Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2018-051

B. Erickson Manufacturing Ltd.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le vendredi 13 septembre 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 6 juin 2019, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 7 novembre 2018 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

B. ERICKSON MANUFACTURING LTD.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.
















Serge Fréchette                       
Serge Fréchette
Membre présidant


Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 6 juin 2019

Membre du Tribunal :                                            Serge Fréchette, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Sarah Perlman, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

B. Erickson Manufacturing Ltd.

Rajesh Mamtora
Sean Everden

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Sarah Chênevert-Beaudoin

TÉMOINS :

Kevin Bailey
Président-directeur général
Design 1st

Brent Erickson
Président
B. Erickson Manufacturing Ltd.

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

1.                  Le présent appel a été interjeté par B. Erickson Manufacturing Ltd. (B. Erickson) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] contre une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), le 7 novembre 2018, aux termes du paragraphe 60(4).

2.                  Les parties conviennent que les marchandises en cause en l’espèce sont essentiellement les mêmes que dans  Canadian Tire, nommément des « tendeurs d’arrimage à cliquet constitués d’une sangle en matière textile, de crochets en acier enduits de matière plastique et d’une clé à cliquet »[2]. Dans cette affaire, les marchandises avaient été classées dans le numéro tarifaire 8205.70.90. Toutefois, B. Erickson fait valoir que la décision rendue dans Kinedyne constitue la jurisprudence la plus récente relativement à des marchandises similaires et que c’est cette décision qui doit donc s’appliquer en l’espèce[3]. B. Erickson rappelle que dans Kinedyne, les tendeurs à chaîne/d’arrimage à cliquet ont été classés dans le numéro tarifaire 8479.89.90, et souligne que ce classement n’a pas été invoqué dans Canadian Tire[4].

3.                  Il s’agit donc pour le Tribunal de déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8205.70.90 de l’annexe du Tarif des douanes[5] à titre d’autres étaux, serre‑joints et similaires, tel que dans Canadian Tire et comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 8479.89.90 à titre d’autres machines et appareils mécaniques ayant une fonction propre, non dénommés ni compris ailleurs dans le chapitre 84, comme dans Kinedyne et conformément à ce que réclame B. Erickson.

4.                  À titre subsidiaire, B. Erickson fait valoir que les marchandises en cause peuvent être classées dans le numéro tarifaire 8308.90.00 à titre d’autres fermoirs, montures-fermoirs, boucles, boucles-fermoirs, agrafes, crochets, œillets et articles similaires, en métaux communs, pour vêtements ou accessoires de vêtement, chaussures, bijouterie, bracelets-montres, livres, bâches, maroquinerie, sellerie, articles de voyage ou pour toutes confections.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

5.                  Les marchandises en cause ont été importées par B. Erickson dans le cadre de multiples transactions distinctes entre 2014 et 2016 sous le numéro tarifaire 8205.70.90.

6.                  Entre le 17 juillet et le 6 novembre 2017, B. Erickson a présenté des demandes de révision aux termes de l’article 74 de la Loi, au motif que les marchandises en cause devaient être classées dans le numéro tarifaire 8479.89.90. Le 9 novembre 2017 et entre le 29 mars et le 12 juin 2018, l’ASFC a rejeté les demandes de B. Erickson.

7.                  B. Erickson a par la suite présenté une demande de réexamen aux termes de l’article 60 de la Loi. L’ASFC a rejeté la demande le 7 novembre 2018.

8.                  Le 7 décembre 2018, B. Erickson a interjeté le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

9.                  Le 6 juin 2019, le Tribunal a tenu une audience publique à Ottawa (Ontario). B. Erickson a fait comparaître M. Kevin Bailey, président de Design 1st, à titre de témoin expert en génie mécanique, ainsi que M. Brent Erickson, président de B. Erickson, à titre de témoin ordinaire. L’ASFC n’a fait comparaître aucun témoin.

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

10.              Les marchandises en cause comprennent différents modèles de tendeurs d’arrimage et de tendeurs d’arrimage rétractables composés d’une sangle en matière textile, d’un crochet en métal recouvert de vinyle et d’une clé à cliquet. Les modèles rétractables sont également munis d’un mécanisme à ressort avec bouton pressoir qui permet d’enrouler la sangle, de sorte que toute portion inutilisée est dissimulée au centre du boîtier de la clé.

