Appels en matière de douanes et d’accise

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Appels nos AP-2018-017 et AP‑2018-018

The Candy Spot et GPAE Trading Corp.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le lundi 26 août 2019

 



EU ÉGARD À des appels entendus le 30 avril 2019 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À deux décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 19 avril 2018 concernant des demandes de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

THE CANDY SPOT ET GPAE TRADING CORP.

Appelantes

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

Les appels sont admis.
















Cheryl Beckett                        
Cheryl Beckett
Membre présidant


Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 30 avril 2019

Membre du Tribunal :                                            Cheryl Beckett, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Laura Little, conseillère juridique
Heidi Lee, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelantes

Conseillers/représentants

The Candy Spot et GPAE Trading Corp.

Michael Sherbo
Andrew Simkins

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Adrian Johnston

TÉMOINS :

Scott Pyper

Président

S.S. Beverage Inc.

Bob Flockhart

Directeur associé

Liquid Brand Builders

Kelly Erickson

Agente principale, Observation des échanges commerciaux

Agence des services frontaliers du Canada

 

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

1.                  Les présents appels sont interjetés par The Candy Spot et GPAE Trading Corp. (ci-après les appelantes), conformément au paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’égard de révisions de l’origine faites par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en vertu du paragraphe 60(4) concernant diverses boissons non alcoolisées (les marchandises en cause).

2.                  Les parties conviennent que les marchandises doivent être classées dans le numéro tarifaire 2202.10.00 à titre d’« eaux, y compris les eaux minérales et les eaux gazéifiées, additionnées de sucre ou d’autres édulcorants ou aromatisées »[2]. La principale question à trancher est celle de savoir si les marchandises en cause sont des marchandises originaires aux termes de l’Accord de libre-échange nord-américain[3] et, par conséquent, admissibles au traitement tarifaire préférentiel au taux du tarif des États-Unis (TEU).

3.                  Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont admissibles au traitement tarifaire préférentiel au taux du TEU.

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

4.                  Les marchandises en cause sont diverses boissons non alcoolisées, notamment les suivantes :

         Coca-Cola à saveur de cerise (article no CHRC12);

         Coca-Cola à saveur de vanille (article no VC12);

         Crush à saveur d’ananas (article no CP2020);

         Gatorade Glacier à saveur de cerise (article no GGC1532).

5.                  Les ingrédients des marchandises peuvent être divisés en deux catégories, à savoir de l’eau gazéifiée ou non gazéifiée (l’eau) et les ingrédients autres que l’eau (par exemple sirop, colorant, etc.).

6.                  Le Tribunal souligne que le Coca-Cola à saveur de cerise et le Coca-Cola à saveur de vanille sont des produits de la Coca-Cola Company (Coca-Cola) et que le Crush à saveur d’ananas et le Gatorade Glacier à saveur de cerise sont des produits de PepsiCo Inc. (Pepsi).

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

7.                  Dans le cadre de différentes transactions en 2014, les appelantes ont importé les marchandises en cause de S.S. Beverage Inc. (S.S.), un fournisseur du New Jersey (États-Unis), pour lesquelles elles ont demandé le traitement tarifaire préférentiel en vertu de l’ALÉNA.

8.                  Le 30 mars 2016, l’ASFC a entamé une inspection de documents conformément au paragraphe 42(2) de la Loi et a demandé, notamment, les certificats d’origine en vertu de l’ALÉNA. Les appelantes ont présenté des certificats d’origine datés du 1er janvier 2014, affirmant que les marchandises en cause avaient été produites entièrement dans le territoire d’un pays de l’ALÉNA, en l’occurrence les États-Unis. Les certificats étaient signés par « Scott Pipper », président de S.S.[4]

9.                  Le 30 juin 2016, conformément à l’article 42.1 de la Loi, l’ASFC a entamé une vérification de l’origine des marchandises en cause exportées par S.S. au Canada en 2014 et a demandé à S.S. de remplir un questionnaire de vérification d’origine de l’ALÉNA et de fournir des renseignements supplémentaires. L’ASFC a subséquemment informé S.S. qu’elle accepterait une déclaration faite par ses fournisseurs ou un certificat d’origine signé par ses fournisseurs ou par les producteurs des marchandises, en remplacement du questionnaire et des autres renseignements demandés[5]. S.S. n’a pas été en mesure d’obtenir les documents demandés, et elle n’a rien présenté en réponse à la vérification. Par conséquent, l’ASFC a déterminé que les marchandises n’étaient pas admissibles au traitement préférentiel au taux du TEU et a émis un avis de refus, daté du 8 septembre 2016, au motif que les documents à l’appui n’avaient pas été fournis.

10.              Le 5 décembre 2016, les appelantes ont présenté des corrections aux déclarations d’importation, comme il était demandé dans l’avis de refus. Le 19 décembre 2016, l’ASFC a accepté les corrections et les a traitées en tant que révision de l’origine en vertu de l’alinéa 59(1)a) de la Loi.

11.              Le 6 mars 2017, les appelantes ont demandé des réexamens conformément au paragraphe 60(1) de la Loi.

12.              Le 19 avril 2018, conformément au paragraphe 60(4) de la Loi, l’ASFC a maintenu sa décision et a rejeté la demande des appelantes.

13.              Le 9 juillet 2018, les appelantes ont chacune interjeté un appel. Les parties ont par la suite convenu de demander la jonction des deux appels pour qu’ils soient entendus ensemble.

