Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2018-038

Cardinal Health Canada Inc.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le lundi 8 juillet 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 18 avril 2019 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 6 juillet 2018 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CARDINAL HEALTH CANADA INC.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.
















Jean Bédard                            
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant


Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 18 avril 2019

Membres du Tribunal :                                          Jean Bédard, c.r., membre présidant

Personnel de soutien :                                            Laura Colella, conseillère juridique
Eric Wildhaber, conseiller juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Cardinal Health Canada Inc.

Darrel Pearson

Sabrina Bandali

Ethan Gordon

 

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Carolyn Phan

Adrian Johnston

TÉMOINS :

Lianne MacMillan

Directrice, Commercialisation de produits de spécialité

Cardinal Health Canada Inc.

Fernando J. Pica

Chef de la direction financière

Cardinal Health Canada Inc.

Cathy Whitehead

Experte-conseil en soins infirmiers

Devon Healthcare Marketing Ltd.

Terry Nadasdi

Professeur titulaire, département de linguistique

Université de l’Alberta

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

SOMMAIRE

1.                  Il s’agit d’un appel interjeté par Cardinal Health Canada Inc. (Cardinal Health) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] concernant une décision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) rendue le 6 juillet 2018 conformément au paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes (la Loi).

2.                  Le présent appel concerne une décision anticipée sur le classement tarifaire de gants de caoutchouc jetables (les marchandises en cause). Les parties conviennent que les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 40.15. Le litige est au niveau de la sous-position : les marchandises en cause doivent-elles être classées dans la sous-position no 4015.11 (-gants --pour chirurgie) (-gloves --surgical), comme l’a déterminé l’ASFC, ou dans la sous-position no 4015.19 (-gants --autres) (-gloves --other), comme le soutient Cardinal Health.

3.                  Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) conclut que les marchandises en cause sont des gants pour chirurgie classés dans la sous-position no 4015.11, comme l’a déterminé l’ASFC.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

4.                  Le 9 janvier 2018, Cardinal Health a demandé à l’ASFC une décision anticipée sur le classement tarifaire des gants chirurgicaux en latex Protexis portant les codes de produit des séries 2D72 et 2D73. L’ASFC a rendu une décision dans laquelle elle a déterminé que les marchandises en cause devaient être classées dans la sous-position no 4015.11.

5.                  Le 16 mai 2018, Cardinal Health a demandé une révision de la décision anticipée.

6.                  Le 6 juillet 2018, dans une décision rendue aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, l’ASFC a confirmé sa décision anticipée initialement rendue.

7.                  Le 4 octobre 2018, Cardinal Health a interjeté le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

8.                  Le 18 avril 2019, le Tribunal a tenu une audience à Ottawa (Ontario).

9.                  Cardinal Health a fait entendre les témoins suivants : Lianne MacMillan, directrice, Commercialisation de produits de spécialité chez Cardinal Health; Fernando J. Pica, chef de la direction financière de Cardinal Health; Cathy Whitehead, experte-conseil en soins infirmiers pour Devon Healthcare Marketing Ltd. Cardinal Health a demandé au Tribunal que Terry Nadasdi, professeur titulaire au département de linguistique de l’Université de l’Alberta, soit reconnu comme témoin expert. Le Tribunal, après examen des titres de compétence et de l’expérience de M. Nadasdi, a reconnu celui-ci à titre d’expert en linguistique[2]. L’ASFC n’a fait entendre aucun témoin.

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

10.              Les marchandises en cause se décrivent comme suit :

Les marchandises se composent de six (6) modèles de gants chirurgicaux stériles en latex et sans poudre de marque « Protexis Latex » et « Ultrafree Max ». Les marchandises sont emballées dans des boîtes distributrices contenant 40 ou 50 paires de gants, selon le modèle, et chaque paire de gants est elle-même emballée individuellement dans une enveloppe de papier stérile sous vide. On dit des marchandises qu’elles « allient protection exceptionnelle et précision d’exécution, de sorte que les personnes qui les portent peuvent pratiquer en toute confiance sur leur patients dans un contexte chirurgical »[3] [traduction].

11.              Les parties conviennent que le présent appel vise les modèles de marchandises suivants :

Échantillon

Code de produit

Modèle

1

2D72LS55-2D72L290

gants en latex Protexis Hydrogel

2

2D73TP55-2D73TP90

gants en latex Protexis avec Neu-Thera

3

2D72N55X-2D72N90X

gants en latex Protexis Classic

4

2D72NS55X-2D72NS90X

gants en latex Protexis

5

2D72NT55X-2D72NT90X

gants en latex Protexis Micro

6

2D72901-2D72971

gants Ultrafree Max

CADRE LÉGISLATIF

12.              La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes[4], qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[5]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

13.              Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[6] et les Règles canadiennes[7] énoncées à l’annexe.

