FULL BORE MARKETING INC.

FULL BORE MARKETING INC.
Demande no EP-2018-001

Ordonnance et motifs rendus
le mercredi 22 août 2018

TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une demande présentée par Full Bore Marketing Inc., aux termes du paragraphe 60.2(1) de la Loi sur les douanes, en vue d’obtenir une ordonnance de prolongation du délai pour déposer des demandes de réexamen du classement tarifaire aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes.

ORDONNANCE

Ayant examiné la demande présentée par Full Bore Marketing Inc. et les observations de l’Agence des services frontaliers du Canada, le Tribunal canadien du commerce extérieur est convaincu que les exigences et modalités énoncées à l’article 60.2 de la Loi sur les douanes ont été satisfaites.

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, par la présente, fait droit à la demande en vue d’obtenir une ordonnance de prorogation du délai et accorde à Full Bore Marketing Inc. 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer des demandes de réexamen du classement tarifaire aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes à l’égard des révisions figurant dans la demande.

Jean Bédard
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

  1. Il s’agit d’une demande présentée par Full Bore Marketing Inc. (Full Bore) le 8 mai 2018, aux termes de l’article 60.2 de la Loi sur les douanes[1], en vue d’obtenir une prorogation du délai pour déposer des demandes de réexamen du classement tarifaire de certains casques pour motocyclistes.
  2. La demande de Full Bore fait suite à la décision par laquelle le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a rejeté, le 8 février 2018, la demande de prorogation de délai qu’a présentée Full Bore aux termes de l’article 60.1 de la Loi.

CONTEXTE

  1. Le 26 juin 2017, Full Bore, par l’entremise de son représentant, a déposé, aux termes des paragraphes 60(1) et (2) de la Loi, une demande de réexamen du classement tarifaire de certains casques pour motocyclistes.
  2. Le ou vers le 14 juillet 2017, l’ASFC a émis, aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi, six relevés détaillés de rajustement (RDR) concernant également le classement tarifaire de certains casques pour motocyclistes. Selon Full Bore, ces décisions concernaient les mêmes marchandises et étaient conformes aux décisions de classement tarifaire susmentionnées qui étaient visées par les demandes déposées par Full Bore le 26 juin 2017.
  3. Aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi, Full Bore disposait d’un délai de 90 jours pour déposer des demandes de réexamen du classement tarifaire à l’égard des RDR émis le ou vers le 14 juillet 2017. Ce délai a expiré le 12 octobre 2017.
  4. Selon les observations de Full Bore, Full Bore a transmis les RDR émis le 14 juillet à son représentant dès leur réception. Toutefois, les demandes de réexamen n’ont pas été déposées à l’intérieur du délai de 90 jours.
  5. Le 17 octobre 2017, Full Bore a présenté une demande de prorogation du délai pour déposer des demandes de réexamen aux termes de l’article 60 de la Loi, soutenant que le délai n’avait pas été respecté en raison du voyage à l’étranger du conseiller principal et d’une erreur administrative. Le 8 février 2018, l’ASFC a rejeté la demande.
  6. Le 8 mai 2018, Full Bore a présenté une demande de prorogation de délai au Tribunal, aux termes du paragraphe 60.2(1) de la Loi.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Les dispositions pertinentes de la Loi prévoient ce qui suit :

60 (1) Toute personne avisée en application du paragraphe 59(2) peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de l’avis [...] demander la révision ou le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane, ou d’une décision sur la conformité des marques.

[...]

60.1 (1) La personne qui n’a pas présenté la demande visée à l’article 60 dans le délai qui y est prévu peut demander au président une prorogation du délai, le président étant autorisé à faire droit à la demande.

[...]

60.2 (1) La personne qui a présenté une demande de prorogation en vertu de l’article 60.1 peut demander au Tribunal canadien du commerce extérieur d’y faire droit :

a) soit après le rejet de la demande par le président;

b) soit à l’expiration d’un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la présentation de la demande, si le président ne l’a pas avisée de sa décision.

La demande fondée sur l’alinéa a) est présentée dans les quatre-vingt-dix jours suivant le rejet de la demande.

[...]