14.              Le 24 juillet 2018, le Tribunal a accédé à la demande, joignant les deux appels.

15.              Le Tribunal a entendu l’affaire lors d’une audience tenue le 30 avril 2019 à Ottawa (Ontario). Les appelantes ont fait comparaître M. Scott Pyper, président de S.S., et ont proposé M. Bob Flockhart en tant que témoin expert. L’ASFC a fait comparaître Mme Kelly Erickson, agente principale, Observation des échanges commerciaux, ASFC, qui a pris part à la vérification concernant S.S.[6] 

QUESTION PRÉLIMINAIRE – RECONNAISSANCE DU TÉMOIN EXPERT

16.              Avant l’audience, les appelantes ont déposé un rapport d’expert en demandant que M. Flockhart soit reconnu comme témoin expert en ce qui concerne l’industrie des boissons, y compris les boissons non alcoolisées gazéifiées et non gazéifiées, leur production et les procédés d’embouteillage. L’ASFC s’y est opposée au motif que le rapport d’expert ne contenait pas suffisamment de détails pour que soient respectées les exigences énoncées à la règle 22(1) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[7].

17.              Après analyse des demandes des parties, le Tribunal a demandé aux appelantes de déposer un rapport révisé contenant des renseignements supplémentaires sur le témoignage proposé de M. Flockhart, y compris tout élément de preuve qu’il entendait présenter concernant la fabrication et les procédés d’embouteillage des marchandises en cause, ce que les appelantes ont fait le 10 avril 2019. En réponse, l’ASFC a affirmé qu’elle remettrait en question à l’audience le domaine d’expertise proposé ainsi que les qualités d’expert de M. Flockhart dans ce domaine. 

18.              À l’audience, le Tribunal a fait un examen préliminaire des qualités d’expert de M. Flockhart. Ayant entendu les observations des appelantes et le témoignage de M. Flockhart, le Tribunal a souligné que M. Flockhart compte plus de 29 ans d’expérience dans les domaines du développement de produits, des règles de production sous licence ainsi que des ventes et de la commercialisation dans l’industrie des boissons. M. Flockhart a de l’expérience au Canada et aux États-Unis, ainsi qu’en import-export de produits sur le marché international. Le Tribunal a également souligné que M. Flockhart a travaillé chez Pepsi et chez Coca-Cola, y compris dans les usines de production de Coca-Cola, mais qu’il n’a pas d’expérience directe du Coca-Cola à saveur de vanille, du Coca-Cola à saveur de cerise, du Gatorade Glacier à saveur de cerise, ni du Crush à saveur d’ananas.

19.              À la suite du contre-interrogatoire de M. Flockhart, l’ASFC s’est dite convaincue de la qualité d’expert de M. Flockhart dans le domaine proposé. Après examen minutieux du curriculum vitæ de M. Flockhart, de son témoignage, de sa reconnaissance et de son engagement ainsi que des faits de l’espèce, le Tribunal a reconnu M. Flockhart comme expert de l’industrie des boissons, y compris des boissons non alcoolisées gazéifiées et non gazéifiées, de leur production et des procédés d’embouteillage.

CADRE LÉGISLATIF

20.              Les règles d’origine de l’ALÉNA, qui ont été incorporées au droit canadien, prévoient des critères en vue de déterminer si des marchandises peuvent bénéficier du traitement tarifaire préférentiel. Ces règles d’origine tiennent compte du lieu de production des marchandises et des matières qui ont servi à leur production. Leur objectif est de faire en sorte que seules les marchandises originaires de l’Amérique du Nord et échangées entre les trois pays partenaires de l’ALÉNA bénéficient du traitement tarifaire préférentiel. Les produits originaires d’autres pays qui ne font que transiter par l’Amérique du Nord ou qui n’y subissent que des transformations secondaires mineures ne sont pas admissibles aux avantages de l’ALÉNA.

21.              Le chapitre quatre de l’ALÉNA décrit les critères que doivent remplir les marchandises originaires, tandis que le chapitre cinq définit les exigences en matière de certificats d’origine et de procédures d’administration et d’application. Les dispositions des chapitres quatre et cinq font partie du droit canadien aux termes de la Loi, du Tarif des douanes et de divers règlements, tels le Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA)[8], le Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées[9], le Règlement sur la préférence tarifaire (ALÉNA)[10] et le Règlement sur la certification de l’origine des marchandises exportées vers un partenaire de libre‑échange[11].

22.              Pour que les marchandises en cause puissent bénéficier du traitement tarifaire préférentiel aux termes de l’ALÉNA, elles doivent, conformément au paragraphe 24(1) du Tarif des douanes, remplir les deux conditions suivantes :

a)   leur origine doit être établie en conformité avec la Loi;

b)   elles doivent bénéficier du traitement tarifaire accordé en conformité avec les règlements ou avec les décrets applicables[12].

23.              Les exigences réglementaires relatives à chacune des conditions sont analysées ci-dessous dans le cadre de l’analyse du Tribunal.

ANALYSE DU TRIBUNAL

24.              Le Tribunal est saisi de la question de savoir si les marchandises en cause remplissent les deux conditions énoncées au paragraphe 24(1) de la Loi sur les douanes et, ainsi, si elles sont admissibles à un traitement préférentiel en vertu de l’ALÉNA.

25.              Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que les marchandises remplissent les deux conditions à respecter pour bénéficier du traitement préférentiel au taux du TEU en vertu de l’ALÉNA.

Preuve d’origine valide

26.              La première condition énoncée au paragraphe 24(1) du Tarif des douanes est que l’origine des marchandises doit être établie en conformité avec la Loi. Le paragraphe 35.1(1) de la Loi prévoit que, sous réserve des règlements d’application, l’origine de toutes les marchandises importées est justifiée en la forme et avec les renseignements déterminés de même qu’avec les renseignements, déclarations et justificatifs prévus par les règlements d’application.

27.              Le paragraphe 6(1) du Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées prévoit qu’un certificat d’origine des marchandises importées doit être fourni pour qu’elles puissent bénéficier d’un traitement préférentiel aux termes de l’ALÉNA.