CADRE LÉGISLATIF

11.              La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[6]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

12.              Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[7] et les Règles canadiennes[8] énoncées dans l’annexe.

13.              Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

14.              L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[9] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[10], publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[11].

15.              Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées au niveau de la position conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement applicables. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Igloo Vikski, ce n’est « seulement lorsque la Règle 1 ne permet pas d’arrêter de manière concluante le classement d’une marchandise qu’il faudra recourir aux autres Règles générales »[12].

16.              Une fois que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée[13]. L’étape finale consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié[14].

17.              La nomenclature du numéro tarifaire 8205.70.90, soit le classement tarifaire approprié selon l’ASFC, est la suivante :

Section XV

Métaux communs
et ouvrages en ces métaux

[...]

Chapitre 82

OUTILS ET OUTILLAGE, ARTICLES DE COUTELLERIE ET COUVERTS DE TABLE,
EN MÉTAUX COMMUNS; PARTIES DE CES ARTICLES,
EN MÉTAUX COMMUNS

[...]

82.05                Outils et outillage à main (y compris les diamants de vitriers) non dénommés ni compris ailleurs; lampes à souder et similaires; étaux, serre-joints et similaires, autres que ceux constituant des accessoires ou des parties de machines-outils ou de machines à découper par jet d’eau; enclumes; forges portatives; meules avec bâtis, à main ou à pédale.

[...]

8205.70             -Étaux, serre-joints et similaires

[...]

8205.70.90        - - -Autres

18.              La note 1(f) de la section XV stipule ce qui suit :

1.         La présente Section ne comprend pas :

[...]

f)          les articles de la Section XVI (machines et appareils; matériel électrique); [...]

19.              La portion pertinente de la note 1(a) du chapitre 82 stipule ce qui suit :

1.   [...] le présent Chapitre couvre seulement les articles pourvus d’une lame ou d’une partie travaillante :

a)         en métal commun; [...]

20.              La portion pertinente des notes explicatives du chapitre 82 stipule ce qui suit :

Le présent Chapitre groupe un ensemble d’articles métalliques d’outillage ou de coutellerie, qui sont exclus des Chapitres précédents de la Section XV, qui ne répondent pas à la notion des machines et appareils (électriques ou non) de la Section XVI (voir ci-après) et qui ne constituent pas des instruments du Chapitre 90 ou des articles des nos 96.03 ou 96.04.

Il comprend :

A)        Sous les nos 82.01 à 82.05 et, sous réserve de quelques exceptions (lames de scies notamment), ce qu’il est convenu d’appeler l’outillage à main, c’est-à-dire les objets utilisés pour exécuter manuellement un travail.

[...]

Les outils du présent Chapitre répondent, en principe, au critère de pouvoir être manipulés à bras franc au cours de leur utilisation, même s’ils comportent des dispositifs mécaniques simples, tels que manivelles, engrenages, pistons, arbres à vis (vis d’Archimède), leviers ou similaires. Ils relèvent par contre du Chapitre 84 s’ils présentent un dispositif permettant de les fixer à un établi, à une paroi, etc. ou si, en raison de leur poids, de leurs dimensions ou de la force qui est nécessaire pour les actionner, ils doivent reposer sur un fondement et comportent, par conséquent, une plaque d’assise, un bâti, un socle ou un support similaire.

21.              La portion pertinente des notes explicatives de la position no 82.05 stipule ce qui suit :

La présente position englobe, indépendamment de certains outils nommément désignés, tous les autres outils à main, ainsi que l’outillage à main, à l’exception de ceux repris, soit dans d’autres positions du présent Chapitre, soit dans d’autres parties de la Nomenclature (voir les Considérations générales du présent Chapitre).

On y range un très grand nombre d’outils à main, même avec dispositifs mécaniques simples, tels que les manivelles et engrenages. Ces outils consistent en :

[...]

