Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2017-028

Motovan Corporation

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le lundi 3 juin 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 26 février 2019, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À 17 décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, concernant la demande de révision d’une décision anticipée aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

MOTOVAN CORPORATION

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli en partie.









Serge Fréchette                       
Serge Fréchette
Membre présidant


Lieu de l’audience :                                               Ottawa, Ontario
Date de l’audience :                                               26 février 2019

Membre du Tribunal :                                            Serge Fréchette, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Anja Grabundzija, conseillère juridique
Heidi Lee, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Motovan Corporation

Michael Kaylor
Marco Ouellet
Jeffrey Goernert

 

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Dominique Castagne
Nick Leonard

TÉMOINS :

Gary Cuzner
Directeur de la gestion du matériel
Motovan Corporation

Marilynn Bastedo
Directrice générale
Association motocycliste canadienne

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1.                  Le présent appel a été interjeté par Motovan Corporation (Motovan) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], contre 17 décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à l’égard de certains casques homologués pour la conduite à moto (les marchandises en cause).

2.                  Les décisions de l’ASFC en cause sont 16 décisions anticipées datées du 20 juin 2017 et une révision datée du 25 août 2017, lesquelles ont été rendues aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.   

3.                  La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 6506.10.90 à titre d’autres coiffures de sécurité, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 6506.10.10 à titre d’« autres casques protecteurs, d’athlétisme », comme le soutient Motovan.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

4.                  Le 5 septembre 2013, Motovan a importé un des modèles des marchandises en cause, à savoir le casque pour motocyclistes de modèle Rush et de marque Zox, dans le cadre de la transaction no 13003‑29022210-3.

5.                  Du 20 janvier au 9 août 2016, Motovan a demandé 16 décisions anticipées visant le classement tarifaire de divers modèles de casques pour motocyclistes (y compris le casque de modèle Rush et de marque Zox, les marchandises en cause).

6.                  Entre le 19 août et le 14 octobre 2016, l’ASFC a rendu les décisions anticipées demandées par lesquelles elle a classé chaque marchandise en cause dans le numéro tarifaire 6506.10.90 à titre d’autres coiffures de sécurité.

7.                  Motovan a demandé une révision distincte de chaque décision anticipée. Elle soutenait que tous les modèles devraient être classés dans le numéro tarifaire 6506.10.10 à titre d’« autres casques protecteurs, d’athlétisme ». Elle a également demandé la révision du classement tarifaire visant la transaction no 13003-29022210-3.  

8.                  Le 20 juin 2017, l’ASFC a rendu des décisions définitives à l’égard de l’ensemble des décisions anticipées, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi. L’ASFC a conclu que les marchandises en cause étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 6506.10.90.

9.                  Le 28 juin, l’ASFC a procédé à la révision de la transaction no 13003-29022210-3, aux termes de l’alinéa 59(1)a) de la Loi et a conclu que la marchandise en cause était elle aussi correctement classée dans le numéro tarifaire 6506.10.90. 

10.              Le 25 août 2017, en réponse à une demande de révision de la part de Motovan, l’ASFC a réexaminé la décision de classement tarifaire visant la transaction no 13003-29022210-3, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, et a confirmé la décision antérieure.

11.              Le 5 septembre 2017, Motovan a interjeté le présent appel auprès du Tribunal contre les 17 décisions susmentionnées.

12.              Le Tribunal a tenu une audience publique à Ottawa, en Ontario, le 26 février 2019.

13.              M. Gary Cuzner, directeur de la gestion du matériel chez Motovan, et Mme Marilynn Bastedo, directrice générale de la Canadian Motorcycle Association (CMA), ont témoigné pour le compte de Motovan. L’ASFC n’a fait comparaitre aucun témoin.  