28.              Le paragraphe 97.1(1) de la Loi prévoit que, lorsque l’exportateur n’est pas le producteur des marchandises pour lesquelles il demande un traitement tarifaire préférentiel, le certificat doit être rempli et signé par l’exportateur selon les critères prescrits. Ces critères, qui comprennent la connaissance de la conformité des marchandises importées aux règles d’origine, prévus à l’article 2 du Règlement sur la certification de l’origine des marchandises exportées vers un partenaire de libre‑échange sont les suivants :

Pour l’application du paragraphe 97.1(1) de la Loi, dans le cas où une personne autre que le producteur exporte vers un partenaire de libre-échange des marchandises pour lesquelles sera demandé le traitement tarifaire préférentiel découlant d’un accord de libre-échange conformément aux lois du lieu d’exportation, elle remplit et signe le certificat, selon le cas :

a) en se fondant sur sa connaissance de la conformité des marchandises aux règles d’origine applicables;

[...]

29.              La seule obligation en matière de justification de l’origine est qu’elle doit prendre la forme d’un « certificat d’origine ». La réglementation applicable ne prescrit en rien la forme du certificat. Par conséquent, les exigences de l’article 24 du Tarif des douanes en matière de certificat d’origine sont passablement souples.

30.              Au cours du processus de vérification de l’ASFC, en avril et mai 2016, les appelantes ont présenté des certificats d’origine datés du 1er janvier 2014, signés par M. Pyper en sa qualité de président de l’exportateur[13]. Les certificats attestent, à la connaissance de l’exportateur, que les marchandises sont originaires d’un pays ALÉNA conformément au critère de préférence B, c’est-à-dire qu’elles ont été produites entièrement dans le territoire d’un pays ALÉNA et respectent la règle d’origine spécifique qui correspond à leur classement tarifaire.

31.              Le Tribunal note, comme l’a fait l’ASFC, que le nom de M. Pyper n’est pas écrit correctement sur le certificat déposé en 2016, lequel est signé par « Scott Pipper », et que la section réservée au producteur n’a pas été correctement remplie. Au cours de la procédure, les appelantes ont déposé des certificats d’origine révisés, lesquels étaient remplis correctement[14] et signés par M. Pyper, sans toutefois être datés.

32.              Au cours du témoignage de M. Pyper, il est apparu que celui-ci avait signé les certificats d’origine et comprenait que les certificats attestaient du fait que les marchandises avaient été produites aux États-Unis, mais qu’il n’avait pas lui-même produit les certificats[15] et qu’il n’était pas au courant de ce qu’impliquait vraiment le fait de choisir le critère de préférence B[16]. Le témoignage de M. Pyper a également révélé que ni lui ni S.S. n’avait une bonne connaissance des éléments de preuve ou des documents à présenter pour demander le taux de droit préférentiel en bonne et due forme.

33.              L’ASFC est d’avis qu’en signant les certificats, M. Pyper attestait l’information inscrite sur la page et acceptait qu’il lui revenait de prouver les affirmations se trouvant sur le certificat, y compris en tenant à jour les documents nécessaires pour étayer l’attestation et en les présentant sur demande.

34.              À cet égard, le Tribunal convient que M. Pyper n’exploite pas une entreprise exportatrice; au cours de son témoignage, M. Pyper a mentionné que l’exportation à destination du Canada ne s’inscrit pas dans les activités normales de S.S., dont le modèle mise surtout sur la distribution locale de boissons non alcoolisées dans le lieu d’affaires de S.S. ou à proximité, au New Jersey. M. Pyper a également affirmé que S.S. n’avait vendu des produits que sporadiquement aux appelantes au cours de quelques années, notamment en 2014. Le Tribunal souligne également que le témoignage de M. Pyper au cours de l’audience concorde avec les éléments de preuve que celui-ci a présentés à l’ASFC au cours du processus de vérification. Bien que M. Pyper n’était pas au courant de la portée de l’attestation faite lorsqu’il a signé les certificats, le Tribunal est convaincu que M. Pyper croyait raisonnablement que les marchandises en cause avaient été produites aux États-Unis à toutes les dates pertinentes, selon ce qu’il en savait. Ainsi, le Tribunal est d’avis qu’aucun élément de preuve ne donne à penser que M. Pyper a fait une fausse déclaration en toute connaissance de cause ou que les certificats sont invalidés par ailleurs.  

35.              Il est bien établi que les appels devant le Tribunal sont des procédures de novo. Par conséquent, au vu des certificats d’origine révisés présentés dans le cadre des présents appels et nonobstant les questions soulevées par les premiers certificats d’origine, le Tribunal est convaincu que les appelantes ont fourni les certificats d’origine visant les marchandises en cause pour la période pertinente, sur la foi des connaissances personnelles de l’exportateur.

36.              En ce qui concerne l’exigence formelle énoncée à l’alinéa 24(1)a) du Tarif des douanes, le Tribunal accepte que la preuve d’origine a été fournie conformément à la Loi. Lors de l’audience, l’ASFC a soulevé des questions au sujet des certificats d’origine présentés au cours de la vérification de l’ASFC, mais elle a également affirmé dans ses observations écrites que les appelantes avaient rempli la première condition. Ainsi, la première condition est remplie.

37.              Le Tribunal s’est ensuite demandé si les éléments de preuve présentés par les appelantes montrent que les marchandises en cause remplissent la seconde condition relative au traitement tarifaire préférentiel aux termes de l’article 24 du Tarif des douanes.

Admissibilité des marchandises originaires au traitement tarifaire préférentiel

38.              La deuxième condition prévue à l’article 24 du Tarif des douanes est une exigence de fond visant à étayer l’affirmation voulant que les marchandises sont de fait admissibles au traitement tarifaire préférentiel en vertu des règlements applicables.

