi, indiquant que les marchandises en cause relevaient du numéro tarifaire 6402.99.90.
  4. Le 17 février 2016, Artcraft a fait une demande de réexamen des classements tarifaires aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi.
  5. Le 13 avril 2017, l’ASFC a rejeté la demande de réexamen, confirmant sa décision précédente selon laquelle les marchandises en cause relevaient du numéro tarifaire 6402.99.90.
  6. Le 12 juillet 2017, Artcraft a interjeté le présent appel auprès du Tribunal. Artcraft a déposé son mémoire le 11 septembre 2017. L’ASFC a déposé le sien le 10 novembre 2017.
  7. Le 18 décembre 2017, le Tribunal a communiqué aux parties une lettre leur demandant de plus amples observations sur la signification de l’expression « waterproof footwear » (chaussures imperméables), ainsi que sur l’historique législatif le cas échéant, et de confirmer si l’EVA est un matériau imperméable.
  8. Le 11 janvier 2018, le Tribunal a tenu une audience. Les parties ont demandé de pouvoir soumettre après l’audience leurs commentaires par écrit sur les questions soulevées par le Tribunal dans sa lettre du 18 décembre 2017, requête à laquelle le Tribunal a accédé. Le Tribunal a reçu les observations supplémentaires d’Artcraft le 23 janvier 2018, et celles de l’ASFC le 25 janvier 2018.
  9. Le Tribunal a reçu d’autres observations non sollicitées de l’ASFC le 26 janvier 2018 au sujet d’une décision attendue de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) concernant un avis de classement ayant trait à des chaussures et portant sur les mêmes positions que celles en cause dans le présent litige. Artcraft a déposé des observations en réponse le 5 février 2018.

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

  1. Les marchandises en cause sont des chaussures en EVA. Elles ne couvrent pas la cheville, et l’empeigne (upper[2]) et la semelle (outer sole[3]) sont d’un seul tenant. Les marchandises en cause comprennent 17 styles[4].
  2. L’empeigne de huit styles[5] comporte de nombreux trous d’aération. Les chaussures sont conçues de façon à laisser l’arrière du pied découvert. De plus, elles comportent une bride fixée sur l’empeigne au niveau de la voûte plantaire, qui peut se rabattre vers l’arrière pour améliorer la tenue sur le pied.
  3. Huit autres styles[6] sont conçus de façon similaire mais sont dépourvus de trous d’aération. À l’exception d’un style[7], ils comportent tous une bride rabattable.
  4. Le dernier style[8] comporte sur l’empeigne une lanière ajustable en polyester et est muni d’une boucle en plastique et de fermetures velcro. Il y a de nombreux trous d’aération sur l’empeigne ainsi que sur les côtés au bas de l’empeigne sur toute la longueur de la chaussure.

CADRE LÉGISLATIF

Étapes du classement tarifaire

  1. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’OMD[9]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.
  2. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[10] et les Règles canadiennes[11] énoncées à l’annexe.
  3. Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.
  4. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[12] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[13], publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[14].
  5. Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement. Si les marchandises en cause ne peuvent être classées au niveau de la position par application de la règle 1, le Tribunal doit alors examiner les autres règles[15].
  6. Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée[16]. L’étape finale consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié[17].

Nomenclature tarifaire pertinente et notes

  1. Les parties conviennent que la section XII et le chapitre 64 ci-dessous s’appliquent :

    Section XII

    CHAUSSURES, COIFFURES, PARAPLUIES, PARASOLS, CANNES, FOUETS, CRAVACHES ET LEURS PARTIES; PLUMES APPRÊTÉES ET ARTICLES EN PLUMES; FLEURS ARTIFICIELLES; OUVRAGES EN CHEVEUX

    Chapitre 64

    CHAUSSURES, GUÊTRES ET ARTICLES ANALOGUES; PARTIES DE CES OBJETS

  1. Il n’y a aucune note de section ou de chapitre pertinente.
  2. Selon Artcraft, les marchandises en cause sont imperméables et à ce titre les dispositions tarifaires suivantes s’appliquent :

    64.01 Chaussures étanches à semelles extérieures et dessus en caoutchouc ou en matière plastique, dont le dessus n’a été ni réuni à la semelle extérieure par couture ou par des rivets, des clous, des vis, des tétons ou des dispositifs similaires, ni formé de différentes parties assemblées par ces mêmes procédés.

