Appels en matière de douanes et d’accise

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Appel no AP-2018-020

T. Brown

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le lundi 17 juin 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 25 mars 2019, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 21 juin 2018, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

T. BROWN

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.









Rose Ann Ritcey                     
Rose Ann Ritcey
Membre présidant


Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 25 mars 2019

Membre du Tribunal :                                            Rose Ann Ritcey, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Heidi Lee, conseillère juridique
Anja Grabundzija, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

T. Brown

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Sarah Chênevert‑Beaudoin

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1.                  Le présent appel a été interjeté auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], contre une décision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) rendue le 21 juin 2018 aux termes du paragraphe 60(4).

2.                  Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si 16 couteaux pliants Ganzo, modèle G7413 GR WS (les marchandises en cause), importés par M. T. Brown sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée, comme l’a déterminé l’ASFC, dont l’importation est par conséquent interdite au Canada aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes[2].

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

3.                  M. Brown a importé les marchandises en causes dans le cadre de deux transactions. Celles-ci ont été confisquées par l’ASFC les 23 et 29 mars 2018, aux termes de l’article 101 de la Loi. Au moment où les marchandises ont été confisquées, les agents de l’ASFC ont constaté que, cinq fois sur cinq, les couteaux se sont ouverts automatiquement par force centrifuge[3].

4.                  Le 2 mai 2018, l’ASFC a rendu des décisions aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi eu égard aux deux transactions, selon lesquelles les marchandises en cause sont des armes prohibées dont l’importation est par conséquent interdite au Canada.

5.                  Les 9 et 11 mai 2018, M. Brown a demandé que les deux décisions soient révisées.

6.                  Le 21 juin 2018, l’ASFC a rendu une décision aux termes de l’article 60 de la Loi, rejetant les deux demandes de révision. Pour en arriver à cette conclusion, l’ASFC a de nouveau fait l’essai des marchandises en cause et a maintenu qu’elles s’ouvraient automatiquement par force centrifuge.

7.                  Le 10 juillet 2018, M. Brown a interjeté le présent appel auprès du Tribunal.

8.                  Le 25 mars 2019, le Tribunal a instruit l’appel à Ottawa (Ontario) sur la foi des renseignements versés au dossier, conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4]. Les marchandises en cause ont été mises à la disposition du Tribunal et ont été examinées par ce dernier.

MARCHANDISES EN CAUSE

9.                  Chaque couteau mesure 20,5 centimètres de longueur lorsque la lame est déployée et 12 centimètres lorsqu’elle est rentrée. Le couteau est utilisable tant par les gauchers que les droitiers et est doté d’un ergot des deux côtés de la lame, ce qui permet de déployer la lame d’une seule main. Le couteau est également muni d’un système de verrouillage Axis-Lock, qui empêche la lame de se fermer et qui facilite le déploiement de la lame lorsqu’il est actionné.

CADRE LÉGISLATIF

10.              Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

[Nos italiques]

11.              Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit ce qui suit :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...].

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel; [...]

12.              Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 de l’annexe du Tarif des douanes prévoit que « [l]es marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».

13.              Selon le Tarif des douanes, une « arme prohibée » comprend tout article défini comme « arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel[5]. La disposition pertinente en l’espèce est l’alinéa 84(1)a), qui prévoit ce qui suit :

arme prohibée

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

14.              En somme, pour déterminer si la marchandise en cause est correctement classée à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et, par conséquent, comme une marchandise dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si elle correspond à la définition ci-dessus du paragraphe 84(1)a) du Code criminel.

15.              Conformément au paragraphe 152(3) de la Loi et à l’article 12 du Tarif des douanes, le fardeau de prouver que les marchandises en cause ne sont pas des armes prohibées incombe à M. Brown[6].

ANALYSE DU TRIBUNAL

16.              L’AFSC maintient que les marchandises s’ouvrent automatiquement par force centrifuge; elle ne se fonde sur aucun autre motif pour faire valoir que les marchandises sont des armes prohibées. Le Tribunal doit donc déterminer si les couteaux en cause sont dotés d’une lame qui s’ouvre automatiquement par force centrifuge.

17.              Pour les raisons qui suivent, le Tribunal conclut que M. Brown ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait et que les marchandises sont des armes prohibées en vertu de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, au motif que la lame s’ouvre automatiquement par force centrifuge. Par conséquent, l’importation des marchandises en cause est interdite au Canada conformément au paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

Les critères juridiques pour déterminer si un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge

18.              Le Tribunal a conclu à maintes reprises qu’un couteau s’ouvre automatiquement par force centrifuge lorsqu’« un simple mouvement brusque vers l’extérieur du poignet libère la lame du manche et l’éjecte complètement et l’amène en position verrouillée »[7], aussi nommé comme un « test [...] par mouvement rapide du poignet ».[8]

19.              Au moment où les marchandises ont été confisquées, l’AFSC a effectué ce test à cinq reprises et a constaté que les marchandises s’ouvraient par force centrifuge à chaque tentative. M. Brown soutient que le mécanisme de verrouillage Axis-Lock empêche la lame de se déployer de cette façon, car il tend à la refermer.

