N. GRAFF

N. GRAFF
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2017-041

Ordonnance et motifs rendus
le lundi 28 mai 2018

TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel interjeté le 13 novembre 2017, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une demande présentée par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, aux termes de l’article 23.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, DORS/91-499, le 21 mars 2018, demandant au Tribunal de radier le mémoire de l’appelant du dossier et de rejeter l’appel.

ENTRE

N. GRAFF Appelant

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

ORDONNANCE

La demande est en partie rejetée : le mémoire de l’appelant sera maintenu au dossier. La requête est en partie admise : l’appel est rejeté, car les renseignements au dossier ne révèlent aucune possibilité réelle que l’appel soit accueilli.

Jean Bédard
Jean Bédard
Membre présidant

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le 13 novembre 2017, M. Graff a interjeté le présent appel auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes[1], d’une décision rendue le 15 août 2017[2] par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes de l’article 60 de la Loi. La décision de l’ASFC confirmait une décision antérieure classant un « couteau de poche Zero Tolerance, modèle ZTO452G10 » (la marchandise en cause) à titre d’« arme prohibée », conformément au numéro tarifaire 9898.00.00 et au paragraphe 84(1) du Code criminel[3]; cette décision confirmait que l’importation de la marchandise en cause est interdite, conformément à l’article 136 du Tarif des douanes[4].
  2. L’avis d’appel demandait, entre autres, que l’affaire soit suspendue pour une période d’un an afin de permettre à M. Graff d’effectuer des recherches sur l’affaire[5].
  3. Le 30 novembre 2017, l’ASFC a déposé des observations s’opposant à la demande au motif que l’appelant n’avait pas fourni suffisamment de raisons pour lesquelles l’affaire devrait être suspendue[6].
  4. Le 4 décembre 2017, M. Graff a déposé des observations supplémentaires auprès du Tribunal, réclamant de nouveau que l’affaire soit suspendue et appuyant sa demande par divers arguments[7]. L’ASFC n’a pas répondu aux observations additionnelles de M. Graff, mais a maintenu son opposition à suspendre l’affaire[8].
  5. Le 13 décembre 2017, le Tribunal a rejeté la demande de suspendre l’affaire pour une période d’un an, mais a accordé à M. Graff six semaines additionnelles afin qu’il puisse déposer son mémoire de l’appelant[9].
  6. Le 28 février 2018, M. Graff a déposé son mémoire de l’appelant auprès du Tribunal[10].
  7. Le 21 mars 2018, l’ASFC a présenté une demande aux termes de l’article 23.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[11] demandant au Tribunal de radier le mémoire de l’appelant du dossier et de rejeter l’appel. À l’appui de sa demande, l’ASFC fait valoir que le mémoire de l’appelant ne satisfait pas au paragraphe 34(2) des Règles, qui indique la forme que doit prendre le mémoire de l’appelant pour ce qui est des appels interjetés en vertu de la Loi sur les douanes ainsi que ce qui doit y figurer. De façon plus générale, l’ASFC soutient que le mémoire de l’appelant ne contient aucun fait important ni argument et qu’il ne révèle aucune cause d’action raisonnable, empêchant ainsi l’ASFC de répondre adéquatement et au Tribunal de bien mener la procédure[12].
  8. Le 27 avril 2018, M. Graff a déposé son opposition à la demande de l’ASFC[13]. L’ASFC a choisi de ne pas répondre aux observations de M. Graff à l’égard de la demande[14].