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

14.              Les marchandises en cause sont des casques homologués pour la conduite à moto de diverses marques et de divers modèles. Bien que les caractéristiques, les éléments graphiques, les couleurs et les usages pour lesquels ils sont vendus diffèrent d’une marchandise à l’autre, les marchandises répondent toutes à au moins une des trois normes d’homologation des casques en vigueur sur le marché nord‑américain. Toutes les marchandises satisfont aux normes d’homologation du U.S. Department of Transportation (DOT – ministère des Transports des États‑Unis). La plupart des modèles répondent également aux normes d’homologation de la Commission économique pour l’Europe (CEE) et quelques‑uns d’entre eux satisfont aux normes établies par la Snell Memorial Foundation (communément appelées la norme Snell). Des trois normes d’homologation des casques pour motocyclistes, celle du DOT est la moins élevée en ce qui concerne la rigidité de la calotte[2].

CADRE LÉGISLATIF

15.              La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[3]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

16.              Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que, conformément au paragraphe 10(2), le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[4] et les Règles canadiennes[5] énoncées à l’annexe.

17.              Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

18.              L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[6] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[7], publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[8].

19.              Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents. Si la marchandise en cause ne peut être classée au niveau de la position par application de la règle 1, le Tribunal doit alors examiner les autres règles[9].

20.              Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle la marchandise en cause doit être classée, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée[10]. La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié[11].

21.              Les dispositions du classement tarifaire en cause dans le cadre du présent appel sont les suivantes :

Chapitre 65
COIFFURES ET PARTIES DE COIFFURES

65.06                Autres chapeaux et coiffures, même garnis.

6506.10             -Coiffures de sécurité

6506.10.10        - - -Casques de football;

                               Pour pompiers;

                               D’escalade et d’alpinisme;

                               De sécurité aux fins industrielles;

                               Doublés de plomb, à l’usage des radiographes;

                               Autres casques protecteurs, d’athlétisme

6506.10.90        - - -Autres

22.              Le passage pertinent des notes explicatives de la position no 65.06 prévoit ce qui suit :

La présente position englobe tous les chapeaux et coiffures non repris soit dans les positions précédentes du présent Chapitre, soit dans les Chapitres 63, 68 ou 95. Elle couvre notamment les coiffures de sécurité (celles utilisées pour la pratique des sports, les casques pour militaires, pompiers, motocyclistes ainsi que les casques pour mineurs ou ouvriers du bâtiment, par exemple), qu’elles soient ou non munies de bourrelets protecteurs et même, pour certains casques, de microphones ou d'écouteurs téléphoniques.

23.              Aucune note de section ni de chapitre ne s’applique.

POSITION DES PARTIES

24.              Les parties conviennent, et le Tribunal reconnaît, que les marchandises en cause sont correctement classées dans la sous‑position no 6506.10 à titre de coiffures de sécurité. La question en litige est celle du numéro tarifaire approprié des marchandises.

Motovan

25.              Selon Motovan, les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 6506.10.10 à titre d’« autres casques protecteurs, d’athlétisme » du fait qu’elles servent à assurer une protection contre les blessures dans le cadre d’une activité athlétique. Motovan affirme que le motocross et la course de motocyclettes sont des sports et soutient, en s’appuyant sur la jurisprudence du Tribunal, qu’il n’y a aucune distinction entre les termes « sports » et « athlétisme ». Motovan ajoute que ceux qui pratiquent le motocross ou la course de motocyclettes sont des athlètes.

26.              Le Tribunal souligne que Motovan a également cherché à s’appuyer sur la décision anticipée SRT no 270128 datée du 10 novembre 2015 par laquelle un casque de modèle Rush et de marque Zox orné de dessins d’étoiles brillantes (« star glossy ») a été classé à titre de casque protecteur d’athlétisme dans le numéro tarifaire 6506.10.10. Le Tribunal souligne que cette décision anticipée a expiré le 4 juin 2018 et a par la suite été remplacée par la décision nationale des douanes SRT no 280099 selon laquelle les coiffures de sécurité pour sports motorisés sont classées dans le numéro tarifaire 6506.10.90. Motovan a reconnu la révocation et n’a pas présenté d’autres arguments à cet égard. 

ASFC

27.              L’ASFC soutient que les marchandises sont correctement classées dans le numéro tarifaire 6506.10.90 à titre d’autres coiffures de sécurité du fait qu’elles ne sont pas, selon elle, des casques protecteurs d’athlétisme.

