Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2018-004

Noble Drilling Services (Canada) Corporation

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le mardi 14 mai 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 8 novembre 2018 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 5 février 2018 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

NOBLE DRILLING SERVICES (CANADA) CORPORATION

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant











 

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Dates de l’audience :

le 8 novembre 2018

Membres du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

Personnel de soutien :

Peter Jarosz, conseiller juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Noble Drilling Services (Canada) Corporation

Roderick H. Rogers, c.r.

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Luc Vaillancourt

 

Intervenantes

Conseillers/représentants

ExxonMobil Canada Properties

Roderick H. Rogers, c.r.

Encana Corporation

Robert G. Grant, c.r.

TÉMOINS :

Adrian Power

Coordonnateur du forage

ExxonMobil Canada

Jeffrey M. Bugden

Ingénieur

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1]  Le présent appel concerne le classement tarifaire du « Noble Regina Allen », une plate-forme de forage mobile (la plate-forme de forage ou la marchandise en cause).

[2]  Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 8905.20.19 à titre d’autres plates-formes de forage, comme l’a déterminé l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), ou si elle doit être classée dans le numéro tarifaire 8905.20.11 à titre de plates-formes de forage utilisées dans le cadre d’activités de forage pour l’exploration, la délimitation ou la mise en valeur de projets extracôtiers, comme le soutient Noble Drilling Services (Canada) Corporation (Noble Drilling).

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[3]  Le 24 avril 2017, Noble Drilling a demandé une décision anticipée concernant le classement tarifaire de la marchandise en cause.

[4]  Le 14 août 2017, l’ASFC a rendu sa décision anticipée, classant la marchandise en cause dans le numéro tarifaire 8905.20.19.

[5]  En novembre 2017, la marchandise en cause a été importée par Noble Drilling.

[6]  Le ou autour des 6 ou 9 novembre 2017, Noble Drilling a contesté le classement anticipé aux termes du paragraphe 60(2) de la Loi.

[7]  Le 5 février 2018, l’ASFC a confirmé sa décision anticipée selon laquelle la marchandise en cause était correctement classée dans le numéro tarifaire 8905.20.19.

[8]  Le 2 mai 2018, Noble Drilling a interjeté le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi. La position de Noble Drilling est appuyée par les intervenantes, ExxonMobil Canada Properties (ExxonMobil) et Encana Corporation (Encana).

[9]  Le Tribunal a tenu une audience publique à Ottawa (Ontario) le 8 novembre 2018. Noble Drilling a fait comparaître deux témoins, dont un témoin expert [1] . L’ASFC n’a fait comparaître aucun témoin.

[10]  Au cours de l’audience, le Tribunal a avisé les parties qu’une fois l’audience terminée, il leur demanderait de déposer des observations sur un certain nombre de questions. Le Tribunal a demandé le dépôt de ces observations par lettre en date du 13 novembre 2018, et celles-ci furent déposées dans les délais indiqués.

DESCRIPTION DE LA MARCHANDISE EN CAUSE

[11]  La marchandise en cause est une plate-forme de forage mobile utilisée dans le cadre d’activités de forage. Plus particulièrement, la plate-forme consiste en un dispositif de forage auto-élévateur conçu pour s’appuyer sur le fond marin au moyen de trois jambes et muni d’un dispositif élévateur hydraulique pour maintenir la plate-forme au-dessus du niveau de la mer. La profondeur maximale de forage de la plate-forme est de 35 000 pieds.

[12]  La marchandise en cause sert aux opérations de bouchage et de fermeture définitive des puits de gaz naturel des gisements pétrolifères Sable Offshore Energy Project et Deep Panuke Offshore Gas Project au large de la Nouvelle-Écosse.

CADRE LÉGISLATIF

[13]  La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes [2] , qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD) [3] . L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

[14]  Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé [4] et les Règles canadiennes [5] énoncées à l’annexe du Tarif des douanes.

