Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2018-043

Danson Décor Inc.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision rendue

le vendredi 6 septembre 2019

Motifs rendus
le mercredi 25 septembre 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 9 mai 2019 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 23 août 2018 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

DANSON DÉCOR INC.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli.













Susan D. Beaubien                 
Susan D. Beaubien
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 9 mai 2019

Membres du Tribunal :                                          Susan D. Beaubien, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Sarah Perlman, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Danson Décor Inc.

Marco Ouellet
Jeffrey Goernert

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Marilou Bordeleau

TÉMOINS :

Mike Giambattisto
Directeur du Traffic/Traffic Manager
Danson Décor

Tony Di Feo
Ingénieur principal
Ressources naturelles Canada

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

VUE D’ENSEMBLE

1.                  Danson Décor Inc. (Danson) interjette appel contre la décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) concernant le classement tarifaire de marchandises décrites comme des « pierres de rivière polies provenant du lit d’un cours d’eau » [traduction] (les marchandises).

2.                  Pour l’application du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes[1], l’ASFC a classé les marchandises dans le numéro tarifaire 6802.99.00 à titre d’« autres pierres de taille ou de construction (autres que l’ardoise) travaillées et ouvrages en ces pierres, à l’exclusion de ceux du no 68.01 ».

3.                  Danson soutient cependant que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 2517.10.00 à titre de « cailloux, graviers, pierres concassées, des types généralement utilisés pour le bétonnage ou pour l’empierrement des routes, des voies ferrées ou autres ballasts, galets et silex, même traités thermiquement ».

4.                  Il s’agit pour le Tribunal de déterminer quel est le classement tarifaire approprié pour les marchandises importées par Danson, et si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 6802.99.00 ou 2517.10.00.

5.                  Une audience publique a eu lieu le 9 mai 2019. Les deux parties étaient représentées par des représentants, ont déposé des éléments de preuve sous forme de témoignages et ont présenté des plaidoiries au Tribunal.

CONTEXTE ET HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

6.                  Danson est une société dont le lieu d’affaires est situé à Saint‑Laurent (Québec). Sa gamme de produits compte plus de 3 000 articles regroupés, pour les besoins de ses activités, en quatre « collections » ou catégories principales de produits : Noël, Halloween, Jardin, et Quotidien[2].

7.                  La catégorie « Quotidien » comprend des articles pour la décoration intérieure ainsi que pour l’art et l’artisanat. Les marchandises en cause sont vendues à des fins décoratives[3] et pour utilisation dans le cadre de divers travaux d’art et d’artisanat[4].

8.                  Danson a importé les marchandises, à savoir des pierres de rivière polies de la Chine emballées dans des sacs dont le poids variait de 800 à 1 700 grammes, entre août 2013 et janvier 2017[5]. Bien que, lors des expéditions antérieures, les marchandises importées par Danson aient été classées dans la position no 25.17, l’ASFC a entrepris une vérification de la conformité au titre de l’article 59 de la Loi et a déterminé que les marchandises devaient plutôt être classées dans la position no 68.02[6]. Compte tenu de cette révision, l’ASFC a appliqué un ajustement rétroactif des droits payables par Danson pour plusieurs années au cours desquelles la société a reçu des expéditions de pierres de rivière[7].

9.                  Danson a demandé une révision du classement aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi.

Décision de l’ASFC

10.              À la demande de l’ASFC, Danson a fourni des documents portant sur les marchandises, dont une certification de la matière, une fiche de renseignements sur le produit et des renseignements descriptifs précisant les traitements subis par les marchandises, y compris des photographies représentatives et des courriels échangés entre Danson et son fournisseur chinois.

11.              Le dossier dont disposait l’ASFC indiquait que les marchandises étaient des pierres naturelles provenant du lit d’un cours d’eau en Chine. Ces pierres sont lavées, criblées et triées en fonction de leur taille et de leur couleur. Elles sont ensuite polies conformément aux exigences du client. Le polissage est fait à la machine. Les pierres sont culbutées dans un appareil qui ressemble à un tonneau rotatif, pendant une période allant de 7 à 30 heures. Elles sont ensuite ensachées en fonction de leur poids avant d’être emballées et expédiées[8].

12.              L’ASFC a commencé son analyse en cherchant à déterminer si les « pierres de rivière [étaient] des marchandises visées par le chapitre 25 » [traduction]. Les restrictions précisées dans la note 1 du chapitre 25 ont été prises en compte, conjointement avec les notes explicatives publiées par l’Organisation mondiale des douanes pour le chapitre 25.

13.              Danson a affirmé que les pierres étaient « lavées, criblées et lévigées avant d’être emballées dans de petits sacs » [traduction]. L’ASFC a souligné que le dossier ne contenait aucune référence à la lévigation ou à un processus, à un système ou à un appareil utilisé pour la lévigation. Seul le terme « polissage » [traduction] figurait dans les documents présentés par Danson, y compris dans ceux produits par le fournisseur chinois. L’ASFC a aussi conclu que les photographies obtenues auprès du fournisseur chinois de Danson représentaient un « gros appareil cylindrique semblable aux tonneaux de polissage rotatifs utilisés pour lisser et polir les pierres »[9] [traduction].

14.              Après avoir consulté plusieurs définitions du mot « lévigation » (levigate) dans les dictionnaires, l’ASFC a conclu qu’aucune de celles-ci ne correspondait au polissage ou au lissage de roches, de pierres ou de produits minéraux. Elle a constaté que le « polissage » n’est précisément mentionné ni dans la note 1 du chapitre 25, ni dans les notes explicatives du chapitre 25, ni dans aucune autre position de ce chapitre. Comme la note 1 du chapitre 25 exclut expressément les produits « ayant subi une main‑d’œuvre supérieure à celle indiquée dans chaque position », l’ASFC a conclu que les marchandises ne pouvaient être classées dans le chapitre 25[10].

15.              L’ASFC a ensuite cherché à déterminer si le chapitre le plus susceptible de correspondre au classement pertinent n’était pas plutôt le chapitre 68. Après avoir consulté les notes et les notes explicatives du chapitre 68, l’ASFC a conclu que les marchandises étaient exclues de la position no 68.01 parce qu’elles n’étaient pas des « pavés, bordures de trottoirs et dalles de pavage, en pierres naturelles (autres que l’ardoise) ».

16.              L’ASFC a ensuite tenu pour établi que les marchandises étaient des « pierres de taille ou de construction travaillées », comme elles sont définies à la note 2 du chapitre 68. Cette conclusion était étayée par la partie des notes explicatives de la position no 68.02 qui prévoit ce qui suit :

Cette position comprend les pierres de taille ou de construction naturelles (à l’exception des ardoises), qui ont subi une ouvraison supérieure au travail de carrière habituel des produits du Chapitre 25. [...]

Appartiennent, de la sorte, à la présente position, les ouvrages de tailleur, de tourneur ou de sculpteur de pierres, c’est-à-dire :

[...]

B)         Les pierres, quelle que soit leur forme (même en blocs, plaques ou tranches), constituant ou non des ouvrages achevés, ayant subi un façonnage, tel que ciselures et bossages (encadrement aplani avec face faisant saillie), piquage, bouchardage, charruage, rabotage, frottage au sable, égrisage ou adoucissage, polissage, chanfreinage, moulurage, tournage, décoration, sculpture.

[...] les autres objets de fantaisie ou d’ornementation constitués essentiellement de pierre sont, en général, classés dans cette position [...].

17.              L’ASFC a constaté que le « polissage » était expressément inclus dans le point B des notes explicatives de la position no 68.02, dans une liste non exhaustive de procédés de travail de la pierre qui correspondent à une ouvraison supérieure aux blocs, moellons ou plaques (tranches) bruts, simplement débités (fractionnés ou refendus), dégrossis (grossièrement équarris) ou simplement débités par sciage, ou qui vont autrement au‑delà des simples procédés définis et limités par la portée du chapitre 25.

18.              Comme les marchandises constituent « un mélange de différents types de pierres destinées à être utilisées à des fins décoratives » [traduction], l’ASFC a conclu que la sous-position appropriée était « Autres »[11]. Compte tenu des règles 1 et 6 des Règles générales, l’ASFC a classé les marchandises dans le numéro tarifaire 6802.99.00.

19.              L’ASFC a rendu sa décision le 23 août 2018, et Danson a porté celle‑ci en appel devant le Tribunal le 19 octobre 2018.