14.              Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

15.              L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[8] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[9], publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[10].

16.              Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes des positions et les notes de section ou de chapitre du Tarif des douanes qui s’y rapportent, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents. Si les marchandises en cause ne peuvent être classées au niveau de la position par application de la règle 1, le Tribunal doit alors examiner les autres règles[11].

17.              Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée[12]. La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié[13].

18.              Les parties conviennent que les marchandises en cause sont classées dans la position no 40.15 à titre de « vêtements et accessoires du vêtement (y compris les gants, mitaines et moufles) en caoutchouc vulcanisé non durci, pour tous usages ».

19.              La nomenclature tarifaire et les notes explicatives pertinentes sont reproduites à la fois en anglais et en français, étant donné que de prétendues disparités entre les deux versions sont au cœur de la question à trancher en l’espèce.

20.              Les passages pertinents du Tarif des douanes sont les suivants :

Chapter 40

RUBBER AND ARTICLES THEREOF

40.15    Articles of apparel and clothing accessories (including gloves, mittens and mitts), for all purposes, of vulcanized rubber other than hard rubber.

            -Gloves, mittens and mitts:

4015.11.00        - -Surgical

4015.19             - -Other

4015.19.10        - - -Protective gloves to be employed with protective suits in a noxious atmosphere

Chapitre 40

CAOUTCHOUC ET OUVRAGES EN CAOUTCHOUC

40.15    Vêtements et accessoires du vêtement (y compris les gants, mitaines et moufles) en caoutchouc vulcanisé non durci, pour tous usages.

            -Gants, mitaines et moufles :

4015.11.00        - -Pour chirurgie

4015.19             - -Autres

4015.19.10        - - -Gants de protection, devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné

21.              Les notes explicatives pertinentes sont les suivantes :

This heading covers articles of apparel and clothing accessories (including gloves, mittens and mitts) e.g. protective gloves and clothing for surgeons, radiologists, divers, etc., whether assembled by means of an adhesive or by sewing or otherwise obtained. These goods may be:

Qu’ils soient assemblés par collage, par couture ou autrement obtenus, cette position comprend les vêtements et accessoires du vêtement (y compris les gants, mitaines et moufles) par exemple les vêtements, gants, tabliers, etc., de protection pour chirurgiens et radiologues, les vêtements pour scaphandriers, etc. :

(1)    Wholly of rubber.

(2)    Of woven, knitted or crocheted fabrics, felt or nonwovens, impregnated, coated, covered or laminated with rubber, other than those falling in Section XI (see note 3 to Chapter 56 and Note 4 to Chapter 59).

(3)    Of rubber, with parts of textile fabric, when the rubber is the constituent giving the goods their essential character.

[...]

Subheading 4015.11

Surgical gloves are thin, highly tear‑resistant articles manufactured by immersion, of a kind worn by surgeons. They are generally presented in sterile packs.

1)      Entièrement en caoutchouc.

2)      En tissus, étoffes de bonneterie, feutres et non-tissés, imprégnés, enduits, recouverts ou stratifiés avec du caoutchouc autres que ceux relevant de la Section XI (voir la Note 3 du Chapitre 56 et la Note 4 du Chapitre 59).

3)      En caoutchouc combiné avec des parties en matières textiles, pour autant qu’ils concernent leur caractère essentiel d’articles en caoutchouc.

[...]

No 4015.11

Sont considérés comme gants pour chirurgie les articles minces du type de ceux portés par les chirurgiens, fabriqués par immersion, qui présentent une grande résistance à la déchirure. Ils sont généralement présentés en emballages stériles.

POSITION DES PARTIES

22.              Pour étayer sa position, Cardinal Health a essentiellement tenté d’attribuer une signification déterminante à une différence entre les versions anglaise et française du libellé de la sous-position no 4015.11. La version française du Tarif des douanes contient la préposition « pour » suivie du nom « chirurgie » (« pour chirurgie »), alors que la version anglaise ne contient que l’adjectif « surgical » (comme dans l’expression « surgical gloves »).

23.              De l’avis de Cardinal Health, en raison de cette différence, la sous-position no 4015.11 sert uniquement à désigner les gants utilisés exclusivement pour la chirurgie (c’est-à-dire les gants « pour chirurgie »).