28.              L’ASFC s’appuie sur les notes explicatives de la position no 65.06, qui présentent les coiffures de sécurité pour la « pratique des sports » et les casques « pour motocyclistes » de façon distincte, pour soutenir que le motocyclisme ne constitue pas un type de sport. L’ASFC ajoute qu’aucune définition d’« athlétisme » ou d’« athlète » au dossier ne renvoie aux sports motorisés. Selon elle, le terme « athlétisme » renvoie aux activités physiques et non motorisées.

29.              L’ASFC affirme également que les marchandises en cause ne servent pas uniquement pour le motocross ou la course de motocyclettes, indépendamment du fait que ces activités constituent un sport ou non. Pour appuyer cette affirmation, elle soutient que les marchandises satisfont aux normes réglementaires applicables aux casques pour motocyclistes qui ne s’adonnent pas à la course de motocyclettes, c’est‑à‑dire les casques pour la conduite sur les voies publiques – Motovan convient que ce type de conduite n’est ni un sport ni une activité athlétique – et que rien n’empêche que les marchandises soient utilisées à cette fin. L’ASFC ajoute que les marchandises ne sont pas commercialisées exclusivement pour la course et qu’il est impossible d’un point de vue pratique de distinguer les casques pour le motocross de ceux pour la conduite sur les voies publiques.

ANALYSE

30.              Aux fins de la présente décision, le Tribunal utilise le terme « course à moto » qui englobe le « motocross » et la « course de motocyclettes », activités qui se déroulent toutes deux « hors route » sur des circuits fermés. La course à moto diffère de la conduite à moto sur les voies publiques, aussi connue sous le nom de conduite « sur route » ou de « tourisme ». Les parties conviennent que la conduite sur les voies publiques ne constitue pas un type de sport et qu’il ne s’agit pas de la pratique d’une activité athlétique.

31.              Le numéro tarifaire 6506.10.90, proposé par l’ASFC, est un numéro tarifaire résiduel dans la nomenclature qui est moins spécifique que le classement tarifaire proposé par Motovan. Par conséquent, le Tribunal entame son analyse en déterminant si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 6506.10.10 à titre de « casques protecteurs, d’athlétisme », comme le soutient Motovan.

32.              La seule question d’interprétation dont est saisi le Tribunal est celle de déterminer si les marchandises en cause ont été conçues pour un usage athlétique. À cet égard, Motovan affirme ce qui suit : 1) la course à moto est une activité athlétique; 2) les marchandises en cause sont destinées à la pratique de cette activité.  

33.              Le Tribunal estime que la règle 1 des Règles canadiennes permet de trancher le présent appel.

La course à moto est‑elle une activité athlétique?

34.              Le numéro tarifaire 6506.10.10 a été modifié en 2013 par l’ajout d’une subdivision pour les « casques protecteurs, d’athlétisme » au niveau à trois tirets. Comme le terme « athlétisme » n’est pas défini dans la nomenclature, les parties ont présenté des observations quant à l’interprétation législative de ce terme.

35.              L’ASFC soutient que le terme « athlétisme » se limite aux activités non motorisées, se fondant sur le Plan d’action économique de 2013 et le Hansard afin de démontrer l’intention du législateur, et sur les définitions des termes « athlète » et « athlétisme » figurant dans les dictionnaires. 

36.              Au vu de la preuve, le Tribunal ne voit aucune raison d’exclure une activité motorisée des activités « athlétiques ». Le Tribunal estime que les définitions des dictionnaires au dossier, lesquelles renvoient à une grande capacité physique, n’excluent pas le recours à de l’équipement motorisé. Parallèlement, le Plan d’action économique présente des allègements tarifaires applicables à l’équipement sportif et athlétique visé par un certain nombre de dispositions de classement tarifaire différentes, et le passage du Hansard cité traite d’un allègement tarifaire applicable uniquement aux casques de hockey. Le Tribunal conclut que ces documents ne servent pas à exclure les activités reposant en partie sur la motorisation de la définition du terme « athlétisme » aux fins du numéro tarifaire 6506.10.10.

