Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2018-050

A. Savoie

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le mardi 6 août 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 4 juin 2019, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 4 octobre 2018, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

A. SAVOIE

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.









Rose Ann Ritcey                     
Rose Ann Ritcey
Membre présidant


Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 4 juin 2019

Membre du Tribunal :                                            Rose Ann Ritcey, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Laura Colella, conseillère juridique
Sarah Perlman, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

A. Savoie

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Luc Vaillancourt

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1.                  Le présent appel a été interjeté par M. A. Savoie auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], contre une décision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) rendue le 4 octobre 2018 aux termes du paragraphe 60(4).

2.                  Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si le couteau de boucher à anneau (la marchandise en cause) importé par M. Savoie est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’arme prohibée et, par conséquent, dont l’importation est interdite au Canada aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

3.                  Le Tribunal a récemment entendu deux affaires, soit le présent appel et l’affaire W. Spencer (AP‑2018‑046), concernant l’application du numéro tarifaire 9898.00.00 à des marchandises jugées semblables à un coup-de-poing américain. Comme ces deux appels traitent de questions très semblables, les motifs des deux décisions s’appuient sur le même cadre d’analyse.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

4.                  M. Savoie a essayé d’importer la marchandise en cause au Canada le 21 août 2018. Le 27 août 2018, l’ASFC a déterminé que la marchandise en cause constituait une arme prohibée aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi.

5.                  Le 10 septembre 2018, M. Savoie a présenté une demande de révision du classement tarifaire de la marchandise en cause conformément au paragraphe 60(1) de la Loi.

6.                  Le 4 octobre 2018, l’ASFC a confirmé son classement de la marchandise en cause sous le numéro tarifaire 9898.00.00 conformément au paragraphe 60(4) de la Loi.

7.                  Le 7 décembre 2018, M. Savoie a interjeté le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

8.                  Le 4 juin 2019, le Tribunal a instruit l’appel sur la foi des renseignements versés au dossier (audience sur pièces), conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[3]. Les marchandises en cause ont été mises à la disposition du Tribunal et ont été examinées par ce dernier lors de l’audience sur pièces.

DESCRIPTION DE LA MARCHANDISE EN CAUSE

9.                  La marchandise en cause est un couteau d’une longueur approximative de neuf pouces, avec une lame fixe d’environ quatre pouces. Il s’agit d’un couteau de boucher à anneau Andre de Villers (« Andre de Villers Ring Butcher Knife ») modèle no S35VN. Il est fabriqué d’un bloc d’acier unique recouvert par deux morceaux de fibre de verre stratifiée constituant le manche. Le manche comprend trois indentations pour les doigts et un anneau où passer un doigt, lequel comporte une saillie.

CADRE LÉGISLATIF

10.              Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

11.              Les passages pertinents du numéro tarifaire 9898.00.00 prévoient ce qui suit :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...].

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel; [...]

12.              Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[4] ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 de l’annexe du Tarif des douanes prévoit que « [l]es marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».

13.              La question de savoir si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 doit donc être tranchée conformément aux dispositions de ce numéro tarifaire et aux dispositions applicables du Code criminel.

14.              Selon le Tarif des douanes, une « arme prohibée » comprend tout article défini comme « arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel[5]. Le paragraphe 84(1) du Code criminel définit le terme « arme prohibée » de la façon suivante, dont seul l’alinéa b) est pertinent :

arme prohibée

[...]

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

15.              L’article 4 du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction[6] indique que les armes énumérées à la partie 3 de l’annexe de ce règlement sont considérées comme des « armes prohibées » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.

16.              L’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement, sur lequel l’ASFC s’est appuyé dans son classement de la marchandise en cause, prévoit ce qui suit :

L’instrument communément appelé « coup-de-poing américain » et autre instrument semblable consistant en une armature métallique trouée dans laquelle on enfile les doigts.

POSITION DES PARTIES

A. Savoie

17.              M. Savoie fait valoir que la marchandise en cause est simplement un couteau tout usage comportant un anneau. Il soutient que l’anneau a des fins utilitaires et n’est pas conçu pour servir de coup-de-poing américain. Selon M. Savoie, bien que le couteau possède un percuteur, celui-ci sert à y poser le pouce pour une meilleure prise. De plus, selon lui, « comme la lame est droite, [...] tenter d’utiliser l’anneau comme arme s’avère dangereux pour l’utilisateur peu importe sa prise, car cela fait en sorte de pointer la lame vers l’utilisateur »[7] [traduction].