    -Autres chaussures :

    6401.99 - -Autres

    - - -En caoutchouc :

    6401.99.11 - - - -Bottes d’équitation uniquement de caoutchouc;

    Sandales uniquement de caoutchouc

    [Nos italiques]

  1. Les notes explicatives ci-dessous de la position no 64.01 indiquent que la position comprend les chaussures « conçues pour assurer une protection contre l’eau » :

    Cette position comprend les chaussures étanches dont la semelle extérieure et le dessus […] sont en caoutchouc […] en matière plastique ou encore en tissu ou autre support textile comportant une couche extérieure de caoutchouc ou de matière plastique perceptible à l’œil nu […] pour autant que le dessus n’ait été ni réuni à la semelle par les procédés énumérés dans le libellé ni formé de différentes parties assemblées par ces mêmes procédés.

    Les chaussures de la présente position sont conçues pour assurer une protection contre l’eau ou d’autres liquides et comprennent notamment certains couvre-chaussures et certaines chaussures de ski.

    [Nos italiques]

  1. Figure aussi dans les notes explicatives une liste non exhaustive des chaussures comprises dans la position en fonction du procédé de fabrication :

    Parmi les chaussures de la présente position on peut citer celles obtenues par l’un des procédés décrits ci-dessous.

    1) Moulage sous presse
    2) Moulage par injection
    3) Moulage par embouage
    4) Procédé dit « Rotational casting »
    5) Procédé dit « Dip moulding »
    6) Assemblage par vulcanisation
    7) Collage et vulcanisation
    8) Soudage à haute fréquence
    9) Collage

    [Descriptions omises]

  1. L’ASFC soutient que les marchandises en cause ne sont pas imperméables ou qu’elles ne sont pas décrites de façon plus précise dans une autre position et que, par conséquent, la position résiduelle no 64.02 s’applique :

    64.02 Autres chaussures à semelles extérieures et dessus en caoutchouc ou en matière plastique.

     -Autres chaussures :

    6402.99 - -Autres

    6402.99.90 - - -Autres

  1. Les notes explicatives de la position no 64.02 confirment que celle-ci est une position résiduelle :

    La présente position couvre les chaussures autres que celles du no 64.01 dont la semelle extérieure et le dessus sont en caoutchouc ou en matière plastique.

  1. Figure aussi dans les notes explicatives une liste non exhaustive des chaussures comprises dans la position :

    Parmi les chaussures relevant de la présente position, on peut citer :

    a) les chaussures de ski constituées de plusieurs parties moulées articulées au moyen de rivets ou de dispositifs similaires;

    b) les sabots sans quartier ni contrefort, dont le dessus est d’une seule pièce et fixé d’ordinaire à la semelle par des rivets;

    c) les pantoufles ou les mules sans quartier ni contrefort, dont le dessus, fabriqué d’une seule pièce ou assemblé autrement que par couture, est fixé à la semelle par couture;

    d) les sandales constituées par des lanières passant au-dessus du cou-de-pied et par un contrefort ou une attache de talon fixée à la semelle par un procédé quelconque;

    e) les sandales de type tong dont les brides sont fixées à la semelle par des tétons venant se loger dans des cavités ménagées à la semelle;

    f) les chaussures non étanches formées d’une seule pièce (sandales de bain, par exemple).

  1. Il n’y a aucun avis de classement pertinent concernant l’une ou l’autre des positions, sauf celui invoqué par l’ASFC mentionné ci-dessus. Toutefois, cet avis de classement n’entrera en vigueur que le 1er juin 2018. De plus, cet avis n’est pas juridiquement contraignant.

