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Appel no AP-2018-062

J. Humber

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision rendue
le mercredi 27 novembre 2019

Motifs rendus
le vendredi 13 décembre 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 30 juillet 2019, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 25 janvier 2019, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

J. HUMBER

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli.




Susan D. Beaubien                 
Susan D. Beaubien
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.
Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 30 juillet 2019

Membre du Tribunal :                                            Susan D. Beaubien, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Peter Jarosz, conseiller juridique
Jessye Kilburn, stagiaire en droit

PARTICIPANTS :

Appelante

J. Humber

 

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

David Di Sante
Luc Vaillancourt

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1.                  M. J. Humber a acheté en ligne un couteau pliant Rockstead, modèle HIGO-JH 878 (« couteau Rockstead »)[1]. Lorsque le couteau Rockstead a été expédié des États-Unis pour être livré à M. Humber au Canada, l’article a été retenu par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Un avis de retenue a été émis le 13 juillet 2018 environ afin d’établir si l’article était admissible pour importation au Canada[2].

2.                  Après inspection, l’ASFC a conclu que le couteau Rockstead était une arme prohibée au sens du Code criminel[3]. Les conclusions reposaient sur la prémisse que le couteau avait pu être ouvert par la simple force centrifuge dans cinq tentatives sur cinq. Par conséquent, l’ASFC a classé le couteau Rockstead[4] dans le numéro tarifaire 9898.00.00 du Tarif des douanes[5]. Il est interdit d’importer au Canada les marchandises classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

3.                  M. Humber, n’acceptant pas la décision de l’ASFC, a demandé une révision[6]. Il semble avoir présenté des observations à l’ASFC sur papier, par courriel et par téléphone[7].

4.                  Essentiellement, M. Humber soutenait que le couteau Rockstead ne pouvait être ouvert par la seule force centrifuge, contrairement à ce qu’affirmait l’ASFC. Il s’appuyait sur une définition copiée du Webster, soit : « force centrifuge : force apparente qui agit vers l’extérieur d’un corps qui se déplace autour d’un centre et qui provient de l’inertie du corps (Physique, nom et définition) »[8] [traduction].

5.                  M. Humber affirmait que l’interdiction contre les couteaux s’ouvrant par la seule force centrifuge visait surtout les « couteaux papillons ou couteaux Balisong utilisés par les amateurs d’arts martiaux », qui sont dotés de lames mobiles non retenues par le manche du couteau[9]. Ces couteaux ne peuvent se verrouiller en position ouverte ni fermée, car les lames décrivent librement un arc autour d’un pivot à roulement ouvert.

6.                  Ces caractéristiques ne se retrouvent pas dans le couteau Rockstead. Au contraire, la lame du couteau Rockstead est dotée d’un bouton qui permet d’ouvrir le couteau en dégageant le dispositif de retenue qui maintient la lame en position pliée et fermée. À cet égard, M. Humber soutenait que le bouton était l’équivalent fonctionnel du cran couramment présent sur la lame de nombreux couteaux pliants classiques, y compris le couteau suisse.

7.                  Il semble qu’à un moment donné, l’ASFC[10] ait informé M. Humber qu’elle se fondait sur les motifs prononcés par le Tribunal dans l’affaire T. LaPlante[11] pour appuyer sa décision concernant le couteau Rockstead.

8.                  M. Humber prétendait que le couteau en cause dans la décision LaPlante comportait un flipper ou ergot faisant appel aux principes mécaniques du levier pour faciliter l’ouverture du couteau avec très peu d’effort physique et sans l’utilisation d’un autre mécanisme (comme des ressorts, des barres de tension ou de friction) ou de la force centrifuge. Par conséquent, il soutenait que le flipper ne faisait pas appel à la force centrifuge. Selon M. Humber, dans sa conception, le flipper comprend un « ergot » faisant partie intégrante de la lame. Celui-ci fait saillie vers l’extérieur, depuis l’arrière du manche lorsque le couteau est en position fermée. L’ergot en saillie a une fonction analogue à celle d’un bouton qui actionne un levier. Lorsqu’une force est appliquée sur l’ergot, la lame est projetée hors du manche, ce qui déploie le couteau. M. Humber a insisté sur le fait que le couteau Rockstead ne possède pas de flipper et qu’il est complètement différent du couteau en cause dans la décision LaPlante.

9.                  Même si le bouton sur la lame du couteau Rockstead peut aider à l’ouvrir, M. Humber affirmait que le couteau ne pouvait être ouvert par la force centrifuge de la manière décrite ou mentionnée dans la décision LaPlante. Il faudrait appliquer une force ou une pression considérable sur la lame du couteau Rockstead pour dégager le verrou intégré au manche du couteau, en plus de faire un mouvement vigoureux ou très énergique du poignet pour ouvrir la lame du couteau. Cette manœuvre exigerait un savoir-faire particulier ou une force considérable.

10.              M. Humber affirme être un chef du Sceau rouge et posséder une bonne expérience dans l’utilisation de couteaux. Il soutient que toute personne ayant des compétences spécialisées en la matière devrait pouvoir ouvrir un couteau pliant d’une seule main. Si c’est le seul élément pertinent de l’essai mené, M. Humber prétend que tous les couteaux pliants devraient être considérés comme des armes prohibées, car un expert pourrait dégager la lame d’une seule main. En l’absence de norme d’essai objective, M. Humber fait valoir que le critère d’interdiction du couteau est arbitraire et conduit à un résultat inéquitable.

11.               Après prise en compte des observations de M. Humber, l’ASFC a maintenu le classement contesté[12].

12.              M. Humber interjette maintenant appel devant le Tribunal en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[13].