18.              M. Savoie fait également valoir que n’importe quel objet, comme un stylo, une pierre, un livre, un journal ou une clé à molette, peut servir d’arme. Il ajoute que le modèle de la marchandise en cause a déjà été expédié au Canada sans problème par un vendeur américain.

ASFC

19.              L’ASFC fait valoir que le couteau est une arme prohibée, car elle correspond à la description et satisfait aux critères d’un instrument semblable à un coup-de-poing américain. L’ASFC soutient que le couteau peut servir à frapper une victime lorsqu’il est utilisé avec une « prise inversée », auquel cas l’anneau et la« saillie » donnent de la puissance au coup[8].

20.              Selon l’ASFC, la marchandise en cause satisfait clairement aux deux premiers critères d’un « coup-de-poing américain » énoncés dans le Règlement, puisqu’il consiste en une pièce d’acier unique comportant un trou pour les doigts. L’ASFC soutient que l’interprétation du troisième critère, c’est-à-dire que la marchandise soit conçue pour qu’on y enfile les doigts, n’est claire ni en anglais ni en français. Selon l’ASFC, « alors que la version anglaise exige que l’armature métallique soit conçue pour être placée sur les doigts (“designed to fit over the fingers of the hand”), la version française est plus précise, car elle exige que l’armature soit “conçue pour y enfiler les doigts” »[9] [traduction, en italiques dans l’original]. L’ASFC souligne que, alors qu’il suffit qu’il y ait un seul trou dans lequel enfiler un doigt selon la version anglaise, la version française semble exiger qu’il soit possible d’enfiler plus d’un doigt. L’ASFC fait valoir que la version anglaise devrait primer selon les principes d’interprétation bilingue, car elle a le sens le plus restreint. Par conséquent, l’ASFC soutient que la marchandise en cause satisfait au troisième critère, puisqu’elle peut être placée sur au moins deux doigts.

ANALYSE

21.              À titre d’appelant, M. Savoie porte le fardeau de démontrer que le classement fait par l’ASFC de la marchandise en cause était incorrect[10]. M. Savoie ne s’est pas déchargé de ce fardeau pour les motifs suivants.

22.              Afin de déterminer si la marchandise en cause est correctement classée en tant qu’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et, par conséquent, dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si la marchandise répond à la définition de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement. Plus précisément, le Tribunal doit déterminer si la marchandise en cause est un coup-de-poing américain ou un instrument semblable à ce dernier qui possède les caractéristiques suivantes :

1)   elle est constituée d’une armature métallique;

2)   elle est trouée;

3)   elle est conçue pour y enfiler les doigts.

23.              Pour plus de clarté, le Règlement ne prévoit pas que tout instrument répondant aux trois critères de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe est une arme prohibée. Ce ne sont que les instruments semblables à un coup-de-poing américain et qui présentent les trois caractéristiques énoncées qui sont prohibés[11].

24.              En l’espèce, la marchandise en cause répond aux trois critères physiques : i) elle est constituée d’une armature métallique; ii) elle est trouée; iii) l’armature métallique est conçue pour y enfiler, en l’occurrence, un doigt[12].

25.              Par ailleurs, la marchandise en cause est un « instrument semblable » à un coup-de-poing américain en ce qu’elle peut être utilisée pour donner un coup de poing avec l’anneau. Tel qu’énoncé dans l’affaire Taylor, les mots « tout autre instrument semblable » tendent à élargir la définition d’armes prohibées, et communiquent le principe selon lequel la marchandise en cause doit être de la même nature générale, du même genre ou du même caractère qu’un coup-de-poing américain pour être classé à titre d’arme prohibée[13]. Par conséquent, afin de déterminer si une marchandise est un « instrument semblable », le Tribunal « doit aussi tenir compte des similitudes sur le plan des applications ou des utilisations finales prévues »[14].