TÉMOINS ET ÉLÉMENTS DE PREUVE

  1. Artcraft a déposé des photographies des marchandises en cause, un catalogue dans lequel elles figurent, un imprimé de deux pages des résultats d’une recherche sur Google avec les mots-clés « waterproof sandals » (sandales imperméables), un imprimé de la page Wikipédia sur l’EVA et des extraits d’un manuel intitulé Polymer Foams Handbook (manuel sur les mousses polymères).
  2. Artcraft a fait comparaître un témoin, Saul Rabinowitz, directeur d’Artcraft, dont le témoignage a surtout porté sur les interactions entre Artcraft et l’ASFC, ainsi que sur les caractéristiques des marchandises en cause pour lesquelles Artcraft les a sélectionnées.
  3. L’ASFC a déposé un rapport des résultats d’un examen de laboratoire daté du 27 septembre 2016 selon lequel l’EVA est une matière plastique, pas du caoutchouc, du matériel promotionnel sur les sabots provenant d’Internet, des images des marchandises en cause tirées de catalogues et des définitions de dictionnaire de « waterproof » (imperméable, étanche, résistant à l’eau), « impervious » (imperméable, étanche), « vamp » (empeigne) et « quarter » (quartier). L’ASFC n’a fait comparaître aucun témoin.

POSITION DES PARTIES

  1. Artcraft avance deux principaux arguments : premièrement, celui selon lequel l’ASFC est liée par ses décisions précédentes concernant les marchandises en cause et, deuxièmement, celui selon lequel les marchandises en cause sont effectivement des chaussures imperméables car elles ne comportent aucune couture et qu’elles sont en caoutchouc et donc hydrofuges.
  2. En ce qui concerne son premier argument, Artcraft soutient que l’ASFC ne peut adopter une position différente de celle exposée dans sa décision anticipée du 6 avril 2004 selon laquelle les marchandises en cause relèvent du numéro tarifaire 6402.20.11. Artcraft invoque aussi le rapport final de vérification de l’ASFC selon lequel le matériau composite de trois des styles[18] des marchandises en cause est du caoutchouc, non du plastique. Artcraft avance aussi que, s’il y a ambiguïté quant à l’imperméabilité des marchandises en cause, le Tribunal doit trancher en faveur de l’appelante compte tenu de la décision de la Cour suprême du Canada dans Morguard concernant l’imposition de taxes[19].
  3. En réponse, l’ASFC soutient que, peu importe la façon dont les marchandises en cause auraient dû être classées il y a des années, les éléments de preuve en l’espèce montrent que les marchandises en cause sont en fait en EVA, qui est un plastique et non du caoutchouc selon son rapport scientifique. L’ASFC soutient aussi que le rôle du Tribunal dans les appels portant de nouveau sur une de ses décisions est de déterminer le classement tarifaire approprié des marchandises en cause. À cet égard, les actions ou les prises de position passées de l’ASFC ne sont pas pertinentes, et le fardeau de la preuve dans un appel en matière de classement tarifaire incombe à l’appelante.
  4. En ce qui concerne son deuxième argument, Artcraft propose que les marchandises en cause sont effectivement des chaussures imperméables au sens de la position no 64.01 bien qu’elles ne protègent pas le pied en entier contre l’eau. Artcraft s’appuie sur le fait que la position no 64.01 comprend le numéro tarifaire 6401.99.11 « [s]andales uniquement de caoutchouc ». À son avis, si des chaussures laissant l’arrière du pied découvert comme les marchandises en cause ne pouvaient être classées dans la position no 64.01 parce qu’elles ne protègent pas le pied en entier, alors les sandales de caoutchouc ne feraient pas partie de la position no 64.01. Pour illustrer davantage son point de vue, Artcraft a soumis les résultats d’une recherche effectuée sur Google avec les mots-clés « waterproof sandals » (sandales imperméables) qui montre, de son avis, qu’il est de perception commune que des sandales peuvent être imperméables sans pour autant garder le pied au sec en autant que le matériau dans lequel elles sont confectionnées soit imperméable. Artcraft invoque aussi la décision du Tribunal dans Chaussures et semelles extérieures étanches en matière plastique ou en caoutchouc originaires ou exportées de la République populaire de Chine, une enquête en vertu de la Loi sur les mesures spéciales d’importation dont la définition des produits comprenait des « sabots obtenus par moulage »[20].
  5. Dans leurs commentaires déposés après l’audience, les parties donnent des détails sur leurs arguments avancés précédemment. Artcraft déduit des notes explicatives de la position no 64.02 que seulement certaines des sandales décrites dans cette position sont imperméables. L’ASFC a répliqué que si l’intention avait été que seulement la semelle soit imperméable, il aurait été expressément dit que la position no 64.02 comprend les chaussures dont la semelle est conçue pour empêcher la pénétration de l’eau.
  6. En ce qui concerne l’historique législatif, Artcraft affirme que la position no 64.01 est demeurée inchangée depuis 1988. L’ASFC souligne que les numéros tarifaires 6401.92.30 et 6401.99.11 n’existaient pas avant 1998. L’ASFC croit que l’ajout de « sandales en caoutchouc » sous ces numéros tarifaires de la position no 64.01 est une erreur administrative parce que, par définition, une sandale ne peut être conçue pour empêcher la pénétration de l’eau.
  7. En ce qui concerne l’EVA, Artcraft a donné une définition tirée de Wikipédia décrivant l’EVA comme « un polymère élastomère qui produit des matériaux “analogues au caoutchouc” pour ce qui est de la souplesse et de la flexibilité »[21] [traduction]. Artcraft a aussi présenté des extraits d’un manuel de chimie indiquant qu’une autre matière constituée d’une mousse alvéolaire résiste à la pénétration de l’eau et que l’EVA est utilisé dans la fabrication de flotteurs[22]. L’ASFC n’a fait aucun commentaire sur l’imperméabilité de l’EVA.
  8. Enfin, l’ASFC a éveillé l’attention du Tribunal sur une décision attendue de l’OMD selon laquelle certaines chaussures doivent être classées dans les positions nos 64.02 ou 64.01[23].
  9. En réponse, Artcraft cite le passage suivant de la décision de l’OMD en question[24] :

