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Appel no AP-2019-027

Coalision Inc.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Ordonnance et motifs rendus
le mardi 7 janvier 2020

 



EU ÉGARD À un appel interjeté par Coalision Inc. aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET À LA SUITE D’une demande déposée par l’Agence des services frontaliers du Canada conformément à l’article 23.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, DORS/91-499, en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Coalision Inc. de produire certains documents et de fournir des précisions quant à certaines observations formulées dans le mémoire de l’appelante.

ENTRE

COALISION INC.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

ORDONNANCE

Après avoir examiné la demande et les observations à l’appui déposées le 20 décembre 2019 par l’Agence des services frontaliers du Canada, les observations s’opposant à la demande déposées le 20 décembre 2019 par Coalision Inc., et les observations en réponse déposées le 24 décembre 2019 par l’Agence des services frontaliers du Canada, le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette la demande de l’Agence des services frontaliers du Canada en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Coalision Inc. de produire certains documents et de fournir des précisions quant à certaines observations formulées dans le mémoire de l’appelante.

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, par la présente, proroge jusqu’au 30 janvier 2020 l’échéance pour l’Agence des services frontaliers du Canada de signifier et déposer son mémoire.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1] Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a examiné la demande de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) du 20 décembre 2019 afin qu’il ordonne à Coalision Inc. (Coalision) de 1) déposer en preuve certains documents, 2) fournir des précisions quant à certaines observations formulées dans le mémoire de l’appelante, et 3) qu’il suspende les procédures dans ce dossier jusqu’à ce que Coalision ait signifié et déposé les documents et précisions demandés. Après avoir pris connaissance des observations des parties sur cette demande et déterminé qu’il était approprié de l’examiner aux termes de l’article 23.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [1] , le Tribunal a décidé de statuer sur cette demande de la façon suivante.

ANALYSE

Signification et dépôt de documents additionnels

[2] L’ASFC demande au Tribunal d’ordonner à Coalision de déposer des documents comptables relatifs à l’achat des tissus excédentaires pour les années 2013, 2014 et 2016 afin de soutenir l’allégation selon laquelle les tissus excédentaires en cause sont comptabilisés comme une dépense d’acquisition de biens tangibles et dans des comptes d’actif en stock d’inventaires détenu à l’étranger. Notant que Coalision a également allégué que les paiements en litige ne sont pas prévus dans l’entente d’achat des marchandises en cause, l’ASFC demande aussi au Tribunal d’ordonner à Coalision de déposer les ententes d’achats en vigueur de 2013 à 2016 entre Coalision et ses fournisseurs.

[3] En ce qui a trait aux documents comptables, l’ASFC reconnaît avoir en sa possession les documents comptables pertinents pour l’année 2015 et indique dans sa lettre du 24 décembre 2019, en réplique à la réponse de Coalision quant à la demande de l’ASFC, qu’il est raisonnable de croire que cette dernière a traité les tissus excédentaires de la même façon pour les années 2013, 2014 et 2016. De l’avis du Tribunal, dans la mesure où les achats pour les tissus excédentaires sont traités de façon comptable de la même façon par Coalision pour toutes les transactions pertinentes au cours de toute la période en cause (2013 à 2016), cette dernière n’a pas à fournir tous les documents comptables relatifs à l’achat des tissus excédentaires afin de se conformer à l’alinéa 34(2)e) des Règles. Il lui suffit de confirmer que les écritures comptables pour les années 2013, 2014 et 2016 reflètent celles de 2015 qui sont déjà en possession de l’ASFC, comme semble l’indiquer sa lettre du 20 décembre 2019 en réponse à la demande de l’ASFC. Par la présente, le Tribunal donne la directive à Coalision de confirmer ce fait par écrit au plus tard le 10 janvier 2020.

[4] En effet, Coalision n’allègue pas dans cette lettre ni dans son mémoire que sa comptabilisation dans ses livres du tissu excédentaire était différente pour les années autres que 2015. Partant, l’ASFC n’a pas besoin que Coalision dépose tout document relatif à la comptabilité des tissus excédentaires pour répondre à l’allégation selon laquelle les tissus excédentaires en cause sont comptabilisés comme une dépense d’acquisition de biens tangibles et dans les comptes d’actif en stock d’inventaires détenu à l’étranger. Si la position de l’ASFC est que les documents comptables démontrent que ce n’est pas le cas, elle peut étayer cet argument dans son mémoire sur la foi des documents déjà en sa possession.