Décision de l’ASFC

13.              L’ASFC a examiné le couteau Rockstead et a mené des essais. Comme il est mentionné dans la décision, « un mouvement rapide du poignet, sans manipulation additionnelle, a entraîné automatiquement l’ouverture complète de la lame du couteau jusqu’à la position verrouillée, dans cinq tentatives sur cinq »[14][traduction].

14.              Compte tenu des résultats de ces essais, l’ASFC a conclu que le couteau Rockstead s’ouvrait par la force centrifuge.

15.              L’ASFC a pris acte de l’argument de M. Humber selon lequel le couteau Rockstead ne s’ouvrait pas par la force centrifuge, mais qu’il requérait une certaine manipulation, comme l’exercice d’une pression manuelle sur le bouton, d’un savoir-faire ou de la force brute. L’ASFC n’était pas d’avis que le bouton serait nécessairement superflu si le couteau pouvait être ouvert par la force centrifuge.

16.              En considération des arguments de M. Humber et du fait que ce dernier demandait que le couteau Rockstead soit mis à l’essai de nouveau, l’ASFC a précisé que ses essais avaient été menés par un agent ayant « une certaine compétence », mais n’utilisant pas une « force excessive »[15]. Les marchandises sont examinées et mises à l’essai dans l’état physique où elles se trouvent au moment de l’importation. À l’issue du nouvel essai, l’ASFC a constaté que le couteau Rockstead « s’est ouvert complètement jusqu’à la position verrouillée avec un simple mouvement brusque du poignet dans cinq tentatives sur cinq. Aucune autre manipulation n’a été nécessaire »[16] [traduction].

17.              En conséquence, l’ASFC soutenait que le couteau Rockstead correspondait à la définition d’« arme prohibée » aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel et devait être classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 du Tarif des douanes.

18.              M. Humber a interjeté appel de la décision de l’ASFC le 1er février 2019[17].

Appel de M. Humber

19.              Pour étayer son appel, M. Humber a déposé de brèves observations écrites[18] et des copies de sa correspondance antérieure avec l’ASFC[19]. M. Humber n’a pas déposé de mémoire formel, mais il a demandé que le contenu et les observations écrites de son avis d’appel soient admis en lieu et place d’un mémoire[20].

20.              L’ASFC a déposé un mémoire en réponse à M. Humber. Celui‑ci contenait des observations écrites[21], des copies de documents de politique et de dispositions législatives[22], les documents liés à la tentative d’importer le couteau Rockstead et à sa saisie ainsi que la correspondance avec M. Humber[23], des imprimés de l’information sur le produit de la société Rockstead tirée d’Internet[24] et des photographies du couteau Rockstead[25].

21.              Aucune des deux parties n’a déposé de témoignage d’expert.

22.              Le Tribunal a tenu une audience sur pièces conformément aux règles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[26]. Un avis à cet effet a été publié dans la Gazette du Canada[27]. Le Tribunal a procédé à l’instruction de l’appel le 30 juillet 2019.

23.              L’ASFC, acquiesçant à la demande du Tribunal, a remis à ce dernier le couteau Rockstead aux fins d’examen pendant l’instruction. Le couteau Rockstead a ensuite été retourné à la garde de l’ASFC.

POSITIONS DES PARTIES À L’APPEL

M. Humber

24.              M. Humber affirme que le couteau Rockstead est un couteau pliant classique qui n’est pas visé par la définition d’« arme prohibée ». Le couteau ne comporte aucun ressort, barre de tension ni flipper. La lame est retenue dans le manche par un verrou. À cet égard, M. Humber affirme que le couteau Rockstead est équivalent sur le plan fonctionnel au couteau suisse.

25.              M. Humber fait aussi valoir que tout danger propre à un couteau pour l’utilisateur ou autrui découle de la lame elle-même, peu importe si le couteau se plie ou la vitesse à laquelle un couteau pliant en position fermée peut être ouvert. À cet égard, M. Humber prétend que le risque de se blesser avec un couteau pliant est tout aussi présent avec d’autres articles qui ne sont pas interdits, comme les couteaux de cuisine, les couteaux de chasse, les couteaux universels et les rasoirs droits.

26.              M. Humber conteste les résultats des essais de l’ASFC. Il fait valoir que l’ASFC caractérise le couteau Rockstead comme étant semblable sur le plan fonctionnel à un « couteau papillon » ou à un « couteau Balisong » qui ne comporte pas de verrou intégré au manche pour verrouiller ou retenir la lame comme c’est le cas du couteau Rockstead. Pour ouvrir un couteau Rockstead, il faut saisir ou manipuler la lame pour libérer le verrou.

27.              Du reste, M. Humber s’appuie sur les observations qu’il a faites devant l’ASFC en première instance pour les besoins du présent appel.

ASFC

28.              L’ASFC décrit le couteau Rockstead comme un couteau doté d’une lame en acier inoxydable comportant un bouton de chaque côté de la lame. L’article est fabriqué au Japon. La lame mesure 90 mm. Lorsqu’il est ouvert, le couteau mesure 214 mm. Un verrou intégré au manche permet de verrouiller la lame en position ouverte.

29.              Après avoir résumé l’historique de la procédure en l’espèce, l’ASFC soutient que la question en cause dans le présent appel est de savoir si le couteau Rockstead « s’ouvre automatiquement par la force centrifuge »[28]. Elle affirme que deux agents de l’ASFC ont pu ouvrir le couteau Rockstead avec un simple mouvement brusque du poignet dans cinq tentatives sur cinq.