39.              Le Règlement sur la préférence tarifaire (ALÉNA) prévoit qu’une marchandise peut bénéficier du tarif des États‑Unis s’il s’agit d’une « marchandise originaire »[17]. Le terme « marchandise originaire » signifie un produit qui est admissible à titre de produit originaire aux termes du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA). En général, un produit est originaire du territoire d’un pays ALÉNA s’il est produit entièrement sur le territoire de l’un ou plusieurs des pays ALÉNA, uniquement à partir de matières originaires, sous réserve de certaines exceptions[18]. Il se peut aussi que des matières non originaires soient transformées dans le territoire d’un pays de l’ALÉNA de telle sorte que le produit soit considéré comme originaire aux termes du paragraphe 4(2) du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA). Cette deuxième disposition est pertinente en l’espèce.

40.              Comme mentionné ci-dessus, les parties conviennent que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 2202.10.00 et qu’elles comprennent des ingrédients non originaires. La règle d’origine spécifique applicable aux marchandises classées dans le numéro tarifaire 2202.10.00 exige que tous les ingrédients non originaires soient soumis à « un changement à la sous‑position 2202.10 de tout autre chapitre ». Les parties conviennent du classement tarifaire des ingrédients autres que l’eau et que ceux-ci doivent faire l’objet du changement de classement de manière à être classés dans le chapitre 22 en tant que produits finis de la sous-position 2202.10. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la source de l’ingrédient que constitue l’eau et sur la question de savoir si le processus de production a eu lieu dans le territoire d’un pays ALÉNA, nommément les États-Unis.

41.              Les appelantes font valoir que l’eau est un ingrédient originaire, étant donné que les marchandises sont produites aux États-Unis avec l’eau locale, dans une installation d’embouteillage autorisée de Coca-Cola ou de Pepsi.

42.              L’ASFC affirme que les appelantes n’ont pas établi que (i) l’eau est un ingrédient des marchandises en cause qui est originaire des États-Unis, et que (ii) les ingrédients ont été soumis au changement de classement tarifaire exigé dans un pays ALÉNA.

43.              À toutes fins utiles, le Tribunal est appelé à déterminer si les marchandises en cause ont été embouteillées aux États-Unis.

Norme de preuve

44.              Alors que s’achève la présente analyse, le Tribunal souligne que la nature de la preuve présentée par les appelantes a exigé un examen minutieux de la prépondérance des probabilités en l’espèce.

45.              La Cour suprême du Canada a établi que la norme de la prépondérance des probabilités « consiste à déterminer si, selon toute vraisemblance, l’événement a eu lieu »[19]. Pour en arriver à cette conclusion, il faut que la preuve soit « suffisamment claire et convaincante »[20]. Il n’y a pas de norme objective à respecter pour mesurer le caractère suffisant; plutôt, le Tribunal « doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu »[21].

46.              Dans l’affaire MRP Retail Inc., le Tribunal s’est intéressé à l’application de la norme de preuve dans le contexte des appels portant sur les règles d’origine[22]. Dans cette affaire, le Tribunal a rejeté les arguments de l’ASFC voulant que les appelantes, pour démontrer que les marchandises en cause avaient été produites dans les territoires de l’ALÉNA, devaient produire des documents montrant que la chaîne de garde des marchandises avait été ininterrompue. Ce faisant, le Tribunal a affirmé ce qui suit :

63.     [...] [L]’acceptation de l’argument reviendrait à imposer l’exhaustivité et la certitude rigoureuse recherchées dans une vérification de l’origine des marchandises comme norme de preuve applicable à un appel interjeté aux termes de l’article 67 de la Loi.

64.     La Loi n’indique pas qu’il s’agit de la norme de preuve à appliquer par le Tribunal, et le Tribunal est d’avis qu’il doit être possible pour un importateur de produire en appel une preuve de l’origine des marchandises satisfaisante pour le Tribunal sans nécessairement respecter les normes de vérification de l’ASFC. Si tel n’était pas le cas, le Tribunal verrait son rôle réduit à l’approbation automatique des décisions de l’ASFC, et le droit d’appel, prévu par la loi, auprès d’un tribunal indépendant quasi judiciaire serait inutile.

47.              En l’espèce, le Tribunal a fait un examen minutieux de la preuve au dossier en ayant à l’esprit ces principes.

Application à la preuve

48.              Il est bien établi que l’appelante peut étayer sa demande au moyen d’autres éléments de preuve documentaire que ceux provenant du producteur des marchandises[23]. Dans le contexte d’un appel de novo, l’absence de tels éléments n’empêche en rien les appelantes de présenter d’autres types d’éléments de preuve pour établir le fait qu’à leur connaissance, les marchandises en cause sont admissibles à un traitement tarifaire préférentiel en vertu de l’ALÉNA. Ainsi, la preuve que les appelantes ont présentée au Tribunal comprend des éléments qui n’ont pas été soumis à l’ASFC au cours de sa vérification, et qui ne sont normalement pas demandés par l’ASFC à cet effet. En définitive, il incombe aux appelantes d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, les marchandises en cause sont admissibles à un traitement préférentiel.

49.              De l’avis du Tribunal, l’analyse des arguments des appelantes peut se faire en deux parties.

50.              Premièrement, les appelantes font valoir que S.S. a acheté les marchandises de distributeurs établis aux États-Unis.

51.              Lors de son témoignage, M. Pyper a déclaré que S.S., qui est établie au New Jersey, achetait le Coca-Cola à saveur de cerise et à saveur de vanille en cause directement de Coca-Cola ou du distributeur local de Coca-Cola[24]. Il a également affirmé que S.S. achetait le Crush à saveur d’ananas et le Gatorade Glacier à saveur de cerise en cause du distributeur local de Pepsi[25]. M. Pyper a également mentionné que S.S. achetait la totalité de ses produits de fournisseurs locaux[26].