Appel de Danson

20.              Selon l’avis d’appel, la question à trancher était celle de savoir si les marchandises doivent être classées dans la position no 68.02 ou dans la position no 25.17. Danson soutient que le « polissage » est un traitement inclus dans la portée de la position no 25.17.

21.              Pour étayer son appel, Danson a déposé des observations auxquelles étaient jointes des photographies des différentes étapes du traitement des pierres de rivière, ainsi que des photographies du produit final (pierres de taille et de couleur comparables ensachées). Le mémoire de Danson comportait aussi des définitions de dictionnaires de différents termes utilisés dans les positions en cause.

22.              En réponse, l’ASFC a déposé son mémoire le 15 février 2019. En plus d’observations, le mémoire de l’ASFC comprenait des définitions de dictionnaires qui étaient pertinentes par rapport aux positions en cause.

23.              Danson a déposé des exemplaires représentatifs des marchandises à titre de pièces.

24.              L’ASFC a aussi déposé la déclaration d’un témoin expert, Tony Di Feo, qui travaille pour CanmetMINES comme ingénieur en minéralurgie.

25.              Danson a déposé des documents supplémentaires, dont un article censé décrire une mine (Mine Raglan du groupe Glengore) pour laquelle M. Di Feo a travaillé dans le passé, des définitions supplémentaires tirées de dictionnaires, des articles sur les pierres de rivière et leurs utilisations potentielles, ainsi que des courriels échangés entre Danson et son fournisseur chinois. Ces documents, conjointement avec le curriculum vitæ du témoin proposé de la société (Mike Giambattisto), ont été présentés au Tribunal le 23 avril 2019.

26.              Le 25 avril 2019, Danson a déposé séparément un exemplaire de son catalogue de produits. La société a par la suite informé l’ASFC et le Tribunal de son intention de renvoyer seulement à deux pages dudit catalogue pendant la comparution de son témoin à l’audience.

27.              L’ASFC a déposé une liste bibliographique de documents utilisés par M. Di Feo pour la préparation de sa déclaration écrite sous serment, ainsi qu’une déclaration d’engagement signée fournie en la forme réglementaire en ce qui concerne les responsabilités d’un témoin expert.

28.              Les deux parties ont produit des exemplaires de la jurisprudence qu’elles ont invoquée à l’appui de leurs positions respectives dans le présent appel.

Questions interlocutoires

29.              L’ASFC s’est opposée au dépôt des documents supplémentaires et du catalogue de produits de Danson au motif qu’il avait été fait moins de 20 jours avant l’audience, contrairement à ce que prévoit le paragraphe 34(3) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[12]. Le Tribunal a enjoint à Danson de présenter une requête visant à obtenir une prorogation rétroactive du délai pour le dépôt des documents contestés. Danson a présenté des observations pour expliquer que son représentant pensait, à tort, que les documents supplémentaires pouvaient être déposés jusqu’à 10 jours avant la date de l’audience.

30.              L’ASFC a réitéré son opposition, soutenant que Danson n’avait pas déposé de requête visant à obtenir l’autorisation requise pour la prorogation rétroactive et n’avait pas fourni de justification pour le dépôt tardif. L’Agence a formulé une autre objection aux documents supplémentaires au motif que Danson scindait sa preuve et que les documents compris dans son mémoire supplémentaire auraient pu être déposés plus tôt, en tant qu’éléments du mémoire de l’appelante. L’ASFC a fait valoir que les critères énoncés à l’article 24.1 des Règles pour le dépôt tardif de documents n’avaient pas été respectés.

31.              Le Tribunal a offert aux deux parties la possibilité de régler ces questions par l’intermédiaire d’observations orales au début de l’audience prévue le 9 mai 2019.

32.              Après avoir entendu les parties, le Tribunal a rejeté les objections de l’ASFC. Même si les parties doivent faire de leur mieux pour éviter de scinder la preuve, la procédure du Tribunal doit prévoir une certaine souplesse[13]. Le plus important est de s’assurer que les parties aient la même possibilité d’établir le bien-fondé de leur preuve.

33.              Le Tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire et a accepté que les documents supplémentaires et le catalogue de produits demeurent au dossier.

34.              Selon les dossiers du Tribunal, les documents supplémentaires de Danson ont été déposés et signifiés par voie électronique à la date d’échéance (23 avril 2019), selon les Règles. Par conséquent, l’ASFC est réputée avoir reçu les documents supplémentaires de Danson à cette date. Le fait que l’ASFC ait reçu un exemplaire papier des documents en question le lendemain (24 avril 2019) ne crée pas un préjudice suffisant pour justifier que les documents soient radiés, et ce, même si on devait présumer que la version électronique n’avait pas été reçue le jour précédent.

35.              En ce qui concerne les objections de fond soulevées par l’ASFC en ce qui a trait aux documents supplémentaires de Danson, le Tribunal a rejeté les objections relatives au dépôt de jurisprudence supplémentaire. Le Tribunal prend connaissance d’office de ses propres décisions; ainsi, le dépôt de jurisprudence supplémentaire avant l’audience ne cause pas de préjudice[14].

36.              Le Tribunal a observé que les articles et les définitions de dictionnaires additionnels figurant dans les documents supplémentaires de Danson semblaient avoir été déposés soit en réponse à la déclaration du témoin expert, soit en prévision du contre-interrogatoire de ce témoin à l’audience. À ce titre, ces documents n’auraient pas pu faire partie du mémoire de l’appelante présenté par Danson, lequel mémoire était antérieur à la signification de la déclaration de témoin de M. Di Feo. Malgré cela, le Tribunal a conclu que le contenu de ces documents serait écarté, dans la mesure où M. Di Feo ne serait pas en mesure de le corroborer ou d’en discuter pendant son contre‑interrogatoire[15].

37.              Le Tribunal a considéré que les articles sur les pierres de rivière corroboraient les documents déjà au dossier ou reproduisaient les renseignements y figurant. Comme les parties semblaient s’entendre sur l’utilisation prévue des pierres de rivière et des marchandises en cause, le Tribunal a conclu qu’aucun préjudice ne serait causé s’il permettait que les documents demeurent au dossier.

38.              De la même façon, les copies de la correspondance par courriel entre Danson et son fournisseur chinois faisaient partie du dossier dont l’ASFC était saisie et sur lequel elle s’est appuyée pour rendre la décision qui fait l’objet de l’appel[16]. À cet égard, le Tribunal n’a pas pu conclure que l’ASFC subirait un préjudice s’il permettait que les documents fassent partie du dossier dans le présent appel[17].

39.              En ce qui concerne le catalogue de produits de Danson, nul ne conteste le fait qu’il a été déposé en retard, même si ce retard n’était que de deux jours, au maximum. Bien que le catalogue comprenne quelque 200 pages, Danson avait auparavant indiqué qu’elle ne renverrait qu’à deux pages (ou qu’elle ne s’appuierait que sur deux pages) pendant le témoignage principal de son témoin. Comme ces pages présentent les marchandises dans le contexte d’un catalogue et que les marchandises en cause avaient été déposées comme pièces en temps opportun, le Tribunal n’a pu conclure qu’un préjudice serait causé s’il admettait le catalogue déposé en retard. En dépit de cette conclusion, Danson a été informée que le Tribunal veillerait à ce qu’elle respecte son engagement de ne renvoyer qu’aux extraits précis qu’elle avait indiqués avant l’audience[18].

Éléments de preuve présentés à l’audience

40.              À l’audience, Mike Giambattisto a témoigné au nom de Danson. Il travaille pour la société depuis 25 ans[19]. À l’heure actuelle, l’une des tâches qu’il doit accomplir dans le cadre de son travail est la supervision de toutes les étapes de l’achat de produits par Danson, y compris le classement tarifaire pour la gamme de produits de la société[20].

41.              Monsieur Giambattisto a présenté des éléments de preuve descriptifs relatifs à la gamme de produits de Danson, notamment en ce qui concerne la nature et les usages des marchandises. Le fournisseur de Danson ensache des pierres de taille et de couleur similaires en fonction du poids. Par exemple, un sac individuel peut comprendre entre 400 et 800 grammes de pierres pour la vente au détail. Les sacs sont ensuite emballés dans des boîtes afin d’être expédiés au Canada[21].

42.              Danson vend les marchandises à des magasins de détail comme Walmart, BMR, RONA et Dollar ou Deux[22].

43.              Les marchandises sont vendues à des fins décoratives, y compris pour des projets d’art et d’artisanat[23].