30.              L’ASFC énonce ensuite le cadre législatif pertinent et se reporte aux décisions antérieures du Tribunal dans lesquelles il a été jugé qu’un couteau est une arme prohibée lorsqu’un « simple mouvement brusque du poignet » permet d’ouvrir automatiquement le couteau par la force centrifuge. L’ASFC affirme que le Tribunal a élargi la portée de ce critère dans la décision LaPlante en concluant qu’un couteau s’ouvre automatiquement par la force centrifuge si le « mouvement brusque du poignet » s’accompagne de « manipulations minimales » des « parties non tranchantes de la lame », comme le bouton, à l’aide du pouce[29]

31.              À la suite des conclusions du Tribunal dans la décision LaPlante, l’ASFC déclare avoir publié l’avis des douanes 18-01 pour informer les importateurs que les articles suivants font partie des armes prohibées :

1.  [les couteaux dont la lame] s’ouvre par force centrifuge, lorsqu’un simple mouvement brusque vers l’extérieur du poignet libère la lame du manche et l’éjecte complètement et l’amène en position verrouillée;

2.  [...] les couteaux qui requièrent une certaine manipulation préliminaire ou simultanée minimale du flipper ou d’autres parties non tranchantes de la lame[30].

32.              L’ASFC soutient que M. Humber a reconnu que le couteau Rockstead s’ouvre avec la « manipulation de la lame conjointement à un mouvement brusque du poignet »[31][traduction].

33.              Dans sa réplique aux arguments formulés par M. Humber, l’ASFC précise qu’il incombe à ce dernier de prouver que le couteau n’est pas une arme prohibée, ce qui n’a pas été fait.

34.              De plus, l’ASFC fait valoir que M. Humber fait erreur en invoquant la décision LaPlante. Bien que le couteau Rockstead ne comporte pas de flipper, l’ASFC affirme que ce fait n’est pas pertinent, car la décision LaPlante énonce également le principe selon lequel un couteau est une arme prohibée s’il s’ouvre par la manipulation d’un bouton combinée à un mouvement brusque du poignet.

35.              L’ASFC soutient aussi que la plainte de M. Humber selon laquelle l’ASFC cible de manière injuste les couteaux pliants n’est pas pertinente, de même que l’affirmation selon laquelle le couteau Rockstead ne pose pas plus de danger pour le public que d’autres articles dotés de bords acérés ou de lames. Selon l’ASFC, de telles questions ne relèvent pas de la compétence du Tribunal.

36.              Compte tenu de ce qui précède, l’ASFC fait valoir que le couteau Rockstead a été adéquatement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et demande au Tribunal de rejeter l’appel de M. Humber.

ANALYSE

Cadre législatif

37.              La Loi et le Tarif des douanes régissent l’importation des marchandises au Canada. Les marchandises sont classées selon les instructions et les critères énoncés dans le Tarif des douanes et son annexe.

38.              Le Tarif des douanes est basé sur un système international, le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé). Ce système se veut un moyen de rationaliser et d’harmoniser le classement des marchandises échangées dans le cadre du commerce international[32].

39.              Le Système harmonisé est un système progressif à huit chiffres qui régit le classement des marchandises en vue de l’application du tarif douanier. Il figure en annexe au Tarif des douanes et procède du général au spécifique, soit des chapitres aux positions, sous-positions et numéros tarifaires.

40.              Le présent appel vise à déterminer si l’ASFC a correctement classé le couteau Rockstead dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

41.              M. Humber interjette appel de la décision de l’ASFC en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi. Il n’est pas contesté que M. Humber est une « personne qui s’estime lésée» par la décision de l’ASFC. Il affirme être propriétaire du couteau Rockstead et avoir le droit de l’importer au Canada.

42.              Les Règles prescrivent la procédure applicable aux appels interjetés conformément à l’article 67 de la Loi. En appel, l’appelant et l’intimé peuvent déposer de nouveaux documents, y compris des objets dont l’ASFC ne disposait pas en première instance. Les parties peuvent également présenter une preuve de fait ou appeler des experts à témoigner[33].

43.              Les appels devant le Tribunal sont instruits de novo[34], ce qui signifie que le Tribunal ne se limite pas à examiner la décision de l’ASFC pour déterminer si elle est déraisonnable ou si elle présente des erreurs manifestes. Le Tribunal doit rendre sa propre décision sur le classement tarifaire approprié des marchandises.

44.              Pour ce faire, le Tribunal n’est tenue à aucune déférence envers à la décision de l’ASFC. Il lui est loisible de réexaminer le dossier, y compris de réévaluer les éléments de preuve dont disposait l’ASFC et de les apprécier à nouveau, ainsi que de prendre en considération les nouveaux éléments de preuve et les nouvelles observations déposées en appel, le cas échéant[35].

45.              Dans son analyse, le Tribunal doit déterminer, comme question de droit, le critère auquel doit satisfaire un article pour être classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00. Le Tribunal doit ensuite déterminer, comme question de fait, si ce critère juridique est satisfait selon la preuve. Il incombe à l’appelant de démontrer que la marchandise n’est pas correctement classée[36].

46.              Aux termes de l’article 10 du Tarif des douanes, le classement des marchandises dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé et les Règles canadiennes, lesquelles sont énoncées à l’annexe du Tarif des douanes [Règles générales]. La règle générale 1 prévoit que le classement est d’abord déterminé seulement d’après les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres.

47.              Cependant, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales ne s’appliquent pas au classement des marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00. Par conséquent, il n’y a aucun paragraphe ni aucune note de chapitre qui se rapportent au classement en cause. De même, il n’y a aucun avis de classement pertinent de l’Organisation mondiale des douanes (OMD), ni aucune note explicative dont le Tribunal doit tenir compte.

48.              Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes interdit l’importation au Canada de marchandises classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00, ce qui comprend les « armes prohibées ».

