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Appel no AP-2018-046

W. Spencer

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le mardi 6 août 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 21 mai 2019, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 7 septembre 2018, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

W. SPENCER

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.









Rose Ann Ritcey                     
Rose Ann Ritcey
Membre présidant


Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 21 mai 2019

Membre du Tribunal :                                            Rose Ann Ritcey, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Sarah Perlman, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

W. Spencer

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Luc Vaillancourt

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1.                  Le présent appel a été interjeté par M. W. Spencer auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], contre une décision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) rendue le 7 septembre 2018 aux termes du paragraphe 60(4).

2.                  Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si le couteau karambit (la marchandise en cause) importé par M. Spencer est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’arme prohibée et, par conséquent, dont l’importation est interdite au Canada aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

3.                  Le Tribunal a récemment entendu deux affaires, soit le présent appel et l’affaire A. Savoie (AP‑2018-050), concernant l’application du numéro tarifaire 9898.00.00 à des marchandises jugées semblables à un coup-de-poing américain. Comme ces deux appels traitent de questions très semblables, les motifs des deux décisions s’appuient sur le même cadre d’analyse.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

4.                  M. Spencer a essayé d’importer la marchandise en cause au Canada le ou vers le 18 juillet 2018. Le 26 juillet 2018, l’ASFC a déterminé que la marchandise en cause constituait une arme prohibée aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi.

5.                  Le ou vers le 7 août 2018, M. Spencer a présenté une demande de révision du classement tarifaire de la marchandise en cause conformément au paragraphe 60(1) de la Loi.

6.                  Le 7 septembre 2018, l’ASFC a confirmé son classement de la marchandise en cause sous le numéro tarifaire 9898.00.00 conformément au paragraphe 60(4) de la Loi.

7.                  Le 21 novembre 2018, M. Spencer a interjeté le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi[3].

8.                  Le 21 mai 2019, le Tribunal a instruit l’appel sur la foi des renseignements versés au dossier (audience sur pièces), conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4]. Les marchandises en cause ont été mises à la disposition du Tribunal et ont été examinées par ce dernier lors de l’audience sur pièces[5].

DESCRIPTION DE LA MARCHANDISE EN CAUSE

9.                  La marchandise en cause est un couteau à lame fixe de 2,5 pouces (un peu plus de 6 cm) nommé « Max Venom DMaX II Fighter Karambit Neck Knife ». Le couteau est fait d’un bloc d’acier unique avec manche recourbé comportant trois indentations pour les doigts et un anneau à son extrémité.

CADRE LÉGISLATIF

10.              Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

11.              Les passages pertinents du numéro tarifaire 9898.00.00 prévoient ce qui suit :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...].

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel; [...]

12.              Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[6] ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 de l’annexe du Tarif des douanes prévoit que « [l]es marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».

13.              La question de savoir si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 doit donc être tranchée conformément aux dispositions de ce numéro tarifaire et aux dispositions applicables du Code criminel.

14.              Selon le Tarif des douanes, une « arme prohibée » comprend tout article défini comme « arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel[7]. Le paragraphe 84(1) du Code criminel définit le terme « arme prohibée » de la façon suivante, dont seul l’alinéa b) est pertinent :

arme prohibée

[...]

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

15.              L’article 4 du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction[8] indique que les armes énumérées à la partie 3 de l’annexe de ce règlement sont considérées comme des « armes prohibées » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.

16.              L’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement, sur lequel l’ASFC s’est appuyé dans son classement de la marchandise en cause, prévoit ce qui suit :

L’instrument communément appelé « coup-de-poing américain » et autre instrument semblable consistant en une armature métallique trouée dans laquelle on enfile les doigts.

POSITION DES PARTIES

W. Spencer

17.              Selon M. Spencer, la marchandise en cause est un couteau et il est inexact de la classer comme coup-de-poing américain. Il soutient que le couteau karambit est un outil agricole indonésien et que l’anneau intégré à l’extrémité du manche n’est pas destiné à être utilisé comme un coup-de-poing américain, mais sert à garder l’outil en main. M. Spencer fait valoir que se reposer sur la présence de l’anneau est trop général pour classer la marchandise en cause comme coup-de-poing américain, car autrement des ciseaux ou n’importe quel anneau seraient considérés comme des armes prohibées.

18.              De plus, M. Spencer souligne que des couteaux semblables sont en vente au Canada, ce qui signifierait que la loi n’est pas appliquée de façon équitable. M. Spencer affirme également que le fournisseur et le concepteur de la marchandise en cause n’ont pas connaissance d’une interdiction d’importation au Canada pour les produits similaires.

ASFC

19.              L’ASFC fait valoir que la marchandise en cause est un instrument semblable à un coup-de-poing américain. Elle soutient que la marchandise en cause peut être utilisée pour frapper une victime avec l’anneau par un coup de poing[9].