G)        Étaux, serre-joints et similaires de divers systèmes à main, du genre de ceux qui se fixent généralement sur un établi ou sur une table, pour menuisiers, serruriers, armuriers, horlogers, etc., à l’exception des étaux constituant des parties ou accessoires de machines (de machines-outils et de machines à découper par jet d’eau, en particulier). On classe également avec ce groupe les serre-planchers et presses d’outillage jouant le même rôle que les étaux à main proprement dits, ainsi que les valets, crochets et griffes d’établis.

22.              La nomenclature du numéro tarifaire 8479.89.90, soit le classement défendu par B. Erickson, stipule ce qui suit :

Section XVI

Machines et appareils, matériel électrique et leurs parties;
Appareils d’enregistrement ou de reproduction du son,
appareils d’enregistrement ou de reproduction des images et du son en télévision,
et parties et accessoires de ces appareils

Chapitre 84

RÉACTEURS NUCLÉAIRES, CHAUDIÈRES, MACHINES,
APPAREILS ET ENGINS MÉCANIQUES;
PARTIES DE CES MACHINES OU APPAREILS

[...]

84.79                Machines et appareils mécaniques ayant une fonction propre, non dénommés ni compris ailleurs dans le présent Chapitre.

[...]

                        -Autres machines et appareils :

[...]

8479.89             - -Autres

[...]

8479.89.90        - - -Autres

23.              La note 1(k) de la section XVI stipule ce qui suit :

1.         La présente Section ne comprend pas : [...]

k)         les articles des Chapitres 82 ou 83; [...]

24.              La portion pertinente des notes explicatives de la position no 84.79 stipule ce qui suit :

La présente position englobe les machines et appareils mécaniques ayant une fonction propre qui ne sont pas : (a) Exclus de ce Chapitre par les Notes légales. (b) Repris plus spécifiquement à d’autres Chapitres. [...]

25.              La nomenclature du numéro tarifaire 8308.90.00, soit le classement proposé par B. Erickson à titre subsidiaire, stipule ce qui suit :

Section XV

Métaux communs
et ouvrages en ces métaux

[...]

Chapitre 83

OUVRAGES DIVERS EN MÉTAUX COMMUNS

[...]

83.08                Fermoirs, montures-fermoirs, boucles, boucles-fermoirs, agrafes, crochets, œillets et articles similaires, en métaux communs, pour vêtements ou accessoires de vêtement, chaussures, bijouterie, bracelets-montres, livres, bâches, maroquinerie, sellerie, articles de voyage ou pour toutes confections; rivets tubulaires ou à tige fendue, en métaux communs; perles et paillettes découpées, en métaux communs.

[...]

8308.90.00        -Autres, y compris les parties

QUALIFICATION DU TÉMOIN EXPERT

26.              L’ASFC a contesté la qualification de M. Bailey à titre de témoin expert en génie mécanique, au motif que M. Bailey n’était pas qualifié pour fournir une preuve d’expert à l’égard des marchandises en cause, et que le domaine d’expertise « génie mécanique » était trop vaste.

27.              Le Tribunal est convaincu que M. Bailey est un expert en génie mécanique et que cette expertise est suffisamment liée à la question à trancher en l’espèce. De fait, au cours de son témoignage, M. Bailey a dit avoir fait des études en génie mécanique et avoir de l’expérience dans ce domaine, que les marchandises en cause sont en soi mécaniques et qu’il n’existe aucune formation en génie, autre qu’une formation en génie mécanique, qui se rapporterait plus précisément aux marchandises en cause[15].

28.              En outre, le Tribunal rappelle avoir déjà accepté le « génie mécanique » comme champ d’expertise de témoins experts dans d’autres affaires[16]. De l’avis du Tribunal, rien ne justifie de circonscrire davantage l’expertise de M. Bailey.

29.              Par conséquent, le Tribunal reconnaît M. Bailey en tant qu’expert en génie mécanique.

ANALYSE

30.              Aux termes du paragraphe 152(3) de la Loi, il incombe à l’appelante de prouver que le classement tarifaire appliqué par l’ASFC est erroné. Les parties en conviennent.

31.              Les parties s’entendent également pour dire que les positions no 82.05 et 84.79 s’excluent mutuellement compte tenu de la note 1(f) de la section XV et de la note 1(k) de la section XVI[17]. Les parties ne s’entendent toutefois pas sur laquelle de ces deux positions doit être examinée en premier lieu dans le cadre de l’analyse du Tribunal.