49.              Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit que l’expression « arme prohibée » a la même signification qu’au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel, qui définit « arme prohibée » comme suit :

arme prohibée

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche ;

(b) toute arme – qui n’est pas une arme à feu – désignée comme telle par règlement. (prohibited weapon)

50.              Aux fins du présent appel, seules les dispositions de l’alinéa 84(1)a) sont en cause.

51.              Il est de droit constant qu’un couteau constitue une « arme prohibée » aux termes du paragraphe 84(1)a) du Code criminel si la lame du couteau s’ouvre automatiquement d’une ou l’autre des façons suivantes : 1) par gravité ou force centrifuge; 2) par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche[37]. L’exigence que le couteau s’ouvre « automatiquement » modifie les deux catégories de mécanismes décrits pour l’ouverture du couteau.

52.              Il n’est pas allégué que le couteau Rockstead est muni d’un « bouton, d’un ressort ou d’un autre dispositif incorporé ou attaché au manche » dont le fonctionnement cause l’ouverture du couteau par une manipulation minimale.

53.              En conséquence, la question à trancher par le Tribunal se limite à la première partie de la définition d’« arme prohibée » énoncée à l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, de sorte qu’il s’agit de déterminer si le couteau Rockstead s’ouvre « automatiquement » par la gravité ou la force centrifuge.

54.              Le paragraphe 84(1) ne donne pas de définition du terme « automatiquement ». Toutefois, selon la jurisprudence, l’intention derrière ce paragraphe du Code criminel est d’interdire la possession et l’utilisation de couteaux qui peuvent facilement servir d’arme en raison de leur ouverture rapide :

À notre avis, l’interdiction de posséder des couteaux dont la lame s’ouvre par force centrifuge vise à prévenir la possession de couteaux dont la lame, par pression sur un bouton ou par mouvement rapide, s’ouvre immédiatement, ce qui permet d’utiliser le couteau comme arme[38].

[Traduction]

55.              Dans le contexte de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, le Tribunal a précédemment considéré que le terme « automatiquement » signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire »; toutefois, il a aussi reconnu que ce terme n’excluait pas une certaine intervention humaine :

46.               Le Tribunal accepte que dans le contexte du paragraphe 84(1) du Code criminel, le mot « automatiquement » signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire », comme le suggère l’ASFC. Par conséquent, le Tribunal conclut que la nécessité d’un minimum de manipulations n’enlève pas forcément le caractère automatique de l’ouverture de la lame.

47.               D’ailleurs il est évident à la lecture de la disposition que le mot « automatiquement » ne peut signifier sans aucune intervention humaine. La disposition vise un couteau dont la lame s’ouvre « automatiquement » à la suite d’une pression manuelle. Cela nécessite forcément un degré d’intervention humaine.

48.               Cette conclusion est cohérente avec la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Vaughan, qui étaye la position selon laquelle des manipulations supplémentaires n’empêcheront pas un couteau d’être une « arme prohibée ». Dans cette affaire, le Cour suprême a accepté qu’un couteau qui s’ouvrait par force centrifuge, mais qui nécessitait aussi que l’utilisateur enlève le cran de sécurité et modifie sa tenue du couteau avec une certaine dextérité, constitue une « arme prohibée » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel[39].

[Notes omises]

56.              Dans des décisions précédentes du Tribunal, il a été établi de manière définitive qu’un mouvement rapide du poignet entraînant l’ouverture automatique du couteau correspond à la « force centrifuge »[40]. Comme il est mentionné ci-dessus, un couteau s’ouvre « automatiquement » lorsqu’une manipulation humaine minimale fait inévitablement en sorte, du fait de simples principes physiques, d’exposer la lame et de la rendre prête à l’utilisation[41]. Il convient aussi de souligner que dans bon nombre de ces cas, les couteaux étaient munis d’un bouton, d’un ressort ou d’un autre dispositif qui sert, conjointement avec le manche du couteau, à actionner ou à faciliter un déclenchement rapide de la lame du couteau à partir d’une position rangée ou verrouillée[42].

57.              En définitive, ce sont les faits qui permettent de conclure qu’un couteau en particulier s’ouvre « automatiquement ». L’alinéa 84(1)a) n’interdit pas tous les couteaux ni les couteaux pliants en soi.

58.              Le dossier de la preuve est plutôt maigre en l’espèce. Le Tribunal est en présence de deux descriptions écrites diamétralement opposées du mécanisme d’ouverture du couteau Rockstead. Aucune des parties n’a présenté de rapport d’expert ni de preuve illustrative démontrant le fonctionnement du couteau Rockstead qui aurait pu appuyer leurs descriptions écrites respectives.

59.              Le Tribunal a examiné l’article et a effectué ses propres essais. Le couteau Rockstead est un couteau pliant constitué d’une lame et d’un manche. Le manche est relié de manière articulée par des vis à une extrémité de la lame. Le dessous du manche comporte une cavité en forme de rainure adaptée pour recevoir la lame et fournissant un logement où la lame est retenue lorsque le couteau est fermé. Le couteau est aussi muni d’une agrafe de ceinture.

60.              La partie supérieure de la lame a un fini mat et comporte une encoche ou une rainure pour l’ongle adjacente au bord supérieur non tranchant de la lame. Un appuie-doigt côtelé s’y trouve aussi. Un petit ergot arrondi fait saillie de chaque côté de la partie supérieure de la lame, près de l’extrémité articulée du manche. La partie inférieure de la lame comporte le bord tranchant. Elle a un fini miroir très lustré.

61.              En position fermée, la lame est logée, le bord tranchant vers le bas, à l’intérieur du manche. Lorsque le couteau est fermé, la lame est retenue à l’intérieur du manche. Une fois le verrou libéré, la lame pivote autour de son articulation constituée de vis et passe de la position fermée à la position ouverte. Lorsque le couteau Rockstead s’ouvre, le bord tranchant de la lame est exposé pour l’utilisation et une fois la lame parvenue à sa pleine extension, un mécanisme de verrouillage s’enclenche pour maintenir en toute sécurité la lame en position ouverte. Pour fermer le couteau, il faut exercer une pression pour déplacer la lame (au moyen de son articulation) vers son logement dans le manche.