44.              Monsieur Giambattisto a aussi présenté des éléments de preuve relatifs à l’origine et au traitement des marchandises. Ce faisant, il a fait référence au contenu des courriels échangés entre Danson et son fournisseur chinois de longue date[24]. Dans ces courriels, le fournisseur de Danson a confirmé que les pierres étaient « polies » [traduction] dans un tonneau de polissage, et non à la main[25].

45.              Lorsqu’il a été contre‑interrogé, M. Giambattisto a reconnu que ses connaissances sur le traitement et l’emballage des marchandises en cause découlaient de la correspondance avec le fournisseur de Danson et qu’il ne s’était lui-même jamais rendu en Chine pour inspecter le traitement des marchandises en cause[26].

46.              Tony Di Feo a quant à lui présenté des éléments de preuve au nom de l’ASFC.

47.              Monsieur Di Feo a étudié à l’Université McGill, où il a obtenu un baccalauréat et un doctorat en génie métallurgique, ainsi qu’une maîtrise en génie chimique. Il a travaillé comme ingénieur pour de nombreuses sociétés du secteur minier (Corem, Glencore, Royal Nickel Corporation et Freeport-McMoran). Depuis 2017, il occupe le poste d’ingénieur principal au sein de CanmetMINES, qui fait partie de Ressources naturelles Canada[27].

48.              Monsieur Di Feo a témoigné au sujet de la signification du terme « lévigation », d’après son expérience de travail dans le secteur minier. Selon son expérience, la lévigation est utilisée pour séparer différentes fractions granulométriques dans des solides[28]. Il a approuvé les définitions de dictionnaires suivantes du terme « léviger » :

a.       séparation des fines particules d’une matière plus grossière en les laissant former une suspension dans un liquide.

b.       moyen de classer la matière par fraction granulométrique en fonction de sa vitesse de sédimentation dans la suspension[29].

[Traduction]

49.              Dans le secteur minier, la libération ou l’extraction des minéraux de la roche environnante est une étape essentielle[30].

50.              La lévigation peut être utilisée pour produire différentes fractions granulométriques en vue de procéder à une analyse de la libération des minéraux ou pour séparer les particules d’or des silicates[31]. Monsieur Di Feo a également expliqué que la lévigation entraînait la séparation de différentes fractions granulométriques par sédimentation[32]. Il s’agit d’un processus conçu pour la séparation de matières dont la densité diffère considérablement[33]. La matière doit d’abord être réduite, habituellement à un spectre de dimensions mesuré en micromètres, afin de subir la lévigation. Le broyage est utilisé pour réduire la taille des particules afin qu’elles soient suffisamment petites pour faciliter la séparation par sédimentation[34].

51.              La lévigation peut être effectuée dans un laboratoire au moyen d’un cyclosizer[35], ou encore à l’extérieur d’un laboratoire au moyen d’une série de réservoirs dans lesquels on laisse la matière former un sédiment dans l’eau en fonction de sa densité afin de séparer les particules de façon séquentielle et d’obtenir des particules plus fines. Cette seconde technique est assez peu courante puisque les tonnages dans le secteur minier sont extrêmement élevés[36].

52.              Le terme « élutriation » est synonyme de « lévigation »[37].

53.              Lors de son contre-interrogatoire, M. Di Feo a reconnu que la géologie n’était pas son domaine d’expertise. Il est ingénieur métallurgiste et possède une expertise particulière en broyage et en flottation. Son travail ne l’a jamais amené à travailler avec des pierres de rivière, et il ne connaît pas très bien les termes « pierres de taille » et « pierres de construction »[38].

54.              Monsieur Di Feo a indiqué dans son témoignage qu’il connaissait le processus de polissage en tambour utilisé dans l’industrie minière, mais qu’au sein de celle-ci, on ne procédait ni au lavage, ni « au polissage, [ni] au lissage des pierres »[39] [traduction].

55.              Monsieur Di Feo a également reconnu que certaines des définitions de dictionnaires du mot « léviger » ne correspondaient pas à la définition du processus utilisé dans l’industrie minière[40]. Il a indiqué ne pas savoir comment était utilisé le processus de lévigation dans d’autres industries ou dans des contextes autres que ceux de la minéralurgie et de la métallurgie[41].

56.              Le Tribunal a conclu que MM. Giambattisto et Di Feo étaient tous deux des témoins coopératifs et crédibles.

POSITION DES PARTIES EN APPEL

Danson

57.              Danson a allégué qu’on devrait interpréter le mot « léviger » dans son sens ordinaire (« polir ») parce qu’il ne s’agit pas d’un terme technique pertinent à l’égard de ses activités ou de l’utilisation finale des marchandises (art et artisanat).

58.              Elle a présenté des définitions de dictionnaires dans lesquelles il était indiqué que les termes « léviger » et « lévigation » signifiaient entre autres « rendre lisse » [traduction] ou « polir »[42] [traduction].

59.              Elle a également soutenu que les marchandises s’inscrivaient parfaitement dans la portée de la position no 25.17 puisqu’il s’agissait de cailloux et qu’elles correspondaient à la définition du mot « caillou » qu’on retrouve dans les dictionnaires. Selon elle, les marchandises n’entraient pas dans la portée du chapitre 68 parce qu’elles étaient des « matières », et non des « ouvrages ». Les étapes de traitement ne permettent pas de modifier les pierres ou de les transformer en articles[43].

60.              En outre, étant donné que les marchandises ne sont pas des produits finis ou semi-finis, elles ne sont pas des « ouvrages » et ne peuvent donc pas être considérées comme des « ouvrages en pierre » visés par le chapitre 68[44].

61.              Toujours selon Danson, même si les marchandises sont vendues par elle à des fins artistiques et artisanales, elles peuvent en soi être utilisées comme le précise la note 1 du chapitre 25 (c’est-à-dire des types généralement utilisés pour le bétonnage, l’empierrement des routes, des voies ferrées ou autres ballasts).

62.              Qui plus est, comme les marchandises ne sont pas exclues du chapitre 25, elles devraient être classées comme des « cailloux » dans la position no 25.17.

63.              Danson a donc soutenu que les marchandises étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 2517.10.00, au titre de la règle 1 des Règles générales.

64.              À l’audience, Danson a allégué que les marchandises possédaient des caractéristiques qui leur permettaient de se distinguer des pierres de taille ou de construction. Elle a soutenu que le terme « léviger » avait de multiples définitions et significations, et qu’une définition utilisée dans l’industrie minière ne devrait pas s’appliquer, puisqu’elle ne mène pas d’activités dans cette industrie[45].

ASFC

65.              L’ASFC a admis que les processus de lavage et de triage des pierres de rivière s’inscrivaient dans la portée du chapitre 25.

66.              Elle était d’avis que le terme « léviger » ne signifiait pas « polir ». Elle s’est appuyée sur une définition tirée du Dictionary of Mining, Mineral, and Related Terms (dictionnaire de l’exploitation minière et minérale et autres termes connexes), qui définit le terme « lévigation » de la manière suivante :

a. Séparation des fines particules d’une matière plus grossière en les laissant former une suspension dans un liquide. ASM, 1

b. Moyen de classer la matière par fraction granulométrique en fonction de sa vitesse de sédimentation dans la suspension. Voir : trituration[46].

[Traduction]

67.              Elle a également présenté une définition élaborée par Lenntech, réputée être une grande société internationale d’ingénierie[47], une définition tirée du domaine de l’archéologie, dans lequel la « lévigation » est décrite comme la « purification par sédimentation »[48] [traduction], ainsi que des définitions similaires tirées du Dictionary of Ceramic Science and Engineering (dictionnaire de la technique et de la science de la céramique)[49], conjointement avec quelques définitions qui n’étaient pas propres à une industrie en particulier[50].

68.              S’appuyant sur l’application de la règle 1, l’ASFC a soutenu que les marchandises étaient exclues du chapitre 25 parce que le « polissage » n’était pas expressément mentionné comme un processus autorisé dans les notes de ce chapitre. De l’avis de l’ASFC, les marchandises faisaient partie des exclusions décrites à la note 1 du chapitre 25, à savoir qu’il s’agissait de pierres ayant « subi une main-d’œuvre supérieure à celle indiquée dans chaque position ».

69.              Bien que l’ASFC ait reconnu que le terme « léviger » possède différentes significations et qu’il peut être utilisé dans différents secteurs, elle a prétendu néanmoins que la définition pertinente du terme renvoyait à la séparation de particules en fonction de leur taille et de leur densité[51].

