Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2017-055

Globe Union Canada

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le jeudi 22 août 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 9 avril 2019, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canda le 21 novembre 2017, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

GLOBE UNION CANADA

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli.









Jean Bédard                            
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant


Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 9 avril 2019

Membre du Tribunal :                                            Jean Bédard, c.r., membre présidant

Personnel de soutien :                                            Sarah Perlman, conseillère juridique
Courtney Fitzpatrick, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Globe Union Canada

Michael Kaylor
Marco Ouellet
Jeffrey Goernert

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Mathieu Tanguay

TÉMOINS :

Kate Berry
Ergothérapeute
Modern OT

Daniel Mercier
Vice-président et directeur général
Globe Union Canada

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

1.                  Le présent appel a été interjeté par Globe Union Canada (Globe Union) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 21 novembre 2017 aux termes du paragraphe 60(4).

2.                  La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si trois modèles de cuvettes de toilette et quatorze modèles de réservoirs de toilette[2] (les marchandises en cause) peuvent être classés dans le numéro tarifaire 9979.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[3] à titre de marchandises conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps, et articles et matières devant servir dans ces marchandises, comme le soutient Globe Union.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

3.                  Globe Union a importé les marchandises en cause entre 2010 et 2014 dans le cadre de 22 transactions distinctes en vertu des numéros tarifaires 6910.10.10, 6910.10.90 et 6910.90.00. Globe Union a déposé des demandes de révision en vertu de l’article 74 de la Loi, affirmant que les marchandises peuvent bénéficier d’une exonération conditionnelle des droits de douane aux termes du numéro tarifaire 9979.00.00. Entre le 20 août et le 15 septembre 2015, l’ASFC a rejeté les demandes de Globe Union.

4.                  Le 27 août ainsi que les 3 et 22 septembre 2015, Globe Union a demandé des réexamens aux termes de l’article 60 de la Loi. L’ASFC a rejeté les demandes le 21 novembre 2017.

5.                  Le 31 janvier 2018, Globe Union a déposé le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

6.                  Le 9 avril 2019, le Tribunal a tenu une audience publique à Ottawa, en Ontario. Globe Union a appelé deux témoins : Mme Kate Berry, ergothérapeute, et M. Daniel Mercier, vice-président et directeur général de Globe Union. L’ASFC n’a fait appel à aucun témoin.

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

7.                  Les marchandises en cause comprennent les modèles suivants de cuvettes et de réservoirs de toilette[4] :

Catégorie

Modèle

Catégorie

Modèle

Cuvette

GVP-21-562

Réservoir

GMX-28-995

Cuvette

GVP-21-572

Réservoir

G00-28-992

Cuvette

GX00-21-128

Réservoir

G00-28-492

Réservoir

28-590-09

Réservoir

GX00-28-495

Réservoir

28-592

Réservoir

EF-28-380

Réservoir

28-592-09

Réservoir

G00-28-380

Réservoir

28-592-25

Réservoir

GXLT-28-530

Réservoir

DF-28-380

Réservoir

28-595

Réservoir

DF-28-380-25

 

 

8.                  Les cuvettes de toilette ne comprennent pas de sièges. Les réservoirs de toilette comprennent le couvercle et le mécanisme de chasse d’eau[5].

CADRE LÉGISLATIF

9.                  La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[6]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

10.              Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[7] et les Règles canadiennes[8] énoncées dans l’annexe.

11.              Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

12.              L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[9] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[10] publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[11].

13.              Les parties conviennent, et le Tribunal partage cet avis, que les marchandises en cause sont classées dans les numéros tarifaires 6910.10.10, 6910.10.90 et 6910.90.00.

14.              Le chapitre 99, qui comprend le numéro tarifaire 9979.00.00, contient des dispositions de classement spécial qui permettent généralement l’importation au Canada de certaines marchandises en franchise de droits. Les dispositions de ce chapitre ne sont pas normalisées à l’échelle internationale. Puisqu’aucune des positions du chapitre 99 n’est subdivisée à l’échelle des sous-positions ou des numéros tarifaires, le Tribunal doit uniquement tenir compte, selon les circonstances, des règles 1 à 5 des Règles générales pour déterminer si les marchandises peuvent être classées dans ce chapitre. De plus, puisque le Système harmonisé réserve le chapitre 99 à des fins de classement spécial (c’est-à-dire à l’usage exclusif de pays pris individuellement), il n’y a pas d’avis de classement ni de notes explicatives à prendre en compte.