[5] L’ASFC soutient aussi que le Tribunal ne peut pas déterminer la valeur des vêtements importés sans être en possession des documents demandés pour toutes les années. Le Tribunal ne peut accepter cet argument. La question que le Tribunal doit trancher est celle de savoir si les paiements pour les tissus excédentaires doivent être rajoutés à la valeur en douane de ces vêtements en application des articles 45 et 48 de la Loi sur les douanes [2] , et non pas de déterminer leur quantum, c’est-à-dire quel montant exact devrait ou non être rajouté pour chaque transaction en cause.

[6] D’ailleurs, l’annexe A (confidentielle) de la décision rendue par l’ASFC le 19 mars 2019, aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi et qui fait l’objet du présent appel, indique clairement les montants qui devraient être rajoutés à la valeur en douane des marchandises en cause si le Tribunal rejetait les prétentions de Coalision. À cet égard, la compréhension du Tribunal est que ces montants reflètent les corrections qui ont été préparées et déposées par Coalision dans les 90 jours suivant la conclusion de la vérification de l’ASFC concernant l’établissement de la valeur en douane des marchandises en cause, dont les résultats ont été communiqués à Coalision le 5 avril 2017. Coalision ne demande pas au Tribunal de revoir ces montants. Encore une fois, l’objet de l’appel n’est pas de vérifier si ces montants sont exacts d’un point de vue comptable, mais bien de déterminer s’ils doivent ou non être inclus dans la valeur en douane des marchandises en cause.

[7] Tout compte fait, le Tribunal est d’avis que les documents demandés sont d’une pertinence limitée et considère qu’accorder la demande imposerait un fardeau trop lourd à Coalision dans les circonstances. De plus, le Tribunal fait remarquer que les parties n’ont pas un droit général à la communication de la preuve dans les procédures devant lui et qu’une demande de renseignements ne doit pas être formulée uniquement dans l’espoir de découvrir des éléments de preuve [3] .

[8] Quant à la demande pour le dépôt d’ententes d’achats en vigueur de 2013 à 2016 entre Coalision et ses fournisseurs, la lettre de Coalision du 20 décembre 2019 indique qu’aucune entente écrite formelle n’existe à cet égard. Le Tribunal ne peut ordonner le dépôt de documents qui n’existent pas.

[9] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que la demande de l’ASFC visant le dépôt de documents comptables additionnels n’est pas fondée.

Précisions recherchées quant aux observations de Coalision dans son mémoire

[10] L’ASFC soutient que Coalision a formulé des allégations vagues, sans les appuyer par des éléments de preuve, qui ne lui permettent pas d’y répondre et demande au Tribunal de lui ordonner de fournir des précisions.

[11] D’abord, selon l’ASFC, les observations de Coalision aux paragraphes 45 à 51 de son mémoire ne sont pas suffisantes pour lui permettre de comprendre et de répondre à l’interprétation législative proposée. Après avoir examiné les observations en question, le Tribunal conclut qu’elles sont conformes à l’exigence énoncée au sous-alinéa 34(2)c)(vii) des Règles. En effet, elles indiquent que Coalision entend plaider à l’audience que les termes de la version anglaise du paragraphe 45(1) de la Loi doivent être interprétés à la lumière de la version française de cette disposition et de certaines dispositions d’un accord commercial multilatéral. Le Tribunal est d’avis qu’elle constitue un « bref exposé » de l’argumentation qui sera présentée par l’appelante à l’audience et que l’ASFC n’a pas besoin de renseignements additionnels pour répondre à cet argument et présenter son interprétation des dispositions pertinentes, si elle diffère de celle de Coalision.

[12] L’ASFC soutient de plus que Coalision a formulé des observations vagues relatives à deux situations potentielles concernant les tissus excédentaires, à savoir un possible rapatriement au Canada, ce qui donnerait lieu à une double comptabilisation selon Coalision, et une revente possible de ces tissus par Coalision au fabricant ou à des tiers. Selon l’ASFC, il n’est pas clair si ces situations se sont réellement produites entre 2013 et 2016 ou si elles ne sont qu’hypothétiques et par conséquent non pertinentes à cet appel.