70.              L’ASFC a également souligné que ni Danson ni son fournisseur n’avaient au départ mentionné que les marchandises avaient subi un processus de « lévigation ». Ils avaient plutôt indiqué que les pierres avaient été « polies » [traduction].

71.              L’ASFC a soutenu que, comme les pierres avaient subi des traitements qui allaient au-delà du traitement décrit au chapitre 25, elles devaient être classées dans le chapitre 68, plus précisément dans le numéro tarifaire 6802.99.00, comme autres pierres de taille et de construction. Elle a également fait valoir que les pierres classées dans le chapitre 68 pouvaient être de toute forme et de toute taille[52].

CADRE LÉGISLATIF

72.              La Loi régit la déclaration, l’évaluation et l’imposition des droits relativement aux marchandises importées au Canada.

73.              Les droits de douane varient d’un produit à l’autre. Ils sont prescrits par le Tarif des douanes[53], qui permet de répartir les marchandises dans différents classements. Le Tarif des douanes est basé sur un système international, le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé).

74.              Récemment, la Cour suprême du Canada a présenté une vue d’ensemble du cadre réglementaire qui régit, au Canada, le classement tarifaire des marchandises aux fins des douanes :

[4] Conçu par l’Organisation mondiale des douanes, un organisme intergouvernemental auquel le Canada a adhéré, le Système harmonisé favorise la stabilité et la prévisibilité en matière de classement à l’échelle internationale. Il fait office de norme pour le classement des marchandises dans les dispositions tarifaires pour toutes les parties à la Convention, dont le Canada (voir le Tarif des douanes, par. 10(1) et annexe), mais permet aux États parties d’établir leurs propres taux de droits de douane applicables à ces marchandises selon leurs propres obligations commerciales internationales (M. Prabhu, Canada’s Laws on Import and Export : An Overview (2014), p. 79).

[5] Le Système harmonisé est un système à huit chiffres qui régit le classement des marchandises en vue de l’application du tarif douanier. Il figure en annexe au Tarif des douanes. Il procède, au sein des diverses sections de l’annexe, du général au spécifique, soit des chapitres aux positions, sous‑positions et numéros tarifaires. Par exemple, dans la section I (« Animaux vivants et produits du règne animal »), se trouve le numéro tarifaire 0302.13.40 qui s’applique au saumon rouge frais ou réfrigéré. Les deux premiers chiffres du numéro tarifaire (03) indiquent que l’article relève du chapitre 3 (« Poissons et crustacés, mollusques et autres invertébrés aquatiques »); les quatre premiers (03.02) correspondent à la position « Poissons frais ou réfrigérés, à l’exception des filets de poissons et autre chair de poissons [...] »; les six premiers chiffres (0302.13) correspondent à la sous‑position « Saumons du Pacifique »; le numéro tarifaire à huit chiffres correspond à la marchandise spécifique (« Rouge »).

[6] L’annexe au Tarif des douanes présente également les « Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé ». Aux termes du par. 10(1) du Tarif des douanes, « le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales ».

[7] Les Règles générales, au nombre de six, régissent le classement des marchandises en fonction du Système harmonisé. Selon la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et du TCCE, ces règles s’appliquent « en cascade ». Comme je l’expliquerai, le terme « en cascade » ne décrit cependant pas tout à fait le processus. Certes, les Règles générales s’appliquent dans un ordre prédéterminé, mais cet ordre relève plus de la hiérarchie que de la cascade (Prabhu, p. 82).

[8] Outre le Système harmonisé et les Règles générales, les Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (5e éd. 2012) et leurs modifications, publiées par l’Organisation mondiale des douanes, éclairent le classement des marchandises importées. Ainsi, l’art. 11 du Tarif des douanes dispose que, pour l’interprétation des positions et sous‑positions du Système harmonisé, « il est tenu compte » des Notes explicatives. Si les Notes explicatives – contrairement au Système harmonisé et aux Règles générales – ne sont pas impératives, il faut à tout le moins les prendre en considération dans le classement des marchandises importées au Canada.[54]

75.              Danson a interjeté appel de la décision de l’ASFC au titre du paragraphe 67(1) de la Loi, qui précise que toute « personne qui s’estime lésée » par une décision de l’ASFC peut en interjeter appel devant le Tribunal en déposant par écrit un avis d’appel dans le délai prescrit :

67 (1) Toute personne qui s’estime lésée par une décision du président rendue conformément aux articles 60 ou 61 peut en interjeter appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur en déposant par écrit un avis d’appel auprès du président et du Tribunal dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de l’avis de décision.

76.              Bien que la Loi ne définisse pas le terme « personne qui s’estime lésée », celui-ci est utilisé dans la common law et dans d’autres régimes législatifs pour accorder la qualité d’agir. Ce terme est habituellement employé pour faire référence à une personne qui est touchée, d’une façon ou d’une autre, par une loi, une décision ou le droit de propriété d’une autre personne ou entité[55]. Le Tribunal conclut que cette signification est adéquate en ce qui concerne le terme « personne qui s’estime lésée » dans le cadre d’une interprétation contextuelle du droit d’interjeter appel conféré par l’article 67 de la Loi.

77.              Il ne fait aucun doute que Danson est une « personne qui s’estime lésée ». Ses intérêts commerciaux et financiers subissent les répercussions de la décision de l’ASFC. Les importations antérieures de pierres de rivière avaient été classées par l’ASFC dans le chapitre 25. Le nouveau classement des marchandises dans le chapitre 68 a généré une incertitude commerciale pour la société[56].

78.              La décision de l’ASFC de reclasser les marchandises a eu pour effet d’obliger Danson à payer des droits et des pénalités rajustés et rétroactifs sur les pierres de rivière importées, non seulement pour l’expédition en cause, mais aussi pour les expéditions antérieures[57].

79.              Le prix des marchandises est peu élevé[58], et les marges de profit pour celles‑ci semblent être très minces compte tenu des points de vente au détail où elles sont vendues. Des droits qui sont augmentés ultérieurement et dont les taux sont, comme on peut s’y attendre, plus élevés peuvent nuire à la position concurrentielle de Danson, puisque ces droits exigibles sont pris en compte dans le prix des marchandises que paient ses clients[59].

80.              Les Règles prescrivent la procédure à suivre dans les appels interjetés au titre de l’article 67 de la Loi. En appel, tant l’appelante que l’intimé peuvent déposer des documents supplémentaires, y compris des pièces dont l’ASFC ne disposait pas en première instance. Les parties peuvent également présenter une preuve de fait ou appeler des experts à témoigner devant le Tribunal lors d’une audience. Tout témoin peut être contre-interrogé par la partie adverse et interrogé par le Tribunal[60].

81.              Par conséquent, il est possible que le dossier dont est saisi le Tribunal soit très différent de celui sur lequel le décideur s’est appuyé pour rendre la décision qui fait l’objet de l’appel.

82.              Une analyse téléologique du régime législatif révèle que le Tribunal n’est pas tenu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision faisant l’objet de l’appel. Bien que le droit de déposer de nouveaux éléments de preuve ou des éléments supplémentaires en appel puisse laisser penser que l’audience procède de novo, ce seul facteur n’est pas déterminant. D’autres régimes de réglementation définis par une loi fédérale, comme celui pris en compte par le juge Lutfy dans la décision Young Drivers of Canada Enterprises Ltd. v. Chan[61], autorisent aussi le dépôt de nouveaux éléments de preuve dans un appel prévu par la loi, mais, selon l’interprétation qu’on en a faite, ils traitent néanmoins avec déférence le décideur spécialisé dont la décision est visée par l’appel[62].

83.              Cependant, un tel raisonnement est né dans un contexte où un décideur non spécialisé était saisi d’une demande de contrôle à l’encontre d’une décision rendue par un décideur spécialisé, même s’il y avait à ce stade de nouveaux éléments de preuve. Même si l’ASFC possède une grande expérience dans la détermination du classement tarifaire, le Tribunal est un décideur tout autant spécialisé sur cette question[63]. À cet égard, l’article 67 de la Loi précise le processus que doit suivre un décideur spécialisé pour statuer sur le recours, par voie d’appel, à l’encontre d’une décision rendue par un autre décideur spécialisé.

84.              L’appel interjeté devant le Tribunal découle d’une décision que l’ASFC a rendue au titre du paragraphe 60(4) de la Loi :

60 (4) Sur réception de la demande prévue au présent article, le président procède sans délai à l’une des interventions suivantes :

a) la révision ou le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane;

b) la confirmation, la modification ou l’annulation de la décision anticipée;

c) la révision ou le réexamen de la décision sur la conformité des marques.