15.              La note 3 du chapitre 99 présente un intérêt dans le cadre de cet appel. Cette note prévoit ce qui suit :

Les marchandises peuvent être classées dans un numéro tarifaire du présent Chapitre et peuvent bénéficier des taux de droits de douane du tarif de la nation la plus favorisée ou du tarif de préférence prévus au présent Chapitre qui s’appliquent à ces marchandises selon le traitement tarifaire applicable selon le pays d’origine, mais ce classement est subordonné au classement préalable de celles-ci dans un numéro tarifaire des Chapitres 1 à 97 et à l’observation des conditions prévues par les textes d’application qui leurs sont applicables.

16.              Étant donné que les marchandises en cause sont classées dans les numéros tarifaires 6910.10.10, 6910.10.90 et 6910.90.00, la condition de la note 3 du chapitre 99 exigeant que les marchandises soient d’abord classées dans un numéro tarifaire des chapitres 1 à 97 est respectée.

17.              Pour être admissibles à une exonération de droits en vertu du numéro tarifaire 9979.00.00, les marchandises en cause doivent être conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps.

18.              Le Tribunal prend note du fait qu’une modification du numéro tarifaire 9979.00.00 est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Les marchandises en cause ont été importées entre 2010 et 2014, et les décisions de l’ASFC faisant l’objet de l’appel ont été rendues avant l’entrée en vigueur de la modification. Par conséquent, l’analyse du Tribunal et sa décision se fondent sur la description du numéro tarifaire avant le 1er janvier 2019[12].

POSITION DES PARTIES

Globe Union

19.              Globe Union fait valoir que les marchandises en cause assistent les personnes handicapées, car elles allègent « la douleur et l’inconfort en réduisant l’effort musculaire et le degré auquel il est nécessaire de plier les genoux pour s’asseoir, se lever et actionner la chasse d’eau »[13] [traduction]. Globe Union soutient qu’une cuvette de toilette d’une hauteur de 17 po, par opposition à une cuvette d’une hauteur de 14,5 po[14], réduit l’angle négatif du genou et permet de se lever plus facilement du siège. En outre, selon Globe Union, une cuvette de toilette surélevée facilite le passage des personnes en chaise roulante de la chaise à la toilette et vice versa[15].

20.              Selon Globe Union, au moment de leur importation, les marchandises en cause étaient conformes à la norme « Conception accessible pour l’environnement bâti » (code B651) de l’Association canadienne de normalisation (CSA)[16]. Celle-ci « énonce les exigences pour rendre les bâtiments et les autres installations accessibles aux personnes ayant une déficience physique, sensorielle ou cognitive »[17] [traduction]. Globe Union fait aussi valoir que les marchandises en cause sont conformes à l’Americans with Disabilities Act (ADA)[18], qui énonce certaines exigences se rapportant aux sièges de toilette et aux mécanismes de chasse d’eau accessibles. Selon Globe Union, les marchandises en cause sont également conformes aux normes de la Régie du bâtiment du Québec (la Régie) intitulées « Normes de conception sans obstacles » visant les sièges de toilette et les mécanismes de chasse d’eau destinés aux salles de bain accessibles. Enfin, Globe Union soutient que les marchandises en cause sont conformes à la norme 117-1 de l’International Code Council (ICC), qui énonce aussi des exigences en matière de hauteur de sièges de toilette[19].

ASFC

21.              L’ASFC fait valoir que deux critères sont applicables au classement dans le numéro tarifaire 9979.00.00 : 1) les marchandises doivent être conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées, 2) en allégeant les effets de leurs handicaps. De plus, l’ASFC rappelle que « les marchandises en cause doivent être destinées de par leur conception (conçues spécifiquement) à assister une catégorie précise de personnes (les personnes handicapées) d’une façon précise (en allégeant les effets de leurs handicaps) »[20].