    Chaussures en matières plastiques connues sous l’appellation de « sandales pour adultes en matières plastiques » et « sandales pour enfants en matières plastiques ». Ces chaussures sont formées d’une semelle extérieure et d’un dessus en matières plastiques obtenues en un seul bloc par un procédé de moulage par injection. Ainsi fabriquées, les deux parties formant les chaussures ne sont ni réunies ni assemblées par couture ou par des rivets, des clous, des vis, des tétons ou d’autres dispositifs similaires.

    Ces chaussures ne couvrent pas les orteils, le talon et/ou la cheville et contiennent des ouvertures sur le dessus.

  1. Artcraft soutient que la description correspond à sa position selon laquelle la seule condition requise pour que des chaussures soient considérées comme imperméables est que l’eau ne puisse pénétrer dans la semelle.

ANALYSE

  1. Bien que les arguments des parties soient longs et complexes, ils se ramènent à deux questions simples.
    • Premièrement, est-ce que des considérations d’équité sont pertinentes en ce qui concerne les décisions du Tribunal en matière de classement tarifaire?
    • Deuxièmement, des chaussures comportant des trous d’aération ou laissant l’arrière du pied découvert sont-elles « imperméables »?
  1. La réponse aux deux questions est « non ».
  2. En ce qui concerne la première question, le Tribunal connaît des appels formés contre des décisions de l’ASFC en matière de classement tarifaire à titre de tribunal de première instance. Il s’agit de procédures dans le cadre desquelles les parties peuvent déposer de nouveaux éléments de preuve et avancer de nouveaux arguments juridiques afin d’aider le Tribunal à interpréter correctement la nomenclature tarifaire[25]. Celles-ci n’ont pas pour but de déterminer si l’ASFC a suivi ses propres règles, politiques, procédures ou mémorandums ou si elle a procédé de façon équitable en répondant à une demande de révision[26]. Par conséquent, cela n’a pas d’importance si la position de l’ASFC en l’espèce diffère de sa position précédente, que cela concerne une décision anticipée ou son rapport final de vérification. De plus, étant donné que cela est un principe juridique bien établi, l’appelante ne peut invoquer l’incontestabilité d’une décision précédente de l’ASFC[27].
  3. En ce qui concerne la deuxième question, des chaussures comportant des trous d’aération ou laissant l’arrière du pied découvert ne peuvent être considérées comme « imperméables » en vertu de la terminologie et de la structure du Tarif des douanes ou de l’acceptation courante du terme. Le fait que le matériau dont les marchandises en cause sont composées est lui-même imperméable n’est pas déterminant aux fins du classement tarifaire. Les deux positions en question ne s’appliquent qu’aux « chaussures [...] à semelles extérieures et dessus en caoutchouc ou en matière plastique ». Aucune partie ne conteste que le caoutchouc ou une matière plastique soient hydrofuges. Par conséquent, le fait que les marchandises en cause soient composées d’un matériau imperméable n’est pas suffisant pour déterminer quelle position s’applique.
  4. Ni le Tarif des douanes ni les notes explicatives ne définissent le terme « imperméable » (waterproof). Par conséquent, la seule façon d’en définir le sens est d’avoir recours au libellé de la position no 64.01 et aux notes y ayant trait.
  5. Le libellé de la position no 64.01 reflète celui de la position no 64.02 sauf pour deux différences : la mention de « chaussures étanches » au lieu d’« autres chaussures » et l’exclusion de la position de chaussures « dont le dessus [...] a été [...] réuni à la semelle extérieure par couture ou par des rivets, des clous, des vis, des tétons ou des dispositifs similaires » [nos italiques].