32.              L’ASFC fait valoir que le Tribunal doit commencer son analyse par la position no 82.05, pour deux raisons. Premièrement, l’ASFC fait remarquer que la note 1(f) de la section XV exclut toutes les marchandises de la section XVI, alors que la note 1(k) de la section XVI exclut spécifiquement les marchandises du chapitre 82. L’ASFC affirme par conséquent que le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le chapitre 82 avant de déterminer si elles peuvent être classées dans la section XVI. Deuxièmement, l’ASFC fait valoir que les « marchandises ne peuvent être classées de prime abord dans une sous-position résiduelle à moins que le Tribunal soit convaincu que les marchandises ne peuvent être classées dans une autre sous-position décrivant convenablement les marchandises »[18]. Selon l’ASFC, le Tribunal doit commencer son analyse par la position no 82.05, car celle‑ci est plus précise et constitue une disposition nominative, alors que la position no 84.79 est une catégorie résiduelle[19].

33.              B. Erickson soutient que le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause sont des machines ou des appareils de la section XVI, lesquels sont expressément exclus par les notes explicatives du chapitre 82. B. Erickson fait également valoir que le libellé de la position no 84.79 énonce le caractère résiduel de la position pour les fins du chapitre 84 uniquement, et non par rapport à l’ensemble de la nomenclature tarifaire. En outre, B. Erickson souligne que dans Kinedyne, le Tribunal s’est d’abord penché sur la position no 84.79, puis sur la position no 82.05[20].

34.              Le Tribunal convient avec l’ASFC que son analyse doit prendre la position no 82.05 pour point de départ. Les notes explicatives de la position no 84.79 stipulent que ladite position est restreinte aux machines ayant des fonctions propres qui ne sont pas « repris[es] plus spécifiquement à d’autres Chapitres ». Étant donné son caractère résiduel, la position no 84.79 « enjoint au Tribunal de vérifier si une autre position plus précise pourrait s’appliquer aux marchandises avant de les classer dans cette position »[21].

35.              Comme énoncé dans Canadian Tire, « la position no 82.05 est une disposition nominative, car elle énumère et décrit certaines marchandises, notamment les “étaux, serre-joints et similaires” »[22]. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que la position no 82.05 est plus précise que la position no 84.79 et il tranchera d’abord la question de savoir si les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 82.05. Seulement si tel n’est pas le cas, le Tribunal procédera à une analyse pour déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 84.79[23].

Les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 82.05

36.              L’ASFC fait valoir que les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 82.05 à titre de « serre-joints et similaires »[24]. Essentiellement, le Tribunal est du même avis que l’ASFC, pour les motifs qui suivent.

37.              Selon la note 1 du chapitre 82, les marchandises en cause (i) doivent être pourvues d’une lame ou d’une partie travaillante, et (ii) la partie travaillante doit être en métal commun. Les parties conviennent que les marchandises en cause, comme c’était le cas dans Canadian Tire, sont des articles comprenant un dispositif à cliquet, lequel est une « partie travaillante ». En outre, les parties ne nient pas que les marchandises en cause sont composées de métal commun[25]. Ainsi, le Tribunal conclut que les marchandises en cause satisfont aux critères de la note 1 du chapitre 82.

38.              En ce qui a trait au classement dans la position no 82.05, comme mentionné dans Canadian Tire, « [l]e critère servant à déterminer si des marchandises sont “similaires” ou semblables n’est pas strict, et il n’est pas nécessaire que les marchandises soient identiques. Le critère sera rempli si de telles marchandises ont en commun d’importantes caractéristiques[26]. » En outre, dans Kinedyne, le Tribunal a déterminé que « c’est la finalité fonctionnelle ou l’utilisation finale d’un article qui lui donne son caractère de serre-joint, le terme désignant divers articles conçus pour saisir, attacher, tenir, contenir, comprimer ou pincer ensemble des objets afin de les tenir fermement dans leur position respective »[27]. Le Tribunal demeure d’avis que la fonction ou l’utilisation finale est le principal élément permettant de juger des caractéristiques essentielles d’une marchandise.