22.              Selon l’ASFC, les marchandises en cause ne remplissent pas les deux critères. Dans un premier temps, l’ASFC fait valoir que chacune des marchandises, en soi, doit être conçue spécifiquement pour assister les personnes handicapées. L’ASFC soutient que la preuve en l’espèce ne donne aucune indication d’une intention dirigée derrière la conception des marchandises. Selon l’ASFC, Globe Union tente de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe en s’appuyant uniquement sur la conformité alléguée des marchandises aux normes susmentionnées. L’ASFC soutient que le simple fait que des marchandises sont conformes à certaines normes de conception accessible, bien que le respect de telles normes soit une indication selon laquelle les marchandises sont conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées, n’est pas suffisant pour les exonérer de droits. En outre, selon l’ASFC, Globe Union n’a présenté aucun élément de preuve montrant que les marchandises en cause sont conformes aux normes d’accessibilité de la CSA, de l’ADA, de la Régie et de l’ICC; elle ne s’est donc pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombe[21].

23.              À plus forte raison, selon l’ASFC, la preuve montre plutôt que les marchandises en cause ne sont pas entièrement conformes aux normes d’accessibilité. L’ASFC fait valoir que ces normes s’appliquent aux toilettes dans leur entièreté, et que selon la documentation sur les marchandises en cause, seules certaines des toilettes complètes de Globe Union portent le symbole de l’ADA. Or, l’ASFC souligne que les marchandises en cause ne sont pas des toilettes complètes et qu’aucune d’entre elles ne porte par elle-même le symbole de l’ADA[22].

24.              L’ASFC soutient que Globe Union se contente de choisir certaines des caractéristiques prescrites par les normes d’accessibilité, par exemple la hauteur du siège et l’emplacement et la catégorie du mécanisme de chasse d’eau, et de les appliquer aux marchandises en cause. Selon l’ASFC, il en résulte que les cuvettes et les réservoirs ne répondent pas aux objectifs de ces normes. Ainsi, l’ASFC fait valoir qu’il n’est pas pertinent d’évaluer les marchandises en cause par rapport aux normes de conception accessible susmentionnées sur la base de la hauteur ou du mécanisme de chasse d’eau en tant qu’éléments indépendants[23].

25.              De plus, l’ASFC soutient que les exigences de hauteur des normes d’accessibilité visent à la fois la cuvette et le siège, alors qu’aucun siège n’est visé dans le présent appel. L’ASFC souligne aussi que la preuve n’indique pas si les réservoirs sont conformes aux normes visant le mécanisme de chasse d’eau et les pièces mobiles. L’ASFC soutient également que le couvercle des réservoirs en cause n’est pas solidement fixé, contrairement à ce qu’exige la norme d’accessibilité de la CSA[24].

26.              Dans un deuxième temps, l’ASFC soutient que même s’il n’est pas nécessaire qu’elle produise « des éléments de preuve scientifiques et vérifiables » [traduction], Globe Union doit faire la preuve que « les marchandises ont été conçues spécifiquement pour alléger les effets des handicaps visés » [traduction][25]. Selon l’ASFC, rien n’indique qu’il existe un lien logique entre la conception des marchandises en cause et la prétention de Globe Union selon laquelle elles allègent l’effet des handicaps visés, ni que cet objectif est concrètement atteint[26].

ANALYSE

27.              Comme mentionné précédemment, les parties conviennent, et le Tribunal partage cet avis, que les marchandises en cause sont classées dans les numéros tarifaires 6910.10.10, 6910.10.90 et 6910.90.00. En conséquence, la seule question que doit trancher le Tribunal est celle de déterminer si les marchandises en cause sont admissibles à une exonération de droits de douane en vertu du numéro tarifaire 9979.00.00 à titre de marchandises conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps.

28.              Tel qu’indiqué dans Sigvaris, le Tribunal doit donc déterminer ce qui suit : 1) si les marchandises en cause sont conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées; 2) si les marchandises en cause sont conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps[27].

29.              En ce qui concerne la question de savoir si les marchandises sont conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps, le Tribunal a établi ce qui suit dans BSH :

La question [...] est essentiellement une question de fait qui repose sur une évaluation des caractéristiques précises de conception de ces marchandises en l’état où elles ont été importées, y compris une évaluation par rapport aux normes d’accessibilité généralement reconnues qui s’appliquent au handicap que les marchandises sont censées accommoder[28].

30.              De plus, dans Wolseley, le Tribunal a affirmé que le respect des normes américaines sur l’accessibilité, soit l’ADA, indiquait que la marchandise en cause était conçue spécifiquement pour accommoder les personnes handicapées[29]. Le même principe s’applique en l’espèce.