(3) Le Tribunal canadien du commerce extérieur peut rejeter la demande ou y faire droit. Dans ce dernier cas, il peut imposer les conditions qu’il estime justes ou ordonner que la demande de révision ou de réexamen soit réputée valide à compter de la date de l’ordonnance.

(4) Il n’est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande de prorogation visée au paragraphe 60.1(1) a été présentée dans l’année suivant l’expiration du délai prévu à l’article 60;

b) l’auteur de la demande établit ce qui suit :

(i) au cours du délai prévu à l’article 60, il n’a pu ni agir ni mandater quelqu’un pour agir en son nom, ou il avait véritablement l’intention de présenter une demande de révision ou de réexamen,

(ii) il serait juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii) la demande a été présentée dès que possible.

ANALYSE

  1. Pour qu’il soit fait droit à une demande de prorogation de délai, le demandeur doit remplir les quatre conditions prévues au paragraphe 60.2(4) de la Loi. Il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que ces conditions sont remplies.
  2. Dans la présente affaire, il n’y a pas eu de litige entre les parties quant au fait que Full Bore remplissait trois des quatre conditions. Le Tribunal est d’accord. Premièrement, la demande a été présentée dans l’année suivant l’expiration du délai prévu à l’article 60. Deuxièmement, le demandeur a établi qu’il avait véritablement l’intention de présenter une demande : Full Bore avait déjà présenté une demande de réexamen visant essentiellement les mêmes marchandises, et avait transmis les RDR en question à son représentant en lui demandant de les ajouter à cette demande. Troisièmement, la demande a été présentée dès que possible, c’est‑à‑dire seulement cinq jours après l’expiration du délai.
  3. Par conséquent, la question que doit trancher le Tribunal consiste à savoir si le demandeur a établi qu’il serait juste et équitable de faire droit à la demande.
  4. Le Tribunal a soupesé divers facteurs lors de son évaluation de la question de savoir s’il serait ou non juste et équitable d’accorder une prorogation de délai. Ces facteurs comprennent la durée du retard par rapport aux conséquences pour le demandeur s’il n’était pas fait droit à la demande, la possibilité d’une injustice envers les autres importateurs s’il était fait droit à la demande et les motifs du retard[2]. Aucun facteur n’est à lui seul décisif et la question de savoir s’il est juste et équitable de faire droit à une demande dépend des faits et des circonstances de chaque affaire. Elle implique aussi l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de la part du Tribunal. Pour en arriver à cette décision, le Tribunal a pris en compte, parmi divers facteurs, l’avantage pour le demandeur de faire droit à la demande et la prépondérance des inconvénients.
  5. Dans la présente affaire, le représentant de Full Bore a présenté la demande de prorogation de délai seulement cinq jours après l’expiration du délai. Ainsi, après avoir constaté l’erreur, le représentant de Full Bore a procédé, avec diligence et d’une façon appropriée, au suivi nécessaire pour remédier au retard.
  6. De plus, l’ASFC n’a pas démontré que ce court retard causerait un préjudice ou un désavantage aux intérêts des autres importateurs; tandis que d’autre part, nul ne conteste que Full Bore perdrait l’occasion de faire valoir ses arguments en faveur d’un remboursement des droits payés s’il n’était pas fait droit à sa demande. Par conséquent, le Tribunal conclut que le préjudice que subirait Full Bore si sa demande était rejetée serait important. De plus, en l’espèce, rien n’indique que le fait d’accueillir la demande imposerait un fardeau excessif à l’ASFC, car celle‑ci est déjà saisie d’une demande de réexamen du classement tarifaire déposée par Full Bore à l’égard des mêmes marchandises ou de marchandises essentiellement semblables. Aucun préjudice important n’est causé non plus à l’intérêt de l’ASFC dans le caractère définitif de la décision, étant donné qu’il ne s’agissait pas d’un long retard.