62.              Le couteau Rockstead est conditionné pour l’expédition avec une clé Allen (hexagonale)[43] et une fiche d’instructions pour l’entretien (nettoyage). La fiche d’instruction indique que la lame est faite d’acier à forte teneur en carbone, qu’elle est très tranchante et qu’elle ne devrait pas être affûtée avec une meuleuse électrique. L’utilisateur est averti que la lame devrait être essuyée après chaque utilisation et qu’il faut éviter de l’exposer à l’eau pour empêcher la formation de rouille qui pourrait l’endommager. Il semble que la clé Allen soit fournie pour aider au démontage pendant le nettoyage.

63.              Le Tribunal constate que la fiche d’instruction concorde avec l’information sur le produit publiée en ligne et incluse dans le mémoire de l’ASFC[44]. Il n’y a aucune description d’un mécanisme d’ouverture automatique ni effort de commercialisation en ce sens. La fiche d’instruction et l’information publiée en ligne mettent plutôt l’accent sur le tranchant de la lame et l’importance de bien nettoyer la lame pour éviter qu’elle s’endommage[45]. Une revue du produit vante l’utilité du couteau dans la préparation d’aliments et pour le vidage du poisson et du gibier[46]. Cependant, l’utilisation prévue du produit n’a aucune pertinence pour le classement tarifaire de l’article[47].

64.              L’information publiée en ligne suggère aussi que le couteau Rockstead est un produit artisanal dont la production est terminée[48]. La facture qui accompagnait l’article au moment de l’importation indiquait un prix de vente de 900 $[49].

65.              Ces documents incluent des photographies du couteau Rockstead, mais en l’absence d’instructions ou de description du mécanisme d’ouverture du couteau, ils sont peu utiles pour trancher le présent appel.

66.              Le Tribunal a mené plusieurs essais afin d’évaluer si le couteau Rockstead s’ouvre « automatiquement » par la gravité ou une force centrifuge.

67.              Dans un premier essai, le couteau fermé était tenu d’une main avec la lame fermée (dans son logement) orientée perpendiculairement à une table. Un mouvement brusque du poignet n’a pas permis de libérer le verrou ni de déloger la lame de la position fermée dans aucune des cinq tentatives. Cet essai a été répété dans diverses positions assises et debout. Le couteau était tenu d’une main, la lame dans diverses orientations par rapport au corps et à l’horizontale. Aucun de ces essais n’a eu pour résultat de libérer le verrou avec un mouvement brusque du poignet.

68.              Dans un autre essai, le couteau a été saisi de la main droite. Un mouvement vigoureux a été effectué de haut en bas comme avec un fouet, ce qui n’a pas été suffisant pour dégager le verrou, mais cela a fait en sorte que le couteau fermé a été échappé par l’utilisateur.

69.              Une pression vers le bas exercée sur l’appuie-doigt du couteau Rockstead a permis de déverrouiller la lame du couteau fermé, mais la lame ne s’est déplacée que sur une distance minime. Pour qu’un couteau s’ouvre automatiquement et se déploie complètement, la pointe de la lame doit pivoter sur un arc d’environ 180 degrés, ou une partie importante de cette distance. Lorsque le verrou du couteau Rockstead a été libéré par une pression exercée sur l’appuie-doigt, la pointe de la lame est sortie de sa position rangée à l’intérieur du manche, mais elle n’a tracé que 40 à 60 degrés environ. Une fois la lame dégagée, elle a pu être saisie avec l’autre main, pivotée dans la partie restante de l’arc et verrouillée en position ouverte.

70.              Le verrou pourrait aussi être libéré en tenant le couteau dans une main, en saisissant les boutons en saillie et en dépliant la lame de sa position rangée (retenue) à l’intérieur du manche, puis en pivotant la lame en position ouverte et verrouillée.

71.              Dans les deux cas, il est significatif qu’aucune force de ressort ni autre force n’ont été produites pour aider la lame à accélérer ou à se déplacer automatiquement dans l’une ou l’autre position – ouverture complète ou importante – ce qui aurait permis une rotation complète avec une manipulation minimale, comme un simple mouvement brusque du poignet. Il n’y a pas non plus de mécanisme de ressort ni autre mécanisme dans le manche dont la fonction serait d’accélérer l’ouverture de la lame jusqu’à une position d’ouverture complète et verrouillée. L’orientation des boutons sur la lame et de l’appuie-doigt par rapport au manche ne correspond pas à la définition de levier, ou d’un autre dispositif, produisant un gain mécanique suffisant pour entraîner l’ouverture automatique de la lame à partir de sa position rangée dans le manche.

72.              Pour établir si un couteau est (ou non) une arme prohibée, il faut d’abord se demander si le couteau s’ouvre automatiquement. L’ouverture « automatique » est une caractéristique essentielle qui distingue une arme prohibée d’un couteau pliant admissible. Si l’ouverture du couteau est déclenchée par un mécanisme simple ou une manipulation minimale entraînant une ouverture rapide et inévitable de la lame et son verrouillage, le couteau s’ouvre automatiquement.

73.              Si, au contraire, une série d’étapes ou de mouvements coordonnés est nécessaire pour ouvrir un couteau pliant, le Tribunal a précédemment conclu que le couteau n’est pas une « arme prohibée »[50]. Les étapes nécessaires pour ouvrir un couteau pliant classique peuvent être relativement simples. Cependant, ce facteur à lui seul ne permet pas de conclure que le couteau est visé par l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, si une simple manipulation n’entraîne pas l’ouverture automatique du couteau et le verrouillage de la lame ni, par conséquent, son déploiement rapide.