52.              Le Tribunal souligne que M. Pyper a admis ne pas savoir où sont fabriqués tous les produits que S.S. achète de plus de 50 distributeurs locaux différents, dont des clubs-entrepôts qui font de la vente au détail[27]. Selon le Tribunal, ce fait n’invalide pas le point de vue des appelantes, compte tenu des conclusions du Tribunal présentées ci-après. Qui plus est, le Tribunal fait remarquer que même si S.S. achète et vend des produits divers, dont des boissons importées comme les produits San Pellegrino et Perrier, ceux-ci ne constituent pas les marchandises en cause en l’espèce. M. Pyper a répété à plusieurs reprises que les marchandises en cause, à savoir les produits Coca-Cola et Pepsi, étaient achetées directement des distributeurs locaux de Coca-Cola et de Pepsi. Le Tribunal souligne également que M. Pyper a convenu que S.S. avait « probablement » [traduction] vendu du Coca-Cola ordinaire provenant du Mexique en 2014[28]. Or, selon le Tribunal, la vente de Coca-Cola du Mexique ne soulève pas de préoccupations quant à la vente de produits entremêlés (c.-à-d. la vente de Coca-Cola du Mexique avec du Coca-Cola des États-Unis), étant donné que les marchandises en cause de Coca-Cola ont des saveurs spéciales.

53.              À l’appui des observations de M. Pyper, les appelantes ont présenté différentes factures de 2014 pour montrer que S.S. avait acheté les marchandises en cause (Coca-Cola à saveur de cerise et Coca-Cola à saveur de vanille) d’un distributeur de Coca-Cola dont le centre de ventes est situé au Massachusetts, et (dans le cas du Crush à saveur d’ananas) d’un distributeur de Pepsi établi au New Jersey. Parmi les factures présentées, aucune ne fait mention du Gatorade Glacier à saveur de cerise en particulier; la facture présentée au Tribunal fait état de différentes autres saveurs de Gatorade. En contre-interrogatoire, M. Pyper a concédé qu’il ne savait pas si les produits mentionnés sur les factures correspondaient exactement aux marchandises en cause[29]. M. Pyper a également affirmé ne pas être en mesure de dire s’il avait lui-même pris connaissance des marchandises en cause avant qu’elles soient expédiées aux appelantes, étant donné que d’autres employés de S.S. en plus de lui-même traitaient les réceptions de produits, y compris celles  provenant de Coca-Cola et de Pepsi quasi quotidiennement. Tout en acceptant que le modèle d’affaires ou les pratiques de tenue de registres de S.S. puissent ne pas permettre d’établir un lien entre les stocks de certaines marchandises et les marchandises vendues et expédiées, le Tribunal est néanmoins d’avis que les factures présentées ont une certaine valeur, quoique restreinte, en tant qu’éléments de preuve. Les factures révèlent qu’en 2014, S.S. a acheté des marchandises similaires d’installations d’embouteillage et de distribution autorisées de Coca-Cola et de Pepsi situées dans le nord-est des États-Unis.

54.              En somme, le Tribunal conclut qu’aucun élément de preuve ne contredit le témoignage de M. Pyper voulant qu’en 2014, S.S. a acheté les marchandises en cause de distributeurs locaux de Coca-Cola et de Pepsi établis aux États-Unis.

55.              Au cours de sa vérification et également à l’audience, l’ASFC a fait valoir à juste titre que l’achat d’une marchandise n’est pas suffisant à lui seul pour que soit respecté le critère relatif aux règles d’origine. Comme souligné au début de l’analyse du Tribunal, les appelantes doivent être en mesure d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les marchandises en cause ont été embouteillées aux États-Unis. Cette exigence constitue l’essentiel du deuxième volet des éléments de preuve et des arguments des appelantes.

56.              À cet égard, M. Pyper a affirmé lors de son témoignage que les deux produits Coca-Cola en cause achetés par S.S. sont produits à Elmsford (New York) et à Morristown (Pennsylvanie), et que les deux produits Pepsi en cause sont produits dans le Bronx, à New York[30]. M. Pyper a convenu qu’il donnait cette information en s’appuyant uniquement sur ses propres connaissances et sur sa propre expérience de l’industrie des boissons non alcoolisées, et non sur des éléments de preuve matérielle ou documentaire.

57.              Les appelantes ont également déposé la preuve d’expert de M. Flockhart concernant le système d’autorisation de production sous licence de Coca-Cola et de Pepsi et les facteurs économiques de l’industrie des boissons rafraîchissantes. Il est entendu que le Tribunal ne fera référence qu’à Coca-Cola, mais que le témoignage de M. Flockhart vaut autant pour Pepsi que pour Coca-Cola[31].

58.              Lors de son témoignage, M. Flockhart a souligné que le processus d’embouteillage et de distribution de Coca-Cola est étroitement encadré. Coca-Cola a un réseau régional et un réseau mondial d’ententes de production sous licence conclues avec des producteurs auxquels Coca-Cola fournit les sirops et les canettes portant sa marque. Chaque canette est marquée à l’installation d’embouteillage d’un code de fabrication qui permet de savoir dans quelle installation le produit a été fabriqué, et quel jour[32]. Aux États-Unis, Coca-Cola fait affaire avec des producteurs dans différentes régions. Chacun assure la distribution des produits dans son territoire de distribution uniquement, comme le prévoit Coca-Cola, et aucun n’expédie à destination d’autres régions. En d’autres termes, les produits Coca-Cola qui sont vendus dans une région ou dans un État auront vraisemblablement été embouteillés dans cette région ou dans cet État[33]. Ce modèle d’affaires vise à restreindre les coûts d’expédition et de transport, lesquels sont importants, comme l’accepte le Tribunal[34]. Dans son témoignage, M. Flockhart a également affirmé que Coca-Cola fait rigoureusement respecter les ententes de production sous licence, y compris en ce qui a trait aux territoires de distribution, et que les titulaires qui s’aventureraient en dehors du territoire autorisé s’exposent au risque de perdre une licence lucrative d’embouteillage et de distribution[35].