85.              Le paragraphe 67(3) de la Loi confère au Tribunal un large pouvoir de trancher un appel :

(3) Le Tribunal canadien du commerce extérieur peut statuer sur l’appel prévu au paragraphe (1), selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration, celles-ci n’étant susceptibles de recours, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 68.

86.              Ce libellé n’accorde pas simplement au Tribunal le même pouvoir discrétionnaire qu’à l’ASFC, non plus qu’il ne permet au Tribunal de se substituer au décideur de première instance en lui prescrivant de rendre, par voie d’une révision, d’un réexamen, d’une confirmation, d’une annulation ou d’un renversement, la décision qui aurait pu (ou dû) être rendue en première instance.

87.              Le paragraphe 67(3) de la Loi confère plutôt au Tribunal une large compétence légale de « statuer sur l’appel [...] selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration [...] ». La décision du Tribunal est protégée par une clause privative, laquelle n’est restreinte que par un droit d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit uniquement[64].

88.              En outre, la structure et la procédure applicables aux appels relatifs au classement tarifaire exigent explicitement que l’ASFC soit partie à un appel interjeté à l’encontre d’une de ses propres décisions[65]. Il s’agit d’une exception créée par la loi à la règle générale selon laquelle un décideur de première instance n’est pas nommé comme partie en appel et ne comparaît pas pour défendre sa propre décision[66].

89.              Qui plus est, les appels interjetés devant le Tribunal au titre de l’article 67 de la Loi se distinguent encore plus des appels conventionnels en ce que les avis d’audience doivent être publiés dans la Gazette du Canada et que la participation peut ne pas se limiter à l’appelante et à l’intimé. Comme l’a constaté la juge Sharlow dans l’arrêt Yves Ponroy :

L’avis d’audience doit être publié dans la Gazette du Canada. Toute personne peut intervenir de plein droit dans ces appels et a le droit d’être considérée comme une partie, et même interjeter appel en vertu de l’article 68. Il ressort de la procédure prescrite par la loi que le législateur fédéral prévoyait que, dans ces appels, des questions de fait ou de principe qui ne présentent pas un intérêt particulier pour l’appelant et l’intimé, mais qui peuvent intéresser un tiers, peuvent être soumises au TCCE, qui doit les examiner[67].

90.              Tous ces facteurs réunis indiquent qu’un appel interjeté au titre de l’article 67 de la Loi doit être un nouveau recours, distinct de celui de première instance dont était saisie l’ASFC.

91.              Par conséquent, un appel formé à l’encontre d’une décision de l’ASFC doit être instruit et tranché de novo par le Tribunal[68]. Comme l’a fait remarquer le juge Rothstein dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham[69], une nouvelle audience est une audience au cours de laquelle la cour de révision tire des conclusions de fait et tranche des questions en fonction uniquement des éléments de preuve dont elle dispose, sans faire preuve de retenue à l’égard de la décision rendue en première instance :

Je pense qu’il est important en premier lieu de clarifier l’utilisation du mot « nouvelle » dans l’expression nouvelle audience. À proprement parler, une nouvelle audience est une audience au cours de laquelle un nouveau dossier est présenté et au cours de laquelle il n’est aucunement tenu compte d’une décision antérieure (voir à cet égard les arrêts Bayside Drive-in Ltd. c. M.R.N. (1997), 218 N.R. 150 (C.A.F.), à la page 156; Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, 2000 CanLII 17105 (CAF), [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), à la page 166)[70].

92.              Un appel au cours duquel le dossier est repris ou est complété par de nouveaux éléments de preuve n’est pas, à proprement parler, un « nouveau dossier ». Malgré cela, la jurisprudence reconnaît que l’appel peut, à des fins pratiques, être entendu de novo si les parties ont choisi de produire, lors de celui-ci, le dossier précédent comme élément de preuve[71].

93.              Ainsi, lorsque le Tribunal procède à l’examen du dossier dont il est saisi, il doit rendre sa propre décision relativement au classement tarifaire approprié pour les marchandises. Pour ce faire, il lui est loisible de réévaluer les éléments de preuve et de les apprécier de nouveau, et il n’est pas tenu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’ASFC.

LES MARCHANDISES

94.              Il est bien établi en droit que le Tribunal doit évaluer les marchandises, aux fins du classement, en fonction de la date à laquelle elles ont été importées au Canada[72].

95.              Au moment de leur importation, les marchandises étaient constituées d’une multitude de pierres de couleur, de taille et de forme généralement similaires emballées dans un sac transparent ou un sac-filet. Tant les photographies que les pièces déposées par Danson montrent que la surface extérieure des pierres emballées est généralement lisse[73].

96.              En appel, les éléments de preuve de Danson relatifs aux marchandises et à leur traitement sont demeurés essentiellement inchangés par rapport à ceux qui figuraient dans le dossier dont disposait l’ASFC.

LES MARCHANDISES PEUVENT-ELLES ÊTRE CLASSÉES DANS LE CHAPITRE 25?

97.              À première vue, les marchandises en cause sont visées par le titre du chapitre 25 : Sel; soufre; terres et pierres; plâtres, chaux et ciment, lequel fait partie de la section V : Produits minéraux. Il incombe au Tribunal de déterminer la position et la sous-position appropriées pour leur classement.

98.              Les pierres de rivière naturelles sont reconnues comme des « pierres »[74]. Les parties ne s’entendent cependant pas sur la question de savoir si les marchandises respectent les critères soulignés dans les notes du chapitre 25 (ou si ces notes les en exclut) ou, subsidiairement, si elles peuvent être classées dans le chapitre 68.

99.              Les parties conviennent — et le Tribunal est d’accord avec elles — que le point de départ de l’analyse consiste à déterminer si les marchandises sont correctement classées dans le chapitre 25.

100.          Les éléments pertinents des notes du chapitre 25 sont les suivants :

1. Sauf dispositions contraires et sous réserve de la Note 4 ci-après, n’entrent dans les positions du présent Chapitre que les produits à l’état brut ou les produits lavés (même à l’aide de substances chimiques éliminant les impuretés sans changer la structure du produit), concassés, broyés, pulvérisés, soumis à lévigation, criblés, tamisés, enrichis par flottation, séparation magnétique ou autres procédés mécaniques ou physiques (à l’exception de la cristallisation), mais non les produits grillés, calcinés, résultant d’un mélange ou ayant subi une main-d’œuvre supérieure à celle indiquée dans chaque position.

[...]

2. Le présent Chapitre ne comprend pas :

[...]

e) les pavés, bordures de trottoirs et dalles de pavage (no 68.01); les cubes, dés et articles similaires pour mosaïques (no 68.02); les ardoises pour toitures ou revêtements de bâtiments (no 68.03);

[...]

3. Tout produit susceptible de relever à la fois du no 25.17 et d’une autre position de ce Chapitre est à classer au no 25.17.

101.          À ce titre, le Tribunal doit d’abord décider si les caractéristiques des marchandises ont pour effet de les inclure dans les limites du chapitre 25 et, par conséquent, dans l’une des positions qu’il contient, ou, au contraire, de les en exclure.

102.          La note 1 précise que les produits (c’est-à-dire sel; soufre; terres et pierres; plâtres, chaux et ciments) « à l’état brut » sont inclus dans le chapitre 25.

103.          Les produits qui ont été « lavés (même à l’aide de substances chimiques éliminant les impuretés sans changer la structure du produit), concassés, broyés, pulvérisés, soumis à lévigation, criblés, tamisés, enrichis par flottation, séparation magnétique ou autres procédés mécaniques ou physiques (à l’exception de la cristallisation) » s’inscrivent aussi dans la portée du chapitre 25.

104.          Sont toutefois exclus du chapitre 25 les produits « grillés, calcinés, résultant d’un mélange ou ayant subi une main-d’œuvre supérieure à celle indiquée dans chaque position ».

105.          Nul ne conteste que la position du chapitre 25 pertinente en l’espèce est la position no 25.17 :

Cailloux, graviers, pierres concassées, des types généralement utilisés pour le bétonnage ou pour l’empierrement des routes, des voies ferrées ou autres ballasts, galets et silex, même traités thermiquement; macadam de laitier, de scories ou de déchets industriels similaires, même comprenant des matières reprises dans la première partie du libellé; tarmacadam; granules, éclats et poudres de pierres des nos 25.15 ou 25.16, même traités thermiquement.