39.              En l’espèce, l’ASFC fait valoir que les marchandises en cause tiennent, compriment ou gardent ensemble des articles. Par conséquent, elle soutient que les marchandises en cause sont similaires aux serre‑joints, étant donné qu’elles ont la même finalité fonctionnelle ou la même utilisation finale, en plus d’avoir les caractéristiques physiques qui sont requises pour les marchandises de la position no 82.05. L’ASFC soutient que le caractère rétractable de certains modèles ne change en rien les caractéristiques essentielles des marchandises en cause et qu’il est secondaire à leur fonction[28].

40.              B. Erickson soutient au contraire que les marchandises en cause ne sont pas similaires aux serre‑joints. Selon elle, les serre-joints sont de petite taille et comprennent des mâchoires, des pinces-étaux et un dispositif à vis ou à ressort. B. Erickson fait valoir que les caractéristiques générales, physiques ou fonctionnelles des marchandises en cause ne les apparentent en rien à des serre-joints[29].

41.              Bien qu’elle convienne que les « étaux, serre-joints et similaires » soient séparés des « outils à main » par un point-virgule dans la position no 82.05, et qu’ils ne sont donc pas des outils à main[30], B. Erickson soutient que ceux-ci devraient tout de même être considérées comme des outils utilisés pour tenir un article sur lequel on doit travailler. De fait, B. Erickson fait valoir que les serre-joints, dans l’industrie, sont connus comme des outils qui peuvent être utilisés temporairement pour tenir fermement une pièce en place ou la garder dans sa position, et qu’ils sont utilisés pour effectuer des travaux de menuiserie et de charpenterie, dans la fabrication de meubles, le soudage, la construction et le travail des métaux, entre autres. B. Erickson soutient que les marchandises en cause en l’espèce ne sont pas utilisées pour tenir des pièces, mais seulement pour attacher d’autres articles. En outre, M. Bailey fait valoir que les marchandises en cause ne sont pas similaires aux serre-joints en ce que (i) les ingénieurs en mécanique n’emploient pas le terme « serre-joint » pour désigner les tendeurs d’arrimage, (ii) les tendeurs d’arrimage ne sont pas utilisés dans le but de permettre à un procédé secondaire d’avoir lieu, (iii) les tendeurs d’arrimage ne sont pas utilisés à des fins de compression, (iv) les tendeurs d’arrimage ne sont pas une bonne option en tant que sangle de retenue, et (v) les serre-joints et les tendeurs d’arrimage forment des catégories différentesifférentes[31].

42.              Le Tribunal est d’avis que les marchandises en cause sont similaires aux serre-joints et donc qu’elles peuvent être classées dans la position no 82.05. Pour décrire l’utilisation finale et la fonction des marchandises en cause, les témoins de B. Erickson ont essentiellement dit que celles-ci servaient à tenir ou à comprimer un article. Selon ce que M. Bailey a affirmé, les tendeurs d’arrimage fournissent une force de compression dans certaines configurations de la sangle, et ils tiennent des charges. M. Bailey a également cité un article Wikipédia consacré au classement des machines, dans lequel il est affirmé que les tendeurs d’arrimage sont utilisés pour tenir en place des cargaisons ou de l’équipement. En outre, M. Erickson a affirmé lors de son témoignage que les marchandises en cause pressent un objet contre un autre, par exemple une remorque, pour l’arrimer et l’empêcher de bouger[32].

43.              Ainsi, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont similaires aux serre-joints en ce qu’elles tiennent ou compriment ensemble des objets, comme énoncé dans Kinedyne. Le Tribunal convient avec l’ASFC que le caractère rétractable de certaines marchandises en cause ne modifie en rien leur utilisation finale et leur fonction. Le Tribunal souligne que le fait que les utilisateurs des marchandises en cause ne considèrent pas ces dernières comme des « serre-joints » ni ne les désignent ainsi ne change en rien à ce qu’elles sont essentiellement : elles sont similaires aux serre-joints. Qui plus est, dans Kinedyne, le Tribunal a expressément rejeté l’argument de B. Erickson voulant que le terme « serre-joints » dans la position no 82.05 ne vise que les types de serre-joints dont se servent les gens de métier pour tenir des pièces[33].

44.              Étant donné que B. Erickson ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la position no 82.05, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si les marchandises en cause remplissent les exigences de la position no 84.79.