31.              En ce qui a trait à la question quant à savoir si les marchandises en cause ont été conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées, dans Masai, le Tribunal a souligné que « des documents indiquant une intention dirigée pendant la phase de conception d’un produit constitueraient normalement la meilleure façon de démontrer une telle intention »[30]. Toutefois, le Tribunal a également souligné que la preuve d’une intention dirigée peut provenir de diverses sources, et il suffit qu’elle soit probante et convaincante[31].

32.              En l’espèce, Globe Union a présenté des fiches d’information sur les produits montrant que des toilettes composées des réservoirs en cause et d’autres cuvettes sont marquées du symbole d’accessibilité et sont donc conformes à l’ADA[32]. De plus, les dossiers de Globe Union sur sa certification par la CSA indiquent que les cuvettes et les réservoirs en cause, sauf la cuvette modèle GVP-21-562, sont désignés comme des « modèles ADA » [traduction] lorsqu’ils sont combinés avec d’autres cuvettes ou d’autres réservoirs[33].

33.              Pour ce qui est de la cuvette modèle GVP-21-562, la fiche d’information sur le produit fournie par Globe Union montre qu’elle a une hauteur de 15,25 po, ce qui est en soi insuffisant pour répondre aux normes d’accessibilité de l’ADA, de la CSA, de l’ICC et de la Régie[34]. Toutefois, le Tribunal est conscient du fait que l’exigence relativement à la hauteur s’applique à celle du siège de toilette. Globe Union et M. Mercier soutiennent que les cuvettes en cause sont expressément destinées, de par leur conception, à recevoir un siège, comme en atteste la présence de deux trous sur le dessus des cuvettes[35]. Selon M. Mercier, les cuvettes ne peuvent pas être utilisées sans siège, et un siège de toilette ordinaire a une épaisseur moyenne d’un pouce[36]. En conséquence, le Tribunal est convaincu que la cuvette modèle GVP‑21-562 est expressément conçue pour qu’on y installe un siège, et donc pour se conformer aux normes d’accessibilité de la CSA et de la Régie.

34.              Les normes d’accessibilité de l’ADA, de l’ICC et de la Régie semblent exiger que la toilette en entier doive répondre aux exigences afin d’être certifiée accessible. Toutefois, pour que la toilette soit entièrement conforme, le réservoir et la cuvette doivent l’un et l’autre respecter des exigences propres. Comme l’a indiqué M. Mercier, les réservoirs et les cuvettes en cause sont conçus pour accommoder différents types de handicaps : « Il n’est pas exact de dire que la combinaison des deux est nécessaire pour assister une personne handicapée »[37] [traduction]. Le Tribunal est d’avis que le fait que les cuvettes et les réservoirs puissent être des composantes dans des toilettes conformes prouve que ces cuvettes et ces réservoirs sont, en eux-mêmes, conformes aux exigences pertinentes[38].

35.              Mme Berry, ergothérapeute et gestionnaire de cas de réadaptation, a comparu comme témoin ordinaire pour traiter de questions dont elle a une connaissance de première main dans le cadre de son travail. Selon elle, l’objectif de l’ergothérapie est de permettre au patient d’être fonctionnel et autonome, de participer à un nombre accru d’activités gratifiantes et d’avoir une meilleure qualité de vie[39]. Le Tribunal estime que le témoignage non contredit de Mme Berry est crédible.

36.              Dans son témoignage, Mme Berry indique qu’elle recommanderait une toilette accessible lorsqu’une personne a de la difficulté à utiliser un réservoir de toilette ordinaire en raison de limitations fonctionnelles de la main, ou lorsqu’elle a besoin d’un siège surélevé en raison de problèmes d’équilibre, de force, de contrôle musculaire ou d’amplitude du mouvement.

37.              En ce qui concerne les exigences des normes d’accessibilité de l’ADA, de l’ICC et de la CSA selon lesquelles le mécanisme de chasse d’eau doit pouvoir être actionné avec une seule main sans qu’il soit nécessaire de serrer, de pincer ou de tordre le poignet, Mme Berry explique qu’elles sont conçues pour accommoder différentes blessures à la main et des cas de douleur chronique, qui peuvent être considérés comme des handicaps lorsque la capacité de la personne à prendre part à des activités gratifiantes est touchée. De même, selon elle, l’exigence visant à minimiser la force nécessaire pour actionner le mécanisme de chasse d’eau « serait comme une stratégie de compensation » [traduction] permettant d’accommoder ces handicaps.