74.              À la lumière de l’inspection et des essais qu’il a faits du couteau Rockstead, le Tribunal conclut que le couteau ne s’ouvre pas automatiquement par la gravité ni la force centrifuge. Il fonctionne comme un couteau pliant classique qui exige soit une séquence d’étapes, soit une manipulation à deux mains pour s’ouvrir.

75.              À cet égard, le couteau Rockstead fonctionne de la même manière que les couteaux en cause dans les décisions Goldrich et Cowan. Par ailleurs, les faits de l’espèce le distinguent du couteau en cause dans la décision LaPlante.

76.              Dans la décision Cowan, le couteau était conçu pour aider l’utilisateur à maîtriser l’ampleur et la vitesse du déploiement de la lame à partir de sa position fermée et rangée à l’intérieur du manche. Le Tribunal a conclu que le bouton n’était « pas conçu pour activer un mécanisme d’ouverture, mais aid[ait] à un déploiement contrôlé de la lame par l’utilisateur »[51].

77.              Un déploiement maîtrisé est le contraire d’une ouverture automatique.

[52][53]

(1) Dans toute procédure engagée sous le régime de la présente loi en matière d’importation ou d’exportation de marchandises, la charge de prouver l’importation ou l’exportation incombe à Sa Majesté.

[...]

(3) Sous réserve du paragraphe (4), dans toute procédure engagée sous le régime de la présente loi, la charge de la preuve incombe, non à Sa Majesté, mais à l’autre partie à la procédure ou à l’inculpé pour toute question relative, pour ce qui est de marchandises :

[...]

(d) à l’observation, à leur égard, de la présente loi ou de ses règlements.

83.              Le classement d’un article, comme le couteau Rockstead, à titre d’arme prohibée est une question qui concerne l’importation de marchandises. Ainsi, l’alinéa 152(3)d) de la Loi impose le fardeau de la preuve à l’appelant (M. Humber) qui doit démontrer que les marchandises ne sont pas correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée[54]. L’on s’acquitte de ce fardeau selon la norme civile habituelle, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités[55]. Après évaluation de la preuve, si un doute persiste, l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve et l’appel doit être rejeté[56].

84.              Dans les appels interjetés en vertu du paragraphe 67(1), le Tribunal applique[57] le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada[58]. Dans cet arrêt, la Cour suprême a souligné que divers degrés de preuve peuvent s’appliquer pour s’acquitter du fardeau de la preuve. Selon le critère énoncé dans l’arrêt Hickman, l’appelant peut s’acquitter de son fardeau, à tout le moins dans un premier temps, en présentant une preuve prima facie.

85.              Lorsqu’il s’agit de décider si une partie s’est acquittée du fardeau de la preuve, une cour ou un tribunal examine l’information pertinente et l’occasion qu’a une partie de présenter des preuves qui appuient un fait en particulier[59]. On s’attend qu’une partie puisse prouver des faits relevant directement de ses connaissances ou de ses moyens de connaissance, surtout lorsque les faits ou l’information nécessaires ne sont pas en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie adverse[60].

86.              Lorsque des marchandises sont saisies et retenues par l’ASFC parce qu’il pourrait s’agir d’armes prohibées, les marchandises ne sont pas remises à l’importateur, mais demeurent plutôt à la garde de l’ASFC jusqu’à ce qu’on détermine qu’elles ont été incorrectement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00, s’il en est. L’article en cause n’est pas déposé auprès du greffe du Tribunal, mais l’ASFC remet l’article au Tribunal pour qu’il puisse l’examiner au moment de l’instruction de l’appel et le récupère immédiatement après.

87.              Dans de telles circonstances, l’importateur n’a pas accès à l’article pour effectuer des essais ou des expériences, même si de tels essais peuvent être pertinents ou utiles pour établir si l’article est une arme prohibée ou non. Cette situation ne change en rien ni n’exclut le fait que le fardeau de la preuve incombe à l’appelant. Cependant, ce facteur est pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer la nature de la preuve qui serait raisonnablement accessible à l’appelant, aux fins de décider si celui-ci a établi une preuve prima facie, selon le critère énoncé dans la décision Hickman.

88.              En l’espèce, M. Humber précise qu’il possède d’autres modèles de couteaux de la marque Rockstead et que le couteau en cause n’est pas différent de ceux-ci au vu de la mécanique et de la méthode d’ouverture. Cet argument n’est pas pertinent; la vente, l’accessibilité ou la présence de biens semblables au Canada n’a aucune incidence sur la question de savoir si le couteau Rockstead est une arme prohibée dont l’importation est interdite au Canada[61].

89.              M. Humber fournit bien une description écrite de la façon dont le couteau Rockstead s’ouvre[62]. Puisqu’il n’a pas accès à l’article détenu, la description écrite est suffisante pour lui permettre de s’acquitter du fardeau d’établir une preuve prima facie, selon le Tribunal.

90.              Une fois que l’appelant a établi une preuve prima facie, on offre à l’intimé (ASFC) la possibilité de soumettre sa propre preuve, ce qui est décrit de diverses façons dans la jurisprudence comme un déplacement du fardeau de la preuve[63] ou la création d’un « fardeau tactique »[64] qui, selon la façon dont il est traité, peut mener à des conclusions défavorables lorsque tous les éléments de preuve sont pris en compte[65]. Lorsqu’il statue sur un appel, le Tribunal doit examiner l’ensemble de la preuve pour décider si l’appelant s’est acquitté du fardeau de prouver que le classement des marchandises est incorrect.