  6. De même, les notes explicatives se focalisent sur la conception, spécifiant que « [l]es chaussures de la présente position sont conçues pour assurer une protection contre l’eau ou d’autres liquides [...] » [nos italiques]. Elles confirment que la position comprend notamment « certains couvre-chaussures et certaines chaussures de ski » [nos italiques]. Sont énumérés par la suite neuf « procédés » de fabrication compris dans la position, dont quatre sont une sorte de moulage, deux une sorte de vulcanisation et les trois autres relevant respectivement d’un procédé dit de « rotational casting », de soudage et de collage.
  7. Lorsque ces procédés de fabrication mentionnés dans les notes sont comparés à ceux exclus de la position, la distinction qui va de soi est que le premier ne comporte pas de coutures et que le deuxième est un assemblage (par couture ou par des rivets, des clous, des vis, etc., et qu’il y a des perforations). Les notes explicatives de la position no 64.02 reprennent ces distinctions, donnant comme exemple des chaussures qui ne sont pas considérées comme imperméables : des chaussures de ski constituées de « plusieurs parties moulées articulées au moyen de rivets ou de dispositifs similaires », des sabots dont le dessus est « fixé d’ordinaire à la semelle par des rivets », des pantoufles dont le dessus est « fixé à la semelle par couture », etc.
  8. La conclusion normale découlant des citations ci-dessus ainsi que de la formulation du Tarif des douanes et des notes explicatives est que l’imperméabilité est essentiellement définie par ce pour quoi les chaussures ont été conçues par opposition au matériau qui les constitue. Elles sont conçues pour garder le pied entier au sec. Si cela était sans importance, l’utilisation du terme « imperméable » serait superflu; les auteurs du Tarif des douanes auraient tout simplement pu se fonder sur le procédé de fabrication pour déterminer le classement.
  9. Cette conclusion est appuyée par le genre de chaussures énumérées dans les notes explicatives. Celles de la position no 64.01 comprennent « certains couvre-chaussures et certaines chaussures de ski ». Ces sortes de chaussures sont conçues et fabriquées de façon à garder le pied entier au sec, qu’il s’agisse de neige, de glace, de neige fondue, de pluie, de boue, etc. En fait, leur conception et leur fabrication est ce qui les distingue des chaussures énumérées dans les notes explicatives de la position no 64.02, qui comprend notamment des chaussures correspondant à la description des marchandises en cause, c’est-à-dire des sabots « sans quartier ni contrefort »[28], ainsi que plusieurs autres sortes de chaussures qui ne couvrent pas entièrement le pied (par exemple des pantoufles sans quartier ni contrefort, des sandales constituées par une attache de talon fixée à la semelle par un procédé quelconque, des sandales de type tong, etc.).
  10. Pour garder le pied entier au sec, la chaussure ne doit pas comporter de trous et doit couvrir, au moins jusqu’à un certain point, le dessus, le dessous, les côtés, le devant et l’arrière du pied. Il n’est pas contesté que l’empeigne de plusieurs des marchandises en cause comporte des trous d’aération assez grands pour que l’eau puisse passer. Il n’est pas non plus contesté que même les marchandises en cause sans trous d’aération ne protègent pas le talon, laissant l’arrière du pied découvert. En ce sens, elles ressemblent aux sandales de bain en caoutchouc ou en plastique de la position no 64.02 – elles sont « d’une seule pièce » mais ne sont aucunement conçues pour garder les pieds au sec. Artcraft n’a déposé aucun élément de preuve démontrant que les marchandises en cause sont conçues ou fabriquées pour garder les pieds au sec, qu’elles sont destinées à cela ou qu’elles sont effectivement utilisées dans ce but.