38.              Quant à l’exigence des normes d’accessibilité selon laquelle le siège de toilette doit avoir une hauteur située entre 15,75 po et 18 po environ ou entre 17 et 19 po, selon Mme Berry, cette hauteur est utile pour les personnes dont la mobilité est limitée, ce qui peut être considéré comme un handicap si la capacité de la personne à participer à des activités de la vie quotidienne est touchée, puisque ces sièges surélevés réduisent l’écart à combler pour passer de la position debout à la position assise et vice versa[40].

39.              Mme Berry a également confirmé que la hauteur et la commande de la chasse d’eau permettent d’accommoder différents handicaps, comme décrit dans son témoignage[41].

40.              De plus, Mme Berry a indiqué que dans certaines situations, une personne peut avoir besoin à la fois d’un réservoir et d’une cuvette accessibles, alors que dans d’autres situations l’un ou l’autre peut suffire[42]. M. Mercier a confirmé ces affirmations[43].

41.              Selon l’ASFC, pour satisfaire à l’exigence d’un couvercle solidement fixé de la norme d’accessibilité de la CSA, un « verrou de couvercle » [traduction] est nécessaire. Or, les marchandises en cause n’en ont pas. Le Tribunal n’est pas persuadé par l’argument de l’ASFC et constate que la norme d’accessibilité de la CSA n’exige pas que le couvercle soit verrouillé en position; il doit simplement être fixé solidement. Selon M. Mercier, un « verrou de couvercle » [traduction] est un mécanisme utilisé pour prévenir le vandalisme et n’est aucunement lié aux normes d’accessibilité. M. Mercier indique aussi que les couvercles des marchandises en cause ne peuvent pas être facilement délogés du réservoir[44]. Le Tribunal estime que le témoignage non contredit de M. Mercier est crédible, l’accueille sur cette question et considère que les couvercles sont solidement fixés aux réservoirs de toilette en cause, comme l’exige la norme d’accessibilité de la CSA.

42.              De l’avis du Tribunal, la preuve au dossier concernant la conformité des marchandises en cause aux normes d’accessibilité est suffisante pour montrer que les marchandises en cause sont conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps. L’exonération de droits de douane en vertu du numéro tarifaire 9979.00.00 n’a pas pour objectif de récompenser le premier inventeur, mais bien de faire en sorte que les marchandises conçues pour assister les personnes handicapées puissent être importées au Canada en franchise de droits. Il n’est pas nécessaire de réinventer la roue dans chaque cas.

43.              Dans d’autres affaires, des experts médicaux ont été appelés à témoigner pour déterminer les handicaps accommodés par différentes marchandises. Cela n’est toutefois pas nécessaire pour toutes les affaires concernant le numéro tarifaire 9979.00.00. Chaque cas est différent, et les éléments de preuve requis pour convaincre le Tribunal que les conditions du numéro tarifaire 9979.00.00 sont satisfaites varient selon les caractéristiques de chacun. Les appelants devraient défendre du mieux possible leur cause et présenter les meilleurs éléments de preuve possible. Dans certains cas, le témoignage d’un expert est la meilleure méthode pour l’appelant de s’acquitter du fardeau qui lui incombe.

44.              En l’espèce, toutefois, nous sommes en présence de marchandises conformes à des normes établies, comme celle de l’ADA. De plus, les témoins ont présenté des éléments de preuve crédibles, identifiant les handicaps dont les effets sont atténués par des marchandises rencontrant ces normes et la manière dont ces effets sont atténués.

45.              Dans Masai, le Tribunal a souligné que la preuve d’une intention dirigée peut provenir de diverses sources, et il suffit qu’elle soit probante et convaincante[45]. De même, les éléments de preuve sur les handicaps que permettent d’accommoder les marchandises en cause peuvent venir de diverses sources. Comme pour la preuve de l’intention dirigée, toutefois, ces sources doivent être probantes et convaincantes. Dans Wolseley, le Tribunal a conclu que le fait que des caractéristiques spécifiques ont été intégrées à la conception universelle du lavabo en cause afin de satisfaire à diverses normes telles que l’ADA dénote « une intention claire et dirigée des concepteurs de la marchandise en cause d’assister [...] les personnes handicapées [...] »[46]. Un raisonnement semblable s’applique en l’espèce.