[15]  Le classement des marchandises d’après le Système harmonisé s’effectue selon les Règles générales, qui sont composées de six règles. Les Règles générales sont hiérarchiques en ce sens que le classement commence par la règle 1. La règle 1 prévoit que le classement est déterminé conformément aux termes des positions et des notes de section ou de chapitre pertinentes et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles. Ce n’est que si les marchandises ne peuvent être classées au niveau de la position par application de la règle 1 que le Tribunal doit tenir compte des autres règles pour le classement des marchandises [6] . 

[16]  L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [7] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [8] publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire [9] .

[17]  Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents.

[18]  Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle la marchandise en cause doit être classée, l’étape suivante consiste à déterminer la sous-position appropriée. La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [règles 1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[19]  Finalement, le Tribunal doit déterminer le numéro tarifaire approprié. La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

DISPOSITIONS TARIFAIRES EN CAUSE

[20]  Les dispositions tarifaires en cause en l’espèce sont les suivantes :

89.05  Bateaux-phares, bateaux-pompes, bateaux-dragueurs, pontons-grues et autres bateaux pour lesquels la navigation n’est qu’accessoire par rapport à la fonction principale; docks flottants; plates-formes de forage ou d’exploitation, flottantes ou submersibles.

8905.20  -Plates-formes de forage ou d’exploitation, flottantes ou submersibles

- - -Plates-formes de forage :

8905.20.11  - - - -Utilisées dans le cadre d’activités de forage pour l’exploration, la délimitation ou la mise en valeur de projets extracôtiers

8905.20.19  - - - -Autres

8905.20.20  - - -Plates-formes d’exploitation

POSITION DES PARTIES

Noble Drilling (et les intervenantes ExxonMobil et Encana)

[21]  Noble Drilling et les intervenantes soutiennent que les opérations de bouchage et de fermeture définitive des puits effectuées par la marchandise en cause font partie de la mise en valeur (« development » dans la version anglaise) de gisements de pétrole et de gaz en mer; de leur avis, la marchandise en cause doit donc être classée dans le numéro tarifaire 8905.20.11.

[22]  Elles soutiennent que ce que l’industrie entend par exploitation de gisements de pétrole et de gaz en mer, ainsi que les définitions figurant dans différents textes de loi, appuient leur interprétation du terme « development ». Noble Drilling soutient que le terme « development » utilisé dans la version anglaise du numéro tarifaire 8905.20.11 doit être interprété de façon large et comprendre les opérations de bouchage et de fermeture définitive de puits. Noble Drilling et les intervenantes soutiennent également que les opérations de forage pour lesquelles la marchandise en cause sera utilisée sont des activités de mise en valeur; elles font remarquer que la version française du numéro tarifaire utilise le terme « mise en valeur » pour « development ».

[23]  Noble Drilling et les intervenantes soutiennent de plus que l’intention du législateur était que la marchandise en cause soit importée en franchise de droits. Elles soutiennent que l’objectif du numéro tarifaire et du tarif douanier applicable était de soutenir l’industrie canadienne d’exploitation du pétrole et du gaz en mer, et que ce n’était pas l’intention du législateur que le numéro tarifaire 8905.20.11 s’applique uniquement aux plates-formes de forage utilisées dans les opérations précédant l’exploitation. Elles sont d’avis que le numéro tarifaire 8905.20.11 comprend la « mise en valeur » comme utilisation et que la mise en valeur ne prend pas fin au moment où commence l’exploitation. Elles soutiennent qu’il n’y a aucune différence entre les opérations de forage avant ou après l’exploitation, et que la machinerie utilisée au début du cycle de vie d’un puits est la même que celle utilisée pour le bouchage et la fermeture définitive du puits.

ASFC

[24]  L’ASFC soutient que la mise en valeur se limite à la phase précédant l’exploitation. L’ASFC soutient que le terme « mise en valeur » utilisé dans le numéro tarifaire 8905.20.11 ne comprend pas le forage pour le bouchage et la fermeture définitive d’un puits une fois l’exploitation terminée.