59.              Lors de son témoignage, M. Flockhart a dit être d’avis que les marchandises ont été embouteillées aux États-Unis. Cette opinion reposait sur sa connaissance du modèle d’affaires de Coca-Cola et sur le fait que M. Pyper affirmait que les marchandises avaient été achetées aux États-Unis. Le Tribunal souligne que l’ASFC a fait remarquer à M. Flockhart que les États-Unis avaient importé pour 1,8 milliard de dollars de boissons rafraîchissantes en 2014; M. Flockhart a répondu qu’à son avis, les importations devaient être constituées de produits particuliers non offerts localement, car il n’aurait pas été logique, d’un point de vue économique, d’importer des marchandises déjà offertes aux États-Unis, vu les coûts de transport élevés associés à l’expédition par conteneurs de boissons rafraîchissantes provenant de l’étranger[36].

60.              À la lumière du témoignage de M. Flockhart et en l’absence d’éléments de preuve permettant de penser le contraire, le Tribunal accepte que Coca-Cola encadre strictement la production et la distribution de ses produits par l’entremise d’embouteilleurs qui sont établis dans différentes régions, différents États et différents pays et qui desservent leurs territoires de distribution respectifs.

61.              En ce qui concerne l’eau utilisée dans la fabrication des boissons rafraîchissantes, M. Flockhart a affirmé, lors de son témoignage, que l’eau provient du réseau d’aqueduc municipal. M. Flockhart a décrit le procédé d’embouteillage avec force détails. Selon lui, les installations d’embouteillage de Coca-Cola produisent des boissons en volumes tels qu’il serait illogique, d’un point de vue économique, de transporter l’eau provenant d’ailleurs plutôt que de l’acheter directement de la source locale[37]. Il a souligné que les installations d’embouteillage fonctionnent en continu et que l’approvisionnement en eau doit être constant pendant la production. Économiquement, il n’y a d’autre option que d’utiliser l’eau de la municipalité.

62.              À la lumière du témoignage de M. Flockhart et en l’absence d’éléments de preuve donnant à penser le contraire, le Tribunal accepte que les boissons rafraîchissantes, y compris les marchandises en cause, sont embouteillées à l’installation d’embouteillage avec l’eau du réseau d’aqueduc local.

63.              L’ASFC fait valoir que le réseau de distribution de Coca-Cola n’offre pas de garantie que les marchandises en cause ont été produites là où elles ont été achetées. L’ASFC soutient qu’il existe des « marchés gris » [traduction] des boissons rafraîchissantes et que dans ces marchés, les produits peuvent être achetés en dehors du régime de licences de Coca-Cola, et elle a présenté plusieurs pièces provenant de sources en ligne étayant qu’il est possible d’acheter différents produits Coca-Cola et Pepsi à l’étranger.

64.              L’ASFC a fait remarquer à M. Flockhart qu’il est possible que les marchandises en cause aient été produites en dehors de l’Amérique du Nord puis expédiées aux États-Unis. M. Flockhart a convenu que c’était une possibilité, mais que ce serait très peu probable vu les coûts d’expédition qui en auraient découlé. M. Flockhart a expliqué que certains revendeurs vont écouler un produit au rabais sur le marché gris lorsqu’approche la date avant laquelle il est préférable de le consommer, mais que les transactions visent généralement de grandes quantités, suffisantes pour remplir un conteneur d’expédition, par exemple. M. Flockhart a expliqué que lorsque les quantités sont moindres, comme c’est le cas en espèce, les coûts d’expédition empêcheront la revente à l’étranger. Ce dernier a convenu que les distributeurs peuvent acheter des produits provenant de pays étrangers lorsque certaines saveurs ne sont pas offertes dans leur propre marché. Cela dit, aucun élément de preuve déposé devant le Tribunal ne donne à penser que les marchandises en cause n’étaient pas offertes sur le marché américain. Selon le Tribunal, le témoignage de M. Flockhart montre que les distributeurs locaux de Coca-Cola n’avaient nul besoin d’acheter les marchandises en cause sur le marché gris.

65.              Si S.S. a acheté les marchandises en cause directement d’un distributeur ou d’un embouteilleur autorisé de Coca-Cola ou de Pepsi, le Tribunal est convaincu que les marchandises auront été produites aux États-Unis. Bien que M. Pyper ait reconnu que S.S. achetait également des produits d’autres distributeurs locaux, ce qui soulève la possibilité que ces distributeurs s’approvisionnent sur le marché gris, le Tribunal conclut que ces distributeurs auraient eu peu intérêt à acheter à l’étranger des produits offerts par des fournisseurs locaux, vu les coûts d’expédition et de transport. Par conséquent, tout en acceptant qu’il existe un marché gris, le Tribunal conclut que le témoignage de M. Flockhart réduit la possibilité que les marchandises en cause aient été produites à l’étranger et achetées sur le marché gris, comme le suggère l’ASFC.

66.              Le Tribunal souligne également que toutes les marchandises en cause sont des produits de spécialité. Lors de son témoignage, M. Flockhart a affirmé qu’en raison des volumes moindres demandés dans le cas des saveurs spéciales, il est possible que certaines des marchandises en cause aient été expédiées aux distributeurs après avoir été fabriquées à l’extérieur de la région locale[38]. Le Tribunal souligne que ce facteur n’accroît pas nécessairement la probabilité que les marchandises aient été embouteillées à l’extérieur des États-Unis, mais plutôt, comme l’a affirmé M. Flockhart, qu’il est possible que les marchandises aient été embouteillées à l’extérieur des États du nord-est pour être distribuées aux États-Unis.