24.              Selon Cardinal Health, la sous-position no 4015.11, du fait de la présence du mot « pour » dans la version française, ferait donc intervenir une condition relative à l’« utilisation finale ». Cardinal Health fait valoir qu’étant donné que les gants peuvent également être utilisés à des fins autres que la chirurgie seulement[14], les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la sous-position no 4015.11, et elles doivent donc être classées dans la sous-position no 4015.19 à titre d’« autres » gants.

25.              En fin de compte, Cardinal Health soutient que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire no 4015.19.10 étant donné qu’en plus d’être utilisées par les chirurgiens, elles servent également de « gants de protection, devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné ».

26.              L’ASFC fait valoir que les marchandises en cause répondent aux exigences de la sous-position no 4015.11, laquelle ne contient pas de condition relative à l’utilisation finale.

ANALYSE DU TRIBUNAL

27.              Pour étayer son interprétation de la sous-position no 4015.11, Cardinal Health a demandé l’opinion de M. Nadasdi, expert en linguistique. L’ASFC n’a pas remis en question les compétences d’expert de celui-ci (en linguistique, sémantique, grammaire et sociolinguistique du français), et M. Nadasdi avait fait le trajet depuis l’Alberta pour témoigner à Ottawa dans le cadre de la procédure. Sachant cela, tout en craignant que le témoignage soit peu pertinent, voire aucunement pertinent, pour lui permettre de trancher l’affaire, le Tribunal a accepté de reconnaître M. Nadasdi comme témoin expert comme le demandait Cardinal Health. Toutefois, étant donné ses préoccupations quant à la quelconque utilité du témoignage pour trancher l’affaire, le Tribunal a fait part de sa réticence et souligné que le témoignage de M. Nadasdi se verrait accorder le poids qui lui revenait.

28.              Avant de proposer un témoin expert dans le domaine de la linguistique, les parties qui se présentent devant le Tribunal devraient examiner soigneusement ce que prévoit le droit pour ce qui a trait à l’admissibilité et à la pertinence des témoignages d’expert, comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Mohan[15]. Elles devraient également examiner attentivement la question de savoir si les témoignages de prétendus experts en linguistique portent atteinte à la prérogative du Tribunal en matière d’interprétation des lois. En termes simples, elles devraient se demander si le Tribunal a besoin d’un expert des langues pour interpréter la loi. Dans le cadre du présent appel, Cardinal Health aurait dû répondre à cette question par la négative.

29.              Le Tribunal, dont le membre présidant est bilingue, était parfaitement capable de déchiffrer le sens de la nomenclature en l’espèce, sans l’aide d’un expert en linguistique. Le Tribunal est d’avis que c’est généralement le cas dans la presque totalité des affaires dont il est saisi. Le Tribunal souligne que « le sens ordinaire des termes retenus dans les lois et le caractère clair ou ambigu de celui-ci sont considérés comme des faits que tout locuteur compétent connaît déjà ou peut vérifier aisément »[16] [traduction], de sorte que le Tribunal est généralement capable de se fier à l’intuition linguistique et aux dictionnaires pour s’acquitter de sa tâche[17]. Le Tribunal fait également remarquer que la rédaction bilingue est aussi bien un art qu’une science, et qu’il s’agit parfois un peu plus d’un art, car il est fréquent que des termes en apparence différents d’une langue à l’autre signifient exactement la même chose dans les faits[18].

30.              Le témoignage de M. Nadasdi aurait pu avoir une certaine valeur aux fins de l’examen des mots en eux-mêmes ou d’un point de vue théorique. Toutefois, une telle perspective est généralement de peu d’utilité, s’il en est, pour guider le Tribunal. Le rôle du Tribunal dans les appels portant sur le classement tarifaire est d’examiner le sens ordinaire à donner aux mots dans leur contexte, de tenir compte du cadre législatif de la Loi, et de prendre en considération d’autres sources, en l’occurrence les notes explicatives et les avis de classement. De l’avis du Tribunal, le classement tarifaire effectué par les agents de l’ASFC à la frontière, par les courtiers en douane ou par le Tribunal lui-même devrait être un exercice pratique ne nécessitant pas l’aide d’un linguiste.