[25]  Selon l’ASFC, les modifications apportées au Tarif des douanes en 2014, qui constituent la version actuelle des numéros tarifaires en question, avaient pour but d’exonérer de droits de douane les plates-formes de forage utilisées dans les opérations avant l’exploitation. L’ASFC soutient que le législateur n’a jamais eu l’intention de viser les opérations de forage après l’exploitation pour lesquelles la marchandise en cause sera utilisée. Les termes « exploration », « délimitation » et « mise en valeur » font plutôt référence aux opérations avant l’exploitation qui prennent fin lorsque débute l’exploitation. Par conséquent, l’ASFC soutient que le terme « mise en valeur » ne peut comprendre les opérations après l’exploitation.

[26]  L’ASFC avance que l’intention du législateur peut être décelée dans les résumés de l’étude d’impact de la réglementation du Décret de remise 2004 [10] et du Décret de remise 2009 (collectivement les décrets de remise) [11] .

[27]  L’ASFC soutient que l’intention du législateur était de stimuler l’exploration de champs pétrolifères et gaziers en mer, mais pas que l’importation de toutes les plates-formes de forage soit exonérée de droits de douane. L’ASFC soutient que l’intention du législateur lorsqu’il a rédigé le numéro tarifaire 8905.20.11 pouvait être établie en consultant le document budgétaire intitulé Sur la voie de l’équilibre : créer des emplois et des opportunités.

ANALYSE DU TRIBUNAL

Introduction

[28]  Dans les appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi, il incombe à l’appelante de démontrer que l’ASFC a incorrectement classé les marchandises [12] . En l’espèce, il incombe à Noble Drilling de démontrer que la marchandise en cause a été incorrectement classée dans le numéro tarifaire 8905.20.19 et qu’au lieu elle doit être classée dans le numéro tarifaire 8905.20.11.

[29]  Les parties conviennent que la marchandise en cause est correctement classée dans la sous-position no 8905.20 à titre de plates-formes de forage ou d’exploitation, flottantes ou submersibles. Par conséquent, comme indiqué ci-dessus, il s’agit pour le Tribunal de déterminer si la marchandise en cause doit être classée dans le numéro tarifaire 8905.20.11 à titre de plates-formes de forage ou d’exploitation, flottantes ou submersibles utilisées dans le cadre d’activités de forage pour l’exploration, la délimitation ou la mise en valeur de projets extracôtiers, comme le soutient Noble Drilling et les intervenantes, ou si elle a été correctement classée par l’ASFC à titre d’autres plates‑formes de forage ou d’exploitation, flottantes ou submersibles dans le numéro tarifaire 8905.20.19.

[30]  Les parties en conviennent, et les éléments de preuve le confirment, la marchandise en cause est une plate-forme de forage mobile utilisée dans le cadre d’activités de forage. Les parties sont en désaccord uniquement sur l’interprétation du terme « mise en valeur » (« development ») dans le contexte des numéros tarifaires en question et des faits de l’espèce.

[31]  Puisque le numéro tarifaire 8905.20.19 est un numéro tarifaire résiduel, le Tribunal doit premièrement déterminer si les activités de forage en question sont pour l’exploration, la délimitation ou la mise en valeur de projets extracôtiers relevant du numéro tarifaire 8905.20.11.

Signification de « mise en valeur » de projets extracôtiers

Principes d’interprétation législative

[32]  Le Tarif des douanes ne définit pas l’expression « pour [...] la mise en valeur de projets extracôtiers ».

[33]  Il est maintenant bien établi en droit que l’application du principe moderne est la façon appropriée d’interpréter la législation. Cela a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans Re Rizzo & Rizzo Shoes [13] , où celle-ci a affirmé qu’« [a]ujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Le sens ordinaire est parfois désigné comme le sens littéral ou celui qu’en donne les dictionnaires, mais il s’agit le plus souvent du sens qui se dégage naturellement à la simple lecture des termes [14] .

[34]  Il est présumé que le sens ordinaire d’un texte de loi est celui voulu par le législateur. En l’absence d’un motif valable de s’écarter de cette présomption, celle-ci a force obligatoire pour les cours [15] . Même lorsque le sens ordinaire d’un texte de loi est clair, les cours doivent tenir compte d’autres indicateurs ayant trait au sens de la loi dans le cadre de leur exercice d’interprétation de celle-ci. La présomption en faveur du sens ordinaire peut être réfutée par des éléments de preuve indiquant qu’un autre sens était voulu ou est plus approprié dans les [16] .