[13] Dans sa réponse à la demande de l’ASFC, Coalision confirme qu’une partie du tissu excédentaire a été rapatrié au Canada et que, dans les faits, ce tissu est parfois revendu au fabricant. Coalision a aussi fait référence aux éléments de preuve qu’elle a déposés avec son mémoire au soutien de ces allégations.

[14] De l’avis du Tribunal, les exigences des Règles et celles de l’équité procédurale n’imposent pas à Coalision de fournir davantage de précisions pour permettre à l’ASFC de répondre à ces allégations. À titre d’exemple, il est loisible à l’ASFC d’argumenter, comme elle semble d’ailleurs le suggérer dans ses observation à l’appui de sa demande, que Coalision n’a pas déposé suffisamment d’éléments de preuve pour établir la pertinence de ces situations dans la détermination de la valeur en douane des marchandises en cause. Quoi qu’il en soit, le Tribunal est d’avis que si l’ASFC entend contester les arguments de Coalision à l’égard de ces situations, elle dispose de suffisamment de renseignements pour le faire.

[15] D’ailleurs, le Tribunal rappelle à l’ASFC que Coalision ne soutient pas que la valeur en douane des marchandises en cause telle qu’établie par l’ASFC suite aux corrections effectuées par l’appelante devrait être réduite pour tenir compte des tissus qu’elle aurait éventuellement rapatrié au Canada ou revendu à des tiers. Dans ce cas, il pourrait être pertinent de connaître en détail les circonstances et les sommes impliquées dans ces transactions. Toutefois, les prétentions de Coalision sont d’un autre ordre. Par conséquent, le Tribunal conclut qu’il n’est pas nécessaire que Coalision fournisse des précisions sur les circonstances entourant le possible rapatriement ou la revente des tissus excédentaire afin de permettre à l’ASFC de répondre à l’argument selon lequel ces situations, qu’elles soient hypothétiques ou avérées, sont pertinentes pour déterminer si les paiements pour l’achat des tissus excédentaires doivent être inclus dans la valeur en douane des marchandises en cause.

[16] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal rejette la demande de l’ASFC pour qu’il ordonne à Coalision de fournir des précisions quant aux observations présentées dans son mémoire.

Demande de suspension

[17] Compte tenu de la décision du Tribunal sur les questions de la production de documents additionnels et le dépôt de précisons quant à certaines observations de Coalision, le Tribunal conclut que la demande de l’ASFC pour la suspension des procédures dans cet appel n’est pas fondée.

[18] Toutefois, vu la directive à l’intention de Coalision énoncée au paragraphe 3 de ces motifs, le Tribunal a décidé de proroger le délai pour le dépôt du mémoire de l’intimé. Ainsi, l’ASFC a jusqu’au 30 janvier 2020 pour signifier et déposer son mémoire auprès du Tribunal.

CONCLUSION

[19] La demande en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Coalision de produire certains documents et de fournir des précisions quant à certaines observations formulées dans le mémoire de l’appelante de l’ASFC est rejetée.

[20] L’échéance pour la signification et le dépôt du mémoire de l’intimé est prorogé jusqu’au 30 janvier 2020.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant

 



[1] DORS/91-499 (Règles). Le Tribunal fait remarquer que la lettre de l’ASFC du 20 décembre 2019 indique que la demande était présentée en vertu des articles 20.1, 23.1 et 24. Or, selon le paragraphe 24(1) des Règles, le Tribunal procède sur requête uniquement si, selon le cas, il décide de ne pas examiner une question aux termes de l’article 23.1 où les Règles précisent qu’il est tenu de procéder sur requête. Or, les Règles n’exigent pas qu’une partie dépose une requête pour que le Tribunal examine le type de demande présentée par l’ASFC en l’espèce.

[2] L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) (Loi).

[3] The Masha Krupp Translation Group Ltd. c. Agence du revenu du Canada (17 octobre 2018), PR-2016-041 (TCCE) au par. 23.

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