37.              Motovan s’appuie sur International Imports, décision dans laquelle le Tribunal a conclu que « le terme “athletic(s)” (“athlétisme, les sports”) peut être pensé comme compris dans le terme “sport(s)” (“sport”) et qu’il n’y a pas, à toute fin pratique en l’espèce, de distinction entre eux[12] ». Selon Motovan, la course à moto est un sport régi par des règles qui diffère de la conduite sur les voies publiques à bien des égards, y compris sur les plans de l’environnement, de l’équipement et de la réglementation.

38.              Pour appuyer cet argument, Motovan renvoie à des éléments de preuve démontrant que la course à moto réunit des motocyclistes qui se livrent à une compétition sur des circuits fermés dans le but d’enregistrer le meilleur temps. Le motocross se pratique sur une piste de terre battue qui présente diverses dénivellations et courbes ainsi que divers obstacles et sauts, tandis que la course de motocyclettes se déroule sur un parcours plat et revêtu[13]. Motovan ajoute que les motos servant à la course sont conçues précisément à cette fin et ne sont pas conformes à la réglementation applicable à la conduite sur les voies publiques (c’est‑à‑dire qu’elles ne peuvent circuler légalement sur les routes)[14]. Par exemple, les motos de course ne sont pas équipées de feux de freinage, de klaxons, de clignotants ni du bon type de pneus[15]. Le port d’un casque est également obligatoire selon les règles régissant la course de moto[16]

39.              Motovan présente également des éléments de preuve selon lesquels le motocross et la course de motocyclettes sont tous deux reconnus comme des sports par la CMA, organisation nationale qui chapeaute les sports à moto au Canada[17]. La CMA ne reconnaît pas la conduite sur les voies publiques à titre de sport et ne régit aucune activité se déroulant « sur les routes » ou reposant sur la conduite de motos autorisées à circuler sur les routes[18]. Le motocross et la course de motocyclettes sont aussi tous deux reconnus comme des sports par la Fédération Internationale de Motocyclisme, organe directeur international dont la CMA fait partie[19]. De plus, Motovan affirme que le motocross est considéré comme un sport par les organisateurs d’activités de motocross et les fabricants d’équipement.

40.              Enfin, Motovan présente des éléments de preuve selon lesquels ces coureurs motocyclistes doivent avoir de grandes capacités athlétiques, y compris la force, la dextérité et la souplesse. Pour ce faire, ils suivent un entraînement cardiovasculaire et un entraînement de musculation intensifs[20].

41.              Selon l’ASFC, dans le contexte de la position no 65.06, le motocyclisme et les activités sportives s’excluent mutuellement. L’ASFC s’appuie sur la note explicative de la position no 65.06 qui énumère les coiffures de sécurité pour la pratique des sports et celles pour motocyclistes séparément. L’ASFC soutient que le motocyclisme a été intentionnellement dissocié des activités sportives, si bien qu’il existe une distinction nette entre les deux catégories. L’ASFC cite également la décision Motovan Motosport dans laquelle le Tribunal souligne que les casques pour motocyclistes ont délibérément été omis du numéro tarifaire 6506.10.10 et classés dans le numéro tarifaire résiduel (c’est-à-dire no 6506.10.90)[21].

42.              Le Tribunal ne souscrit pas aux arguments de l’ASFC à cet égard. D’abord, le Tribunal souligne qu’il est bien établi que les notes explicatives ne s’appliquent pas au classement au niveau du numéro tarifaire[22]. De plus, le numéro tarifaire 6506.10.10, tel qu’il a été pris en compte dans la décision Motovan Motosport, soit avant la modification législative de 2013, englobait ce qui suit : « Coiffures de sécurité – [c]asques de football; [p]our pompiers; [d]’escalade et d’alpinisme; [d]e sécurité aux fins industrielles; [d]oublés de plomb, à l’usage des radiographes ». Dans cette affaire-là, le Tribunal devait déterminer si les casques pour motocyclistes en cause étaient des « casques de sécurité aux fins industrielles ». Il a tranché par la négative, après quoi il a conclu que les marchandises étaient correctement classées dans le numéro tarifaire résiduel, à savoir no 6506.10.90. Cette conclusion ne permet pas de trancher le présent appel du fait que ce dernier est fondé sur une nouvelle subdivision du numéro tarifaire non résiduel.