[35]  En ce qui concerne l’interprétation du Tarif des douanes en particulier, la Cour suprême a affirmé ce qui suit :

  Comme la Cour d’appel fédérale le fait remarquer, le Tarif des douanes ne ressemble guère aux lois ordinaires. [...]

[Le Tarif des douanes] est une loi [...] très technique. Elle porte sur un domaine tellement spécialisé et elle est rédigée dans des termes qui ont tellement peu à voir avec le libellé des lois traditionnelles, qu’à toutes fins pratiques, la demande faite à la Cour consiste à donner un sens juridique à des mots techniques qui débordent complètement son mandat habituel. De plus, il existe des règles d’interprétation canadiennes et internationales uniques, applicables au Tarif des douanes, qui sont fort différentes des règles d’interprétation traditionnelles. [...] [Schrader Automotive, par. 5] [17]

[Nos caractères gras]

Le sens et l’intention des dispositions du Tarif des douanes faisant l’objet de l’appel

[36]  Les arguments des parties tournent autour de l’intention du législateur lorsqu’il a modifié le Tarif des douanes en 2014 donnant aux numéros tarifaires en question leur libellé actuel.

[37]  Une bonne part des observations des parties se focalisent sur le montant des droits de douane imposé par les numéros tarifaires en question. Pour commencer, le Tribunal doit souligner que les frais de douane perçus en vertu d’un numéro tarifaire particulier (et les conséquences en matière de droits pour les parties), bien que sans aucun doute d’une grande importance d’ordre pratique, ne sont pas pertinents en soi quant à ses conclusions ayant trait au classement tarifaire approprié.

[38]  Aussi, le fait que les dispositions du Tarif des douanes aient été modifiées (suite à l’adoption des décrets de remise) n’est pas nécessairement révélateur d’une intention particulière de la part du législateur.

[39]  Les décrets de remise utilisent le même libellé que celui du numéro tarifaire 8905.20.11, accordant la remise des droits de douane sur les plates-formes utilisées dans le cadre d’activités de forage pour l’exploration, la délimitation ou la mise en valeur de projets extracôtiers; il n’y a donc rien dans les décrets de remise ou leur résumé respectif de l’étude d’impact de la réglementation qui indique l’intention du législateur quant à la signification du terme « mise en valeur ».

[40]  Le document budgétaire intitulé Sur la voie de l’équilibre : créer des emplois et des opportunités invoqué par l’ASFC ne fait qu’indiquer que l’élimination des droits de douane sur l’importation de plates‑formes de forage dans le Budget 2014 « éliminera de façon permanente un obstacle aux activités d’exploration, ce qui contribuera à la découverte de gisements d’hydrocarbures »; il ne donne pas vraiment plus d’indications que ce qui peut être déduit des dispositions tarifaires elles-mêmes.

[41]  Le Tribunal n’est pas convaincu par les arguments et les éléments de preuve exposés ci-dessus; son analyse porte plutôt sur les termes du Tarif des douanes dans son ensemble et les éléments de preuve factuels fournis par les témoins de Noble Drilling.

[42]  Pour commencer, le Tribunal conclut que l’argument principal de l’ASFC, tel qu’exposé ci-dessus, confond les activités de production avec les activités de forage pour la mise en valeur. Cela est une question qui relève de la nomenclature d’autres niveaux du Système harmonisé et n’est donc pas la question qui doit être tranchée en l’espèce. La comparaison appropriée en l’espèce est premièrement au niveau de la sous‑position, c’est-à-dire déterminer s’il s’agit de plates-formes d’exploitation ou de forage.

[43]  Les témoins ont fourni certains faits nécessaires à la compréhension de cette distinction.

[44]  Pour commencer, les parties conviennent que les plates-formes de forage mobiles ne sont jamais utilisées pour l’exploitation, mas uniquement pour des opérations de forage. L’exploitation est effectuée par des plates-formes d’exploitation – les parties conviennent que celles-ci sont classées dans un numéro tarifaire différent [18] . Cela indique que le législateur a décidé de classer différemment les plates-formes d’exploitation (qui extraient le pétrole et le gaz) et les plates-formes de forage (qui n’extraient pas de pétrole et de gaz). L’exploitation de pétrole et de gaz n’est pas mentionnée ailleurs dans les deux numéros tarifaires en question.