46.              Chacune des normes d’accessibilité susmentionnées vise à faciliter l’accès des personnes handicapées aux installations[47]. Selon le témoignage de M. Mercier, les cuvettes et les réservoirs de toilette fabriqués de façon à respecter ces normes sont spécifiquement conçus pour assister les personnes handicapées[48]. En conséquence, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont conformes aux normes d’accessibilité.

47.              Par conséquent, et compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que les marchandises qui sont conformes à différentes normes semblables à celle de l’ADA sont conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps.

Conclusion

48.              Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps et sont donc admissibles aux avantages du numéro tarifaire 9979.00.00.

DÉCISION

49.              L’appel est accueilli.




Jean Bédard                            
Jean Bédard, c.r.
Membre présidant



[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     Les marchandises en cause comprenaient initialement une autre cuvette de toilette de même qu’une colonne de lavabo. Toutefois, ces marchandises ont été retirées de l’appel par Globe Union à l’audience (voir Transcription de l’audience publique à la p. 4). Par ailleurs, Globe Union a fait valoir que d’autres cuvettes de toilette étaient censées être concernées par l’appel (voir Transcription de l’audience publique à la p. 6). Après que les parties aient déposé d’autres observations, Globe Union a confirmé que ces cuvettes de toilette n’étaient en fait pas visées par l’appel (pièce AP-2017-055-44, vol. 1D; pièce AP-2017-055-46 (protégée), vol. 2; pièce AP-2017-055-48, vol. 1D).

[3].     L.C. 1997, ch. 36.

[4].     Globe Union soutient que « les préfixes alphabétiques n’ont aucune incidence sur l’identificateur numérique des cuvettes de toilette spécifiques en ce qui concerne la conformité aux normes de l’ADA ou de la CSA » [traduction]. Pièce AP-2017-055-48, vol. 1D à la p. 2 de 4.

[5].     Transcription de l’audience publique aux p. 70, 135.

[6].    Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[7].     L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[8].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[9].     OMD, 4e éd., Bruxelles, 2017.

[10].   OMD, 6e éd., Bruxelles, 2017.

[11].   Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, et Canada (Producreur général) c. Best Buy Canada Inc., 2019 CAF 20 au par. 4.

[12].   Depuis le 1er janvier 2019, la description modifiée du numéro tarifaire 9979.00.00 prévoit ce qui suit : « marchandises conçues spécifiquement pour alléger les effets spécifiquement d’une invalidité, et articles et matières devant servir dans ces marchandises ».

[13].   Pièce AP-2017-055-04A, vol. 1 à la p. 2; pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D à la p. 892.

[14].   Selon le témoignage de M. Mercier, le modèle de cuvette le plus courant est d’une hauteur de 14,5 po. Voir Transcription de l’audience publique à la p. 130.

[15].   Pièce AP-2017-055-04A, vol. 1 à la p. 2; pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D à la p. 892.

[16].   L’ASFC renvoie au code B651-04, tandis que Globe Union renvoie au code B651-012. Ces deux normes concernent « la conception accessible pour l’environnement bâti », mais ont été publiées à des dates différentes.

[17].   Pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D aux p. 818, 892, 904; pièce AP-2017-055-11B, vol. 1C à la p. 594; voir aussi pièce AP-2017-055-11A, vol. 1B à la p. 301.

[18].   Americans with Disabilities Act, 42 USC § 604.4, 604.6 (1990).

[19].   Pièce AP-2017-055-04A, vol. 1 aux p. 4-6; Transcription de l’audience publique à la p. 28.

[20].   Pièce AP-2017-055-06A, vol. 1 aux p. 1, 8, citant BSH Home Appliance Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 octobre 2014), AP-2013-057 (TCCE) [BSH] au par. 51.

[21].   Pièce AP-2017-055-06A, vol. 1 aux p. 8-9, 13-14.

[22].   Ibid. aux p. 9, 11-12.

[23].   Ibid. à la p. 9.

[24].   Ibid. aux p. 10-11.

[25].   Ibid. à la p. 15.

[26].   Ibid.

[27].   Sigvaris Corporation c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 février 2009), AP‑2007‑009 (TCCE) [Sigvaris] au par. 26. Voir aussi Wolseley Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (11 décembre 2013), AP-2012-066 (TCCE) [Wolseley] au par. 41; BSH au par. 51.

[28].   BSH au par. 56.