20.              L’ASFC maintient que, lors de l’examen des marchandises, celles‑ci se sont aussi ouvertes automatiquement après une manipulation minimale de l’ergot. L’ASFC souligne que, bien qu’une telle manipulation ne soit pas nécessaire pour déployer la lame, le fait que les marchandises s’ouvrent aussi automatiquement avec une manipulation minimale renforce encore davantage leur classement à titre d’armes prohibées. L’ASFC renvoie à la décision du Tribunal dans l’affaire T. LaPlante, qui soulignait qu’« [i]l a également conclu à maintes reprises [...] qu’un couteau peut s’ouvrir automatiquement par force centrifuge même si l’ouverture nécessite une certaine manipulation ou certaines habiletés »[9].

21.              M. Brown soutient que l’affaire T. LaPlante ne s’applique pas aux marchandises en cause, car les couteaux dans cet appel étaient dotés d’un flipper, c’est‑à‑dire d’une petite protrusion sur le dos de la lame qui se déplace dans le manche au fur et à mesure que la lame se déploie, tandis que les marchandises en cause sont dotées d’un ergot sur la lame qui ne se déplace pas dans le manche au moment du déploiement de la lame[10]. M. Brown soutient que les marchandises en cause ressemblent plutôt à celles de l’affaire A. Cowan, dans laquelle le Tribunal a conclu que les marchandises n’étaient pas des armes prohibées[11].

22.              En ce qui concerne les arguments avancés par M. Brown relativement à T. LaPlante, le Tribunal conclut que la distinction entre un couteau doté d’un ergot sur la lame ou d’un flipper sur le dos de la lame n’est pas pertinente pour déterminer si une lame se déploie automatiquement par force centrifuge, ce qui est la question qui doit être tranchée en l’espèce, comme c’était le cas dans T. LaPlante.

23.              Le Tribunal reconnaît les similarités entre les marchandises en cause et les couteaux dans l’affaire A. Cowan, lesquels étaient des couteaux à ouverture assistée dotés d’un ergot sur la lame et d’une barre de torsion qui maintenait la lame en position fermée. Toutefois, la décision A. Cowan est d’une utilité limitée dans le cadre du présent appel. Il s’agissait dans cette affaire de déterminer si la lame se déployait automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche, aux termes de la deuxième partie de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel. Puisqu’il ne s’agit pas du motif en cause, toute similarité entre les marchandises n’est pas pertinente en l’espèce. De plus, dans A. Cowan, les deux parties ont convenu que les marchandises en cause ne pouvaient pas s’ouvrir automatiquement par force centrifuge; or, il s’agit de la question de fond du présent appel.

Les marchandises en cause s’ouvrent automatiquement par force centrifuge

24.              Le Tribunal a examiné de près et testé les marchandises en cause. Dans cet exercice, le Tribunal a examiné les marchandises en cause dans les positions ouvertes et fermées, et a ouvert et fermé les couteaux a plusieurs reprises.

25.              Après examen, le Tribunal a conclu que la lame se déploie automatiquement jusqu’en position complètement ouverte d’un mouvement brusque du poignet vers l’extérieur. Le Tribunal a effectué ce test à multiples reprises et a constaté que la lame s’est déployée automatiquement à chaque tentative. Le Tribunal a également conclu que la lame se déploie automatiquement avec une manipulation minimale de l’ergot; une fois que la lame est légèrement ouverte, elle s’ouvre facilement et rapidement d’un simple mouvement du poignet jusqu’en position complètement ouverte et se verrouille dans cette position. Les deux façons de déployer la lame peuvent s’effectuer d’un seul geste de la main.

26.              Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les marchandises en cause s’ouvrent automatiquement par force centrifuge et qu’elles sont des armes prohibées en vertu de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel.

Autres considérations

27.              M. Brown prétend qu’une vis des marchandises peut s’être desserrée, ce qui aurait interféré avec la fonction prévue du mécanisme de verrouillage qui garde la lame rentrée. Il soutient également que les marchandises étaient destinées à être des cadeaux.

28.              Comme le Tribunal l’a déjà établi, de telles considérations n’ont aucune incidence sur sa décision quant à la question de savoir si les marchandises en cause, en l’état où elles ont été importées, sont des armes prohibées au sens du Code criminel[12].

CONCLUSION

29.              Les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées et, par conséquent, leur importation est interdite au Canada.

DÉCISION

30.              L’appel est rejeté.




Rose Ann Ritcey                     
Rose Ann Ritcey
Membre présidant



[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     Pièce AP-2018-020-06A au par. 18, vol. 1.

[4].     DORS/91-499.

[5].     L.R.C. (1985), ch. C-46.

[6].     Tel que réaffirmé par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII), aux par. 21-22.

[7].     T. LaPlante c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (16 novembre 2017), AP-2017-012 (TCCE) [T. LaPlante] au par. 27. Voir aussi W. Ericksen c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (3 janvier 2002), AP-2000-059 (TCCE).

[8].     Voir T. Lysyshyn c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (14 juillet 2014), AP-2013-047 (TCCE) au par. 28.

[9].     T. LaPlante au par. 27. En rejetant les demandes de révision de M. Brown, l’AFSC s’est fondée sur l’affaire T. LaPlante pour souligner que la notion de manipulation minimale pouvait être utilisée (pièce AP-2018-020-06A à la p. 26, vol. 1). Voir aussi Digital Canoe Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 juillet 2006), AP-2004-047 (TCCE) aux par. 12-13.

[10].   Pièce AP-2018-020-04 au par. 10, vol. 1.

[11].   A. Cowan c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (22 août 2017), AP-2016-046 (TCCE) [A. Cowan].

[12].   Voir Kenneth Lee c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 juillet 2006), AP-2003-054 (TCCE) au par. 13.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.