  11. Artcraft soutient que la condition selon laquelle une chaussure doit couvrir le pied en entier pour être considérée imperméable fait abstraction du fait que le numéro tarifaire 6401.99.11 comprend expressément les sandales en caoutchouc. Toutefois, cet argument ne tient pas compte du libellé du Tarif des douanes. Les marchandises en cause ne peuvent relever du numéro tarifaire 6401.99.11 parce qu’elles ne sont pas en caoutchouc. Deuxièmement, les marchandises en cause ne sont pas des sandales. Elles ne comportent pas de lanières ni de dessus fixé par couture ou un autre procédé similaire. Elles sont plutôt des chaussures d’une seule pièce et, à ce titre, sont couramment appelées des sabots, tout comme dans le Tarif des douanes[29]. Par conséquent, les arguments ayant trait à des sandales en caoutchouc passent à côté de l’essentiel.
  12. L’invocation par les parties de la jurisprudence relevant de la Loi sur les mesures spéciales d’importation n’est pas convaincante essentiellement parce que les causes portant sur les recours commerciaux ne concernent pas ni n’abordent le classement de marchandises en vertu de la Loi.
  13. Enfin, l’affirmation d’Artcraft selon laquelle s’il y a ambiguïté, le Tribunal doit trancher en faveur de l’appelante ne reflète pas les tendances actuelles. La Cour suprême du Canada a affirmé qu’« une ambiguïté [en matière de droit fiscal] est habituellement résolue ouvertement en tenant compte de l’intention du législateur. [...] [I]l n’est plus possible de réduire les principes d’interprétation à des présomptions en faveur ou au détriment du contribuable [...][30]. » Peu importe, le principe ne peut s’appliquer dans le cadre d’appels en matière de douanes étant donné que le paragraphe 152(3) de la Loi stipule expressément que la charge de la preuve incombe à l’appelante[31].
  14. Ayant conclu que les marchandises en cause ne sont pas imperméables parce que chacun des styles soit comporte des trous d’aération, soit laisse l’arrière du pied découvert, ou les deux, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la position no 64.01, mais qu’elles doivent l’être dans la position no 64.02 à titre d’« [a]utres chaussures à semelles extérieures et dessus en caoutchouc ou en matière plastique ».
  15. La position no 64.02 comprend trois sous-positions : « Chaussures de sport », « Chaussures avec dessus en lanières ou brides fixées à la semelle par des tétons » et « Autres chaussures ». Puisque ni l’une ni l’autre des deux premières sous-positions ne s’appliquent, les marchandises en cause doivent être classées dans la sous-position résiduelle restante.
  16. Cette sous-position comprend deux sous-catégories : « Couvrant la cheville » et « Autres ». Puisque les marchandises en cause ne couvrent pas la cheville, elles doivent être classées dans la sous-catégorie « Autres ». Cette sous-catégorie comprend deux numéros tarifaires : 6402.99.10 (« Comportant, à l’avant, une coquille de protection en métal ») et 6402.99.90 « Autres »). Puisque le premier numéro tarifaire ne s’applique pas, les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 6402.99.90.