20.              Selon l’ASFC, la marchandise en cause satisfait clairement aux deux premiers critères d’un « coup‑de-poing américain » énoncés dans le Règlement, puisqu’il consiste en une pièce d’acier courbée (une armature métallique) comportant un trou pour les doigts. L’ASFC soutient que l’interprétation du troisième critère, c’est-à-dire que la marchandise soit conçue pour qu’on y enfile les doigts, n’est claire ni en anglais ni en français. Selon l’ASFC, « alors que la version anglaise exige que l’armature métallique soit conçue pour être placée sur les doigts (“designed to fit over the fingers of the hand”), la version française est plus précise, car elle exige que l’armature soit “conçue pour y enfiler les doigts” »[10] [traduction, en italiques dans l’original]. L’ASFC souligne que, alors qu’il suffit qu’il y ait un seul trou dans lequel enfiler un doigt selon la version anglaise, la version française semble exiger qu’il soit possible d’enfiler plus d’un doigt. L’ASFC fait valoir que la version anglaise devrait primer selon les principes d’interprétation bilingue, car elle a le sens le plus restreint. Par conséquent, l’ASFC soutient que la marchandise en cause satisfait au troisième critère, puisqu’elle peut être placée sur au moins deux doigts.

ANALYSE

21.              À titre d’appelant, M. Spencer porte le fardeau de démontrer que le classement fait par l’ASFC de la marchandise en cause était incorrect[11]. M. Spencer ne s’est pas déchargé de ce fardeau pour les motifs suivants.

22.              Afin de déterminer si la marchandise en cause est correctement classée en tant qu’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et, par conséquent, dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si la marchandise répond à la définition de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement. Plus précisément, le Tribunal doit déterminer si la marchandise en cause est un coup-de-poing américain ou un instrument semblable à ce dernier qui possède les caractéristiques suivantes :

1)   elle est constituée d’une armature métallique;

2)   elle est trouée;

3)   elle est conçue pour y enfiler les doigts.

23.              Pour plus de clarté, le Règlement ne prévoit pas que tout instrument répondant aux trois critères de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe est une arme prohibée. Ce ne sont que les instruments semblables à un coup-de-poing américain et qui présentent les trois caractéristiques énoncées qui sont prohibées[12].

24.              En l’espèce, la marchandise en cause répond aux trois critères physiques : i) elle est constituée d’une armature métallique; ii) elle est trouée; iii) l’armature métallique est conçue pour y enfiler, en l’occurrence, un doigt[13].

25.              Par ailleurs, la marchandise en cause est un « instrument semblable » à un coup-de-poing américain en ce qu’elle peut être utilisée pour donner un coup de poing avec l’anneau. Tel qu’énoncé dans l’affaire Taylor, les mots « tout autre instrument semblable » tendent à élargir la définition d’armes prohibées, et communiquent le principe selon lequel la marchandise en cause doit être de la même nature générale, du même genre ou du même caractère qu’un coup-de-poing américain pour être classé à titre d’arme prohibée[14]. Par conséquent, afin de déterminer si une marchandise est un « instrument semblable », le Tribunal « doit aussi tenir compte des similitudes sur le plan des applications ou des utilisations finales prévues »[15].

26.              La marchandise en cause possède non seulement des caractéristiques physiques d’un coup-de-poing américain, elle a aussi une même utilisation finale, celle de causer des dommages corporels. L’ASFC a présenté une vidéo d’un adepte des arts martiaux qui a participé à la conception d’un modèle semblable à la marchandise en cause[16]. Cet adepte des arts martiaux y démontre différentes manières d’utiliser le couteau, dont une consiste à donner un coup de poing en utilisant l’anneau. L’ASFC a également présenté un extrait du site Web « Shooting Journal », où l’on donne la description suivante des couteaux karambit[17] :

Bien qu’ils soient principalement utilisés pour taillader ou accrocher, les couteaux karambit comportant un anneau à doigt sont aussi utilisés pour donner des coups de poing en frappant l’adversaire avec l’anneau. Certains couteaux karambit sont conçus pour poignarder. Cette polyvalence dans le type de frappe est la raison pour laquelle il est si utile en situation d’autodéfense. Le protège-doigts rend difficile le désarmement et permet de manœuvrer le couteau sans craindre de perdre prise.

[Traduction]

27.              L’argument de M. Spencer selon lequel des marchandises telles que des ciseaux ou des anneaux seraient aussi considérées comme des instruments semblables à un « coup-de-poing américain » selon l’interprétation de l’ASFC n’est pas viable. Ces marchandises, même dans la mesure où elles peuvent répondre aux trois critères physiques du coup-de-poing américain, ne sont pas des « instruments semblables » à un coup-de-poing américain puisqu’elles ne partagent pas les mêmes utilisations prévues ni les mêmes utilisations finales[18].