Les marchandises en cause ne peuvent pas être classées dans la position no 83.08

45.              À titre subsidiaire, B. Erickson soutient que les marchandises en cause sont des ouvrages composés d’une clé à cliquet pouvant être classée dans la position no 83.08 et de sangles en matière textile pouvant être classées dans la position no 63.07[34]. Selon B. Erickson, les marchandises en cause ne peuvent fonctionner en l’absence d’un de ces deux composants, lesquels sont nécessaires pour donner leur essence aux marchandises. Ainsi, B. Erickson fait valoir que les marchandises en cause doivent être classées conformément à la règle 3c), dans la position placée la dernière dans le tarif des douanes, nommément la position no 83.08[35].

46.              Comme indiqué ci-dessus, c’est seulement lorsque la règle 1 ne permet pas d’arrêter de manière concluante le classement d’une marchandise que les autres règles deviennent utiles pour classer les marchandises en cause. Ayant conclu que les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 82.05 conformément à la règle 1 des Règles générales, le Tribunal n’est pas tenu de déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 83.08 selon la règle 3c).

CONCLUSION

47.              Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans position no 82.05.

48.              Étant donné que les marchandises en cause peuvent être caractérisées plus précisément comme des « étaux, serre-joints et similaires », le Tribunal conclut qu’elles doivent être classées dans la sous‑position no 8205.70.

49.              Enfin, les marchandises en cause ne sont pas destinées à un usage chirurgical, dentaire ou vétérinaire ou aux fins de diagnostic avec des instruments, des stérilisateurs, des appareils de radiothérapie au cobalt, des appareils d’anesthésie, des appareils chirurgicaux de succion ou des appareils pour l’administration d’oxygène. De plus, il ne s’agit pas d’étaux ou de serre-joints de précision pour outilleurs, machinistes ou ouvriers en métaux. Par conséquent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8205.70.90 à titre d’autres étaux, serre-joints et articles similaires.

DÉCISION

50.              L’appel est rejeté.




Serge Fréchette                       
Serge Fréchette
Membre présidant



[1].     L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1 [Loi].

[2].     La Société Canadian Tire Limitée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (22 mai 2012), AP-2011-024 (TCCE) [Canadian Tire] au par. 8; pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 aux p. 6-7, 25; pièce AP-2018-051-05, vol. 1 aux p. 3, 11. La seule différence manifeste en l’espèce est que certains modèles en cause comprennent un mécanisme de rétraction qui enroule la sangle dans le boîtier.

[3].     Kinedyne Canada Limited c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (17 décembre 2013), AP-2012-058 (TCCE) [Kinedyne].

[4].     Pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 à la p. 6; Transcription de l’audience publique à la p. 85. Dans Kinedyne, les marchandises en cause étaient des chaînes d’attache à levier, des tendeurs à levier ajustables et des tendeurs à chaîne/d’arrimage à cliquet. Le Tribunal avait conclu que les tendeurs à chaîne/d’arrimage à cliquet devaient être classés dans la position no 84.79 car ils répondaient aux critères qui en faisaient des appareils mécaniques, alors que les chaînes d’attache à levier et les tendeurs à levier ajustables devaient être classés dans la position no 82.05 car ils ne répondaient pas entièrement à ces mêmes critères.

[5].     L.C. 1997, ch. 36.

[6].     Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[7].     L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[8].     L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[9].     OMD, 4e éd., Bruxelles, 2017.

[10].   OMD, 6e éd., Bruxelles, 2017.

[11].   Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux par. 13, 17, et Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Inc., 2019 CAF 20 au par. 4.

[12].   Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII) au par. 21.

[13].   Selon la règle 6 des Règles générales, « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les règles [1 à 5] [...] » et « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[14].   La règle 1 des Règles canadiennes stipule que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne s’appliquent pas au classement au niveau du numéro tarifaire.

[15].   Transcription de l’audience publique aux p. 6-8, 15-18.

[16].   Société Canadian Tire Limitée c. Le sous-ministre du Revenu national (12 octobre 1995), AP-94-157 (TCCE); Grinnell Corp. of Canada Ltd. s/n Grinnell Fire Protection c. Le sous-ministre du Revenu national (14 février 1997), AP-95-254 (TCCE); La Société Canadian Tire Limitée c. Le sous-ministre du Revenu national (29 septembre 1998), AP-97-122 (TCCE); Canmade Furniture Products Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (2 juin 2004), AP-2003-025 (TCCE); Kinedyne.