DÉCISION

  1. L’appel est rejeté.
 

[1].     L.R.C., 1985, ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     Le terme « upper » (empeigne) est défini comme « les parties de la chaussure situées au-dessus de la semelle » et « la partie de la chaussure qui couvre les côtés et le dessus du pied ». Notes explicatives du chapitre 64, partie D des considérations générales.

[3].     « Par semelle extérieure [outer sole] au sens des nos 64.01 à 64.05, on entend la partie de la chaussure autre qu’un talon qui y est fixé) qui, durant l’usage, se trouve en contact avec le sol. » Notes explicatives du chapitre 64, partie C des considérations générales.

[4].     Les numéros de style sont les suivants : 89173, 89174, 89175, 89180, 89219, 89236, 89240, 89250, 89251, 89264, 89318, 89329, 89330, 8933l, 89332, 89341 et 89369.

[5].     89173-89175, 89318 et 89329-89332

[6].     89180, 29236, 89240, 89250-89251, 89264, 89341 et 89369.

[7].     89240.

[8]      89219.

[9].     Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[10].   L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[11].   L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[12].   OMD, 2e éd., Bruxelles, 2003.

[13].   OMD, 5e éd., Bruxelles, 2012.

[14].   Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, où la Cour d’appel fédérale a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. Le Tribunal est d’avis que cette interprétation s’applique également aux avis de classement.

[15].   Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII) au par. 21.

[16].   Les règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position. La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [règles 1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[17].   La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

[18].   89151, 89153 et 89154.

[19].   Morguard Properties Ltd. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493 [Morguard].

[20].   Chaussures étanches et semelles extérieures étanches (7 janvier 2003), NQ-2002-002 (TCCE) à la p. 3.

[21].   Pièce AP-2017-016-16A au par. 14, vol. 1A.

[22].   Ibid. au par. 15.

[23].   Pièce AP-2017-016-18 aux pp. 1-2, vol. 1A.

[24].   OMD, Décisions de classement – Comité du SH 60e Session, en ligne : http://www.wcoomd.org/-/media/wco/‌public/fr/pdf/topics/nomenclature/instruments-and-tools/classification-decisions/classification-rulings/clhs60fr.‌pdf?db=web.

[25].   Toyota Tsusho America Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 avril 2011), AP-2010-063 (TCCE) aux par. 3-8.

[26].   Rutherford Controls International Corp. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (26 janvier 2011), AP-2009-076 (TCCE) au par. 68.

[27].   J. Cheese Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 septembre 2016), AP-2015-011 (TCCE) au par. 20. Scott Arthur c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 janvier 2008), AP-2006-052 (TCCE) au par. 21 (où le Tribunal a affirmé qu’il « n’est pas un tribunal d’équité et doit veiller à l’application de la loi telle qu’elle est rédigée [...]. Que l’ASFC prenne ou non une mesure administrative ne peut pas changer la loi ») [notes omises].

[28].   « Quarter » (quartier) est défini de la façon suivante dans le Dictionary of Shoe Industry Terminology (Footwear Industries of America) : « Partie arrière d’une chaussure qui emboîte le talon » [traduction]. Pièce AP-2017-016-06A, appendice 11 à la p. 80, vol. 1A. Le contrefort (counter) est une pièce qui renforce l’arrière de la chaussure. Ibid. au par. 9.

[29].   Ibid. aux par. 37, 41. Notes explicatives du chapitre 64, partie C des considérations générales.

[30].   Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 RCS 3 à la p. 17.

[31].   Les Industries Touch Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 mars 2017), AP-2016-016 (TCCE) au par. 23. Lois sur les douanes, par.. 152(3); Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII) aux par. 21-22.