26.              La marchandise en cause possède non seulement des caractéristiques physiques d’un coup-de-poing américain, elle a aussi une même utilisation finale, celle de causer des dommages corporels. L’ASFC a présenté une vidéo d’un adepte des arts martiaux utilisant un couteau comportant un anneau à son extrémité. L’adepte des arts martiaux y démontre différentes manières d’utiliser le couteau, dont une consiste à donner un coup de poing en utilisant l’anneau[15]. L’ASFC a également présenté une photo du couteau pris en main avec l’index passé dans l’anneau, ce qui permettrait de l’utiliser pour donner un coup de poing à une personne et la blesser[16].

27.              L’argument de M. Savoie selon lequel n’importe quel objet peut servir d’arme lors d’une agression et constituerait donc une arme prohibée n’est pas viable. De tels objets, même s’ils peuvent être utilisés pour causer des dommages corporels, ne sont pas conçus à cette fin, contrairement à la marchandise en cause[17].

28.              Finalement, le Tribunal a maintes fois abordé l’argument de M. Savoie selon lequel des dispositifs semblables sont offerts en vente au Canada en affirmant qu’« il n’est pas pertinent que toute expédition antérieure [...] n’ait pas été interceptée par l’ASFC ou par ses prédécesseurs. Que l’ASFC prenne ou non une mesure administrative ne peut pas changer la loi. »[18]. Que d’autres exportateurs aient pu importer sans difficulté le modèle de la marchandise en cause au Canada n’a aucun poids dans l’analyse du Tribunal en vue de déterminer si la marchandise en cause est une arme prohibée aux termes du Code criminel.

CONCLUSION

29.              Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que la marchandise en cause remplit les conditions énoncées à l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement. Par conséquent, le Tribunal conclut que la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée.

DÉCISION

30.              L’appel est rejeté.




Rose Ann Ritcey                     
Rose Ann Ritcey
Membre présidant

 



[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     L.C. 1997, ch. 36.

[3].     DORS/91-499.

[4].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[5].     L.R.C. (1985), ch. C-46.

[6].     DORS/98-462 [Règlement].

[7].     Pièce AP-2018-050-03, vol. 1 à la p. 4.

[8].     L’ASFC a présenté une vidéo d’un adepte d’arts martiaux donnant des coups de poing à son partenaire d’entraînement en utilisant l’anneau d’un couteau karambit (qui ne correspond pas à la marchandise en cause, mais est un couteau muni d’un anneau) (pièce AP-2018-050-05A, vol. 1 à la p. 67).

[9].     Pièce AP-2018-050-05A, vol. 1 à la p. 10. L’ASFC a souligné que, bien que le Tribunal ait reconnu, dans l’affaire G. Bradford c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 septembre 2016), AP-2015-031 (TCCE), que des saillies correspondent à la conception commune que l’on a du coup-de-poing américain, cet élément ne fait pas partie de la description d’instruments semblables à un coup-de-poing américain.

[10].   Paragraphe 152(3) de la Loi; Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII) aux par. 7, 21.

[11].   J.F. Allard c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 octobre 2017), AP-2016-052 (TCCE) [J.F. Allard] aux par. 21, 29.

[12].   Dans l’affaire R. Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 janvier 2014), AP-2012-072 (TCCE) au par. 50, le Tribunal a conclu que « [b]ien qu’il semble que les trois autres trous dans le couteau Claw ne soient pas conçus pour y enfiler les doigts, en raison de leur taille, il suffit d’un trou dans lequel on enfile un doigt pour satisfaire aux exigences de l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement ».

[13].   Andrew Taylor c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (3 décembre 2008), AP-2007-025 (TCCE) [Taylor] au par. 35.

[14].   Taylor au par. 36.

[15].   Pièce AP-2018-050-05A, vol. 1 à la p. 67.

[16].   Ibid. à la p. 65.

[17].   Le Tribunal a abordé un argument similaire dans l’affaire J.F. Allard, au par. 29, dans laquelle il a affirmé que « selon l’article 15 de la partie 3 de l’annexe du Règlement, la marchandise doit également être un instrument semblable à l’instrument communément appelé “coup-de-poing américain”, ce qui n’est pas le cas d’un ciseau ou d’un cadenas, par exemple ».

[18].   Ivan Hoza c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (6 janvier 2010), AP-2009-002 (TCCE) au par. 30, citant Romain L. Klaasen c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 octobre 2005), AP‑2004-007 (TCCE) à la p. 2.

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