[29].   Wolseley à la note 44. Le Tribunal est du même avis en ce qui concerne les normes d’accessibilité de l’ICC, de la CSA et de la Régie. Pièce AP-2017-055-06A, vol. 1 aux p. 192, 197; pièce AP-2017-055-11, vol. 1A à la p. 5; pièce AP-2017-055-11B, vol. 1C à la p. 594; pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D à la p. 827.

[30].   Masai Canada Limited c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (5 août 2011), AP-2010-025 (TCCE) [Masai] au par. 21.

[31].   Ibid.

[32].   Pièce AP-2017-055-06A, vol. 1 aux p. 33, 37, 41, 45, 49, 53, 57, 61, 65, 69, 73; pièce AP-2017-055-11D (protégée), vol. 2 at 7-10, 14-16, 20-23, 28-30, 34-36, 40-42, 46-49, 53-55, 59-66, 73, 77, 81-83, 87-89, 90-92, 96-101, 111-113, 119-121, 130-135, 140-144, 148-153, 160-162, 168-170, 174-175; pièce AP-2017-055-11E, vol. 1D  aux p. 5-6, 9-10, 13-14, 16 de 30. Transcription de l’audience publique aux p. 45, 65-66, 123. Par ailleurs, selon M. Mercier, toutes les marchandises en cause sont aussi conformes aux normes d’accessibilité de l’ICC et de la CSA (Transcription de l’audience publique aux p. 28, 45, 47-52, 55-57, 123).

[33].   Pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D aux p. 856-858, 860, 863, 865-867.

[34].   Pièce AP-2017-055-11E, vol. 1D à la p. 16 de 30. Les normes d’accessibilité de l’ADA et de l’ICC, de même que la norme de la CSA de 2012, exigent que le siège de toilette ait une hauteur située entre 17 et 19 pouces (entre 430 et 485 mm), tandis que la norme de la Régie et celle de la CSA de 2004 prescrivent un siège de toilette d’une hauteur située entre 400 et 460 mm (entre 15,75 et 18 po environ). Le Tribunal prend note que la norme d’accessibilité de la CSA de 2012 prévoit que « [l]es sièges à une hauteur entre 400 mm et 460 mm constituent un compromis acceptable. Des sièges épais et des sièges surélévateurs permettent d’adapter des toilettes ordinaires à ces exigences ». Voir pièce AP-2017-055-06A, vol. 1 à la p. 198; pièce AP-2017-055-11, vol. 1A à la p. 167; pièce AP-2017-055-11A, vol. 1B à la p. 404; pièce AP-2017-055-11B, vol. 1C à la p. 682; pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D à la p. 838.

[35].   Transcription de l’audience publique aux p. 40-41, 141-142; BSH au par. 68.

[36].   Transcription de l’audience publique aux p. 40-41, 84.

[37].   Ibid. aux p. 94, 136.

[38].   Pièce AP-2017-055-06A, vol. 1 à la p. 198; pièce AP-2017-055-11, vol. 1A à la p. 165; pièce AP-2017-055-11A, vol. 1B à la p. 301; pièce AP-2017-055-11B, vol. 1C aux p. 594, 682-683; pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D à la p. 837. La norme d’accessibilité de la CSA, quant à elle, semble autoriser le recours à des exigences particulières.

[39].   Transcription de l’audience publique à la p. 9.

[40].   Ibid. aux p. 11-15, 23-24; pièce AP-2017-055-06A, vol. 1 à la p. 198; pièce AP-2017-055-11, vol. 1A aux p. 120, 167-168; pièce AP-2017-055-11A, vol. 1B aux p. 316, 404-405; pièce AP-2017-055-11B, vol. 1C à la p. 682; pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D aux p. 835, 838-839.

[41].   Transcription de l’audience publique à la p. 24.

[42].   Ibid.

[43].   Ibid. aux p. 136 et 137

[44].   Ibid. aux p. 71, 135.

[45].   Masai au par. 21.

[46].   Wolseley au par. 51.

[47].   Pièce AP-2017-055-06A, vol. 1 aux p. 192, 197; pièce AP-2017-055-11, vol. 1A à la p. 5; pièce AP-2017-055-11B, vol. 1C à la p. 594; pièce AP-2017-055-11C, vol. 1D à la p. 827.

[48].   Transcription de l’audience publique aux p. 42, 63-64, 112-113, 124-125.

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