Analyse

106.          Pour régler les questions de fond soulevées dans le présent appel, le Tribunal doit interpréter le libellé du classement tarifaire au moyen des notes légales et explicatives pertinentes. Il doit ensuite établir comme une question de fait la nature et les propriétés des marchandises et déterminer le classement tarifaire approprié pour celles-ci[75].

107.          Les principes de l’interprétation législative sont bien établis[76]. Il faut donner au libellé du texte législatif une interprétation téléologique qui tient compte du sens ordinaire des mots lorsque ceux-ci sont lus dans le contexte global. Le libellé doit être lu en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la Loi, de même qu’avec l’intention du législateur [77].

108.          Lors de l’interprétation d’un règlement, le libellé en cause doit aussi être interprété dans le contexte global de la loi habilitante[78]. Cependant, comme l’a constaté le juge Décary dans l’arrêt Canada (ministre du Revenu national) c. Schrader Automotive Inc.[79], le Tarif des douanes est une loi très technique :

Or, si le Tarif des douanes est une loi, il s’agit d’une loi très technique. Elle porte sur un domaine tellement spécialisé et elle est rédigée dans des termes qui ont tellement peu à voir avec le libellé des lois traditionnelles, qu’à toutes fins pratiques, la demande faite à la Cour consiste à donner un sens juridique à des mots techniques qui débordent complètement son mandat habituel. De plus, il existe des règles d’interprétation canadiennes et internationales uniques, applicables au Tarif des douanes, qui sont fort différentes des règles d’interprétation traditionnelles[80].

109.          Au moment de leur importation, les marchandises ne sont pas à l’état « brut ». Ce terme peut judicieusement décrire les pierres au moment où elles sont ramassées sur le lit de la rivière en Chine. Cependant, les éléments de preuve démontrent que les pierres ramassées sont lavées, triées et « polies » [traduction] avant être emballées et expédiées[81].

110.          Il est incontestable que le « lavage » et le « triage » des pierres s’inscrivent dans la portée des procédés expressément mentionnés dans la note 1 du chapitre 25.

111.          L’une des questions en litige porte sur l’interprétation du verbe « léviger ». Il faut déterminer, comme question de fait, si le « polissage » des pierres est effectué dans le cadre d’un procédé de « lévigation » avant que celles-ci soient emballées et expédiées au Canada.

112.          Subsidiairement, il faudra trancher la question de savoir si le lissage ou le « polissage » des pierres est la conséquence de tout autre procédé qui entre dans la portée du chapitre 25.

113.          Si un terme utilisé dans le Tarif des douanes a un sens particulier dans une industrie, il doit être interprété à la lumière de cette signification. Sinon, il doit être interprété selon son sens ordinaire[82].

114.          Si un texte législatif qui s’apparente à un règlement comprend une terminologie technique ou scientifique, les témoignages d’experts peuvent être admissibles pour aider le tribunal administratif (ou judiciaire) à en interpréter le libellé. L’objectif de pareils témoignages d’experts est de contribuer à la compréhension de la signification des mots, de la terminologie et du contexte scientifique ou technique pertinent. Il s’agit là d’une exception à la règle générale selon laquelle les témoignages d’experts ne sont pas admissibles à l’égard de la question fondamentale qui doit être tranchée. Cependant, les experts ne remplacent pas le décideur judiciaire ou quasi judiciaire. L’interprétation d’un règlement est une question de droit réservée au tribunal judiciaire ou administratif, et elle ne peut être déléguée à des experts. À ce titre, l’opinion formulée par un expert peut être acceptée ou rejetée, en tout ou en partie[83]. Le Tribunal estime que ces principes généraux sont aussi pertinents et applicables à l’interprétation des positions utilisées dans le Tarif des douanes.

115.          En l’espèce, le Tribunal accepte le témoignage de M. Di Feo relativement aux caractéristiques et à l’utilisation de la lévigation dans l’industrie minière. Cependant, le Tribunal constate que les marchandises ne sont pas des produits de l’industrie minière. L’objectif de l’exploitation minière est l’extraction des ressources minérales de la terre. Dans ce contexte, le procédé de lévigation décrit par M. Di Feo facilite l’isolement des minéraux précieux par la réduction de la terre et de la pierre en petites particules de façon à pouvoir extraire des concentrations assez faibles de minéraux précieux. Cet objectif a très peu à voir avec la nature, le but et l’utilisation finale des marchandises en cause.

116.          Dans le contexte minier décrit par M. Di Feo, les matières extraites sont réduites et soumises à un grand nombre de procédés (lesquels peuvent inclure la lévigation) pour obtenir des quantités commercialement utiles de minerais ou minéraux précieux. La matière première est physiquement ou chimiquement transformée par l’intermédiaire d’une série de procédés afin d’obtenir le produit final.

117.          À l’inverse, au moment de l’importation, l’état des marchandises (du point de vue de leur apparence et de leurs caractéristiques) n’est pas très différent de ce qu’il était lorsque les pierres ont été ramassées. Les procédés intermédiaires auxquels les marchandises sont soumises sont essentiellement d’ordre esthétique, plutôt que d’avoir un effet fondamentalement transformateur.

118.          Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la discipline scientifique la plus pertinente pour les marchandises est la géologie, et non la métallurgie. Pendant son témoignage, M. Di Feo a été franc et a affirmé que certaines des questions qui lui étaient posées relativement aux marchandises touchaient la géologie, qui n’était pas son domaine d’expertise. À ce titre, le Tribunal conclut que la pertinence du procédé de lévigation décrit par M. Di Feo est limitée, voire nulle, pour le classement de ces marchandises en particulier dans le chapitre 25.

119.          En l’absence de témoignages d’experts relativement à la question de savoir si la « lévigation » est connue dans la discipline scientifique de la géologie, le Tribunal ne peut que se pencher sur les définitions de dictionnaires du mot « léviger », qui comprennent le sens de « rendre lisse, polir »[84] [traduction].

120.          Le Tribunal doit ensuite prendre en considération les éléments de preuve pour décider si le traitement des marchandises s’inscrit dans la portée de cette définition du mot « lévigation ».

121.          L’ASFC s’est opposée aux éléments de preuve produits par Danson relativement au ramassage et au traitement des pierres de rivière, au motif qu’il s’agissait de ouï-dire. En effet, M. Giambattisto n’avait pas personnellement été témoin de ces activités puisqu’il ne s’était jamais rendu dans les installations du fournisseur de Danson en Chine[85].

122.          En l’espèce, l’une des questions en litige porte sur la correspondance entre Danson et son fournisseur. Celle-ci comprend des courriels rédigés et envoyés par M. Giambattisto au fournisseur étranger de Danson, ainsi que les réponses que ce dernier a adressées à la société[86]. Après avoir examiné la correspondance en question, le Tribunal conclut que la nature des demandes de renseignements envoyées par Danson à son fournisseur n’était pas inhabituelle, dans le contexte d’une relation d’affaires entre un fournisseur et son client.

123.          À cet égard, cette correspondance a été établie par Danson dans le cours normal de ses affaires, et elle est donc visée (du moins, à première vue) par la dispense relative aux pièces commerciales prévue par la Loi sur la preuve au Canada[87].

124.          Lors de son examen de l’objection de l’ASFC relative à la preuve par ouï-dire, le Tribunal a également constaté que la jurisprudence avait modifié la règle traditionnelle interdisant la preuve par ouï‑dire, en faveur d’une méthode d’analyse fondée sur des principes. Une preuve par ouï-dire peut ainsi être admise si elle respecte les critères de la fiabilité et de la nécessité[88].

125.          Monsieur Giambattisto a comparu en personne à l’audience. Il a expliqué dans son témoignage que Danson entretenait une relation d’affaires de longue date avec ce fournisseur en particulier, et il s’est montré confiant à l’égard de la volonté du fournisseur de coopérer avec Danson et de répondre aux questions qui lui avaient été posées[89]. L’ASFC a eu l’occasion de contre-interroger M. Giambattisto, ce qu’elle a fait.

126.          À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que les renseignements reçus par courriel par Danson de la part de son fournisseur respectent le critère du seuil de fiabilité, conformément à la « façon fondée sur des principes » d’aborder l’exception de common law permettant l’admission d’une preuve par ouï-dire[90].