28.              Finalement, le Tribunal a maintes fois abordé l’argument de M. Spencer selon lequel des instruments semblables sont offerts en vente au Canada en affirmant qu’« il n’est pas pertinent que toute expédition antérieure [...] n’ait pas été interceptée par l’ASFC ou par ses prédécesseurs. Que l’ASFC prenne ou non une mesure administrative ne peut pas changer la loi »[19]. Que le fournisseur et le concepteur aient ou non connaissance de marchandises similaires ayant été interdites d’importation au Canada, cela n’a aucun poids dans l’analyse du Tribunal en vue de déterminer si la marchandise en cause est une arme prohibée aux termes du Code criminel.

CONCLUSION

29.              Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que la marchandise en cause remplit les conditions énoncées à l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement. Par conséquent, le Tribunal conclut que la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée.

DÉCISION

30.              L’appel est rejeté.




Rose Ann Ritcey                     
Rose Ann Ritcey
Membre présidant

 



[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     M. Spencer a originalement déposé un avis d’appel incomplet le 16 novembre 2018. Le 20 novembre 2018, le Tribunal lui a demandé de fournir des renseignements supplémentaires, qu’il a ensuite fournis le 21 novembre 2018. Par conséquent, l’appel est considéré comme ayant été déposé le 21 novembre 2018.

[4].     DORS/91-499.

[5].     Dans son avis d’appel du 21 novembre 2018, M. Spencer a demandé la tenue d’une audience par vidéoconférence ou par téléconférence. Dans une lettre datée de la même journée, le Tribunal mentionnait que les appels concernant des armes prohibées présumées se déroulaient généralement par audience sur pièces, sans que les parties soient présentes. La lettre indiquait à M. Spencer que s’il souhaitait que le Tribunal tienne une audience en personne ou une audience électronique, il devait présenter une demande spécifique en ce sens au Tribunal en précisant les motifs pour lesquels une telle audience est nécessaire. Comme M. Spencer n’a pas présenté de demande d’audience à la suite de la lettre envoyée par le Tribunal le 21 novembre 2018, le Tribunal a procédé à l’appel par audience sur pièces. Dans des lettres datées du 22 janvier, du 22 mars, du 17 avril et du 1er mai 2019, le Tribunal a réitéré que l’appel se déroulerait par audience sur pièces, sans que les parties soient présentes.

[6].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[7].     L.R.C. (1985), ch. C-46.

[8].     DORS/98-462 [Règlement].

[9].     L’ASFC a déposé au dossier une page imprimée du site Web American Shooting Journal selon laquelle l’anneau des couteaux karambit peut être utilisé pour donner des coups de poing (pièce AP-2018-046-07A, vol. 1 à la p. 78). Également, l’ASFC a présenté une vidéo d’un adepte des arts martiaux donnant des coups de poing à son partenaire d’entraînement en se servant de l’anneau d’une version antérieure de la marchandise en cause (le couteau DMaX Karambit Neck Knife) (pièce AP-2018-046-07A, vol. 1 à la p. 76).

[10].   Pièce AP-2018-046-07A, vol. 1 à la p. 10.

[11].   Paragraphe 152(3) de la Loi; Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII) aux par. 7, 21.

[12].   J.F. Allard c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 octobre 2017), AP-2016-052 (TCCE) [J.F. Allard] aux par. 21, 29.

[13].   Dans l’affaire R. Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 janvier 2014), AP‑2012-072 (TCCE) au par. 50, le Tribunal a conclu que « [b]ien qu’il semble que les trois autres trous dans le couteau Claw ne soient pas conçus pour y enfiler les doigts, en raison de leur taille, il suffit d’un trou dans lequel on enfile un doigt pour satisfaire aux exigences de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement ».

[14].   Andrew Taylor c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (3 décembre 2008), AP-2007-025 (TCCE) [Taylor] au par. 35.

[15].   Taylor au par. 36.

[16].   Pièce AP-2018-046-07A, vol. 1 aux p. 4-5.

[17].   Ibid. à la p. 76.

[18].   Le Tribunal a abordé un argument similaire dans l’affaire J.F. Allard, au par. 29, dans laquelle il a affirmé que « selon l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement, la marchandise doit également être un instrument semblable à l’instrument communément appelé “coup-de-poing américain”, ce qui n’est pas le cas d’un ciseau ou d’un cadenas, par exemple ».

[19].   Ivan Hoza c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (6 janvier 2010), AP-2009-002 (TCCE) au par. 30, citant Romain L. Klaasen c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 octobre 2005), AP‑2004-007 (TCCE) à la p. 2.

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