43.              Au vu de la preuve, le Tribunal conclut que Motovan a établi que la conduite de moto sur les voies publiques et la course à moto sont des activités distinctes, la dernière étant considérée comme un sport. Le Tribunal estime donc que la course à moto constitue une activité athlétique aux fins du numéro tarifaire 6506.10.10.

Les marchandises en cause sont-elles destinées à la course à moto?

44.              Tel qu’il a été mentionné précédemment, les deux parties conviennent que la conduite de moto sur les voies publiques n’est pas un sport et ne constitue pas une activité athlétique, conclusion à laquelle souscrit également le Tribunal. Par conséquent, si les marchandises en cause sont destinées à la course à moto, elles sont correctement classées à titre de coiffures de sécurité d’athlétisme, comme le soutient Motovan. Si les marchandises sont destinées à la conduite sur les voies publiques, elles demeurent correctement classées selon les conclusions de l’ASFC.

45.              D’après l’ASFC, les marchandises en cause ne sont pas uniquement destinées à une activité athlétique. L’ASFC soutient que rien n’empêche qu’un casque de motocross soit porté pour la conduite sur les voies publiques[23]. Elle souligne que les casques pour la course et ceux pour la conduite sur les voies publiques sont visés par les mêmes homologations aux termes des règlements provinciaux[24]. L’ASFC ajoute que les marchandises en cause ne sont pas commercialisées uniquement pour un usage hors route. Le Tribunal souligne que Motovan ne conteste pas ces arguments.

46.              La Cour d’appel fédérale a établi que le fait que des marchandises puissent servir à plus d’un usage n’empêche pas le Tribunal de conclure qu’elles sont néanmoins correctement classées en fonction d’un de ces usages à la lumière de la preuve[25].

47.              Dans le contexte de l’examen de marchandises à usages multiples, le Tribunal a établi que le produit physique et les caractéristiques du marché, à savoir l’apparence, la conception, la meilleure utilisation, la commercialisation et la distribution des marchandises, sont des facteurs individuels qu’il peut être utile de considérer pour le classement des marchandises[26]. Aucun facteur n’est à lui seul déterminant, et l’importance de chaque facteur varie en fonction du produit en cause[27]. Le Tribunal examinera donc la preuve au dossier dans l’optique de ces facteurs.

48.              Selon Motovan, les marchandises en cause sont conçues pour la course à moto. En ce qui concerne la course de motocyclettes, M. Cuzner affirme que les coureurs motocyclistes risquent d’être victimes d’un accident à un moment ou à un autre de leur carrière[28]. D’après son témoignage, la vitesse moyenne au moment de l’impact dans une course de motocyclettes est supérieure à 150 ou 200 km/h, tandis que la vitesse moyenne au moment d’une collision sur les routes est d’environ 30 à 40 km/h. M. Cuzner soutient que l’équipement nécessaire pour survivre à chaque scénario est différent. Selon lui, les casques pour la conduite récréative sont conçus pour la randonnée, alors que les casques pour la course sont conçus en prévision de l’accident « inévitable ».

49.              M. Cuzner ajoute que la principale différence entre un casque pour la course et un casque pour la conduite sur les voies publiques repose sur les homologations : le casque pour la course aura obtenu l’homologation de la CEE ou l’homologation SNELL en plus de l’homologation du DOT[29]. À cet égard, il souligne qu’environ 70 à 80 p. cent des casques pour la conduite sur les voies publiques vendus par Motovan sont uniquement homologués par le DOT[30]. À titre de comparaison, toutes les marchandises en cause, à l’exception d’un modèle, sont homologuées par le DOT et par la CEE ou la Fondation SNELL.