127.          Pour ce qui est du critère de la nécessité, la solution de rechange à la production de la correspondance par courriel comme élément de preuve aurait consisté à ce que M. Giambattisto (ou quelqu’un d’autre au sein de Danson) se rende en Chine pour être personnellement témoin du ramassage et du traitement des pierres de rivière. Une telle visite aurait nécessairement été postérieure au traitement de l’expédition en cause dans la présente instance. Subsidiairement, un témoin du fournisseur chinois ayant une connaissance personnelle de l’origine et du traitement de l’expédition en question aurait eu à venir au Canada pour témoigner à l’audience. Le Tribunal conclut que ces solutions de rechange auraient été disproportionnellement coûteuses et inutilement complexes, compte tenu des circonstances propres à la présente affaire, de la nature sommaire des questions de classement tarifaire et de l’objectif du Tribunal qui consiste à assurer « le règlement de chaque procédure de la façon la plus équitable, la plus expéditive et la moins onéreuse possible »[91].

128.          Les éléments de preuve de Danson auraient pu être plus détaillés; ils auraient pu, notamment, comprendre des renseignements supplémentaires sur le fonctionnement du tonneau de polissage. Le tribunal conclut néanmoins que les éléments de preuve sont suffisants pour lui permettre de faire des inférences raisonnables et de tirer des conclusions sur le traitement des marchandises dans le but de déterminer le classement tarifaire adéquat sous le régime du Tarif des douanes.

129.          Compte tenu de son examen des éléments de preuve, le Tribunal conclut que le « polissage » des pierres lavées et triées est effectué dans un tonneau de polissage motorisé qui tourne sur un axe cylindrique. La surface des pierres est lissée par les forces physiques de l’impact, de l’abrasion, de l’usure et de la friction qui se produisent lorsque les pierres se heurtent les unes aux autres de façon aléatoire et frappent les parois intérieures du tonneau de polissage lorsqu’il tourne.

130.          L’ASFC a fait valoir que les marchandises étaient exclues du chapitre 25 parce que le mot « polissage » n’était pas explicitement mentionné dans les notes ou dans l’une ou l’autre des positions de ce chapitre.

131.          Selon une interprétation téléologique, la note 1 du chapitre 25 dresse une liste de procédés qui sont essentiellement physiques ou mécaniques. Ceux-ci se distinguent des procédés nommés (« grillés, calcinés, résultant d’un mélange ») qui ont pour effet d’exclure des marchandises du chapitre 25. Ces procédés à caractère exclusoire évoquent une modification ou une transformation des marchandises qui va au-delà d’un procédé purement mécanique.

132.          Sont également exclues de la portée du chapitre 25 les marchandises « ayant subi une main-d’œuvre supérieure à celle indiquée dans chaque position ».

133.          Le Tribunal conclut qu’il y a « main-d’œuvre supérieure » à ce qui est autorisé par le chapitre 25 lorsque l’ouvraison excède le traitement purement mécanique et donne lieu à une transformation ou à une conversion intrinsèque du produit. Cette conclusion est étayée par les notes du chapitre 25. Il y est indiqué que les produits peuvent être traités pour éliminer les impuretés, pourvu que leur structure ne soit pas changée et que la chaleur à laquelle ils sont soumis pour en éliminer l’humidité ou les impuretés ne modifie ni leur structure chimique ni leur structure cristalline.

134.          Le polissage des pierres dans un tonneau rotatif est un procédé purement mécanique. Il n’entraîne aucune modification de la structure chimique ou cristalline des pierres ni de leurs propriétés intrinsèques. Les photographies produites par Danson montrent que les produits sont des « pierres » avant d’être placées dans le tonneau de polissage, et qu’elles sont toujours des « pierres » lorsqu’elles en ressortent. Les parties reconnaissent que les marchandises sont des « pierres » au moment de leur importation.

135.          Le « polissage » des pierres sert à lisser la surface texturée de celles-ci. Ce procédé peut entraîner une faible diminution de la taille de chaque pierre individuelle puisque les arêtes abrasives ou les surfaces mates sont érodées pendant le tonnelage. On pourrait considérer que cet effet découle de la « lévigation », mais le Tribunal estime que les forces physiques exercées dans le tonneau peuvent aussi être caractérisées de « broyage », étant donné qu’elles ont pour effet de lisser la surface des pierres par impact, usure, friction et abrasion. Le « broyage » est un processus qui s’inscrit parfaitement dans la portée du chapitre 25.

136.          L’ASFC a également renvoyé le Tribunal à des décisions rendues par les autorités douanières américaines, qui ont conclu que des marchandises similaires à celles en cause ne s’inscrivaient pas dans la portée du chapitre 25. Bien que le Tribunal puisse tenir compte de conclusions tirées sous le régime des lois sur les douanes d’autres pays, il ne saurait leur accorder beaucoup de poids[92]. Les décisions rendues dans d’autres pays, même si elles portent sur des marchandises analogues, ne peuvent ni écarter, ni restreindre, ni déterminer le résultat de l’analyse du Tarif des douanes que le Tribunal est tenu, dans le cadre d’un appel interjeté au titre de l’article 67, de réaliser en se fondant sur les principes pertinents du droit canadien.

137.          Subsidiairement, le Tribunal a aussi tenu compte des arguments de l’ASFC selon lesquels le « polissage » des pierres constituait une « main-d’œuvre supérieure » à la portée du chapitre 25, ce qui avait pour conséquence d’exclure les marchandises du chapitre 25 et de faire entrer en jeu le chapitre 68.

138.          Le chapitre 68 : Ouvrages en pierres, plâtre, ciment, amiante, mica ou matières analogues, fait partie de la section XIII : Ouvrages en pierres, plâtre, ciment, amiante, mica ou matières analogues; Produits céramiques; Verre et ouvrages en verre. La position pertinente dans le chapitre 68 est la position no 68.02 :

Pierres de taille ou de construction (autres que l’ardoise) travaillées et ouvrages en ces pierres, à l’exclusion de ceux du no 68.01; cubes, dés et articles similaires pour mosaïques, en pierres naturelles (y compris l’ardoise), même sur support; granulés, éclats et poudres de pierres naturelles (y compris l’ardoise), colorés artificiellement.

139.          Les éléments pertinents des notes du chapitre 68 sont les suivants :

1. Le présent Chapitre ne comprend pas :

a) les articles du chapitre 25;

[...]

2. Au sens du no 68.02, la dénomination pierres de taille ou de construction travaillées s’applique non seulement aux pierres relevant des nos 25.15 ou 25.16, mais également à toutes autres pierres naturelles (quartzites, silex, dolomie, stéatite, par exemple) pareillement travaillées, à l’exception de l’ardoise.

140.          Le classement des marchandises dans le chapitre 68 exigerait du Tribunal qu’il adopte une interprétation non contextuelle et non téléologique des notes applicables tant au chapitre 25 qu’au chapitre 68.

141.          Si les marchandises ont subi des traitements qui dépassent la portée du chapitre 25, de sorte qu’elles sont visées par le chapitre 68, ces traitements doivent être de nature à transformer les « pierres » en « pierres travaillées ». Non seulement les pierres doivent-elles être « travaillées », mais la caractéristique « de taille » doit aussi leur être applicable.

142.          Les notes explicatives de la position no 68.02 indiquent que cette position comprend « les ouvrages de tailleur, de tourneur ou de sculpteur de pierres ».

143.          À ce titre, pour que les marchandises soient à la fois exclues du chapitre 25 et correctement classées dans le chapitre 68, elles doivent avoir subi une « ouvraison » qui comprend une intervention humaine sous forme d’une application des compétences artistiques ou artisanales, de la maîtrise et du savoir-faire associés aux métiers de tailleur ou de sculpteur. On ne retrouve pas ces caractéristiques dans le traitement effectué par le fournisseur chinois de Danson. Les pierres ne sont pas polies à la main; le « polissage » découle plutôt d’un procédé purement mécanique et du mouvement aléatoire des pierres qui sont mélangées dans le tonneau. Le mouvement aléatoire de pierres dans un tonneau motorisé ne s’apparente pas au jugement, à la maîtrise et aux compétences dont ferait preuve un artisan comme un tailleur ou un sculpteur « travaillant » la pierre.

144.          Le Tribunal estime que la caractéristique « de taille » fait référence soit à la taille des pierres travaillées, soit à leur utilisation prévue. Il ne considère pas que le terme « de taille » s’applique aux marchandises. Compte tenu des conclusions tirées ci-dessus, le Tribunal n’a pas besoin de se pencher davantage sur ce point.

145.          Par conséquent, les marchandises n’ont pas été « travaillées » d’une façon telle qu’elles devraient être classées comme « pierres de taille travaillées » aux fins de la position no 68.02.