91.              Le dossier de la preuve que l’ASFC a présenté est essentiellement limité à son affirmation des résultats d’essais menés à l’interne, comme il est énoncé dans la décision portée en appel et dans les observations écrites déposées devant le Tribunal pour appuyer la décision de l’ASFC. Comme il a été mentionné ci‑dessus, les renseignements tirés du site Web qui ont été remis en même temps que le mémoire de l’ASFC ne jettent aucun éclairage sur la question de fait au cœur du litige, soit le mécanisme d’ouverture du couteau Rockstead.

92.              Dans la plupart des décisions antérieures citées dans l’argumentation écrite de l’ASFC, le dossier de preuve soumis au Tribunal incluait soit un rapport d’expert, soit une preuve matérielle directement liée aux caractéristiques de l’article en cause et à sa méthode de fonctionnement[66]. Le cas présent est différent, en ce qu’aucune preuve matérielle ayant trait à l’ouverture du couteau Rockstead n’a été soumise.

93.              Dans la décision Miner, la Cour d’appel fédérale a conclu que le Tribunal avait erré en inversant la partie à qui incombait le fardeau de prouver qu’un instrument était ou non une sarbacane Yaqua et, par conséquent, une arme prohibée[67]. L’instrument en cause était constitué de deux tubes creux. L’ASFC n’avait pas soumis de preuve scientifique  démontrant que l’instrument fonctionnait réellement comme une sarbacane. M. Miner avait présenté une fiche d’information décrivant la sarbacane Yaqua comme une arme utilisée par la tribu Yaqua du Pérou et pouvant propulser des munitions avec beaucoup de force. L’inspection que le Tribunal a faite de l’instrument en cause n’a pas permis d’établir de manière concluante si l’article avait été adapté ou conçu pour propulser des flèches ou fléchettes avec la bouche. Puisqu’il incombait à M. Miner de prouver que l’instrument n’était pas une sarbacane Yaqua, la Cour d’appel fédérale a conclu que le Tribunal avait fait une erreur en accueillant l’appel de M. Miner dans des circonstances ne permettant pas de conclure si l’instrument était réellement une sarbacane Yaqua ou un dispositif semblable visé par l’interdiction prévue par règlement. Dans la mesure où le Tribunal a demandé de l’information supplémentaire, il avait la possibilité de recourir à la règle 25.1 pour l’obtenir.

94.              À la différence de la décision Miner, dans le cas présent, le Tribunal a mené un examen et des essais qui ont donné des résultats qui ne sont ni ambigus ni indéterminés.

95.              Malgré de multiples tentatives, le Tribunal n’a pas réussi à reproduire les résultats d’essai que l’ASFC a déclarés. Le dossier de cet appel se limitait essentiellement à des descriptions contradictoires du mécanisme d’ouverture du couteau Rockstead. Les résultats de l’examen et des essais du Tribunal ont démontré que l’ouverture du couteau Rockstead correspondait à la description que M. Humber avait fournie et non à celle de l’ASFC. D’ailleurs, la décision de l’ASFC précisait que le Tribunal pouvait mener ses propres essais dans le cadre d’un examen de novo[68], ce qui suggère que l’ASFC était consciente des conséquences que pouvaient avoir les essais du Tribunal, notamment de trancher l’appel.

96.              À la différence de la sarbacane Yaqua, qui est une arme prohibée en soi, n’ayant aucune autre utilisation ni fonction bénigne, les couteaux ne sont pas tous des armes prohibées. Comme il a été mentionné ci-dessus, l’alinéa 84(1)a) a été rédigé dans le but de cibler les couteaux conçus ou adaptés pour se déployer rapidement comme une arme par l’ouverture automatique de la lame. Il y a une certaine preuve, bien qu’elle ne soit ni concluante ni décisive, que le couteau Rockstead (à la différence de la sarbacane Yaqua dans la décision Miner) est utilisé pour des activités plutôt ordinaires comme la préparation d’aliments, la chasse et la pêche[69].

97.              Comme il a été mentionné dans la décision Miner, le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire, en vertu de la règle 25.1, de demander à l’une ou à l’autre partie de fournir de l’information supplémentaire. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire conféré au Tribunal doit être exercé judiciairement[70]. En exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu de la règle 25.1, le Tribunal doit établir un équilibre entre la nécessité d’une décision bien éclairée et l’importance d’assurer son impartialité[71].

98.              Dans ces circonstances, le Tribunal estime que le recours à la règle 25.1 serait inapproprié. La règle 25.1 n’est pas une mesure d’appui probatoire ou tactique permettant au Tribunal d’orienter une des parties sur la façon de mieux faire valoir sa cause. À moins que le Tribunal ait besoin de clarifications ou que les éléments de preuve des parties soient à équilibrés ou ne lui permettent pas de trancher la question, comme c’était le cas dans la décision Miner[72], le Tribunal ne devrait pas utiliser la règle 25.1 pour exiger des documents supplémentaires dans le but de cerner ou de combler les lacunes dans la preuve ou les arguments de l’une ou de l’autre partie; ce serait incompatible avec son rôle d’arbitre impartial.

99.              Compte tenu de ce qui précède et après avoir évalué et soupesé l’ensemble de la preuve au dossier, le Tribunal conclut que l’appelant s’est acquitté du fardeau de la preuve et que le couteau Rockstead n’est pas une « arme prohibée » au sens de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel. Par conséquent, le couteau Rockstead est incorrectement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 du Tarif des douanes.

DÉCISION

100.          L’appel est accueilli.




Susan D. Beaubien                 
Susan D. Beaubien
Membre présidant



[1]      Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 45.

[2]      Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 42.

[3]      Paragraphe 84(1), L.R.C., 1985, ch. C-46 [Code criminel].

[4]      Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 49-50.

[5]      L.C. 1997, ch. 36 [Tarif des douanes].

[6]      Pièce AP-2018-062-01, vol. 1, p. 14-18.