[17].   Pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 aux p. 11-12; pièce AP-2018-051-05, vol. 1 aux p. 7-8.

[18].   Ibid. à la p. 9, citant Danby Products Limited c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (16 février 2018), AP-2017-009 (TCCE) au par. 35.

[19].   Pièce AP-2018-051-05, vol. 1 aux p. 8-10; Transcription de l’audience publique aux p. 98-100.

[20].   Pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 à la p. 12; Transcription de l’audience publique aux p. 87, 113-115; Kinedyne aux par. 46-62.

[21].   Canac Marquis Grenier Ltée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (11 septembre 2017), AP‑2016-026 (TCCE) au par. 40; voir aussi Rona Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (5 juin 2018), AP-2017-026 (TCCE) [Rona] au par. 19; Schlumberger Canada Limited c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (21 juin 2017), AP-2015-022 (TCCE) au par. 47.

[22].   Canadian Tire au par. 56.

[23].   Bien qu’il ait commencé son analyse par la position no 84.79 dans Kinedyne, le Tribunal fait toutefois remarquer que l’ordre d’analyse n’était pas en litige dans cette affaire.

[24].   Pièce AP-2018-051-05, vol. 1 à la p. 3. La position no 82.05 prévoit également que les étaux, serre-joints et articles similaires qui constituent des accessoires ou des parties de machines-outils ou de machines à découper par jet d’eau sont exclus de ladite position. Ni l’une ni l’autre des parties ne fait valoir que les marchandises en cause sont de tels accessoires ou parties, et le Tribunal souligne qu’aucun élément de preuve qui lui a été présenté ne permet de penser que les marchandises doivent être classées ainsi. Par conséquent, le Tribunal estime ne pas avoir à se préoccuper de cette question.

[25].   Pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 aux p. 14, 24; pièce AP-2018-051-05, vol. 1 à la p. 13; Canadian Tire aux par. 50‑52.

[26].   Canadian Tire au par. 44; voir aussi Rui Royal International Corp. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 mars 2011), AP-2010-003 (TCCE) [Rui Royal] au par. 82.

[27].   Kinedyne au par. 72; voir aussi Canadian Tire au par. 43.

[28].   Pièce AP-2018-051-05, vol. 1 aux p. 11-12.

[29].   Pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 à la p. 33.

[30].   Voir Kinedyne aux par. 80-81. Étant donné que la position no 82.05 fait une distinction entre « outils et outillage à main » et « étaux, serre-joints et similaires » en les séparant par un point-virgule, le Tribunal a conclu que les « étaux, serre-joints et similaires » ne devaient pas nécessairement être des « outils et outillage à main ».

[31].   Pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 aux p. 27-28, 567; pièce AP-2018-051-08A, vol. 1 aux p. 12-14; Transcription de l’audience publique aux p. 70, 92. M. Erickson a aussi affirmé qu’il considérait les « serre-joints » comme des « colliers de serrage » ou des « serres en C », et non comme des sangles.

[32].   Pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 à la p. 597; pièce AP-2018-051-08A, vol. 1 aux p. 8, 10-11; Transcription de l’audience publique aux p. 33, 41-45, 76-77, 80.

[33].   Kinedyne au par. 83.

[34].   B. Erickson s’appuie sur une décision anticipée rendue par l’ASFC dans une autre affaire pour classer les clés à cliquet en tant que boucles, en métal commun, du type utilisé pour toutes confections, dans le numéro tarifaire 8308.90.00. Elle se fonde sur Rui Royal pour classer les sangles en tant qu’articles confectionnés en matières textiles, dans le numéro tarifaire 6307.90.99.

[35].   Pièce AP-2018-051-03A, vol. 1 à la p. 24. La règle 3c) stipule ce qui suit : « Dans les cas où les Règles 3 a) et 3 b) ne permettent pas d’effectuer le classement, la marchandise est classée dans la position placée la dernière par ordre de numérotation parmi celles susceptibles d’être valablement prises en considération. »

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