[45]  L’exploitation en mer ne semble pas non plus être un processus séquentiel comme le présente l’ASFC, c’est-à-dire que les opérations d’exploration, de délimitation, de mise en valeur et d’exploitation n’ont pas à être effectuées selon une suite ordonnée. Ces diverses activités peuvent avoir lieu en même temps à un moment donné [19] . Par conséquent, le point de vue de l’ASFC ne tient pas compte du fait que les opérations de forage peuvent avoir lieu en l’absence de toute exploitation passée ou à venir.

[46]  Il a été expliqué à l’audience que les puits d’exploration, les puits de délimitation et les puits de développement sont des puits distincts forés sur un site d’extraction pétrolière (ce qui signifie qu’un puits d’exploration ne devient pas un puits de délimitation par exemple) [20] . 

[47]  Un puits de développement est un puits qui a été foré pour exploiter la ressource d’hydrocarbure à des fins commerciales [21] , même si aucune production n’a lieu (et que le puits est par la suite bouché et fermé définitivement, comme cela a été le cas pour le puits Alma 4 cité par le témoin de l’appelante) [22] . Les puits de développement comprennent :

  • les puits qui exploitent les hydrocarbures;

  • les puits d’injection;

  • les puits de stockage;

  • les puits d’observation;

  • les puits fermés temporairement [23] .

[48]  Plus particulièrement, un puits de stockage est un puits de développement qui sert à enfouir les fluides utilisés dans la phase de mise en valeur qui ne sont plus d’aucune utilité. Les puits de stockage sont considérés comme des puits de développement dans l’industrie même s’ils ne servent pas à exploiter les hydrocarbures [24] . Les puits d’observation sont un autre type de puits qui sert à surveiller la pression dans les réservoirs. Ce type de puits ne produit ni n’injecte de fluides – il ne sert qu’à surveiller [25] . Les puits d’observation sont considérés comme des puits de développement, même s’ils ne servent pas à l’exploitation [26] . Les puits fermés temporairement ne remplissent plus leur fonction (de production, d’injection ou de stockage), leurs opérations ont été suspendues de façon sécuritaire pour prévenir les infiltrations et les fuites [27] .

[49]  Le bouchage et la fermeture définitive d’un puits de développement est la fin du cycle de vie d’un puits de développement – c’est-à-dire que c’est la dernière étape du processus de développement [28] . Des bouchons de ciment sont mis en place pour isoler la formation d’hydrocarbure de façon durable pour des raisons environnementales et de sécurité [29] . Le bouchage et la fermeture définitive sont une étape du processus de développement [30] et sont considérés comme faisant partie du forage d’un puits. Le forage n’est pas achevé avant que le puits ne soit bouché et fermé de façon permanente et qu’il n’y ait aucun danger de fuite d’hydrocarbures [31] . Toutefois, la fermeture définitive de puits ne concerne pas uniquement les puits de développement en production, mais aussi les puis d’exploration et de délimitation [32] . La position de l’ASFC sous-entend que, si la plate-forme de forge avait été utilisée pour boucher des puits non producteurs ou qui n’étaient pas des puits de développement, elle aurait été d’accord avec le classement de l’appelante. Cela semble être une position axée sur les résultats, qui n’a rien à voir avec les opérations de forage en soi mais plutôt avec ce qui les a précédées, c’est-à-dire en l’espèce la production d’hydrocarbures.

[50]  M. Bugden a avancé que les définitions de « development » qui figurent dans diverses autres lois et règlements [33] devraient guidé le Tribunal dans son interprétation des numéros tarifaires en question. Sullivan indique que les lois passées par un corps législatif qui ont trait à un même objet sont présumées être rédigées en tenant compte l’une de l’autre afin qu’elles soient cohérentes et logiques [34] . Les parties ont aussi déposé divers documents à titre d’éléments de preuve de la signification de « development » [35] .