67.              Enfin, le Tribunal souligne que les parties ont fait des observations sur l’application de la décision DeRonde aux faits de l’espèce. Dans cette affaire, le Tribunal avait établi que l’appelante avait le loisir de se fonder sur ses connaissances de l’origine des marchandises, mais qu’elle devait étayer sa revendication pour que soit remplie la deuxième condition énoncée au paragraphe 24(1) du Tarif des douanes. Le Tribunal avait établi que l’appelante n’avait pas à produire de documents provenant des producteurs, dans la mesure où elle pouvait fournir d’autres éléments de preuve pour étayer l’origine des marchandises. Le Tribunal avait accepté des pièces photographiques où on pouvait lire les numéros de série inscrits sur plusieurs des marchandises visées par l’appel, ce qui avait ensuite permis d’établir le lieu de production. Cet appel avait été admis dans le cas des marchandises pour lesquelles il était possible de faire le lien avec une installation de production particulière aux États-Unis; il a été rejeté dans le cas des autres marchandises pour lesquelles il n’y avait pas d’identifiant au dossier.

68.              L’ASFC soutient qu’à la lumière de l’affaire DeRonde, il faut des éléments de preuve hautement spécifiques pour que l’origine des marchandises soit établie avec certitude. Elle rappelle que dans l’affaire DeRonde, le Tribunal n’a pas conclu que l’origine avait été établie dans le cas des modèles de marchandises pour lesquels il n’existait pas d’éléments de preuve photographique permettant de faire le lien avec une installation particulière. L’ASFC soutient que les appelantes en l’espèce n’ont produit que des éléments de preuve théorique sur la production de boissons rafraîchissantes, et qu’elles n’ont pas fait la preuve directe de l’origine des marchandises.

69.              Le Tribunal n’est pas convaincu par la position de l’ASFC. Il souligne que le témoignage de M. Flockhart n’est pas théorique, mais plutôt fondé sur ses connaissances d’expert et sur son expérience de l’industrie des boissons non alcoolisées. Le Tribunal mentionne également être parvenu à la conclusion, dans l’affaire DeRonde, que si les affirmations faites par l’appelante dans le cadre de la vérification menée par l’ASFC n’étaient pas suffisantes pour établir l’origine des marchandises, l’appelante avait toutefois réussi à étayer sa revendication par la voie d’un témoignage d’expert devant le Tribunal, comme c’est le cas en l’espèce.

70.              Si l’on avait accès aux marchandises en cause dans le cadre des présents appels, il serait facile de retracer les installations où a eu lieu l’embouteillage. Or, ni les marchandises ni des photographies des marchandises ne sont accessibles, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire DeRonde. Le Tribunal souligne que les appelantes ont expliqué pourquoi il n’y a pas de preuve documentaire. À cet égard, M. Pyper a déclaré que S.S. n’effectue pas le suivi de chaque produit particulier au moyen d’un système de gestion des stocks. Il a également affirmé que ses fournisseurs avaient refusé de fournir de la documentation concernant les marchandises. M. Pyper et M. Flockhart ont tous deux fait savoir qu’il serait à peu près impossible d’obtenir ce genre d’information auprès de Coca-Cola ou de Pepsi[39].

71.              Le Tribunal souligne également que les appelantes n’ont pas été en mesure de présenter les marchandises en cause en tant que telles, ni à l’audience tenue dans le cadre des présents appels, ni au cours de la vérification menée par l’ASFC. Ce constat n’a pas de quoi étonner, étant donné que les marchandises sont des produits consommables achetés – et présumément vendus – en 2014, alors que l’audience dans le cadre des présents appels a été tenue en 2019 et que la vérification de l’ASFC a été réalisée en 2016. Au lieu des marchandises en cause en tant que telles, les appelantes ont présenté des échantillons de produits Coca-Cola à saveur de vanille et Coca-Cola à saveur de cerise achetés en 2018[40]. Les appelantes n’ont pas été en mesure de trouver d’échantillons des produits Gatorade Glacier à saveur de cerise et Crush à saveur d’ananas. De l’avis du Tribunal, la valeur probante des échantillons matériels aurait été limitée, si ce n’est pour confirmer que si le Tribunal avait eu accès aux marchandises en cause, les inscriptions sur les canettes auraient été déterminantes pour connaître le lieu de production des marchandises.

72.              Plutôt, les appelantes se sont principalement fondées sur les connaissances de l’exportateur au sujet de l’industrie et ont cherché à étayer la revendication en faisant témoigner un expert selon qui les marchandises en cause ont nécessairement été embouteillées aux États-Unis, étant donné les licences et les droits territoriaux administrés par Coca-Cola et Pepsi et les questions économiques fondamentales qui entrent en jeu dans la commercialisation, la vente et la distribution de boissons non alcoolisées (c.-à-d. qu’il est plus économique d’embouteiller les produits le plus près possible de l’endroit où il seront distribués, afin d’éviter des coûts de transport excessifs). Le Tribunal reconnaît que certaines boissons, comme les produits Perrier et San Pellegrino, sont produites avec des sources d’eau particulières, mais celles-ci ne sont pas en cause en l’espèce. Par ailleurs, le Tribunal souligne que ces produits ne sont pas soumis aux mêmes processus de commercialisation, de production et de distribution que les marchandises en cause. Le fait que S.S. distribue ces produits également n’est pas pertinent au regard des questions à trancher en l’espèce.

73.              Après examen minutieux de l’ensemble de la preuve au dossier et de la norme de preuve, le Tribunal conclut que les appelantes se sont acquittées du fardeau qui leur incombait d’étayer la revendication de l’exportateur, au moyen d’éléments de preuve autres.