ANALYSE DU TRIBUNAL

Le mémoire de l’appelant sera maintenu au dossier

  1. L’ASFC a demandé que le mémoire de M. Graff soit radié du dossier puisqu’il ne satisfait pas aux exigences en matière de forme et de contenu énoncées au paragraphe 34(2) des Règles.
  2. Le Tribunal souligne d’emblée que la non-conformité aux exigences de dépôt du mémoire de l’appelant énoncées à l’article 34 ne porte pas en soi un coup fatal à un appel. L’article 6 des Règles permet au Tribunal de « modifier les présentes règles, notamment par adjonction, ou exempter une partie de leur application, si cela est juste et équitable ou si, en vue du règlement plus expéditif ou moins formel d’une question, les circonstances et l’équité le permettent. »
  3. Bien que le Tribunal s’attende à ce que les parties respectent les Règles, il dispose du pouvoir discrétionnaire de les modifier, d’adjoindre à celles-ci ou d’exempter une partie de leur application lorsqu’il estime que cela est juste et équitable. Un exemple d’une telle situation serait celle où le strict respect d’exigences de dépôt énoncées empêcherait concrètement une partie d’avoir recours auprès du Tribunal, ayant des conséquences sur l’équité procédurale et l’obligation législative du Tribunal de connaître de tout appel pouvant y être interjeté en vertu du cadre législatif établi par le Parlement[15]. Non seulement le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de conduire ses séances de la façon qui lui paraît la plus efficace, la plus équitable et la plus expéditive dans les circonstances, mais il a le mandat de le faire en vertu de sa loi habilitante[16]. Ces questions s’avèrent d’autant plus importantes lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, une partie se représente elle-même.
  4. Le Tribunal n’est donc pas persuadé qu’il doive radier le mémoire de l’appelant du dossier au motif de soi-disant vices de forme et de fond. De l’avis du Tribunal, rejeter de la sorte des observations d’une partie qui se représente elle-même serait contraire à la façon dont le Tribunal doit mener ses procédures, telle que mandatée par le Parlement. Le mémoire de l’appelant représente une partie intégrante du dossier sur lequel se penche le Tribunal afin de rendre une décision en l’espèce. Par conséquent, afin que M. Graff puisse jouir de son droit de faire valoir son point de vue et qu’il soit entendu, le Tribunal détermine que ses observations seront maintenues au dossier.  

Les observations de l’appelant ne révèlent aucune possibilité réelle que l’appel soit accueilli

  1. L’ASFC fait valoir que l’appel devrait être rejeté au motif que les observations de M. Graff ne contiennent aucun fait important ni argument lui permettant d’avoir une possibilité réelle de gain de cause en l’espèce. Le Tribunal est d’accord.
  2. Aux termes du paragraphe 152(3) de la Loi et de l’article 12 du Tarif des douanes, il incombe à l’appelant de prouver que le classement tarifaire déterminé par l’ASFC est erroné. En l’espèce, il incombe donc à M. Graff de prouver que la marchandise en cause n’est pas une « arme prohibée » aux termes des dispositions pertinentes du Tarif des douanes et du Code criminel.
  3. M. Graff s’est vu offrir plusieurs occasions de faire valoir son point de vue afin de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait dans cet appel. Toutefois, ayant examiné de manière approfondie les mémoires au dossier et donné une interprétation généreuse à ses observations, le Tribunal conclut qu’il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.
  4. Dans ses observations, M. Graff soutient les trois affirmations suivantes concernant la marchandise en cause :
    1. des marchandises similaires sont prétendument vendues en magasin au Canada[17];
    2. le classement de la marchandise dans le numéro tarifaire 9898.00.00 par l’ASFC est incorrect[18];
    3. la marchandise lui appartient de plein droit[19];
  5. Le Tribunal a maintes fois affirmé que les arguments identiques à ceux servant à étayer sa première affirmation ne sont pas des motifs d’appel valides[20]. Le Tribunal a d’ailleurs fait remarquer, comme il l’a fait dans l’affaire D. Josefowich[21], que des affirmations anecdotiques selon lesquelles des marchandises similaires peuvent être achetées au Canada « propage[ent] sur le marché une confusion inconfortable pour le grand public », mais qu’en définitive une telle situation n’a aucune incidence sur l’obligation qu’a le Tribunal de classer des marchandises qui lui sont présentées en se fondant uniquement sur les nombreux critères servant à déterminer si une marchandise doit être classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00. Par conséquent, tel qu’affirmé dans Scott Arthur c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, le Tribunal réitère « [qu’]il n’est pas pertinent que toute expédition antérieure [...] n’ait pas été interceptée par l’ASFC ou par ses prédécesseurs. Que l’ASFC prenne ou non une mesure administrative ne peut pas changer la loi. »[22]
  6. Les deuxième et troisième affirmations sont des assertions non étayées. M. Graff n’a fourni aucun élément de preuve appuyant sa position concernant le classement de la marchandise en cause, comme des caractéristiques de la marchandise en cause ayant pu permettre au Tribunal de lui donner gain de cause. Ses observations étaient plutôt centrées sur des arguments de nature juridique portant sur la soi-disant inapplicabilité du droit canadien de manière générale[23]. Le Tribunal conclut que ces arguments sont infondés.
  7. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur des arguments semblables dans Dove c. Canada[24] et a cité la décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans Meads v. Meads dans le prononcé des motifs de sa décision[25].Le Tribunal conclut que les arguments de M. Graff sont également très semblables à certains de ceux avancés dans Meads[26]Sur la foi des décisions de ces cours, et sur le fait que M. Graff n’a fourni aucun élément de preuve ni fondement juridique à l’appui au cours de la présente procédure, le Tribunal conclut que les renseignements au dossier ne révèlent aucune possibilité réelle que l’appel soit accueilli.