  7. La demande de Full Bore indique que les motifs du retard étaient le voyage à l’étranger du conseiller principal et une erreur administrative. L’ASFC soutient que l’erreur administrative ou l’inadvertance ne justifie pas le dépôt tardif, car il ne s’agit pas d’une circonstance indépendante de la volonté du demandeur. De plus, l’ASFC soutient qu’en l’absence d’une circonstance indépendante de la volonté du demandeur, faire droit à la demande serait injuste et inéquitable envers les autres importateurs qui, eux, agissent avec la diligence nécessaire pour respecter les délais prévus par la loi.
  8. Le Tribunal convient avec l’ASFC que les délais prévus par la loi ne doivent pas être pris à la légère. En particulier, les délais prévus par la loi assurent le règlement rapide des dossiers et confèrent un caractère définitif à une procédure. D’un autre côté, l’article 60.2 de la Loi autorise expressément le Tribunal à modifier et à proroger les délais prévus par la loi pour certaines demandes dans la mesure où les conditions énoncées à cet article sont remplies, notamment celle selon laquelle il est juste et équitable de le faire.
  9. Le Tribunal n’est pas prêt à accepter la position de l’ASFC selon laquelle ces dispositions ne peuvent être invoquées que lorsque le délai n’a pas été respecté en raison de circonstances qui sont complètement indépendantes de la volonté du demandeur, surtout lorsque le demandeur a clairement établi qu’il avait véritablement l’intention de présenter une demande, comme c’est le cas en l’espèce. Par contre, des circonstances indépendantes de la volonté du demandeur peuvent certes constituer un motif juste et équitable de faire droit à une demande. Lorsque le demandeur peut établir qu’une erreur a été commise de bonne foi et que des mesures visant à la corriger ont été prises promptement, le Tribunal considère qu’il s’agit d’une situation qui fait partie des situations visées par l’article 60.2.
  10. Le Tribunal convient que Full Bore et son représentant ont commis une erreur de bonne foi en l’espèce. Full Bore comptait sur son représentant pour déposer les demandes de réexamen, ce qui n’est pas déraisonnable étant donné que le représentant de Full Bore avait déjà déposé des demandes de réexamen en temps opportun à l’ASFC dans le cadre d’une procédure semblable. De plus, bien que le représentant de Full Bore ait commis une erreur en ne respectant pas le délai, il a fourni une explication raisonnable et la preuve indique que l’erreur a été corrigée rapidement. Cette situation est différente de celle examinée par le Tribunal dans la décision Dealers Ingredients, qui portait sur un retard beaucoup plus long de 61 jours[3].
  11. Cette décision est conforme à la jurisprudence de la Cour canadienne de l’impôt établie dans le contexte d’une disposition législative qui est très semblable à l’article 60.1 de la Loi. Sans lier le Tribunal, cette jurisprudence prévoit que des prorogations de délai pour des erreurs commises par inadvertance peuvent être accordées, dans la mesure où ces erreurs ne découlent pas d’une négligence ou d’incurie[4].
  12. Le Tribunal est toujours conscient de la possibilité d’abus du processus de demande prévu à l’article 60.2 de la Loi. Dans les circonstances de la présente affaire, le Tribunal est convaincu que l’erreur commise en l’espèce n’équivaut pas à une négligence ou à de l’incurie et conclut qu’il est juste et équitable de faire droit à la présente demande de prorogation de délai. La troisième condition prévue au sous‑alinéa 60.2(4)b)(ii) de la Loi est par conséquent remplie.
  13. Le Tribunal prend également acte de la demande de Full Bore visant à faire en sorte que les RDR en cause dans la présente demande soient ajoutés à la demande de réexamen de Full Bore figurant dans le dossier de l’ASFC no 17-0347. Selon le Tribunal, il vaut mieux laisser à l’ASFC le soin de décider s’il convient ou non de joindre les deux demandes.

DÉCISION

  1. Le Tribunal fait droit à la demande en vue d’obtenir une ordonnance de prorogation du délai et accorde à Full Bore Marketing Inc. 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer des demandes de réexamen du classement tarifaire aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes à l’égard des révisions figurant à la demande.

 

 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     Dealers Ingredients Inc. (29 août 2014), EP-2014-001 (TCCE) [Dealers Ingredients] au par. 26.

[3].     Dealers Ingredients au par. 27.

[4].     Voir, par exemple, Di Modica c. La Reine, 2001 CanLII 548 (CCI) au par. 16 et 2749807 Canada Inc. c. La Reine, 2004 CCI 457 (CanLII) au par. 18.