74.              Le Tribunal reconnaît qu’il y a peu d’éléments de preuve matérielle et documentaire en l’espèce. Cela dit, à la lumière du témoignage d’expert concernant les modèles d’affaires de Coca-Cola et de Pepsi et les aspects économiques liés à la fabrication de boissons rafraîchissantes, le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les marchandises en cause ont été embouteillées aux États-Unis. À cet égard, le Tribunal accepte le témoignage de M. Pyper voulant que les marchandises en cause ont été achetées aux États-Unis, et il a également été convaincu par le témoignage de M. Flockhart selon lequel les marchandises en cause, puisqu’elles ont été achetées aux États-Unis, ont été produites aux États-Unis. L’ASFC n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour réfuter cette présomption. Bien que l’ASFC ait établi que Coca-Cola et Pepsi produisent dans d’autres pays des produits qui peuvent être importés aux États-Unis, l’éventualité que les marchandises en cause aient pu être ainsi obtenues ne cadre pas avec la norme de preuve fondée sur la prépondérance des probabilités.

Conclusion

75.              Le Tribunal conclut que les appelantes ont rempli les deux conditions énoncées au paragraphe 24(1) du Tarif des douanes et que, par conséquent, les marchandises en cause sont admissibles à un traitement préférentiel en vertu de l’ALÉNA, au taux du TEU.

DÉCISION

76.              Les appels sont admis.




Cheryl Beckett                        
Cheryl Beckett
Membre présidant



[1].     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     Pièce AP-2018-017-06A, vol. 1, par. 15; pièce AP-2018-017-08A, vol. 1, par 4.

[3].     Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[4].     Pièce AP-2018-017-06A, vol. 1 à la p. 24.

[5].     À l’origine, l’ASFC a présenté ces faits à titre confidentiel au Tribunal (voir pièce AP-2018-017-08B au par. 10, vol. 2). Toutefois, le témoin de l’ASFC, Mme Erickson, a attesté des mêmes faits au cours de l’audience publique. Ainsi, le Tribunal est d’avis que ces faits sont inclus à juste titre dans le dossier public de la procédure.

[6].     Le Tribunal souligne que les appelantes ont également déposé une brève déclaration écrite dans laquelle Keith Mussar atteste de la production de boissons non alcoolisées, sans toutefois faire témoigner M. Mussar. Par conséquent, le Tribunal a accordé une importance limitée à la déclaration écrite de M. Mussar.

[7].     D.O.R.S./91-499.

[8].     D.O.R.S./94-14.

[9].     D.O.R.S./98-52.

[10].   D.O.R.S./94-17.

[11].   D.O.R.S./97-332.

[12].   Voir la disposition pour le texte au complet.

[13].   Voir le certificat d’origine de The Candy Spot, pièce AP-2018-017-06A, vol. 1 à la p. 24.

[14].   « Pipper » a été rayé d’un trait et « Pyper » écrit à la main.

[15].   Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant qui les a préparés.

[16].   Transcription, p. 14.

[17].   Alinéa 3a), Règlement sur la préférence tarifaire (ALÉNA).

[18].   Paragraphe 4(3), Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA).

[19].   F.H. c. McDougall, 2008 RCS 53 (CanLII), au par. 44.

[20].   Ibid. au par. 46.

[21].   Ibid. au par. 49.

[22].   MRP Retail Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 septembre 2007), AP-2006-005 (TCCE).

[23].   DeRonde Tire Supply, Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (29 juillet 2015), AP-2011-014 (TCCE) [DeRonde] au par. 44.

[24].   Transcription, p. 7 et 9.

[25].   Transcription, p. 8.

[26].   Transcription, p. 21, 23-26.

[27].   Transcription, p. 21-22.

[28].   Transcription, p. 26-27. Selon ce qu’a affirmé M. Pyper, il est possible que S.S. ait acheté du Coca-Cola mexicain dans un club-entrepôt de gros en vue de la revente aux consommateurs, en 2014.

[29].   Transcription, p. 18-19.

[30].   Transcription, p. 9.

[31].   Transcription, p. 73-74.

[32].   Transcription, p. 64-65.

[33].   Transcription, p. 47 et 49.

[34].   Transcription, p. 54.

[35].   Transcription, p. 92.

[36].   Transcription, p. 82-83.

[37].   Transcription, p. 46 et 49-52.

[38].   Transcription, p. 97-98.

[39].   Le Tribunal reconnaît que le témoin de l’ASFC, Mme Erickson, a décrit en détail les tentatives qu’elle a faites pour obtenir des renseignements auprès de S.S. au cours de la vérification. Cela dit, le Tribunal souligne que les éléments de preuve présentés (ou non) par les appelantes dans le cadre de la vérification menée par l’ASFC ne sont pas cruciaux pour établir l’origine des marchandises au sujet desquelles le Tribunal doit se prononcer. Le Tribunal souligne également que rien ne donne à penser que M. Pyper, S.S. et les appelantes ont été évasifs ou ont refusé de coopérer, ce qui pourrait certainement donner lieu à des problèmes systémiques quant aux attestations d’origine faites par les exportateurs afin d’étayer une revendication présentée au Tribunal dans le cadre d’un appel de novo, comme le fait valoir l’ASFC. Comme il a été expliqué au Tribunal, S.S. n’a tout simplement pas réussi à obtenir les renseignements demandés, parce que ses fournisseurs refusaient de les fournir. Bien que le Tribunal soit reconnaissant de l’aide que Mme Erickson a apportée, le témoignage de cette dernière au sujet du processus de vérification mené par l’ASFC n’a eu que peu d’incidence sur les questions à trancher par le Tribunal.

[40].   Les appelantes ont déposé en preuve des échantillons de produits San Pellegrino. Comme ces produits ne font pas partie des marchandises en cause, le Tribunal n’en a pas tenu compte.

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