31.              En fin de compte, M. Nadasdi était d’avis que l’expression « pour chirurgie » signifie « dans le but de réaliser une chirurgie »[19]. Le Tribunal reconnaît que le mot « pour » pourrait être considéré comme ayant une connotation de but. Cela dit, le Tribunal est d’avis que les termes « gloves –surgical » ne font intervenir aucun but explicite. Le Tribunal ne perçoit aucun but implicite dans le libellé anglais, sauf peut-être par association avec le mot « pour » dans le libellé français. En revanche, le Tribunal pourrait aussi interpréter l’expression française « pour chirurgie » comme étant dénuée de toute intention de but ou d’utilisation finale lorsque interprétée en tenant compte du libellé anglais, sachant que ce dernier ne contient aucune connotation explicite relative à l’utilisation finale.

32.              De plus, le Tribunal a du mal à comprendre la position de Cardinal Health en ce qu’elle revient à affirmer que le mot « surgical » dans la version anglaise aurait dû être remplacé par le mot « surgery » et être précédé des mots additionnels « for the purposes of performing »; cela reviendrait à réécrire le libellé anglais de la sous-position, sans aucune intention explicite des rédacteurs du tarif en ce sens. Si l’on pense en vase clos, on pourrait présenter l’argument tout aussi non fondé et relevant de la spéculation que l’adjectif français « chirurgicaux » aurait dû être retenu pour rendre l’adjectif anglais « surgical »[20].

33.              De l’analyse qui précède et du témoignage de M. Nadasdi, le Tribunal retient ceci : lorsqu’il est question d’interprétation des lois et des règlements, l’exégèse linguistique à elle seule peut être un mode d’interprétation des moins fiables.

34.              La question à trancher en l’espèce demeure la suivante : est-ce que le législateur, en employant les termes « -gloves -surgical » et « pour chirurgie », avait l’intention de poser une condition relative à l’utilisation finale, de telle sorte que pour être classés dans la sous-position no 4015.11, les gants doivent être destinés à être utilisés par des chirurgiens dans le seul but de réaliser des chirurgies?

35.              Selon le Tribunal, la réponse à cette question est « non », pour deux raisons.

36.              Premièrement, si le législateur avait eu l’intention d’imposer une condition relative à l’utilisation finale, il l’aurait fait ou il aurait pu le faire explicitement, comme c’est le cas ailleurs dans la position no 40.15, en particulier le numéro tarifaire no 4015.19.10, dans lequel les marchandises en cause devraient être classées selon Cardinal Health. Le numéro tarifaire no 4015.19.10 énonce, de manière très explicite et sans termes équivoques, deux conditions relatives à l’utilisation, à savoir « devant être utilisés [1] avec scaphandres de protection [2] dans l’air empoisonné ». Ni la version anglaise ni la version française du libellé de la sous-position no 4015.11 ne contient une telle formulation liée à l’utilisation finale.

37.              Deuxièmement, la note explicative de la sous-position no 4015.11 élimine tout doute qu’il pourrait exister quant à la question de l’utilisation finale.

38.              Cardinal Health soutient que les notes explicatives de la sous-position no 4015.11 ne sont pas utiles pour classer les marchandises en cause. Le Tribunal est on ne peut plus en désaccord. De fait, les notes explicatives de la sous-position no 4015.11 fournissent toute l’orientation nécessaire pour trancher le présent appel. « Surgical gloves are [...] of a kind worn by surgeons ». En français : « Sont considérés comme gants pour chirurgie les articles [...] du type de ceux portés par les chirurgiens [...] » [notre soulignement]. Il n’existe là aucune divergence linguistique : les versions anglaise et française de cette note explicative disent exactement la même chose. Ainsi, le contexte et l’orientation qu’elles fournissent aux fins d’interprétation renseignent entièrement le lecteur sur la façon de comprendre les termes du libellé de la sous-position no 4015.11 dans les deux langues officielles.

39.              Le Tribunal comprend à la lecture de la note explicative de la sous-position no 4015.11 que les marchandises en cause doivent simplement ressembler à ce qu’une personne ordinaire considérerait généralement comme des gants du type de ceux portés par les chirurgiens (« [s]ont considérés comme gants pour chirurgie les articles [...] du type de ceux portés par les chirurgiens [...] »[21] [notre soulignement]).

40.              Comme Cardinal Health en a fait la démonstration, les marchandises en cause servent de fait pour des utilisations diverses, dans différents environnements, à différents types de personnes. Il ne fait nul doute dans l’esprit du Tribunal qu’il s’agit de gants du « type » (« kind ») de ceux portés par les chirurgiens. Lors de son témoignage, Mme Whitehead a confirmé que les marchandises en cause sont utilisées en chirurgie et à diverses autres fins et dans des contextes différents, par des chirurgiens et par des personnes que ne sont pas des chirurgiens[22].