50.              En ce qui a trait au motocross, M. Cuzner affirme que les casques pour le motocross sont dotés d’une plus grande ouverture faciale pour permettre le port des lunettes de protection et de différents modèles de mentonnières. Par ailleurs, ces casques sont conçus pour protéger les motocyclistes de la poussière et des roches soulevées au passage[31] et doivent offrir une « stabilité aérodynamique » [traduction] en vue de maximiser la performance du motocycliste[32]. De plus, la calotte des casques pour le motocross est fabriquée en différentes tailles de manière à offrir des calottes plus petites et plus légères, tandis que la calotte des casques pour la conduite sur les voies publiques est généralement de taille unique : l’épaisseur de la calotte interne est ajustée pour obtenir la taille désirée[33].

51.              M. Cuzner ajoute que la calotte interne, ou calotin, qui permet de veiller à ce que le casque soit bien ajusté pour assurer une protection en cas d’impact, constitue un élément important des casques pour la course[34]. M. Cuzner souligne que la calotte interne des casques pour la course est beaucoup plus contraignante que celle des casques pour la conduite sur les voies publiques, car elle exerce une pression supplémentaire notable sur le visage (ce qui porte le motocycliste à « se mordiller l’intérieur des joues » [traduction]). Par conséquent, les motocyclistes qui font de la conduite sur les voies publiques peuvent trouver les casques pour la course inconfortables[35]. À titre de comparaison, les casques pour la conduite sur les voies publiques ne sont pas conçus pour exercer des points de pression sur le visage des motocyclistes[36].

52.              À la lumière de la preuve, le Tribunal convient qu’il existe des différences physiques entre les casques pour la course et ceux pour la conduite sur les voies publiques, lesquelles découlent principalement des différents usages auxquels ils sont destinés. Le Tribunal ajoute que l’ASFC ne conteste pas le fait que les marchandises sont conçues pour la course. En outre, il ressort des éléments de preuve que la fabrication et la conception visent à répondre à des exigences précises en matière de sécurité et de protection du motocycliste. Les marchandises satisfont également aux normes des divers organismes nationaux et internationaux qui régissent les homologations de sécurité des casques pour motocyclistes. 

53.              L’ASFC soutient que les marchandises en cause ne servent pas exclusivement à la course et qu’un certain nombre d’entre elles sont achetées et utilisées pour la conduite sur les voies publiques. À cet égard, Motovan reconnaît qu’un certain pourcentage des ventes des marchandises en cause est attribuable au segment de la conduite sur les voies publiques. Plus précisément, M. Cuzner affirme qu’alors que près de 100 p. cent des ventes de casques de motocross[37] sont dans le segment de marché de la course, environ 70 p. cent des ventes de casques de moto de compétition[38] sont dans ce même segment de marché. Tel qu’il a été mentionné précédemment, le fait que les marchandises puissent être utilisées pour autre chose que la fin à laquelle elles sont destinées n’empêche en rien qu’elles soient classées en fonction de cette fin. En l’espèce, le Tribunal estime que la preuve sur la concentration des ventes confirme de manière générale que les marchandises sont destinées à la course à moto, c’est-à‑dire à une activité athlétique.  

54.              L’ASFC soutient également que, selon le matériel promotionnel du fabricant portant sur certaines des marchandises, ces dernières seraient destinées à un usage non athlétique, soit la conduite sur les voies publiques. L’ASFC cible plus précisément le casque de modèle EXO-T1200 de la marque Scorpion (modèle T1200) et le casque de modèle EXO-R710 de la marque Scorpion (modèle R710). Les documents en question décrivent le modèle T1200 comme un « casque de randonnée de première qualité » [traduction], et le modèle R710 comme un casque utile « tant à la maison pour les déplacements quotidiens que pour partir à la découverte des canyons ou participer à une compétition en circuit fermé » [traduction][39]. Selon ces documents, ces deux modèles se vendent entre 200 $ et 350 $. D’après la preuve produite par Motovan, les casques pour la conduite sur les voies publiques coûtent généralement entre 100 $ et 150 $. Or, le Tribunal estime tout de même que la fourchette de prix des modèles T1200 et R710 est néanmoins raisonnablement inférieure à celle des casques pour la course qui, selon Motovan, s’établit généralement entre 500 $ et 1 500 $[40]. Le Tribunal souligne également que le modèle T1200 est uniquement homologué par le DOT. Malgré les caractéristiques physiques et l’usage éventuel pour la course hors route des modèles T1200 et R710, les facteurs susmentionnés portent à croire que ces modèles sont destinés à la conduite sur les voies publiques.