146.          À la lumière de ce qui précède et compte tenu de l’application de la règle 1, le Tribunal conclut que les marchandises ne sont pas exclues du chapitre 25 et qu’elles sont correctement classées dans la position n25.17. En ce qui concerne le classement dans la sous-position, les parties n’ont pas exprimé de désaccord sur le fait que la sous-position applicable de la position no 25.17 serait la sous-position no 10.00 si les marchandises étaient jugées admissibles au classement dans la position no 25.17. Dans tous les cas, le Tribunal est convaincu que les marchandises en cause respectent les critères de classification dans le numéro tarifaire 2517.10.00 et devraient être classées en conséquence.

DÉCISION

147.          L’appel est accueilli.




Susan D. Beaubien                 
Susan D. Beaubien
Membre présidant



[1].     L.R.C., 1985, ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2].     Transcription de l’audience publique à la p. 23.

[3].     Ibid. à la p. 27.

[4].     Ibid. aux p. 27-28.

[5].     Pièce AP-2018-043-03, vol. 1 aux p. 17, 24; pièce AP-2018-043-05A, vol. 1 à la p. 5.

[6].     Ibid. à la p. 129.

[7].     Ibid. aux p. 129-134; pièce AP-2018-043-03, vol. 1 aux p. 21-24.

[8].     Ibid. aux p. 3-8, 17-18.

[9].     Ibid. à la p. 18.

[10].   Ibid. aux p. 18-20.

[11].   Ibid. à la p. 21.

[12].   D.O.R.S./91-499 [Règles].

[13].   Andritz Hydro Canada Inc. et VA Tech Hydro Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (21 juin 2013), AP-2012-022 (TCCE) au par. 34.

[14].   Transcription de l’audience publique à la p. 18.

[15].   Ibid. aux p. 17-18.

[16].   Pièce AP-2018-043-10A, vol. 1 aux p. 100-102; pièce AP-2018-043-03, vol. 1 à la p. 17.

[17].   Transcription de l’audience publique à la p. 19.

[18].   Ibid. aux p. 20-21; pièce AP-2018-043-15A, vol. 1.

[19].   Ibid. à la p. 22.

[20].   Ibid. à la p. 23.

[21].   Ibid. aux p. 23-26, 41-44.

[22].   Ibid. à la p. 26.

[23].   Ibid. aux p. 27-28, 31-32.

[24].   La correspondance faisait partie du dossier dont était saisie l’ASFC lors de la première instance (voir pièce AP-2018-043-03, vol. 1 à la p. 17; pièce AP-2018-043-10A, vol. 1 aux p. 100-102); Transcription de l’audience publique aux p. 32‑36, 38-39, 40-41, 44.

[25].   Transcription de l’audience publique à la p. 40.

[26].   Ibid. aux p. 40-41, 44-45.

[27].   Ibid. à la p. 48.

[28].   Ibid. à la p. 49.

[29].   Pièce AP-2018-043-05A, vol. 1 aux p. 166-167; Transcription de l’audience publique à la p. 49.

[30].   Ibid. à la p. 61.

[31].   Ibid. aux p. 49-50.

[32].   Ibid. à la p. 62.

[33].   Ibid. à la p. 91.

[34].   Ibid. aux p. 88-89, 95-96.

[35].   Ibid. aux p. 49-50.

[36].   Ibid. à la p. 51.

[37].   Ibid. aux p. 51, 92.

[38].   Ibid. aux p. 55, 58.

[39].   Ibid. aux p. 71, 75-76.

[40].   Ibid. aux p. 63-66.

[41].   Ibid. à la p. 90.

[42].   Pièce AP-2018-043-03, vol. 1 aux p. 18, 52-62; pièce AP-2018-043-10A, vol. 1 aux p. 45-56.

[43].   Pièce AP-2018-043-03, vol. 1 aux p. 15-16; Transcription de l’audience publique aux p. 110-111.

[44].   Ibid. aux p. 110-111.

[45].   Ibid. aux p. 103-105.

[46].   Pièce AP-2018-043-05A, vol. 1 à la p. 13.

[47].   Ibid.

[48].   Ibid. aux p. 13-14.

[49].   Ibid. à la p. 14.

[50].   Ibid. aux p. 14-16.

[51].   Transcription de l’audience publique aux p. 116-117.

[52].   Ibid. à la p. 118.

[53].   L.C. 1997, ch. 36.

[54].   Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII) aux par. 4-8.

[55].   Robert Crean & Co. v. Dobbs & Co., [1930] SCR 307; Energy Probe v. Canada (Atomic Energy Control Board), 1984 CanLII 2966 aux par. 30-34; Pollock c. Ministre des Transports, [1974] RCS 749 à la p. 758.

[56].   Transcription de l’audience publique aux p. 36-38, 45-46.

[57].   Ibid. aux p. 45-46; pièce AP-2018-043-05A, vol. 1 aux p. 129-145.

[58].   Transcription de l’audience publique à la p. 41.

[59].   Ibid. aux p. 45-46.

[60].   Partie II – Procédure applicable aux appels en vertu des Règles.

[61].   175 FTR 99, 1999 CanLII 8629 (CF).

[62].   Voir aussi Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., 1999 CanLII 8988 (CF) aux par. 18-41.

[63].   Richards Packaging Inc. c. Canada (Sous-Ministre du Revenu National), 2000 CanLII 16525 (CAF) au par. 4; Deputy Canada (Ministre du revenu national) c. Yves Ponroy Canada, 2000 CanLII 15801 (CAF) [Yves Ponroy] aux par. 32, 37.

[64].   Loi, art. 68.

[65].   Règles, art. 2, 30-35.

[66].   Genex Communications Inc. c. Canada (Procureur Général), 2005 CAF 283 au par. 66.

[67].   Yves Ponroy au par. 34.

[68].   Cargill Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2012-070 (TCCE) au par. 36.

[69].   [2004] 3 CF 572, 2004 CAF 4 (CanLII) [Thanabalasingham].

[70].   Ibid. au par. 6.

[71].   Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, 2000 CanLII 17105 (CAF) aux par. 46-47, notes 12‑13.

[72].   Komatsu International (Canada) Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (10 avril 2012), AP‑2010-006 (TCCE) au par. 22.

[73].   Pièce AP-2018-043-03, vol. 1 aux p. 5-9; pièces AP-2018-043-A-01 à A-18.

[74].   Transcription de l’audience publique à la p. 53.

[75].   Yves Ponroy au par. 36.

[76].   Voir par exemple Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 RCS 559 aux par. 26-30.

[77].   Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 aux par. 21-22, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, à la p. 87.

[78].   Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 RCS 533 aux par. 38, 43-44.

[79].   1999 CanLII 7719 (CAF) [Schrader].

[80].   Schrader au par. 5.

[81].   Transcription de l’audience publique aux p. 32-34.

[82].   Outdoor Gear Canada c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (21 novembre 2011), AP-2010-060 (TCCE) au par. 25.

[83].   Voir par exemple Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 RCS 1067 aux par. 49e), 53, 57, 61; Nekoosa Packaging Corp. v. AMCA International Ltd. 85 FTR 160 (FCA) aux par. 12-14; Halford c. Seed Hawk Inc., 2001 CFPI 1154 aux par. 13-24 pour consulter des discussions sur l’utilisation et les limites des témoignages d’experts lors de l’interprétation d’un langage technique qui doit être interprété comme une question de droit.

[84].   Pièce AP-2018-043-03, vol. 1 à la p. 18; pièce AP-2018-043-05A, vol. 1 aux p. 183-186; Transcription de l’audience publique aux p. 63-64.

[85].   Ibid. aux p. 33-35, 40-41, 128.

[86].   Pièce AP-2018-043-10A, vol. 1 aux p. 100-102.

[87].   L.R.C. 1985, ch. C-5, par. 30(1).

[88].   R. c. Khan, [1990] 2 RCS 531; R. c. Smith, [1992] 2 RCS 915; R. c Starr, [2000] 2 RCS 144 [Starr].

[89].   Transcription de l’audience publique à la p. 45.

[90].   Voir par exemple Starr au par. 215.

[91].   Règles, art. 3.

[92].   Liteline Corporation c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (1er février 2016), AP-2014-029 (TCCE) au par. 43; Korhani Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 novembre 2008), AP-2007-008 (TCCE) à la p. 7; BMC Coaters Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada  (6 décembre 2010), AP-2009-071 (TCCE).

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