DÉCISION

  1. La demande est en partie rejetée : le mémoire de l’appelant sera maintenu au dossier. La requête est en partie admise : l’appel est rejeté, car les renseignements au dossier ne révèlent aucune possibilité réelle que l’appel soit accueilli.
 

[1].       L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].       Pièce AP-2017-041-01 à la p. 1, vol. 1.

[3].       L.R.C. (1985), ch. C-46.

[4].       S.C. 1997, c. 36.

[5].       Pièce AP-2017-041-01 à la p. 1, vol. 1.

[6].       Pièce AP-2017-041-04 à la p. 1, vol. 1.

[7].       Pièce AP-2017-041-01A à la p. 1, vol. 1.

[8].       Pièce AP-2017-041-05 à la p. 1, vol. 1.

[9].       Pièce AP-2017-041-06 à la p. 1, vol. 1.

[10].     Pièce AP-2017-041-07 à la p. 1, vol. 1.

[11].     DORS/91-499 [Règles].

[12].     Pièce AP-2017-041-09 à la p. 1, Vol. 1.

[13].     Pièce AP-2017-041-11 à la p. 1, vol. 1.

[14].     Pièce AP-2017-041-12 à la p. 1, vol. 1.

[15].     Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE] à l’alinéa 16c).

[16].     Loi sur le TCCE, art. 35.

[17].    Pièce AP-2017-041-01A au par. 24, vol. 1.

[18].    Ibid. au par. 28.

[19].    Ibid. aux par. 21-26; pièce AP-2017-041-11 au par. 44, vol. 1;

[20].    Scott Arthur c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 janvier 2008), AP-2006-052 (TCCE) au par. 21.

[21].    D. Josefowich c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (9 mai 2016), AP-2015-010 (TCCE).

[22].    Scott Arthur c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 janvier 2008), AP-2006-052 (TCCE) au par. 21.

[23].    Pièce AP-2017-041-01A aux pp. 3-5, vol. 1; pièce AP-2017-041-07 aux pp. 1-2, 4, vol. 1; pièce AP-2017-041-11 aux pp. 1-7, vol. 1.

[24].     2016 CAF 231, autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada rejetée, 2017 CanLII 32947 (CSC) aux par. 2 et 5.

[25].    2012 ABQB 571 [Meads].

[26].    Ibid. aux par. 298-301. Voir aussi R. v. Dick, 2001 BCPC 275, aux par. 31-41; R. v. Lindsay, 2004 MBCA 147, au par. 32; R. v. Lindsay, 2011 BCCA 99, aux par. 31-32.