[7]      Pièce AP-2018-062-01, vol. 1, p. 11-18.

[8]      Pièce AP-2018-062-01, vol. 1, p. 14.

[9]      Pièce AP-2018-062-01, vol. 1, p. 15.

[10]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 53-54.

[11]     T. LaPlante c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (16 novembre 2017), AP-2017-012 (TCCE) [LaPlante].

[12]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 52-54.

[13]     L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[14]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 52.

[15]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 53.

[16]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 53.

[17]     Pièce AP-2018-062-01, vol. 1, p. 1-7.

[18]     Pièce AP-2018-062-01, vol. 1, p. 6, 8-10.

[19]     Pièce AP-2018-062-01, vol. 1, p. 11-18.

[20]     Pièce AP-2018-062-03.

[21]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 4-11.

[22]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 13-40.

[23]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 41-54.

[24]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 55-63.

[25]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 66-69.

[26]     DORS/91-499 [Règles].

[27]     Gazette du Canada, partie I, volume 153, numéro 26, 19 juin 2019.

[28]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 4.

[29]     LaPlante, par. 29.

[30]     Pièce 5A, p. 38-40

[31]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 8.

[32]     Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131, par. 4-5.

[33].    Partie II des Règles.

[34]     Digital Canoe Inc. (22 août 2016), AP-2015-026 (TCCE) [Digital Canoe], par. 15; Danson Décor Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (6 septembre 2019) AP-2018-043 (TCCE) [Danson Décor], par. 82-93.

[35]     Danson Décor, par. 82-93.

[36]     Digital Canoe, par. 15; Costco Wholesale Canada Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 mai 2014), AP-2011-033 (TCCE) [Costco], par. 25; Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 [Miner].

[37]     Par exemple Digital Canoe, par. 16; Knife & Key Corner Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (14 septembre 2015), AP-2014-030 (TCCE) [Knife & Key], par. 20.

[38]     R. v. Archer, 1983 CanLII 3510 (ON CA), 6 C.C.C. (3d) 129, p. 132, tel que cité dans R. c. Vaughan 60 C.C.C. (3d) 87, 1990 CanLII 3059 (QC CA); confirmé [1991] 3 RCS 691 (C.S.C.).

[39]     La Sagesse de l’Eau c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 novembre 2012), AP 2011-040 (TCCE) [La Sagesse], par. 46-48.

[40]     Voir par exemple Wayne Ericksen c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (3 janvier 2002), AP-2000-059 (TCCE) [Ericksen] et R. Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 janvier 2014), AP-2012-072 (TCCE), par. 59.

[41]     LaPlante, par. 25-31.

[42]     Voir par exemple Digital Canoe.

[43]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 66.

[44]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 56-63.

[45]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 56-57.

[46]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 56, 60.

[47]     Woodworth c. Canada (Agence des services frontaliers) (11 septembre 2007), AP-2006-035 (TCCE), par. 20.

[48]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 56.

[49]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 45.

[50]     Par exemple Abraham I. Goldrich c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (17 octobre 2001), AP-2000-035 (TCCE) [Goldrich]; A. Cowan c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (22 août 2017), AP-2016-046 (TCCE) [Cowan].

[51]     Cowan, par. 32.

[52]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 38-39.

[53]     Par. 25.

[54]     Digital Canoe, par. 15; Miner, par. 7, 21.

[55]     Voir F.H. c. McDougall, [2008] 3 RCS 41, 2008 CSC 53 (CanLII).

[56]          Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd., 2002 CAF 29, par. 10, 13; Miner, par. 21.

[57]     Par exemple Schlumberger Canada Limited (21 juin 2017), AP-2015-022 (TCCE), par. 34; BSH Home Appliance Ltd. (27 octobre 2014), AP-2013-057 (TCCE), par. 29.

[58]     [1997] 2 R.C.S. 336 [Hickman].

[59]     Voir par exemple Snell c. Farrell, 1990 CanLII 70 (CSC), [1990] 2 RCS 311 [Snell]; Canadian Northern Quebec R. Co. v. Pleet, 1921 CanLII 518 (ON CA), 50 O.L.R. 223, affirmé 1921 CanLII 564 (SCC), [1923] 4 DLR 1112; Hoffmann-La Roche Ltd. v. Apotex Inc. (1984), 1984 CanLII 1883 (ON CA), 47 O.R. (2d) 287, p. 288.

[60]     Ibid. Voir aussi par exemple Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, par. 35-36.

[61]     Ivan Hoza c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (6 janvier 2010), AP-2009-002 (TCCE), par. 30, citant Romain L. Klaasen c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 octobre 2005), AP-2004-007 (TCCE), par. 6-7.

[62]     Pièce AP-2018-062-01, vol. 1, p. 8-10, 14-18.

[63]     Par exemple Hickman, par. 92-95; Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc., 1996 CanLII 4073 (CAF), [1997] 1 CF 3; House c. Canada, 2011 CAF 234, par. 30-31.

[64]     Snell, par. 32.

[65]     Snell, par. 32.

[66]     Ericksen; Lee c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 juillet 2006), AP 2003-054 (TCCE), par. 8; Christie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 janvier 2014), AP-2012-072 (TCCE), par. 40-41; Shannon c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 janvier 2008), AP 2006-059 (TCCE), par. 9; La Sagesse, par. 7; MilArm Co. Ltd. c. Canada (Douanes et Revenu) (12 juillet 2006), AP-2002-114 (TCCE), par. 9.

[67]     Miner, par. 21.

[68]     Pièce AP-2018-062-05A, vol. 1, p. 54.

[69]     Voir par. 63 ci-dessus.

[70]     Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, 2003 CAF 199, par. 30.

[71]     Par exemple Ontario (Commission de l’énergie) c. Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44.

[72]     Miner, par. 20-21.

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