[51]  Bien que le Tribunal ne soit pas lié par les définitions qui figurent dans ces lois et ces documents, qui pour la plupart n’ont aucun lien avec le Tarif des douanes et s’appliquent dans des contextes différents de celui des numéros tarifaires en question, elles sont utiles au Tribunal pour confirmer son interprétation des numéros tarifaires en question. De tels documents peuvent servir à établir le contexte d’une loi, c’est-à-dire le contexte historique, social, politique, économique, institutionnel ou juridique dans lequel la loi a été passée et est appliquée.

[52]  Notamment, des éléments de preuve décrivent le processus de dépôt et d’approbation de plans de mise en valeur, qui sont des exigences réglementaires pour les installations pétrolières en mer sur la côte atlantique du Canada. Le bouchage et la fermeture définitive d’un puits font partie des exigences réglementaires à respecter dans un plan de mise en valeur [36] .

[53]  Le Tribunal est persuadé par l’ensemble de la preuve que le terme « development » vise tout le processus, du début à la fin [37] , c’est-à-dire que le terme « development » comprend le cycle de vie au complet d’une exploitation en mer. Dans ce cadre, les plates-formes de forage mobiles effectuent des opérations de forage; elles ne servent pas aux opérations de production. Les opérations de production sont plutôt effectuées au moyen de plates-formes d’exploitation – les parties conviennent que celles-ci sont classées dans un autre numéro tarifaire, soit le numéro tarifaire 8905.20.20. Le Tribunal est donc convaincu que, bien que le libellé du numéro tarifaire 8905.20.11 n’est peut-être pas aussi concis qu’il aurait pu l’être, il indique l’intention d’inclure toutes les opérations de forage qui ont lieu au cours de la durée de vie d’une exploitation pétrolière en mer peu importe que la production ait commencé ou soit terminée [38] .

Jurisprudence

[54]  Selon Sullivan, il existe un principe directeur selon lequel les cours, lorsqu’elles examinent d’autres dispositions d’une même loi ou d’une loi connexe pour interpréter un terme, peuvent aussi tenir compte de la jurisprudence [39] .

[55]  Les parties ont invoqué plusieurs causes afin d’orienter le Tribunal dans son interprétation du terme « development ». Ces causes ne donnent aucune indication probante à cet effet [40] . Il est aussi à souligner que ces causes sont antérieures à la version des numéros tarifaires en cause, remontant aux années 80 et 90, et que par conséquent le Tribunal n’est pas lié par celles-ci dans son interprétation de la version actuelle du numéro tarifaire 8905.20.11.

Autres éléments de preuve

[56]  Selon Sullivan, les éléments de preuve ayant trait à la signification d’un terme sont admissibles en autant qu’ils soient pertinents et fiables [41] . Noble Drilling a déposé des lettres de Ressources naturelles Canada [42] et du ministère de l’Énergie de la Nouvelle-Écosse à l’appui de sa position. Les deux lettres indiquent que le bouchage et la fermeture définitive d’un puits font partie intégrante de l’exploitation de champs pétrolifères et gaziers en mer. Ce fait étant en grande partie incontesté, le Tribunal n’est pas lié par les opinions de Ressources naturelles Canada et du ministère de l’Énergie de la Nouvelle-Écosse pour déterminer la signification de termes contenus dans les numéros tarifaires en question.

Conclusion

[57]  Le Tribunal conclut que le terme « pour [...] la mise en valeur », dans le contexte des dispositions tarifaires pertinentes et des faits de l’espèce, s’applique aux opérations de forage (c’est-à-dire au bouchage et à la fermeture définitive d’un puits) effectuées par la marchandise en cause. Le Tribunal est convaincu que le bouchage et à la fermeture définitive de puits en mer sont des activités de forage qui servent à la mise en valeur de champs pétrolifères et gaziers en mer.

[58]  Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 8905.20.11.

DÉCISION

[59]  L’appel est accueilli.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant







[1] .  Avec l’accord des parties, le Tribunal a reconnu M. Bugden comme expert « dans le domaine de la réglementation concernant l’exploitation de gisements pétrolifères en mer, et sur ce qu’on entend dans l’industrie par exploitation de gisements pétrolifères, opérations de bouchage et de fermeture définitive, et opérations de forage » [traduction] : pièce AP-2018-004-35.