41.              La note explicative de la sous-position no 4015.11 mentionne que les « -gants --pour chirurgie » doivent seulement être du type de ceux portés par les chirurgiens. Ainsi, les marchandises en cause n’ont pas à être utilisées seulement par les chirurgiens au cours de l’exécution d’une chirurgie, ni même par les chirurgiens tout court. Par conséquent, nonobstant l’identité de l’utilisateur final, ou du but dans lesquels ils sont utilisés en définitive, les gants « minces [...], fabriqués par immersion, qui présentent une grande résistance à la déchirure » appartiennent à la sous-position no 4015.11 dès lors qu’il est reconnu que la marchandise est du type de celle portée par les chirurgiens. Par conséquent, l’utilisation finale n’est pas pertinente pour ce qui est du classement[23].

42.              Cardinal Health s’est servie d’une légère différence entre les libellés anglais et français de la sous‑position no 4015.11 pour dégager un sens là où il n’y en avait pas. Elle a fait fi de l’orientation claire donnée par la note explicative de la sous-position no 4015.11. Les marchandises en cause sont du type de celles portées par les chirurgiens. Par conséquent, elles sont correctement classées dans la sous-position no 4015.11 et dans le numéro tarifaire no 4015.11.00.

DÉCISION

43.              L’appel est rejeté.




Jean Bédard                            
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant



[1].     L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1.

[2].     Pièce 3C, vol. 1, onglet 10A (CV).

[3].     Demande de décision anticipée de l’appelante, 9 janvier 2018, pièce 16A, vol. 1, onglet 2.

[4].     L.C. 1997, ch. 36.

[5].     Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[6].     L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[7].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[8].     Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003.

[9].     Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012.

[10].   Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII), aux par. 13, 17; Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Inc., 2019 CAF 20 (CanLII), au par. 4.

[11].   Les règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position.

[12].   La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles [1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[13].   La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

[14].   Mémoire de l’appelante à la p. 4; pièce 03D, vol. 2, onglets 2, 4, 5; pièce 05A, vol. 1, onglets 2, 3.

[15].   1994 CSC 80, [1994] 2 RCR 9 à la p. 10.

[16].   Sullivan à la p. 36.

[17].   Le Tribunal a consulté les dictionnaires suivants pour la définition des termes « surgical », « chirurgie », « for », et « pour » : The Collins Dictionary, The Oxford Dictionary, The Cambridge English Dictionary, The Merriam Webster Dictionary, Larousse, Le Petit Robert, L’Office de la langue française du Québec, Le portail lexical de l’Académie française, Le Littré.

[18].   Voir la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur où « permanent member » est rendu en français par « titulaire » et « temporary member » par « vacataire »; voir aussi la Loi sur les mesures spéciales d’importation où « domestic industry » est rendu en français par « branche de production nationale ».

[19].   Transcription de l’audience publique à la p. 136.

[20].   Comme il est examiné ci-après, la note explicative de la sous-position no 4015.11 dissipe toute confusion possible : les gants doivent seulement être « du type de ceux portés par les chirurgiens » pour être classés dans la sous-position no 4015.11. La note explicative de la sous-position no 4015.11 précise de fait que les mots « pour chirurgie » doivent être interprétés comme voulant dire « chirurgicaux », de manière à éliminer, ou à atténuer, toute notion d’utilisation finale qui pourrait autrement être implicite dans la version française du tarif (pour que cela concorde avec la version française de la note qui précise que les gants « [s]ont [...] [d]es articles [...] du type de ceux portés par les chirurgiens [...] ». Autrement dit, dans la langue officielle française : ce sont des gants du type de ceux portés par des chirurgiens mais, pour fins de classement tarifaire, il n’y a aucune condition ou exigence que ces gants soient portés uniquement par des chirurgiens (ou que ces gants ne soient portés que par des chirurgiens).

[21].   Tout en satisfaisant aussi aux autres conditions énoncées dans la note explicative.

[22].   Transcription de l’audience publique aux p. 115-116.

[23].   Encore une fois, si les rédacteurs de la note explicative de la sous-position no 4015.11 avaient souhaité y adjoindre une condition relative à l’utilisation finale, ils l’auraient fait explicitement en écrivant tout simplement « gants [...] portés par les chirurgiens », plutôt que « gants [...] du type de ceux portés par les chirurgiens » [nos italiques]. Le Tribunal ne peut faire abstraction des termes « du type » et de leur équivalent en anglais.

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