55.              De ce fait, en ce qui concerne ces deux modèles, le Tribunal conclut qu’ils ne servent pas principalement à la pratique d’une activité athlétique et que Motovan ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait à l’égard de ces marchandises.

56.              Enfin, bien qu’il puisse s’avérer difficile de distinguer des casques destinés à un usage particulier de ceux destinés à un autre usage, cette question n’est pas pertinente dans le contexte du classement tarifaire des marchandises[41].

CONCLUSION

57.              Les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 6506.10.10 à titre de coiffures de sécurité d’athlétisme, à l’exception des marchandises visées par la décision anticipée SRT n278380 et la décision anticipée SRT no 278381, lesquelles ont été correctement classées par l’ASFC dans le numéro tarifaire 6506.10.90 à titre d’autres coiffures de sécurité. 

DÉCISION

58.              L’appel est accueilli en partie.




Serge Fréchette                       
Serge Fréchette
Membre présidant

 



[1].     L.C.R. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     Transcription, p. 13-14.

[3].     Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[4].     L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[5].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[6].     Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2017.

[7].     Organisation mondiale des douanes, 6e éd., Bruxelles, 2017.

[8].     Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, et Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2019 CAF 20.

[9].     Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII) au par. 21.

[10].   Les règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position. La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles [1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[11].   La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

[12].   International Imports for Competitive Shooting Equipment Inc. v. Le Sous-ministre du Revenu national (26 août 1999) AP-98-076 (TCCE) [International Imports].

[13].   Transcription, p. 8-9.

[14].   Transcription, p. 46 et 9-10.

[15].   Transcription, p. 9-10.

[16].   Transcription, p. 13 et 23.

[17].   Transcription, p. 16 et 47-48.

[18].   Transcription, p. 51.

[19].   Transcription, p. 47-48.

[20].   Transcription, p. 22 et 47.

[21].   Motovan Motosports Inc. et Steen Hansen Motorcycles Ltd. c. Le Sous-ministre du Revenu national (21 janvier 2000) AP-98-058 et AP-98-082 (TCCE) [Motovan Motorsports].

[22].   Les notes explicatives constituent l’interprétation officielle du Système harmonisé à l’échelle internationale seulement, ce qui comprend les niveaux suivants : section, chapitre, position et sous‑position. Chaque pays établit le niveau des numéros tarifaires de son tarif des douanes (c’est-à-dire à l’échelle nationale), comme en témoigne l’article 11 du Tarif des douanes selon lequel il est tenu compte des notes explicatives pour le classement au niveau de la position et de la sous‑position seulement.

[23].   Transcription, p. 32.

[24].   Pièce AP-2017-028-26A, vol. 1A au par. 91.

[25].   Partylite Gifts Ltd. c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 157 (CanLII), au par. 3.

[26].   Wal-Mart Canada Corporation c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 juin 2011), AP-2010-035 (TCCE) au par. 74.

[27].   Partylite Gifts Ltd. c. Le Commissaire de l’Agence des Douanes et du Revenu du Canada (16 février 2004), AP-2003-008 (TCCE).

[28].   Transcription, p. 5-6.

[29].   Transcription, p. 34.

[30].   Transcription, p. 37.

[31].   Transcription, p. 7.

[32].   Transcription, p. 6.

[33].   Transcription, p. 7 et 16.

[34].   Transcription, p. 6.

[35].   Transcription, p. 8.

[36].   Transcription, p. 15.

[37].   Transcription, p. 33.

[38].   Transcription, p. 38.

[39].   Pièce AP-2017-028-26A, vol. 1A aux p. 130-133.

[40].   Transcription, p. 34.

[41].   Pour des exemples similaires, voir Grodan Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (1er juin 2012) AP-2011-031 (TCCE) au par. 32; et BalanceCo c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (3 mai 2013) AP-2012-036 (TCCE) au par. 57.

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