[2] .  L.C. 1997, ch. 36.

[3] .  Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[4] .  L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[5] .  L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[6] .  Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII) [Igloo Vikski] au par. 21.

[7] .  Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2017.

[8] .  Organisation mondiale des douanes, 6e éd., Bruxelles, 2017.

[9] .  La Cour suprême du Canada a affirmé dans Igloo Vikski au par. 8 que, bien que « les Notes explicatives [...] ne [soient] pas impératives, il faut à tout le moins les prendre en considération dans le classement des marchandises importées au Canada ». La Cour d’appel fédérale, dans Canada (Attorney General) v. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, a interprété l’article 11 du Tarif des douanes comme signifiant que les notes explicatives doivent être respectées, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. Bien que ces commentaires aient été faits relativement aux notes explicatives de l’OMC, le Tribunal est d’avis que cette interprétation s’applique également aux avis de classement.

[10] .  Pièce-2018-004-12, vol. 1, annexe 6.

[11] .  Pièce -2018-004-12, vol. 1, annexe 7.

[12] .  En ce qui concerne les appels interjetés aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi, le fardeau de la preuve est bien établi selon le paragraphe 152(3) de la Loi. Voir par exemple Jakks Pacific Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 mars 2016), AP-2015-012 (TCCE) au par. 33; Costco Wholesale Canada Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2011-033 (TCCE) au par. 25; Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII).

[13] .  [1998] 1 RCS 27.

[14] .  Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., aux p. 27-28.

[15] .  Sullivan à la p. 51. 

[16] .  Ibid. à la p. 52.

[17] .  Igloo Vikski au par. 30.

[18] .  Pièce AP-2018-004-35, vol. 1.

[19] .  Transcription de l’audience publique aux p. 86, 93-94.

[20] .  Transcription de l’audience publique à la p. 21.

[21] .  Transcription de l’audience publique à la p. 26.

[22] .  Transcription de l’audience publique à la p. 34.

[23] .  Transcription de l’audience publique à la p. 21.

[24] .  Transcription de l’audience publique à la p. 29.

[25] .  Pièce AP-2018-004-39, vol. 1 à la p. 5.

[26] .  Transcription de l’audience publique à la p. 35.

[27] .  Transcription de l’audience publique à la p. 27.

[28] .  Pièce AP-2018-004-39, vol. 1 à la p. 28.

[29] .  Pièce AP-2018-004-39, vol. 1 à la p. 19.

[30] .  Transcription de l’audience publique à la p. 50.

[31] .  Transcription de l’audience publique à la p. 88.

[32] .  Transcription de l’audience publique à la p. 66.

[33] .  Notamment des lois fédérales et provinciales ayant trait aux installations pétrolières en mer, par exemple le paragraphe 122(1) de la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada – Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers, LC 1988, ch. 28. Voir aussi la définition de « cabotage » à l’alinéa f) du paragraphe 2(1) de la Loi sur le cabotage, LC 1992, ch. 31, la définition de « biens désignés » au paragraphe 2(1) de la Loi sur la compétence extracôtière du Canada pour les douanes et l’accise, LRC 1985, ch. C-53, et le paragraphe 20(1) de la Loi sur les océans, LC 1996, ch. 31.

[34] .  Sullivan, note 12 à la p. 416.

[35] .  Pièce AP-2018-004-03B.

[36] .  Transcription de l’audience publique aux p. 87-88, 92-93.

[37] .  Transcription de l’audience publique à la p. 47.

[38] .  Pièce AP-2018-004-39, vol. 1.

[39] .  Sullivan à la p. 430.

[40] .  Mobil Oil Canada Ltd. v. R., 9 C.E.R. 127 (FCA); Leonard Pipeline Contractors Ltd. v. Canada (Deputy Minister of National Revenue for Customs and Excise), [1980] FCJ No. 141 (FCA); Pilar Construction Ltd. c. Ministre du Revenu national (25 octobre 1990), AP-89-122 (TCCE).

[41] .  Sullivan à la p. 45.

[42] .  Pièce AP-2018-004-03B, vol. 1, onglet 31.

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